Mes chers collègues, nous procédons à l'audition de M. Didier Havette, directeur du développement durable de la Banque publique d'investissement (BPI France).
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Didier Havette de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Monsieur Didier Havette, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
M. Didier Havette prête serment.
A titre liminaire, je tiens à souligner que BPI France n'est pas un établissement spécialisé dans la qualité de l'air. La banque publique d'investissement assume quatre fonctions principales : société de gestion qui investit directement dans les entreprises ou dans des fonds d'investissement, banquier et soutien à l'innovation via des subventions ou des avances remboursables, enfin gestionnaire de fonds de garantie de prêts d'autres banques de la Place. Le positionnement de BPI France est spécifique puisque notre établissement intervient toujours en cofinancement. Il n'est ainsi pas question qu'il provoque un effet d'éviction des autres acteurs du marché ! À ces différentes fonctions il convient enfin d'ajouter l'accompagnement des entreprises, fonction à laquelle notre directeur général est très attaché.
Les principales cibles de notre établissement sont ainsi les TPE-PME, ainsi que les entreprises de taille intermédiaire et marginalement les grandes entreprises, dans la mesure où il s'agit de consolider un actionnariat. Nous intervenons également à tous les stades de développement de l'entreprise, depuis son amorçage jusqu'à sa transmission, et finançons toute sorte de développement, que ce soit lors de l'acquisition de l'équipement ou d'opérations de croissance externe, avec toutefois une singularité qui est également de pourvoir au financement de l'immatériel.
La responsabilité sociétale d'entreprise de BPI France relève d'une décision du législateur, conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi n° 2012-1559 du 31 décembre 2012 relative à la création de la Banque publique d'investissement. Celui-ci indique la nécessaire prise en compte de l'impact social et environnemental du portefeuille d'engagements de la Banque publique d'investissement. Dans ce cadre, BPI s'est dotée l'année passée d'une charte de responsabilité sociétale d'entreprise (RSE) qui décrit, d'une façon générale, son engagement pour le développement durable qui repose sur trois piliers, à savoir l'engagement économique, social et environnemental.
Quatre priorités sont distinguées par cette charte, à savoir l'emploi, notamment des jeunes, la transition écologique et énergétique, avec un focus sur l'efficacité énergétique, l'entrepreneuriat au féminin, en insistant sur la place des femmes dans l'économie et, enfin, la qualité de la gouvernance et du management des entreprises.
Dans le cadre de nos métiers de prêteur et d'investisseur, nous veillons à la prise en compte de l'ensemble de ces activités. Ainsi, depuis janvier dernier, la totalité des activités de financement pour des investissements de plus d'un million d'euros répond à une grille d'analyse RSE reposant sur une dizaine de critères. Nous sommes la première banque à suivre une telle démarche pour l'activité de prêt. Du côté de l'investissement, les établissements qui ont été réunis lors de la fondation de la BPI, à savoir CDC-entreprises et le fond stratégique pour l'investissement, manifestaient déjà des critères d'investissement responsables et insistaient sur les aspects sociaux et environnementaux dans l'analyse des dossiers qui leur étaient soumis. Néanmoins, force est de constater qu'au moment de la création même de la BPI France investissement, il a fallu harmoniser les pratiques qui étaient antérieurement celles des établissements bancaires qui lui étaient postérieurs et je dois avouer que les critères d'intégration sociaux et environnementaux n'étaient pas alors au premier plan de nos préoccupations.
Depuis, nous avons forgé, avec un prestataire extérieur, un outil d'analyse environnemental et social qui permet à nos investisseurs en rentrant à la fois le secteur d'activités et la taille de l'entreprise concernée de faire apparaître assez rapidement les enjeux de leur projet en matière de gouvernance et d'obtenir une liste de questions à adresser à l'entreprise afin de l'évaluer. Cet outil vient d'être mis en place et transmis par notre directeur général à l'ensemble de nos chargés d'affaire. Il est d'ailleurs accompagné de deux modules de formation. Cette démarche est ainsi consignée dans nos procédures d'investissement. Ainsi, tous nos dossiers d'investissement doivent contenir une analyse environnementale, sociale et de gouvernance des projets auxquels ils se rapportent !
La transition écologique et énergétique est l'une de nos priorités et est mentionnée à l'article 1er de la loi portant création de la BPI. Notre établissement y contribue de deux manières : d'une part, en soutenant les entreprises qui contribuent à cette transition énergétique, en produisant notamment de l'énergie renouvelable, et, d'autre part, en finançant la transition des entreprises vers des pratiques plus respectueuses de l'environnement.
Au cours de l'année 2014, la BPI a ainsi financé à hauteur de 850 millions d'euros, auxquels peuvent être ajoutés 45 millions d'euros de garantie apportés à d'autres banques. Cette somme se répartit ainsi : 90 millions d'aides à l'innovation dans des domaines qui sont principalement la chimie verte, les bâtiments à impact environnemental et plus largement la qualité de l'air et celle de l'eau. D'ailleurs, s'agissant de la qualité de l'air, BPI France a notamment financé des entreprises qui élaboraient des capteurs. 700 millions d'euros sur l'année 2014 ont été consacrés aux prêts consacrés au financement de la production d'énergie renouvelable, soit à 80 % de l'éolien et du photovoltaïque, ainsi que de la biomasse et de l'énergie hydraulique. De façon très marginale, des prêts éco-énergie, dont la fourchette va de 10.000 à 50.000 euros, ont été accordés aux TPE, mais ceux-ci ne rencontrent pas le succès espéré.
Du côté de l'investissement, qui représente plus d'une cinquantaine de millions d'euros, la BPI a souscrit une partie de cette somme dans des fonds dédiés, comme le fonds Emertec, dont le groupe Caisse des Dépôts a largement contribué à la naissance. En outre, cette somme a contribué au financement d'investissements directs en gérant un fond écotechnologie au titre des investissements d'avenir, un fonds bois sur nos fonds propres, un fonds joint-venture consacré à la santé, au numérique et à l'environnement qui intervient à l'issue de l'étape capital-risque et au moment où il s'agit d'atteindre de gros montants de capitalisation. D'ailleurs, les entités antérieures à BPI France n'avaient pas cette culture de l'investissement, à l'exception d'une opération portant sur la société Fermentalg. Pour mémoire, je mentionnerai le fonds d'investissement SPI, qui fonctionne sur les programmes d'investissement d'avenir et investit sur des projets de sociétés industrielles et dont le premier projet concernait la production thermique. Enfin, on pourrait citer l'ancien fonds TGE devenu désormais Mid-Cap et qui investit dans un certain nombre d'entreprises du secteur de l'environnement.
BPI France a mis également en oeuvre des prêts verts de 2010 à 2013. Ceux-ci représentent des sommes de l'ordre de 100.000 à un million d'euros et sont destinés à favoriser l'évolution de l'outil de production. Forte de leur succès, BPI France vient de démarrer une seconde tranche de ces prêts qui sont bonifiés et fonctionnent sur la ressource publique, ce qui permet de les garantir. Ceux-ci sont encore remboursables sur sept ans, avec deux ans de différé. Par ailleurs, entre 2010 et 2013, la dotation en investissement d'avenir (PIA) qui y était consacrée avoisinait une centaine de millions d'euros, ce qui a permis d'accorder quelque 300 millions d'euros de prêts à 430 entreprises et d'obtenir un effet de levier important d'environ 2,5 milliards d'euros. Si le suivi de ce qui a été financé peut encore être amélioré, les opérations ainsi financées peuvent se répartir ainsi : un tiers de ce financement concernait la réduction de consommation d'énergie, un quart relevait de la catégorie des « bénéfices environnementaux multiples » dont 14 % pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et 4% pour la réduction des émissions atmosphériques polluantes présentant un impact sur les milieux naturels.
Merci Monsieur pour votre intervention. Je passe la parole à Madame Leila Aichi, Rapporteur.
Quel est selon vous le potentiel de croissance associé aux technologies vertes ? Est-ce un marché d'avenir pour nos entreprises ?
Clairement oui. En ce moment d'ailleurs se tient le « Business and Climate Summit » à l'UNESCO où les grandes entreprises se positionnent clairement pour répondre aux enjeux du changement climatique. En termes de marché, la demande de produits davantage respectueux de l'environnement devrait croître, en raison de la prise de conscience générale sur cette question. Cependant, la réglementation demeure un levier fondamental comme j'ai encore pu le constater lors de cette réunion à l'UNESCO au cours de laquelle tous les participants ont réclamé un prix pour le carbone. Une telle décision induirait un changement de rentabilité entre les différentes énergies. D'ailleurs, le financement des énergies renouvelables en France nous pose un certain nombre de questions, puisque BPI France est un acteur très investi dans ce secteur. En effet, si sa part de marché, tous prêts confondus, est de l'ordre de 4 à 5 % auprès des entreprises, elle s'élève à 20 % dans les énergies renouvelables.
Les conditions de rachat d'énergie, qui sont en train d'évoluer, sont déterminantes et la question du potentiel de développement s'avère extrêmement liée à la réglementation en vigueur, tout comme d'ailleurs en est tributaire la qualité de l'air.
Pensez-vous d'ailleurs que la réglementation en France est fortement incitative ?
Sur la qualité de l'air, je ne suis pas compétent pour vous répondre.
Comment financez-vous des projets de conversion technologique des activités polluantes vers des activités qui ne le sont pas ?
Les prêts verts, que j'évoquais précédemment, sont l'outil idoine. Ils peuvent être consacrés au remplacement d'équipements ou à l'adoption de nouvelles technologies énergétiques, comme le passage de chaudières fioul à la biomasse par exemple. Ces prêts concourent également au financement des entreprises de la transition énergétique avec les aides à l'innovation versées par BPI France, comme la société Cooltech innovation qui développe un système de réfrigération magnétique.
Essentiellement, l'éolien et le photovoltaïque.
Lors de l'examen du projet de loi sur la transition énergétique, nous avons évoqué les moulins à eau qui pourraient représenter l'équivalent d'une tranche de centrale nucléaire. BPI France finance-t-elle une telle source d'énergie ?
Je ne pense pas qu'on le fasse, mais BPI France assure le financement de formes d'énergie hydraulique. On peut ainsi regarder ce point.
Pourriez-vous revenir sur la grille d'analyse des entreprises que vous avez évoquée lors de votre introduction ?
Je vous en adresserai un exemplaire. Le principe de cette grille est simple : sur une seule feuille, nous avons constitué, à partir des quatre priorités de notre responsabilité sociale d'entreprises, dix catégories à l'aune desquelles nos chargés d'affaires, qui sont des financiers, évaluent les projets qui leur sont soumis. Les 2.200 collaborateurs de BPI France, que ce soit du côté de l'investissement que du financement, travaillent beaucoup et cette grille, qui leur est destinée, doit être libellée de la manière la plus pragmatique possible, afin de ne pas être perçue comme une charge de travail supplémentaire.
Quelle est l'ampleur des investissements de BPI France dans les projets ayant trait au développement durable et comment ceux-ci sont-ils sélectionnés ? On sait par ailleurs que l'Allemagne investit énormément dans les énergies renouvelables et assure, par l'agriculture, une production importante de méthane à partir du maïs. Subventionnez-vous ainsi ce type de projet et, le cas échéant, tenez-vous compte de l'origine des produits assurant la production de méthane ?
Le mode de sélection dépend de la nature des projets qui nous sont soumis. S'agissant de l'innovation et des investissements relevant du capital-risque, on s'interroge sur la réalité de la rupture technologique que le projet entend conduire et ce, d'une manière globale, tout en examinant les potentiels de marché. Ces attentes sont légitimes lorsqu'on est un investisseur. J'ai en tête une entreprise, dans laquelle BPI France a investi, et qui assurait la méthanisation à partir de déchets agricoles dans le cadre d'un projet social et environnemental visant à minimiser les nuisances et à créer de l'emploi au niveau local, mais je n'en connais pas qui consacre la production de maïs spécifiquement à cette tâche, comme cela semble être le cas Outre-Rhin.
À l'inverse de l'Allemagne, la France s'est très peu engagée dans cette filière. C'est la raison pour laquelle je vous posais cette question.
Je n'ai pas une vision globale de cette filière, mais je répondrai par courrier à votre interrogation.
On envisage le lancement de nouveaux programmes d'investissement d'avenir. Quelle devrait-être, selon vous, la part accordée aux technologies vertes ?
Je ne suis pas en mesure de vous répondre, mais je ne manquerai pas de vous faire parvenir, par la voie écrite cette fois, les éléments que vous m'avez demandés.