Notre collègue Claude Kern, avec lequel j'ai échangé à l'occasion de l'intervention du président ukrainien Volodymyr Zelensky devant le Parlement français, m'a fait part de son souhait de nous présenter ce qui s'est passé lors de la session extraordinaire de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) qui s'est tenue les 14 et 15 mars, et qui a été l'un des moments importants ayant conduit au retrait de la Fédération de Russie de cette organisation.
Notre collègue Alain Milon, premier vice-président de la délégation française à l'APCE, qui accueille le Président du Sénat, ne peut être présent parmi nous aujourd'hui.
Il me paraissait important que nous puissions avoir rapidement un retour sur cette session extraordinaire et sur les développements éventuels que cela implique pour le Conseil de l'Europe.
Je remercie donc Claude Kern, qui préside la sous-commission sur les conflits entre les États membres du Conseil de l'Europe au sein de l'APCE, pour l'éclairage qu'il pourra nous apporter sur le ressenti des différentes délégations à Strasbourg et sur les enjeux qu'il entrevoit pour cette organisation.
Je souhaitais vous rendre compte rapidement des échanges que nous avons eus à l'APCE les 14 et 15 mars, dans le cadre d'une session extraordinaire consacrée aux conséquences de l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine. Il s'agissait d'une session hybride et nous avons été nombreux à y prendre part, soit sur place à Strasbourg, soit à distance en visioconférence.
Avant d'évoquer la session extraordinaire elle-même, je souhaite brièvement vous présenter les réactions du Conseil de l'Europe à la suite de l'invasion de l'Ukraine par les armées de la Fédération de Russie, deux États membres de l'organisation au moment des faits.
Dès le 24 février, jour de l'agression de l'Ukraine, le président de l'APCE a convoqué une réunion d'urgence du Comité mixte entre le Comité des ministres et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, afin de coordonner la réaction des instances. Il avait également souhaité que l'APCE tienne en urgence une session plénière.
Le Comité mixte s'est réuni le 25 février et, à l'issue de sa réunion, le Comité des ministres a décidé de suspendre les droits de représentation de la Fédération de Russie, en raison de violations graves du statut du Conseil de l'Europe.
Ainsi, à partir du 25 février, la Russie n'a plus été autorisée à siéger dans les organes statutaires du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire l'Assemblée parlementaire, le Comité des ministres et leurs comités subsidiaires. Cette décision a été étendue à d'autres instances, y compris le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.
Devant la détérioration de la situation en Ukraine et les multiples violations des droits de l'homme, les délégations au Comité des ministres se sont montrées majoritairement favorables à la mise en oeuvre d'une procédure d'exclusion de la Fédération de Russie, qu'il ne faut pas confondre avec une suspension. Cette procédure prévoyant que l'Assemblée parlementaire soit formellement consultée, le Comité des ministres a pris le 10 mars la décision de consulter formellement l'Assemblée parlementaire sur une potentielle utilisation plus poussée de l'article 8 du statut de l'organisation.
Si la formule permettait à l'APCE de se prononcer sur d'éventuelles mesures dans le cadre de la suspension, la majorité des délégations attendait un avis sur l'opportunité d'« inviter la Fédération de Russie à se retirer de l'organisation ».
La session extraordinaire qui s'est tenue les 14 et 15 mars a ainsi permis à l'APCE de rendre son avis. La participation à cette session extraordinaire a été très forte et environ 170 orateurs se sont exprimés, un nombre record ! La moitié de la délégation sénatoriale a pris la parole au cours du débat : André Gattolin, Christian Klinger et Alain Milon en distanciel, Nicole Duranton, Jacques Le Nay et moi-même en présentiel.
Cette session a été marquée par des interventions fortes de la présidence italienne du Comité des ministres, de la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe et, en visioconférence, du Premier ministre ukrainien, Denys Chmyhal. Mais elle a aussi été marquée, du côté de la délégation française, par une rencontre tendue - c'est le moins que l'on puisse dire - avec notre ambassadrice, représentante permanente de la France auprès du Conseil de l'Europe. Je le dis, car c'est inhabituel : l'ambassadrice a relayé les éléments de langage venant, dixit son collaborateur, du « Château », qui invitaient à prendre le temps de la réflexion, à bien mesurer les conséquences d'une éventuelle exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de l'Europe, qui priverait en particulier les citoyens russes de la faculté de saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et pourrait également permettre à la Fédération de Russie de rétablir la peine de mort.
La France proposait que des États membres de l'Union européenne prennent l'initiative d'une requête interétatique à l'encontre de la Russie ou interviennent en soutien d'une requête introduite par l'Ukraine, si celle-ci devait intervenir rapidement. Avec un brin d'ironie, nous avons ainsi découvert que la Fédération de Russie portait une grande attention à la mise en oeuvre des arrêts de la CEDH, même si elle en contestait les décisions les plus emblématiques...
Notre ambassadrice a également évoqué les enjeux budgétaires liés au retrait éventuel de la Fédération de Russie du Conseil de l'Europe, celle-ci contribuant pour 33 millions d'euros au budget de l'organisation. Ce fut la goutte d'eau qui a fait déborder le vase ! Ce discours n'a malheureusement pas échappé aux autres délégations nationales, qui se sont interrogées sur la stratégie française. Il n'est pas du tout passé auprès de la délégation française à l'APCE et, pour être clair, notre ambassadrice a été quelque peu « secouée ». Les méthodes pressantes de la représentation permanente vis-à-vis des parlementaires ont été particulièrement peu appréciées, quelle que soit notre appartenance politique.
Nous avons unanimement considéré que l'agression armée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine ne lui permettait plus de rester membre du Conseil de l'Europe. Et je le dis avec d'autant plus de force que je suis dorénavant le président de la sous-commission sur les conflits entre les États membres de cette organisation, qui va se réunir tout à l'heure à Paris, et qui traite en particulier du processus de règlement transnistrien, du processus de règlement chypriote et du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan à propos du Haut-Karabakh. Le conflit impliquant la Géorgie est d'ailleurs inscrit aujourd'hui à l'ordre du jour. Or, la Russie est fortement mêlée à tous ces conflits.
La dimension de cette guerre en Ukraine, les atrocités commises et les attaques frontales contre les valeurs du Conseil de l'Europe ne permettaient plus l'entre-deux.
Les autorités de la Fédération de Russie elles-mêmes ont tenu des propos très durs à l'encontre de l'évolution du Conseil de l'Europe. Le ministère russe des affaires étrangères a publié un communiqué estimant que « les États de l'Union européenne et de l'OTAN, hostiles à la Russie, abusant de leur majorité absolue au sein du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, poursuivent la politique de destruction du Conseil de l'Europe et de l'espace humanitaire et juridique commun en Europe. L'évolution des événements devient irréversible. » Le président de la délégation russe à l'APCE, Piotr Tolstoï, par ailleurs vice-président de la Douma d'État, a également affirmé que « le Conseil de l'Europe est depuis longtemps passé de la plus importante plate-forme internationale pour un dialogue égal à une structure fantoche utilisée pour promouvoir la russophobie », ajoutant que « la Russie ne correspond en rien à leur image du monde, nous n'accepterons jamais les valeurs occidentales. Laissons-les mijoter dans leur jus. Sans nous. » J'ajoute qu'un député de la délégation russe à l'APCE, Leonid Sloutski, placé de longue date sous sanctions européennes, est l'un des membres de l'équipe russe de négociation avec l'Ukraine.
L'Assemblée parlementaire ne pouvait donc pas rester sans réagir, et elle l'a fait avec force, en appelant à l'unanimité, par 216 voix pour et 3 abstentions, au retrait immédiat de la Fédération de Russie du Conseil de l'Europe.
Quelques heures avant le vote, pour ne pas en être dépendant, le Gouvernement de la Fédération de Russie a officiellement informé la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe de son retrait de l'Organisation et de son intention de dénoncer la Convention européenne des droits de l'homme.
Le Comité des ministres a donc décidé que la Fédération de Russie cessait d'être membre du Conseil de l'Europe à compter du 16 mars 2022. Celle-ci est censée s'acquitter de l'ensemble de ses obligations financières vis-à-vis du Conseil de l'Europe jusqu'à cette date, même si l'on peut fortement douter de la volonté de la Russie de régler les sommes qu'elle doit.
La Russie cessera d'être partie à la Convention européenne des droits de l'homme le 16 septembre 2022. Jusqu'à cette date, le juge russe continuera à siéger à la Cour. La CEDH demeure par ailleurs compétente pour traiter les requêtes dirigées contre la Fédération de Russie concernant les actions et omissions susceptibles de constituer une violation de la Convention qui surviendraient jusqu'au 16 septembre. Selon les données communiquées par la Cour, au 1er janvier 2022, on comptait près de 17 000 affaires pendantes concernant la Russie. En 2021, 232 arrêts ont été rendus, dont 219 concluant à au moins une violation de la Convention européenne des droits de l'homme. Reste à savoir comment les arrêts seront ensuite appliqués, lorsque la Russie ne sera plus partie à la Convention, sachant qu'elle conteste déjà l'autorité de la Cour.
Cet épilogue, le premier depuis l'exclusion de la Grèce des colonels, est évidemment triste. Il était toutefois inévitable compte tenu des actions russes et de la volonté affichée du gouvernement russe de contester les valeurs du Conseil de l'Europe.
L'APCE continuera à suivre de près l'évolution de la situation en Ukraine et je dois vous dire que nous avons été impressionnés par le courage de nos collègues députées ukrainiennes, massivement présentes à Strasbourg, et qui sont retournées dans leur pays, une fois la session extraordinaire achevée.
Le sujet sera évidemment au coeur des débats de la prochaine partie de la session qui aura lieu du 25 au 28 avril prochain. Le Conseil de l'Europe devra inévitablement s'adapter, voire se réinventer, après cette crise majeure.
Voilà ce que je voulais porter à votre connaissance, en l'exprimant de manière très modérée.
Cet échange était important et nous a fait comprendre quelle était l'atmosphère durant cette session. Merci pour votre modération, cher collègue.
Il est vrai que l'atmosphère était pesante. La présence des députées ukrainiennes, alors que leurs homologues masculins étaient au combat, était poignante.
L'exclusion des Russes était indispensable : l'unanimité a prévalu.
Le président de la Rada, la chambre des députés ukrainienne, s'est exprimé hier devant les présidents de nombreux parlements de l'Union européenne réunis à Brdo en Slovénie : ce fut émouvant.
Par ailleurs, la démission de la Russie au cours des débats me semble avoir démontré une forme de fragilité de ce pays.
Merci à Claude Kern pour cette présentation.
Pour avoir siégé à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe jusqu'au dernier renouvellement, je suis admiratif de l'unanimité qui a prévalu. Par le passé, les droits de la Fédération de Russie avaient été suspendus et cela avait donné lieu à de longs et difficiles débats. Ce pays a toujours eu des amis au sein du Conseil de l'Europe : il a fallu cette guerre pour les faire changer d'avis.
Autant je suis d'accord avec cette exclusion, autant je regrette que les Russes ne puissent plus, à l'avenir, saisir la CEDH. Avec 17 000 recours pendants, la Russie est le pays qui connaît, de très loin, le plus de contentieux.
Je souhaite enfin que la question budgétaire n'en soit pas une : par le passé, nous avons suspendu les droits de la Russie mais dès qu'il a fallu équilibrer les comptes, nous avons rétabli ce pays dans ses prérogatives. Ne nous préoccupons pas du seul aspect financier !
Les 33 millions d'euros évoqués par l'ambassadrice française ont été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Les 46 autres pays qui siègent à l'APCE devraient être à même de régler cette question financière.
Merci à Claude Kern pour cette présentation qui démontre toute l'utilité du Conseil de l'Europe et l'importance de la diplomatie parlementaire. Il est satisfaisant de voir que les parlementaires parviennent à faire bouger les lignes. Le respect du droit et des valeurs du Conseil de l'Europe ne sont pas de vains mots.
La Géorgie, la Moldavie, l'Arménie sont accompagnées par la Commission de suivi. Je suis moi-même corapporteur sur la Géorgie. Ces instances permettent de rappeler les valeurs de la démocratie et des droits de l'Homme.
Merci pour cette présentation et pour les propos échangés.
La réunion est close à 8 h 40.