Nous poursuivons nos auditions avec M. le professeur Jean-Michel Alexandre, professeur de pharmacologie, ancien président de la commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) (1985-1993), ancien directeur de l'évaluation des médicaments à l'Agence du médicament et à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (1993-2000) et ancien président du comité des médicaments à usage humain au sein de l'Agence européenne du médicament (1995-2000).
Je vous rappelle, monsieur le professeur, que cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat.
En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je vous demande de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant sur ces produits.
Ma réponse est très claire : pendant que j'étais en exercice au sein de l'administration, je n'ai eu aucun lien ni aucun émolument de la part de l'industrie. On ne peut pas être d'un côté et de l'autre. Etant dans le service public, il était inconsidéré pour moi d'avoir quelque relation commerciale ou industrielle que ce fût avec les entreprises du médicament.
Lorsque j'ai décidé de quitter l'administration fin 2000, ne pouvant obtenir les moyens qui me paraissaient nécessaires, j'ai envisagé, à la demande de plusieurs industriels, d'exercer une fonction de conseil scientifique. Pour ce faire, j'ai demandé l'autorisation du directeur de l'Agence de l'époque, Philippe Duneton, qui a interrogé la commission de déontologie. L'Agence comportait une cellule de déontologie présidée par un magistrat, M. Lionel Benaïche.
La commission, instituée par l'article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, s'est déclarée incompétente car j'exerçais toujours des fonctions hospitalo-universitaires. Une lettre signée par le directeur général, Philippe Duneton, fait le point sur cette situation.
Je vous la communiquerai. En voici le contenu : « Je vous prie de trouver ci-joint l'avis rendu par la commission (...) le 7 juin dernier. Cette commission s'est déclarée incompétente pour statuer sur la compatibilité des activités de consultant indépendant projetées, dans la mesure où vous continuez à exercer des fonctions administratives en position d'activité. Il est à souligner que cette instance ne se prononce pas non plus sur la compatibilité des activités privées que des fonctionnaires souhaitent cumuler avec les fonctions administratives qu'ils continuent d'exercer en position d'activité. Je me range à l'avis de cette instance mais estime personnellement souhaitable, compte tenu des éminentes fonctions occupées successivement depuis 1993 à l'Agence du médicament puis à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), que vous vous absteniez, pendant une durée de cinq ans à compter du début de votre nouvelle activité, de toute relation professionnelle avec l'Agence. ».
Il n'était pas question de consulter qui que ce soit de mon ancienne équipe pour un dossier et a fortiori pour promouvoir les intérêts d'une firme pharmaceutique ou pour défendre un dossier. Je ne l'ai jamais fait, non seulement parce qu'on ne me le demandait pas mais aussi car j'étais consultant scientifique pour les produits en développement. Je rendais un avis aussi indépendant que possible dont les firmes pharmaceutiques faisaient ce qu'elles voulaient. Il ne s'agissait aucunement d'intervenir auprès de tel ou tel expert ou instance pour faire passer un dossier.
J'ai travaillé comme consultant scientifique indépendant en disant ce que j'avais à dire, sans promouvoir ni les intérêts d'une firme, ni un médicament, pour trente à quarante laboratoires dans le monde. D'ailleurs je pourrais plus facilement citer les firmes pour lesquelles je n'ai pas travaillé que celles sur les dossiers desquelles je me suis penché.
Je vous remercie d'avoir abordé ce sujet avant même que nous vous posions la question.
Elle me paraît particulièrement importante, notamment au regard de la réglementation européenne. M. Lönngren, que vous connaissez peut-être, l'ancien président de l'EMA, a comme vous quitté ses fonctions et on lui reproche aujourd'hui d'avoir immédiatement travaillé pour l'industrie privée. Cela fait actuellement l'objet d'un contentieux. Je pense qu'il faut examiner ces questions avec beaucoup d'attention.
Il s'agit de Thomas Lönngren. Il semble que contrairement au règlement intérieur qui prévoyait une période de « sevrage » de deux ans, il est rentré dans une société de consulting, NDA, et il va donc être obligé pour le moins de différer son entrée dans cette société ou dans une autre.
Je comprends que la commission que vous aviez saisie se soit estimée incompétente. Il me semble que la commission de déontologie aurait été plus à même de répondre à une telle demande. Je ne sais pas si elle existait déjà. Vous ne l'avez pas saisie à l'époque.
Ce n'est pas moi qui ai saisi la commission mais le directeur de l'Agence, en accord avec le magistrat qui travaillait à l'Agence, à savoir M. Benaïche. Ils ont saisi la commission créée par l'article 87 de la loi de janvier 1993. Je n'ai pas participé à la saisine.
S'agit-il de la commission de déontologie telle que nous la connaissons aujourd'hui, qui se prononce sur les conflits d'intérêts ?
Nous pouvons nous demander pourquoi notre réglementation n'est pas en accord avec la réglementation européenne, qui prévoit un délai de « sevrage » de deux ou trois ans entre le moment où l'on quitte une administration et le moment où l'on reprend des activités de conseil pour l'industrie.
Cela pouvait me paraître légitime. Cependant je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un règlement européen. Il s'agit d'un règlement interne à l'Agence. Dans d'autres professions, il est possible de passer librement d'un exercice professionnel dans la fonction publique à des activités privées. C'est quelque chose qui ne me regarde pas.
L'autorisation m'a été donnée sous conditions. J'ai respecté ces conditions et même au-delà puisqu'au cours des dix années qui ont suivi, je ne suis jamais intervenu ni à l'Agence européenne, ni à l'Agence française pour faire passer un dossier, défendre les intérêts d'une firme pharmaceutique ou faire pression. Mon rôle n'était pas de cet ordre.
Je souhaite aborder vos autres activités dans le privé, en plus de Jean-Michel Alexandre SARL il y a Pharnext.
Un ami m'a demandé de faire partie du conseil de direction de cette société de biotechnologie, en raison de mes connaissances scientifiques. Cette société enregistre des brevets et essaie de développer des molécules sur un concept intéressant.
Elle travaille sur le concept de pléothérapie, proposé par le professeur Daniel Cohen qui est l'un des inventeurs de la carte du génome humain. Ce concept consiste à proposer une association de molécules existantes sur le marché, avec des indications très différentes de celles qui sont visées, pour des doses très inférieures, afin d'agir sur des molécules cibles qui interviennent sur les circuits de régulation physiopathologiques. Ceci porte sur différentes maladies à contexte génétique (diabète, maladie d'Alzheimer, etc.). Pour l'instant, les preuves n'existent qu'au plan expérimental, c'est-à-dire sur des animaux, notamment transgéniques et sur des données in vitro. Cette approche apparaît non seulement originale mais aussi très prometteuse.
Je participe au conseil de direction pour apporter mon aide sur le plan scientifique et réglementaire. J'indique la marche à suivre pour proposer un dossier de développement clinique qui puisse être présenté un jour à une commission d'AMM. Je ne touche aucune indemnité à ce titre.
Est-ce cela le drug repositioning, dont Pharnext passe pour un spécialiste sur Internet ? Il s'agit du développement de traitements innovants à partir de médicament existants, dont la toxicité est déjà connue et tolérable.
C'est exact, à des doses très faibles et pour des indications différentes, dans la mesure où il existe des preuves expérimentales d'interaction sur des molécules considérées comme essentielles pour la régulation physiopathologique.
Monsieur le professeur, nous intervenons dans le cadre de notre mission de contrôle de la politique que nous mettons en place pour évaluer, à partir de ce dossier du Mediator, la politique du médicament conduite en France et réfléchir à une réforme possible de cette politique. Vous êtes pharmacologue. Comment vous positionnez-vous aujourd'hui dans le débat sur la composition pharmaco-chimique et les effets du Mediator ? Est-ce que les effets du benfluorex sont très différents de ceux des amphétamines, malgré une parenté chimique ? Est-ce que le benfluorex donne naissance ou non à de la fenfluramine ? Les taux de composés circulants sont-ils très différents de ceux de l'Isoméride ?
Jugez-vous que l'indication « diabète » aurait dû être retirée - notamment au regard de l'efficacité du Mediator comme adjuvant au régime du diabète - et si oui, à partir quelle date ?
Je souhaite d'abord répondre à la deuxième question. J'ai longtemps réfléchi à ce dysfonctionnement majeur du système de santé. Le produit a été retiré fin 2009. Il est absolument évident qu'il aurait dû être retiré avant.
Je vais essayer de vous le dire et de vous donner les raisons de mon point de vue, cela n'a pas été fait. Je me suis longuement interrogé, pouvant porter personnellement une responsabilité puisqu'en place jusqu'à fin 2000. Il convient de distinguer deux périodes : de 1993 à la fin de l'année 2000 et une deuxième période au cours de laquelle les événements indésirables se sont accélérés. En 1999, nous n'avions répertorié qu'une valvulopathie et une hypertension artérielle pulmonaire. Néanmoins, en 2007 les hypertensions artérielles pulmonaires primitives en monothérapie étaient au nombre de trois et les valvulopathies au nombre de dix. Il y en avait trente en mai 2009. Il est plus aisé de répondre sur la deuxième partie, en prenant en compte, d'une part, la nocivité, d'autre part, l'efficacité thérapeutique. On entend beaucoup de choses à partir du rapport de l'Igas. On parle de connivence. On suggère la concussion, la compromission, on parle non seulement de connivence mais de complaisance. De mon point de vue, le produit aurait dû être retiré en 2007. Il aurait pu être retiré en 2005. Le problème aurait dû être évoqué en 2003.
Pour porter un jugement, il faut se souvenir de deux choses. D'une part, la responsabilité des instances d'évaluation, c'est-à-dire des experts, qui sont essentiellement la commission nationale de pharmacovigilance avec son comité technique et la commission d'AMM. D'autre part, il existe bien entendu une responsabilité de l'administration. Les rôles sont différents : l'évaluation est réalisée par l'expertise externe. Les avis sont donnés au directeur général qui est censé les suivre, sauf exception. L'administration n'est pas chargée d'évaluer les dossiers mais de servir de secrétariat, d'intendance, et de programmer le passage en séance des dossiers, prévoir un ordre du jour, veiller à la bonne tenue des réunions, faire un compte rendu, préparer les décisions pour le directeur général, veiller à ce que les études recommandées ou promises soient menées, convoquer s'il en est besoin des comités d'experts, autrement dit faciliter le travail. L'évaluation est donc réalisée non par l'administration mais par les instances d'évaluation.
C'est exact. Le système français est basé sur l'expertise externe. C'est très différent de ce qui se passe par exemple aux Etats-Unis où le système est à la fois celui de l'expertise externe avec les « advisory board » et où l'administration a un rôle déterminant dans l'évaluation du médicament.
En France, pour suspendre ou révoquer une AMM, l'article L. 5121-8 et l'arrêté R. 5121-42 du code de la santé publique prévoient très clairement les conditions nécessaires : une nocivité dans les conditions normales d'utilisation ou une efficacité non démontrée ou insuffisante au regard des effets indésirables. Dans ce contexte, ce n'est pas un raisonnement pharmacologique qui peut entraîner une suspension ou un retrait d'AMM. Il faut des faits bien concrets attestant les deux conditions susmentionnées.
En 2007, trois cas d'hypertension pulmonaire sont déclarés mais l'on considère qu'ils ne constituent pas un signal significatif de toxicité. Dix valvulopathies sont déclarées, dont deux valvulopathies pathognomoniques, c'est-à-dire portant la signature d'une atteinte par les fenfluramines. La première observation publiée par l'école de Toulouse date de 2006. L'école de Toulouse disposait des pièces anatomiques indiquant une atteinte fenfluraminique aux plans anatomique et histologique. Il s'agissait d'une véritable signature. En 2003, une observation espagnole attestait de cet aspect propre à l'Isoméride et au Pondéral. Cette publication ne signalait cependant pas si les patients avaient reçu de l'Isoméride ou du Pondéral.
La commission n'a toutefois pas conclu formellement. Elle a seulement fait état de ce que les indications, notamment celle du diabète, étaient peu claires et non conformes aux données disponibles. Elle conclut qu'il faut tenir compte de l'analogie structurale avec la fenfluramine de la formation de norfenfluramine, des effets neuropsychiatriques et de la survenue de valvulopathies et d'hypertensions artérielles pulmonaires de même nature qualitative que les effets indésirables qui avaient entraîné la suspension des autorisations d'AMM de l'Isoméride et du Pondéral.
Certains membres de la commission ont fait savoir qu'à titre personnel, ils estimaient que le rapport bénéfices-risques était négatif. Il s'agit de la commission nationale de pharmacovigilance du 27 mars 2007. C'était assez clair. Nous pouvons regretter que cette instance n'ait pas recommandé la suspension ou le retrait.
Le 5 avril 2007, la commission d'AMM, saisie des problèmes de pharmacovigilance et de l'éventualité d'une revue des indications, supprime l'indication portant sur les hypertriglycéridémies mais estime, d'une façon extravagante, qu'il n'existe aucun motif de santé publique à ne pas maintenir l'indication dans le diabète. Or cette indication n'était qu'un minimum ; elle ne correspondait pas aux indications reconnues à travers le monde que sont le traitement du diabète en association à un régime adapté. Cette indication était libellée ainsi : « traitement adjuvant du régime ».
Pensez-vous qu'à ce moment-là, la commission aurait dû retirer le produit du marché ?
Oui. Plus encore, l'administration n'a pas essayé de savoir où était la vérité. Elle n'a pas essayé de concilier les positions des deux commissions.
Lorsque vous parlez de l'administration, faites-vous référence au directeur général de l'Afssaps ou au directeur de l'évaluation ? Vous avez distingué tout à l'heure le rôle de l'administration et celui de l'évaluation.
Je pense, à partir du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), que le directeur général était parfaitement informé de cette discordance - il faut cependant le vérifier - et qu'il aurait dû en prendre la responsabilité.
Le directeur de l'évaluation n'avait donc aucun rôle à jouer en l'occurrence.
En l'occurrence, on ne peut pas laisser deux commissions dire le contraire l'une de l'autre. Qui plus est, on essaie de connaître la vérité. Il n'a été procédé à aucun effort d'éclaircissement et l'administration a pris les avis de la commission d'AMM en disant qu'il n'y avait aucun motif de santé publique remettant en cause l'indication dans le diabète. Pourtant, lors de cette évaluation, l'efficacité du médicament n'était pas prouvée.
Par conséquent, il apparaît très clairement le fait que la commission de pharmacovigilance n'a pas été capable d'élaborer une conclusion définitive. La commission d'AMM n'a pas été capable de prendre en compte les risques. L'administration n'a pas joué son rôle. De mon point de vue, il existe des responsabilités très claires, à la fois de la part des instances d'évaluation et de l'administration.
Le directeur général a d'ailleurs démissionné. Il en a tiré les conséquences.
C'était en 2007. La situation était assez convaincante.
Il est à noter qu'en juillet 2009, compte tenu des trente valvulopathies connues, la commission considère qu'il existe un signal qu'il convient d'explorer. Elle se place donc en retrait par rapport à sa position de 2007. Cela montre très clairement que les structures de pharmacovigilance n'ont ni la responsabilité ni la compétence d'évaluer et de gérer les risques afférents aux effets indésirables. Selon le code de la santé publique, la pharmacovigilance consiste en la surveillance des risques d'effets indésirables. Il ne s'agit pas de risques liés aux effets indésirables mais de risques de survenue des effets indésirables. On analyse le risque et l'imputabilité et on en tire les conséquences que l'on peut. Il n'est nullement prévu que la pharmacovigilance analyse et gère des risques pathogènes et prenne en compte le bénéfice. Ceci semble tacitement réservé à la commission d'AMM.
En 2005, le produit aurait pu être retiré. Deux cas d'hypertension artérielle pulmonaire et cinq cas de valvulopathies, dont les valvulopathies gnomoniques espagnoles, avaient été signalés. La commission a conclu qu'il n'existait pas de signal significatif de toxicité. Elle est donc passée à côté. Elle a demandé une réévaluation du rapport bénéfices-risques, qui n'a eu lieu qu'un an et demi après les résultats que nous venons d'évoquer. Si la réévaluation avait été faite immédiatement et correctement, elle aurait pu aboutir à une remise en cause du rapport bénéfices-risques. L'enquête de pharmacovigilance a tout de même été étendue aux hypertensions artérielles pulmonaires. Il était prévu d'interroger les dix-sept centres régionaux de pharmacovigilance pour examiner si d'autres cas pouvaient être reliés à la prise de Mediator. Je ne sais pas si cette enquête a eu lieu.
Monsieur le professeur, tout ce que vous nous indiquez est intéressant mais nous aimerions que vous évoquiez la période à laquelle vous étiez en fonction. Nous considérons comme vous que ce produit aurait dû être retiré au moins en 2005 mais pensons qu'il aurait pu être retiré avant, à la période durant laquelle vous étiez en fonction.
J'y viens. Au vu des dommages subis par les malades et les familles, je me suis posé la question. Je vais essayer de vous donner les fruits de mes réflexions en me fondant sur des faits et sur des raisonnements et pas sur des jugements totalement subjectifs. En 2003, la suspension aurait dû ou pu être évoquée car il y a eu l'observation espagnole. Les Espagnols et les Italiens avaient retiré l'AMM. Je crois que les responsables de la pharmacovigilance n'ont pas été au courant de ces événements.
C'est une certitude. Cette période montre très clairement les déficiences des deux systèmes d'évaluation - commissions d'AMM et de pharmacovigilance - et le rôle que l'administration n'a pas tenu. Cela n'exonère pas les responsabilités dans une période antérieure.
Le rapport de l'Igas fait état de deux opportunités pour suspendre ou retirer l'AMM : la première en 1995 et la deuxième en 1999.
L'Italie a retiré le produit en 2003. L'Espagne a retiré le benfluorex en 2003 ou 2004 sans l'interdire dans les préparations magistrales.
C'est exactement ce que je voulais dire ; c'est l'inverse de ce qui a été décidé en France.
L'Igas nous reproche le fait qu'on ait ignoré que le Mediator était un anorexigène. Si on l'avait su, cela aurait permis d'écarter cette spécialité dès 1995.
J'y viens. Je recense les reproches faits par l'Igas qui indique que si l'on avait su que le Mediator était un anorexigène, on aurait pu écarter cette spécialité, c'est-à-dire suspendre l'AMM. Enfin, le rapport de l'Igas met en exergue un manque de raisonnement pharmacologique, ce qui est une attaque personnelle à mon encontre.
Le produit était-il un anorexigène ? Chez le rat, à partir de certaines doses, il est incontestable que ce produit est un anorexigène. Aucun élément ne le démontre néanmoins chez l'homme. La petite perte de poids observée n'est en rien comparable à celle de la fenfluramine. Les études Moulin, certes contestables, montrent un effet antidiabétique d'amplitude semblable à celle des nouvelles classes d'antidiabétiques et ceci indépendamment de la perte de poids.
Ce produit était-il considéré comme un dérivé amphétaminique dès sa mise sur le marché ?
Il s'agissait bien plus que d'un amphétaminique. C'était un fenfluraminique.
Le Pondéral et l'Isoméride étaient des fenfluramines ayant un métabolique toxique (la norfenfluramine). Le benfluorex avait ces deux propriétés communes.
Cela a été considéré comme tel dès le début.
Le rapport de l'Igas soutient que le Mediator est un anorexigène, en particulier à cause de ses propriétés à certaines doses chez l'animal. L'Igas affirme sans preuve, sans rigueur scientifique, que la norfenfluramine est le seul métabolite actif.
C'est le professeur Lechat, directeur de l'évaluation qui le souligne et non les rapporteurs de l'Igas. Son étude a été faite à leur demande et eux-mêmes ne se seraient pas permis d'avoir une opinion personnelle.
Ces propos ont été repris par l'Igas. Elle conclut au fait que deux autres métabolites ne peuvent pas avoir d'activité car leurs concentrations plasmatiques sont faibles. Or c'est oublier que ces métabolites sont censés être actifs sur le foie. Les concentrations plasmatiques ne reflètent nullement ce qui peut se passer dans le foie.
Je conteste en partie l'analyse faite par le professeur Lechat. Il dit bien qu'il existe des propriétés sur les triglycérides de même type que les clofibrates, ainsi que des propriétés antidiabétiques. Ses conclusions sont beaucoup moins nuancées sur ce point. J'affirme que scientifiquement, il n'est pas possible d'exclure d'un trait de plume le fait que ces métabolites puissent être actifs.
Je regrette que l'Igas n'ait pas interrogé le laboratoire car il aurait pu apporter des précisions sur ce point particulier.
Les seules données dont nous disposons chez l'homme sont celles d'un antidiabétique et non d'un anorexigène.
Sur quoi vous basez-vous pour conclure qu'il s'agissait d'un antidiabétique ?
L'étude Moulin montre une chute de l'hémoglobine glyquée.
Cette étude n'a pas été retenue par les instances pour des raisons méthodologiques.
Ces données existent alors que toute l'argumentation de l'Igas, à partir du rapport de M. Lechat, est purement théorique et ne prend pas en compte les données existantes qui ne permettent pas de conclure à l'existence d'un effet anorexigène.
Par ailleurs, nous pouvons nous interroger sur le rôle des métabolites, qui n'existent pas avec la fenfluramine - à savoir le S422 et le S1475.
Dès lors, pourquoi avez-vous retiré le benfluorex des préparations magistrales alors ce n'était pas un anorexigène ?
Si l'on avait su qu'il s'agissait d'un anorexigène, nous n'aurions pas retiré le produit car il ne s'agit ni d'une condition nécessaire, ni d'une condition suffisante. Nécessaire, car il existe deux types d'anorexigènes : amphétaminiques et fenfluraminiques. D'autres substances, notamment les dérivés de l'ergot, entraînent des lésions valvulaires du type de celles des fenfluramines. Suffisante car il n'est pas prouvé que les amphétaminiques déterminent les hypertensions artérielles pulmonaires et les valvulopathies.
Lorsqu'en 1999, le comité des spécialités pharmaceutiques s'est prononcé pour la suspension de l'ensemble des anorexigènes, c'est-à-dire les spécialités recommandées dans le traitement de l'obésité, des fenfluraminiques comportaient des effets indésirables de type hypertension artérielle pulmonaire et valvulopathie et des amphétaminiques manquaient d'effets thérapeutiques prolongés sur l'obésité. L'un de ces amphétaminiques, la phentermine, qui a été retirée en Europe, est toujours utilisée en Nouvelle-Zélande, en Australie et même aux Etats-Unis.
Nous entendons beaucoup parler d'une nouvelle spécialité proposée dans le traitement de l'obésité : Nesca. Cette spécialité consiste en une association de topiramate - qui est un antiépileptique, ce qui montre bien qu'un médicament peut avoir différents effets pharmacologiques - et de phentermine. La Food and Drug Administration (FDA) a pour l'instant refusé cette spécialité, non à cause de la présence de phentermine mais parce que le topiramate provoque des malformations congénitales, notamment des atteintes de la voûte palatine. Il n'est en aucune façon question d'hypertension artérielle pulmonaire ou de valvulopathie.
Le fait de savoir que le Mediator était un anorexigène n'était ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour envisager le retrait.
En 1995, on me dit que nous avons retiré l'ensemble des anorexigènes ou restreint de façon drastique leur utilisation, de telle manière que leur chiffre de ventes s'est effondré. Si le benfluorex était un anorexigène, celui-ci aurait dû être soumis aux mêmes règles. C'est oublier que les règles de restriction d'utilisation appliquées en 1995 portaient sur des spécialités pharmaceutiques dont l'indication était la perte de poids, pour lesquelles des effets indésirables avaient été rapportés au cours de la notification spontanée à la pharmacovigilance et/ou observées dans le cadre de l'étude International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS). Des données montraient ou laissaient supposer une certaine nocivité d'emploi. Aucun effet indésirable de type valvulopathie et de type hypertension artérielle pulmonaire n'était mentionné pour le benfluorex.
Nous ne pouvions pas, quand bien même nous l'aurions souhaité en considérant que le produit était un anorexigène, le retirer du marché. C'est l'analyse que j'ai faite a posteriori. Je pense que c'est celle qui a été faite par l'instance de pharmacovigilance dont c'est le rôle, avec la responsabilité pour l'administration de vérifier le bien-fondé de l'analyse.
S'agissant des préparations magistrales, il n'était pas possible de restreindre l'utilisation de la spécialité pour les raisons que j'ai précédemment indiquées. Fallait-il pour autant croiser les bras ? C'était un dérivé de l'amphétamine et de la fenfluramine. On a su plus tard qu'il existait un métabolite commun et qu'il y avait une interrogation sur le potentiel anorexigène. Il existait dès lors un risque de dérive d'utilisation lorsque nous avions restreint l'usage des anorexigènes. La seule façon de limiter les risques était de s'attaquer aux préparations magistrales.
Pourquoi ne pas s'attaquer aux préparations pharmaceutiques également ?
J'ai essayé de vous l'expliquer. Il n'y avait pas d'effets indésirables pouvant motiver une restriction d'utilisation du Mediator.
Il n'existait pas non plus d'effets indésirables pour les préparations magistrales.
Non mais il pouvait y avoir une dérive d'utilisation.
Pour les préparations pharmaceutiques également. Je ne comprends pas pourquoi vous ne les avez pas supprimées. Je ne comprends pas cette incohérence entre préparations magistrales et pharmaceutiques.
On appelle spécialités pharmaceutiques les médicaments préparés à l'avance. Il n'y a pas d'incohérence. La commission de pharmacovigilance a pris très probablement en compte le fait qu'en l'absence d'effets indésirables au sens du code de la santé publique, on ne pouvait ni suspendre le benfluorex ni en restreindre l'utilisation. En 1995, nous ne pouvions pas nous attaquer aux spécialités pharmaceutiques, c'est-à-dire au médicament spécialisé sous le nom de Mediator. En revanche, dans la mesure où il existait une interrogation sur la potentialité anorexigène, il pouvait y avoir un report de prescription sur des préparations magistrales.
Ce report de prescription ne pouvait-il pas s'opérer sur les préparations pharmaceutiques ?
Il pouvait exister un report sur les spécialités pharmaceutiques mais nous pouvions contrôler ou suivre les prescriptions et les délivrances. La même chose a d'ailleurs été faite en 2006 pour les hormones thyroïdiennes. Elles avaient été interdites des préparations magistrales alors qu'elles étaient maintenues en spécialités pharmaceutiques afin d'éviter le report ou l'utilisation incontrôlée en préparations magistrales.
Restons en 1995. Vous dites que vous n'avez pas retiré le Mediator car vous aviez un contrôle sur le mésusage, que vous ne pouviez pas avoir avec les préparations magistrales. Permettez-nous d'être quelque peu sceptiques quand on connaît le sort qui a été réservé à la lettre adressée à la direction générale de l'Afssaps par les médecins-conseil de l'assurance maladie, qui alertait sur ce point la direction générale de la santé.
Si vous le voulez bien, je traiterai cette question à part. Je voudrais terminer mon propos sur le point sur les préparations magistrales qui résulte d'une recommandation de la commission de pharmacovigilance de juin 1995. Le problème a été traité directement par le directeur de l'Agence, Didier Tabuteau. Nous avons la chance d'avoir un directeur très versé dans les affaires de pharmacovigilance. Il a d'ailleurs écrit un livre qui traite du principe de précaution et de l'histoire de la fin des coupe-faim. Il s'honore de l'action qui a été menée. Il est certain que le directeur général n'a agi qu'en fonction des données qui lui avaient été transmises par la pharmacovigilance, en lui expliquant qu'à ses yeux le produit ne pouvait être taxé d'anorexigène. Il n'existait pas d'effets indésirables qui permettaient de restreindre l'utilisation...
Je vais vous dire les mesures qui ont été prises. Il y a une note transparente à cet égard, de Didier Tabuteau à la Direction générale de la santé, faite sur la recommandation de la commission nationale de la pharmacovigilance pour éviter le report d'un produit qui avait comme indication le traitement du diabète et des hypertriglycéridémies.
Je ne comprends pas que vous ayez accepté le report de prescription en ce qui concerne le Mediator.
Je souhaite terminer le raisonnement pharmacologique et les mesures qui ont été prises.
Nous ne pouvions pas conclure que le benfluorex était un anorexigène chez l'homme. La seule mesure qui pouvait être prise était l'interdiction du principe actif dans les préparations magistrales pour éviter le report. En raison de l'existence d'un risque, le produit a été mis sous surveillance. Une enquête officieuse a ainsi été menée en 1995, avant de devenir officielle en 1998. Le problème a été porté à l'Europe par l'Italie, le professeur Garattini s'est demandé si l'on pouvait inscrire le benfluorex sur la liste des médicaments anorexigènes. Le comité a répondu par la négative pour différentes raisons. Le groupe de travail de pharmacovigilance a préconisé, en fonction de ses conclusions sur l'absence de neurotoxicité et de cardiotoxicité, une modification du résumé des caractéristiques du produit (RCP).
Cette préconisation a été formulée en 1998-1999.
Un fait très important est qu'une étude vérifiant les propriétés pharmacologiques, pharmacocinétiques et thérapeutiques du produit ainsi que comportant des examens écho-cardiographiques tous les six mois a été demandée. Le protocole a été accepté par la firme.
Oui, nous étions en 2001. L'étude aurait normalement dû être réalisée dans les deux ou trois ans. Nous aurions dû connaître les résultats en 2004 ou 2005. La firme ne l'a pas fait. Je ne sais pas si l'administration a correctement effectué le suivi de cette étude. Le laboratoire a réalisé une autre étude sur les propriétés antidiabétiques comparées à un placebo. Le suivi pharmacologique était basé essentiellement sur le fait que c'était une fenfluramine - laquelle provoque des valvulopathies etc. - et sur le fait qu'il existait un métabolite commun (la norfenfluramine), que le produit était suspect selon nos collègues italiens. Nous ne pouvions pas conclure à un risque neurotoxique et cardiotoxique en 1999. Il existait un doute pour lequel il convenait d'effectuer un suivi et de mener une étude.
Lorsque l'Igas indique que le raisonnement pharmacologique a manqué, qu'il aurait permis de retirer du marché le produit en 1995, je considère qu'il s'agit là d'une erreur d'interprétation.
Vous m'avez dit que vous n'aviez pas retiré le Mediator car vous aviez la certitude de pouvoir contrôler les éventuels mésusages. Pouvez-vous revenir sur ce que vous avez dit à ce sujet ?
Voici la note de M. Tabuteau : « Suite à l'avis de la commission nationale de pharmacovigilance en date du 19 juin 1995, je confirme qu'il me paraît nécessaire que les principes actifs figurant dans le groupe 3 du décret (...) de 1982 fassent l'objet d'un arrêt d'interdiction d'utilisation dans les préparations magistrales. Parmi les produits, deux sont exploités dont le Mediator, afin de permettre une identification rapide d'un éventuel report de prescription. »
Lorsque l'Igas indique que la direction de l'évaluation et l'Agence ignoraient que parmi les produits interdits des préparations magistrales figurait le benfluorex, c'est-à-dire le seul produit pour lequel il existait une spécialité pharmaceutique, c'est évidemment faux. La preuve en est dans cette note de M. Tabuteau.
Nous avons cette note mais elle ne figure pas parmi les annexes du rapport. Pourquoi ? Lorsque nous avons auditionné M. Tabuteau, il n'avait pas connaissance de cette note et nous a affirmé qu'il n'avait pas connaissance de l'identité exacte du Mediator. Il ne savait pas que le Mediator était le benfluorex.
Il est très clair que ce n'est pas sa faute mais celle des autres.
Je le répète : j'ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi vous avez supprimé le benfluorex dans les préparations magistrales et ne l'avez pas fait pour les spécialités pharmaceutiques.
Nous ne pouvions rien faire d'autre. Cela ne veut pas dire que l'on contrôlait parfaitement l'utilisation des spécialités pharmaceutiques mais que nous étions mieux placés pour le faire.
Le directeur général aurait pu retirer du marché le benfluorex ou Mediator en 2007. Vous êtes bien d'accord sur le fait qu'il n'a pas fait son travail.
Nous pouvons très bien estimer que vous n'avez pas fait le vôtre en 1995 en ne supprimant pas le benfluorex des spécialités pharmaceutiques !
Nous nous sommes tous posé la question. Pourquoi l'examen du benfluorex a-t-il eu lieu ? L'analogie structurale était telle que nous devions nous poser la question. Si nous avions eu des doutes sérieux et des données concrètes, nous aurions limité l'utilisation de la spécialité pharmaceutique, Mediator. Cela étant impossible...
Vous ne dites pas que c'était impossible. Le cinquième alinéa indique : « Ces deux spécialités font l'objet d'une surveillance de leur sécurité d'emploi par les autres centres de pharmacovigilance et les centres d'évaluation » ; « L'Agence du médicament suit également avec précision le volume des ventes de ces spécialités et pourrait ainsi prendre sans délai les mesures nécessaires en cas de report de prescription ».
Or vous n'avez absolument pas tenu ces promesses puisque lorsque les médecins de l'assurance maladie ont adressé ce courrier au directeur de l'Agence, Jean-René Brunetière, aucune réponse n'a été apportée. Vous n'avez absolument pas suivi les conditions dans lesquelles était prescrit ce médicament.
En 1999, une hypertension artérielle pulmonaire et une valvulopathie ont été signalées. Pour l'Igas nous avons manqué une opportunité de suspendre ou de retirer le médicament du marché. Or il existait théoriquement deux raisons d'envisager une suspension ou un retrait en 1999 : le fait que l'ensemble des anorexigènes aient fait l'objet d'une recommandation de suspension par l'Europe et l'existence même de ces deux effets indésirables. L'avis européen ne portait que sur les fenfluramines pour lesquelles il existait des effets indésirables. Au début de l'année 1999, aucun effet indésirable n'avait été relevé pour le benfluorex.
Cela ne pouvait pas encore être pris en compte dans l'avis européen.
Le groupe de travail de pharmacovigilance a déclaré qu'il n'y avait aucune préoccupation majeure de santé publique pour le risque neurotoxique et cardiotoxique. Les amphétamines manquent d'efficacité à long terme. Tel ne pouvait pas être le cas pour le benfluorex qui ne comportait pas l'indication de traitement de l'obésité.
La valvulopathie, déclarée par le docteur Chiche à Marseille, a été considérée comme plausible. Nous ne pouvions pas retirer un médicament sur un seul cas. Nulle part dans le monde il n'a été procédé au retrait. L'observation de l'Igas sur un retrait dès cette époque est donc peu réaliste, d'autant plus que la valvulopathie pouvait être liée à d'autres causes que le produit. Il en va de même pour l'hypertension artérielle pulmonaire : c'était le premier cas après vingt-trois ans de commercialisation. Vingt-cinq millions de mois de traitement soit deux millions de malades traités pendant un an. C'était donc la moitié d'un cas par million de malades traités pendant un an. Il faut tenir compte de la sous-notification mais nous ne pouvions pas du tout affirmer de relation, d'autant plus que l'imputabilité avait été déclarée douteuse. L'équipe de Mme Frachon a publié un article en 2009 ou 2010 portant sur cinq cas d'hypertension artérielle pulmonaire. Aucune relation de cause à effet n'avait alors été établie. « Des études bien programmées sont nécessaires pour explorer davantage l'impact cardio-vasculaire du benfluorex. »
La commission de pharmacovigilance n'a pas donné l'alerte en 1999, pour les raisons que j'ai essayé de commenter. Encore une fois, il n'appartenait pas à l'administration de donner l'alerte. Elle n'a pas du tout envisagé de suspendre ou de retirer le médicament en 1999.
Je suis d'accord sur la première partie du rapport de l'Igas selon laquelle la commission de pharmacovigilance ne gère pas convenablement les risques, par défaut de formation, d'habitude et parce que les textes ne le précisent pas. Je suis également d'accord sur le fait que la commission d'AMM n'évalue pas correctement le rapport bénéfices-risques. Cependant je récuse formellement le rapport de l'Igas quant à ses conclusions à charge et totalement orientées sur la période 1995-2000, en raison de ses omissions, de ses erreurs factuelles sur des bases de jugement totalement critiquables, portant sur des interprétations entièrement erronées et abusives.
Il eût été important de rappeler le rôle de l'administration et des instances d'évaluation afin de ne pas confondre les responsabilités, en se référant au code de la santé publique. Les conditions de suspension ou de retrait d'une AMM ne sont pas basées sur un raisonnement pharmacologique juste ou erroné, mais sur l'existence de données mettant en cause la sécurité d'emploi dans les conditions normales d'utilisation et/ou une efficacité insuffisante. Cela n'a pas été dit ! Les données qui auraient pu justifier une suspension ou un retrait du marché n'étaient pas présentes. Des erreurs factuelles. Le rapport indique que j'ai mené la validation d'un point à l'autre, ce qui est faux : je l'ai menée en tant que président de la commission d'AMM jusqu'en 1993, date à laquelle je suis entré dans l'administration. C'est le président suivant de la commission d'AMM qui a poursuivi ce travail de validation.
Autre erreur en affirmant que l'on ignorait que le benfluorex était le seul médicament dans la liste de ceux interdits des préparations magistrales faisant l'objet d'une spécialité pharmaceutique. La note de M. Didier Tabuteau est très claire à cet égard. Il savait très bien que le benfluorex faisait l'objet d'une spécialité pharmaceutique : le Mediator.
Il signe pourtant les papiers que présente la commission de pharmacovigilance.
Il m'a interrogé sur le point de savoir si le Mediator était un anorexigène ou non. J'ai répondu qu'à mon sens, je n'avais aucune donnée montrant qu'il s'agissait d'un anorexigène et que les molécules au plan de l'efficacité et du profil de sécurité fenfluramine et benfluorex semblaient différentes. Elles le sont.
Dès lors que l'Isoméride a été retiré du marché, comment expliquez-vous l'augmentation de la consommation de benfluorex dans des proportions très importantes ?
Laissez-moi terminer. Je récuse la forme et les conclusions du rapport de l'Igas.
C'est votre droit mais c'est aussi le droit du président de vous demander quelques explications supplémentaires !
Je vous les donnerai ensuite si vous le voulez bien.
Le rapport de l'Igas est rédigé sur des bases de jugement critiquables selon lesquelles le produit est un anorexigène - alors que nous ne disposions d'aucune donnée en ce sens - et selon lesquelles la norfenfluramine était le seul métabolite actif. Personne ne peut avoir de certitude en la matière. Il s'agit d'un diktat venant peut-être un peu du rapport du professeur Lechat.
Il ne s'agit pas d'un diktat. Le rapport de 1999 indiquait très clairement que la prise de benfluorex avait exactement le même effet que la prise d'Isoméride.
Si le professeur Garattini et le rapport Pimpinella l'a également indiqué.
M. Garattini, qui connaît bien la norfenfluramine pour avoir travaillé dessus - son institut Mario Negri a touché des fonds des laboratoires Servier - s'est interrogé, lors du début de l'examen européen, sur l'opportunité d'inscrire le benfluorex sur la liste des anorexigènes. Il disait que ce médicament n'était pas présenté comme un anorexigène mais comme une substance ayant des propriétés hyperlipoprotéinémiques pouvant former de la fenfluramine. Or il ne forme pas de la fenfluramine mais de la norfenfluramine ! Par conséquent la lettre de M. Garattini était partiellement inexacte. En revanche, elle a eu l'intérêt d'attirer l'attention des Italiens et de déterminer une étude à l'échelle européenne qui a permis de rendre ce médicament suspect, alors que le comité technique de pharmacovigilance considérait comme étonnant que les concentrations plasmatiques de norfenfluramine soient les mêmes après administration de benfluorex et de fenfluramine.
Le centre régional de pharmacovigilance de Besançon qui était en charge de l'enquête a même dit qu'il était peu probable que les effets indésirables du benfluorex soient semblables à ceux de la fenfluramine. Le message français était plutôt sécurisant comparé au message italien.
Je ne le conteste pas. Nous avons eu ce raisonnement. Nous pensons qu'il ne fallait pas inscrire le benfluorex sur la liste des anorexigènes.
L'interprétation selon laquelle il y a eu une inversion de l'avis de la commission d'AMM en matière de validation est erronée.
Il est heureux que l'évaluation européenne ait eu lieu. Elle s'est terminée par la préconisation d'une étude. Si nous avions pu la réaliser plus tôt, elle aurait permis de conclure plus tôt à la toxicité du produit au niveau valvulaire.
Enfin l'Igas fait une interprétation abusive sur le retrait possible du médicament en 1995 et en 1999. J'ai essayé de faire comprendre qu'il n'était pas possible de suspendre ou de retirer le Mediator en 1995 et 1999. J'espère que vous avez pu m'écouter. J'espère aussi que vous avez pu, d'une certaine façon, m'entendre. J'ajoute que le rapport de l'Igas est à charge car il me vise personnellement. Je suis presque la seule personne de l'Agence citée dans ce rapport. Il s'agit d'une attaque ad hominem.
Je suis cité sans cesse. Nul ne peut penser qu'une mission de l'Igas puisse se livrer à une vindicte personnelle mais c'est tout de même étrange. Il est également surprenant de lire dans le Nouvel Observateur un article intitulé « Cet étrange Monsieur Alexandre » : « Avant la remise du rapport au ministre, Jean-Michel Alexandre s'est vu remettre les passages concernant son action afin qu'il puisse y répondre. Il s'y réfugie une fois encore, derrière son humour so british : C'est tout ? Je m'attendais à bien pire. » C'est exactement ce que j'ai dit mais il n'y avait que les trois membres de l'Igas et moi. Je ne l'ai pas dit à ce journaliste. Ce passage vient d'une brèche de confidentialité de la part de l'un des membres de la mission de l'Inspection. Cependant avoir de l'humour british est peut-être un compliment. Je récuse ce rapport qui me met en cause personnellement. Je ne crois pas que l'on puisse me reprocher un manquement pendant les années 1993 à 2000 mais vous pouvez en juger autrement.
Sur la question du suivi des prescriptions du Mediator, j'ai saisi, à la demande de M. Jean-René Brunetière, la direction des études et de l'information pharmacoéconomique. La réponse de Frédéric Fleurette est annexée au rapport à la page 1494 : « Les mesures prises en 1995 pour restreindre la prescription d'anorexigènes n'ont pas entraîné de report en faveur du Mediator. Ce médicament demeure très largement prescrit comme hypocholestérolémiant et comme antidiabétique. »
« Ainsi, en conclusion, apparaît-il qu'un détournement d'usage du Mediator, s'il existe, ne pourrait être évalué qu'à l'aide de données beaucoup plus fines qui font actuellement défaut sur la prescription de ce médicament. »
Nous nous en sommes inquiétés. La réponse que nous avons reçue est la suivante : « en fonction des données actuellement disponibles, le message est plutôt rassurant ».
Pensez-vous qu'à cette époque-là, nous avions les moyens de surveiller les prescriptions des médecins ?
Je ne vous aurais pas cru si vous m'aviez répondu oui car nous n'avons pas beaucoup progressé dans ce domaine. Avec le recul, il s'avère que de nombreuses prescriptions ont été faites hors AMM.
Selon les études, leur proportion varie de 10 % à 35 %. Je crois que les études faites en 2007 n'ont pas conclu non plus à un véritable détournement d'utilisation. Si le produit n'avait pas été toxique, cela n'aurait exercé que peu d'impact. Je suis prêt à répondre maintenant à toutes vos questions.
Vous avez animé la commission sur les fiches figurant dans les dictionnaires médicaux comme le Vidal. Pouvez-vous nous détailler vos travaux concernant le benfluorex en 1980 ? Aujourd'hui, si vous deviez établir une fiche, comment le classeriez-vous pharmacologiquement ?
Le benfluorex a été inscrit selon la classification ATC (atomique, thérapeutique et chimique). Il ne s'agit pas des propriétés pharmacologiques mais thérapeutiques. Un médicament peut avoir différents effets pharmacologiques - qui permettent d'anticiper ou non une action thérapeutique - et des effets indésirables. Il s'agit d'une anticipation. Pour délivrer une AMM à un médicament, il faut démontrer une efficacité et une sécurité suffisantes. L'approche pharmacologique est nécessaire mais insuffisante pour conclure. Le produit était considéré comme une spécialité ayant des vertus métaboliques proches du clofibrate, à la fois par ses effets et son mécanisme d'action pour les hypertriglycéridémies ayant un effet antidiabétique.
Vous dites qu'il a un effet dans les hypertriglycéridémies alors que cette indication a été retirée.
Nous avons eu parfaitement raison. Je pense que le produit aurait dû être retiré bien avant en raison d'un rapport bénéfices-risques négatif. Il aurait dû être retiré en 2007 et aurait pu l'être en 2005 ; la question se posait en 2003. Nous ne pouvons pas dire la même chose en 1999 dans la mesure où aucune préoccupation majeure de santé publique ne semblait exister et que le rapport bénéfices-risques n'avait pas été remis en cause.
La commission des dictionnaires de contrôle des spécialités pharmaceutiques, dite « commission du Vidal » ou « commission Alexandre », a été créée à l'initiative de Mme Simone Veil en 1976, lors de son entrée au ministère, pour la raison suivante. Je crois que M. Jean Weber était son directeur de cabinet. Il est ensuite devenu directeur de la pharmacie et des médicaments. A cette époque, l'information des médicaments était épouvantable. Il s'agissait de pures publicités. En effet, le service public n'exerçait aucun contrôle ; les autorisations de mise sur le marché étaient octroyées après l'avis d'une commission informelle à laquelle participaient de grands patrons sur des rapports d'experts. Je pense qu'elle était présidée par l'inspecteur général en pharmacie. Rien de crédible. L'information du Vidal, assimilée à une publicité, racontait tout et son contraire. A l'époque, il n'existait pas d'autorisation de mise sur le marché mais seulement un visa, sans libellé d'indications.
Suivant l'idée de l'un de leurs conseillers, M. Jean-Pierre Bader, Mme Veil avec l'appui de M. Weber a imaginé une commission plus ou moins formelle créée par décret ou arrêté, c'est-à-dire sans base législative, et destinée à discuter avec l'industrie pharmaceutique pour améliorer l'information, en faisant état des données disponibles, si les firmes étaient d'accord. Dans ces conditions, il était possible d'octroyer ou de réoctroyer trois types d'indications :
les indications parfaitement acceptables fondées des essais contrôlés montrant l'efficacité et la bonne sécurité du médicament ;
l'indication « proposé dans » lorsque de mauvaises études avaient été publiées mais que l'on pensait que le produit avait peut-être une efficacité thérapeutique ;
l'indication « utilisé dans » lorsqu'en l'absence de données concrètes, le médicament correspondait à une utilisation apparemment sûre mais sans autre réel fondement que des précédents.
Ce dispositif a été mis en place en attendant la création en 1978 d'une commission d'AMM formelle, présidée par le professeur Marcel Legrain. En raison de la charge de travail à accomplir sur 5 000 spécialités, il ne lui était pas possible de revoir les anciens produits, ceci était prévu ensuite pour la validation qui a eu lieu à partir de 1985.
Je vais vous répondre précisément.
Cette situation intermédiaire n'a pas été acceptée par tous les fabricants, certains ayant refusé la discussion, en particulier le plus grand laboratoire français de l'époque, Rhône-Poulenc.
L'AMM initiale du Mediator était la suivante : « troubles métaboliques glucido-lipidiques athérogènes, troubles du métabolisme des lipides, troubles du métabolisme des glucides ». C'était relativement large. Cela n'a pas empêché le fabriquant de mettre en avant une indication encore plus large dans le Vidal : « hyperlipidémie, hypercholestérolémie, hypertriglycéridémie, hyperlipémie mixte, diabète patent et diabète latent, artériosclérose potentielle et avérée ». Le laboratoire avait franchi les limites.
La commission de révision des dictionnaires des spécialités pharmaceutiques l'a supprimée en 1978.
Nous avons indiqué « proposé dans », ce qui signifiait qu'il existait une action possible mais non démontrée dans les hypercholestérolémies et les hypertriglycéridémie endogènes. « Adjuvant du régime dans le diabète asymptomatique avec surcharge pondérale ». C'était une indication minimale.
N'étant pas la commission d'AMM, nous n'avions aucune possibilité de retirer une indication.
Vous avez maintenu l'indication « artériosclérose » tout en mentionnant le fait que cela n'avait pas été prouvé. Cela me laisse perplexe. Pourquoi la maintenir dans ces conditions ?
Nous souhaitions que l'ensemble des publicités qui pouvaient se référer au Vidal ne comportent plus l'artériosclérose. « Proposé dans » signifiait que les effets thérapeutiques n'avaient pas été mis en évidence par des essais contrôlés, c'est-à-dire par des études cliniques rigoureuses comme cela était devenu la règle pour les nouveaux médicaments.
Vous avez insisté sur l'importance des données. Faut-il rétablir l'évaluation quinquennale des médicaments supprimée par la directive européenne de 2004 ?
Oui. Il faut rétablir une instance de pharmacovigilance-risque à part pour effectuer le suivi et prendre les mesures nécessaires après l'AMM. Le meilleur scénario serait le suivant :
une instance d'AMM chargée des nouveaux produits ;
une instance de pharmacovigilance-risque pour gérer et évaluer les risques. Elle aurait la possibilité, en fonction du rapport bénéfices-risques, de prendre toutes les mesures nécessaires.
On peut examiner s'il est nécessaire ou non de réévaluer tous les cinq ans, mais dès lors qu'un élément nouveau apparaît, cette instance de pharmacovigilance-risque devrait se prononcer et modifier si nécessaire l'AMM.
L'indication « diabète » a été formellement récusée par la commission d'AMM en 1987. La lettre adressée au pharmacien responsable des laboratoires Servier sous la signature du directeur de la pharmacie et du médicament indique : « Le Mediator 150 milligrammes a fait l'objet d'un passage en validation à la suite duquel l'indication adjuvant du régime dans le diabète asymptomatique avec surcharge pondérale a été examinée mais n'a pas été retenue. Elle n'a donc pas été reprise dans l'annexe 1 de l'autorisation (...) ». Or, force est de constater qu'on n'a jamais tenu compte de cet avis de la commission puisque cette indication a été maintenue dans les RCP. C'est ce qui découle de la lecture du rapport et d'un certain nombre d'annexes.
Pourquoi cet avis n'a-t-il jamais été appliqué ?
C'est très compliqué. En 1987, l'hypertriglycéridémie a été acceptée avec l'indication « proposé dans ». L'indication pour le diabète a été refusée mais n'aurait jamais dû être examinée car cela n'était pas prévu par le Journal officiel de 1985. La première tranche comportait les hypolipémiants. Les antidiabétiques figuraient à la huitième tranche. Il a été rappelé que la validation porte sur les indications thérapeutiques et non sur les propriétés pharmacologiques. Une spécialité correspondant à plusieurs indications, appartenant à différentes classes pharmaco-thérapeutiques, devait être étudiée avec chacune des classes concernées. Le laboratoire a fait valoir que le produit avait été examiné à tort sur cette indication lors de la cinquième tranche et a demandé le réexamen avec la huitième tranche.
Je les ai reçus et, après discussion avec le directeur général de l'époque, le professeur Ambroise Thomas, nous avons fait droit à leur demande.
La huitième tranche n'a été examinée qu'à partir de 1994-1995. En 1995, l'avis a été négatif pour l'indication diabète. Cela n'a été notifié, probablement par manque de moyens, qu'en avril 1997 par Mme Arielle North, probablement par manque de moyens. L'Igas indique qu'il a été procédé à une inversion de l'avis de la commission d'AMM lorsque le 4 août, Mme Arielle North, après avoir rencontré les représentants du laboratoire...
Elle dit m'avoir informé sur ce qu'elle projetait de faire. Je n'en ai aucun souvenir mais je veux bien le croire.
Je veux bien croire qu'elle m'ait informé.
Le 4 août 1997, il est indiqué, pour la notice et le conditionnement, dans une lettre : « Suite à votre entretien avec Mme Arielle North, vous avez souhaité modifier les corrections notifiées par l'Agence concernant un projet de notice et d'étiquetage. A cet égard, je vous informe que vous pouvez maintenir les mentions concernant l'indication thérapeutique du diabète. »
Cela sous entend-t-il qu'elles pourraient être supprimées dans le RCP ?
D'après le Journal officiel, « un délai de dix-huit mois sera accordé pour permettre au fabriquant une éventuelle reconversion. ». Il pourrait par exemple s'agir d'une modification de la formule. « A l'issue de cette période, s'il y a lieu, le retrait sera prononcé. »
Contrairement à ce qu'indique de façon formelle l'Igas, la décision n'a pas été inversée. La note explicative a disparu. Nous pouvons nous interroger sur les raisons de cette disparition et sur les raisons de cette notification du 4 août 1997. S'agit-il d'une inversion de la position de la commission d'AMM ? Concernant Mme Arielle North, la réponse est non. Une personne qui a fait toute sa carrière dans l'administration ne pourrait en aucune façon inverser l'avis d'une commission.
Sa lettre mentionne un projet de notice et de conditionnement ; elle est extrêmement maladroite car Mme Arielle North n'explique pas qu'elle accorde une dérogation et qu'il s'agit expressément de la notice et du conditionnement. De plus elle n'indique pas le délai au terme duquel cette dérogation prendra fin et rappelle même que la notice et le conditionnement devront être conformes à l'AMM, alors qu'elle vient d'accorder une dérogation pour écouler les notice et conditionnement existants.
Cette lettre et l'absence de la note ont rendu la situation confuse.
La validation n'a pas accordé l'indication diabète en 1997. Il n'y a pas eu d'inversion mais une demande d'extension d'indication en 1998 par la firme qui, après un certain nombre de réponses négatives, a abouti à une indication du type de celles qui étaient revendiquées en 1987, à savoir « adjuvant du régime ». Mais il s'agit d'une demande d'extension.
Il s'agit de la commission d'AMM de novembre 2000. L'ampliation de l'autorisation a été faite en 2001.
Nous ne parvenons pas à trouver la commission qui a modifié l'avis de 1987.
Il ne s'agissait pas d'une modification mais d'une extension d'indication.
Cela constituait tout de même un changement par rapport à l'avis de 1987 qui avait été confirmé par la commission du 16 avril 1997 et qui avait été infirmé entre temps par Mme North.
Entre temps, d'autres études avaient été réalisées. Le dossier montré en 1999-2000 était vraisemblablement plus étayé que celui de 1994-1995. Entre temps, la firme pharmaceutique a continué d'apporter des données complémentaires.
Cela signifie qu'entre 1987 et 2001, ce médicament a bénéficié illégalement d'une indication qui avait été réfutée par la commission d'AMM de 1987.
Il n'en a pas bénéficié de manière illégale pendant tout ce temps. Une période de dérogation a été accordée mais n'a malheureusement pas été précisée.
Mme Arielle North faisait partie de ma direction. J'en assume très clairement une part de responsabilité. Elle a signé au nom du directeur général car elle avait la délégation de signature du directeur général. Elle devait vérifier le bien-fondé réglementaire de ses actes. Elle a donc commis une maladresse. Je vous répéterai ce que j'ai dit devant vos collègues de l'Assemblée nationale : c'est un travail bâclé.
Tant mieux pour le laboratoire et tant pis pour les patients. Tout le monde n'est pas perdant.
Nous nous interrogeons précisément sur votre rôle. Néanmoins nous ne pourrons pas régler ce problème aujourd'hui.
Monsieur le professeur, durant la période 1998-2000, avez-vous eu connaissance des travaux menés par l'agence italienne du médicament ? Beaucoup de restrictions avaient été apportées à l'utilisation du Mediator en Italie. Il semble que l'Afssaps ait plutôt freiné les interrogations qu'un certain nombre d'experts italiens avaient pourtant nettement mises en avant jusqu'en 2001. Ils ont ensuite été remerciés.
La commission de pharmacovigilance a travaillé avec l'Italie au sein d'un groupe de travail. Le comité des spécialités pharmaceutiques que je présidais a été informé du résultat et non du contenu du rapport ni de la discussion. Il m'apparaît très clairement que mes collègues italiens ont été bien meilleurs que mes collègues français.
Nous étions rapidement devenus l'une des meilleures agences européennes. Par conséquent je suis peu habitué à ce que les experts français soient moins bons que les autres. En l'occurrence, j'ai eu la surprise de le constater en lisant les différents comptes rendus. A trois reprises, le centre de pharmacovigilance de Besançon - en la personne du professeur Bechtel - a donné des informations qui n'étaient pas les plus fiables :
le benfluorex donnait des concentrations plasmatiques de fenfluramine de même ordre que celles que celles qu'on aurait obtenu avec des doses équipotentes de fenfluramine. Il sous-entendait que ce résultat était probablement faux ;
le même centre de pharmacovigilance fait état, en septembre 1998, qu'il était peu probable que les effets indésirables du benfluorex soient semblables à ceux de la fenfluramine ;
en 1998, nous retrouvons dans les annexes une insertion du même centre de pharmacovigilance selon laquelle il n'existe aucune publication montrant l'effet anorexigène du benfluorex. C'était faux ; cela existe au moins chez l'animal.
Telles sont les conclusions des rapports du centre qui ont été présentés au comité technique de pharmacovigilance qui avait lui-même pour mission de préparer les travaux de la commission nationale. Il n'a rien corrigé.
Nos amis italiens, après la réception de la lettre de M. Garattini, ont considéré que le médicament était vraiment suspect. L'existence d'une neurotoxicité ou d'une cardiotoxicité n'était pas certaine. Il fallait néanmoins continuer à explorer ce médicament, qu'une étude devait être faite, qu'il fallait modifier le RCP et éventuellement demander un arbitrage. Nos amis italiens ont été bien plus rigoureux que nous. Contrairement au rapport de l'Igas qui évoque un « enlisement au niveau européen », je considère que le passage au niveau européen a été tout à fait bénéfique.
Avant de nous quitter, je voudrais vous remercier. Pensez-vous toujours que le Mediator n'est pas un anorexigène mais un antidiabétique mal étudié ? J'ai tendance à penser l'inverse : le benfluorex n'est pas un antidiabétique mais un anorexigène mal étudié.
Merci, monsieur le président, de me donner encore une fois l'opportunité de donner mon point de vue sur cette question qui passe pour importante. Il n'existe aucun élément permettant d'affirmer que le benfluorex est un anorexigène chez l'homme. Nous ne pouvons cependant pas exclure la possibilité d'une composante anorexigène pour ce produit qui a été présenté comme un antidiabétique et un hypolypémiant. Toutefois le fait de savoir qu'il s'agit d'un anorexigène n'est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour conclure à une probabilité certaine que ce produit produise des effets indésirables du même type que la norfenfluramine.
Le point essentiel tient au fait que le benfluorex est une fenfluramine, comme le Pondéral et l'Isoméride, comme la fenfluramine elle-même. La fenfluramine a provoqué des effets indésirables de type valvulopathie et hypertension artérielle pulmonaire de par l'existence d'un métabolite qui est la norfenfluramine. Ce même métabolite se retrouve avec le benfluorex. Par conséquent le produit doit être considéré comme suspect. C'est pourquoi il a été mis sous surveillance. Il aurait fallu réagir en termes de rapport bénéfices-risques dès que les données d'efficacité et de sécurité le permettaient. De mon point de vue, le produit aurait pu être retiré en 2005 et aurait dû l'être en 2007. Toutefois il était très probablement impossible de le faire avant, à savoir en 1995 et en 1999.
Nous sommes très heureux d'accueillir M. Jean Weber, inspecteur général des finances, qui est ancien conseiller technique au cabinet du ministre de la santé et de la sécurité sociale (1975-1978), ancien directeur de la pharmacie et du médicament au ministère de la santé et de la sécurité sociale (1978-1982), ancien secrétaire général de la commission nationale de la pharmacopée (1979-1982) et chargé par le Premier ministre d'une mission sur la politique et le prix du médicament (1991).
Notre audition est ouverte à la presse et fera l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat.
Je vous donne la parole. Vous avez la possibilité de faire une intervention liminaire.
J'ai créé la direction de la pharmacie et du médicament à la fin de 1977 et elle a fonctionné au début de l'année 1978. J'y suis resté jusqu'en 1982. Les options prises à l'époque étaient tout à fait claires dans un certain nombre de domaines. Elles ont ensuite beaucoup évolué. Je les décrirai volontiers pour montrer que différents types d'administration du médicament peuvent être choisis.
J'ai suivi le Mediator pendant quatre ans. Il était déjà sur le marché mais nous avons pris certaines mesures intéressantes, notamment le classement parmi les anorexigènes.
J'évoquerai enfin des pistes de nature à éviter une crise aussi tragique que celle que nous vivons.
Organiser une administration du médicament revient à faire certains choix. Nous devons réfléchir à la relation avec le ministre, que nous avons défini comme une indépendance avec l'administration. Il s'agit ensuite de réfléchir à l'étendue de la matière administrée. Il faut prévenir les conflits d'intérêts et assurer l'équilibre entre l'expertise interne et externe.
En 1978, le gouvernement a souhaité, alors qu'il créait une nouvelle direction à l'intérieur du ministère en charge de la santé, déléguer sa prise de décision d'autorisation de mise sur le marché (AMM) au directeur. En 1983, une entité séparée a été créée : l'Agence du médicament. Le directeur a reçu des pouvoirs propres. Il signait l'AMM en son nom propre et en tant qu'autorité responsable. Il n'était toutefois pas totalement indépendant puisqu'il était sous la tutelle du ministre. Ce passage à l'Agence du médicament a été décrit fréquemment comme créant les conditions de l'indépendance de la décision. Cela signifiait que le ministre n'avait plus la possibilité d'intervenir - pour d'autres raisons que médicales - dans la décision d'autorisation ou de gestion du médicament. Or ce n'est pas ma vision des choses. L'indépendance de la décision avait été établie en 1978 lorsque nous avons créé la commission d'AMM, présidée par le professeur Marcel Legrain. Ce n'est pas l'organisation juridique qui prévaut mais l'organisation préalable à la décision. Jamais je n'ai eu d'instruction concernant l'AMM, pas plus qu'une autre décision sanitaire.
Il est vrai que l'organisation en agence règle un problème budgétaire compliqué qui est celui de l'inscription au budget de l'Agence de produits des redevances obtenues en rémunération des services de l'Agence. Cela n'était pas le cas alors que j'étais directeur. C'est difficile lorsqu'il s'agit d'une administration centrale. En 1993, nous avons pensé qu'il était indispensable d'assurer l'autonomie financière ; la constitution de moyens suffisants ont été déterminants.
Que confier à cette unité ? Jusqu'en 1980, nous avons travaillé pour confier à cette unité que je dirigeais la totalité des fonctions concernant le médicament. Nous avons mis en oeuvre la commission des dictionnaires. J'espère que le professeur Jean-Michel Alexandre vous en a parlé. Il a mené un travail considérable, jouant un rôle de réviseur rapide des AMM, ce que nous ne pouvions pas faire dans le cadre trop contraignant de l'AMM tel qu'il existait. Nous avons créé un contrôle de la publicité, toujours conduit par la direction du médicament, et la commission de pharmacovigilance en lui donnant des bases juridiques au Sénat (loi Talon). En 1978, la mise en place de la commission d'AMM a assuré l'indépendance de l'octroi des AMM. Nous sommes enfin passés d'une logique de grille de prix fondée sur le prix de revient du produit à une logique de service médical rendu (SMR) suite à la création de la commission de la transparence. Tous ces éléments ont été établis sous la responsabilité unique du directeur de la pharmacie et du médicament.
Dix ou quinze ans plus tard, un seul directeur d'administration centrale est remplacé par quatre autorités : l'Afssaps, la Haute Autorité de santé (HAS), le Comité économique des produits de santé et la direction générale de la santé pour les préparations magistrales - ce qui n'est plus le cas depuis 1998, me semble-t-il.
Si nous dotions un directeur d'administration centrale des moyens de l'Agence du médicament, faudrait-il recentraliser l'organisation du circuit du médicament ?
Il faut, d'une manière ou d'une autre, que tous ceux qui travaillent sur le médicament le fassent ensemble. La solution minimum est de les mettre sur le même plateau administratif pour qu'ils se rencontrent aussi de façon informelle.
Une autre solution consiste à replacer toutes ces fonctions sous une seule autorité. Je ne tire des conclusions que de ma période. Je ne peux pas intégrer les contraintes qui naissent de l'existence de la HAS. Si on veut être efficace concernant le médicament, il faut d'abord un engagement politique très fort. La politique du médicament doit être une priorité du gouvernement. Il faut qu'on réunisse toutes les fonctions du médicament.
Je suis convaincu qu'il est indispensable de réunir l'évaluation, le suivi, c'est-à-dire la pharmacovigilance, l'information et une bonne vision de la contribution à l'information médicale.
Devons-nous fusionner la commission de la transparence et la commission d'AMM ?
Nous avons créé la commission de la transparence, dans une logique différente, pour remplir un travail considérable. Elle apporte énormément à la commission d'AMM dans les rapports entre les deux instances. En effet, la France n'a pas limité sa vision à l'évaluation et à l'autorisation des médicaments mais poursuit le bon usage du médicament. C'est la totalité de la chaîne qui, me semble-t-il, doit animer l'ensemble des participants à la vie du médicament. Si l'on veut mobiliser les meilleurs experts du pays, les hospitalo-universitaires, qui ont mille autres choses à faire, il faut leur proposer des fonctions gratifiantes et intéressantes. C'était ce que nous avions essayé de faire en les chargeant de la cogestion des médicaments. Les ministres suivaient leur avis.
Comment appréciez-vous le rôle du Comité économique des produits de santé (Ceps) ? Etes-vous favorable à ce que la compétence de fixation du prix du médicament incombe à l'assurance maladie ?
Je ne peux pas y être favorable car j'avais beaucoup travaillé pour qu'il reste au ministère de la santé. J'étais président également du comité économique du médicament. La sécurité sociale, la direction générale de la santé (DGS), nous-mêmes et l'industrie formions le « groupe des quatre ».
Je pense qu'il est bon que l'instruction technique continue d'être réalisée par des personnes spécialisées, avec la collaboration des administrations compétentes.
L'information du médicament doit-elle rester de la compétence de la HAS, afin de lui permettre de développer une stratégie de promotion du bon usage du médicament ?
Il faut développer des stratégies propres aux pouvoirs publics. Nous avions subventionné Prescrire et la Lettre médicale d'information. Prescrire n'aurait pas pu s'émanciper sans nous. Il ne faut pas que l'Etat minimise le rôle qu'il a joué dans cette affaire. Il a permis le démarrage de cette aventure.
Le débat est indispensable. Il faut que d'autres revues indépendantes se développent.
Nous sommes ici dans notre mission de contrôle et d'évaluation de la politique du médicament. Vous venez de nous dire que vous regrouperiez volontiers un certain nombre de fonctions actuellement dispersées pour mieux contrôler et évaluer la politique du médicament. Si vous étiez législateur, quelles autres propositions feriez-vous à la Nation ?
J'accorderais une importance particulière à l'équilibre entre l'expertise interne et externe. Nous avions choisi de tout miser sur l'expertise externe afin de faire évoluer la culture médicale et celle des patients sur la consommation du médicament. Nous devions engager le plus grand nombre. Nous préférions disposer d'experts externes qui nous apportaient l'information et la renvoyaient vers l'extérieur que d'avoir des experts internes qui évaluaient correctement mais qui ne faisaient pas circuler l'information.
Je vous remercie de nous apporter ces explications. Le rapport conjoint de l'Inspection des finances et de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), publié en 2000, faisait état de ce parti pris concernant l'expertise sans en donner les raisons.
Secondairement, l'expertise externe était beaucoup moins coûteuse. Il me semble que dans un pays comme la France, doté d'une organisation médicale très spécifique et hiérarchisée, il est préférable de s'appuyer sur ce vaste corps médical très compétent et soucieux de s'engager pour l'intérêt général. Certes l'administration dispose d'un certain nombre d'emplois compétents et présents en permanence. Toutefois il ne s'agit pas d'expertise interne mais de moyens administratifs. Ces moyens de gestion étant assurés, il est préférable d'avoir recours aux experts externes pour assurer le relais de l'information auprès du monde médical.
Jugez-vous possible et souhaitable que les commissions publiques ne comportent plus d'experts ayant des liens d'intérêts ?
Le conflit d'intérêts est un problème délicat. Il faut bien distinguer les experts réalisant des expertises à la demande, qui ne posent pas de problème de conflits d'intérêts, des experts qui peuvent être appelés à être rapporteurs ou membres d'une commission.
En 1980, les déclarations d'intérêts n'existaient pas. Pour régler ce problème, nous nous attachions à organiser la transparence, le débat et la bonne répartition du travail des commissions, qui ne comportaient pas plus de vingt membres. Je connaissais chacun des membres. Les présidents de chacune des commissions avaient une autorité extraordinaire. Ils connaissaient chacun des membres de leur commission et veillaient à leur objectivité dans le débat.
A l'époque, les médicaments mis sur le marché chaque année étaient aussi moins nombreux.
Je m'interroge sur ce point. Un grand nombre d'autorisations sont maintenant gérées à Londres. Par ailleurs, la commission d'AMM ne devrait même pas intervenir sur un grand nombre de génériques.
Nous devions mener un énorme travail de révision du stock de médicaments en place en 1978. Pour tous ces dossiers, il n'y avait d'expertise clinique.
C'est exact.
Deux phases se sont succédées : une révision officieuse par la commission Alexandre jusqu'en 1988, puis la révision de l'AMM suivant la directive. Durant cette période intermédiaire, l'AMM n'a pas de conséquence juridique.
Nous comprenons enfin ! Les décisions de l'AMM n'ont finalement aucune valeur juridique.
Leur valeur n'est que théorique.
Prenons l'exemple du Mediator. Autorisé en 1974, ce médicament est commercialisé en 1976 avec trois indications : «°troubles glucido-lipidiques athérogènes, troubles du métabolisme des lipides, troubles du métabolisme des glucides ».
Après un premier travail, la commission Alexandre retient le 29 octobre 1979 des indications très différentes : « proposé dans le traitement des hypercholestérolémies et des hypertriglycéridémies », signifiant aux yeux des médecins « ne répond pas aux exigences actuelles des essais contrôlés ». L'indication suivante est ajoutée : « adjuvant du régime dans le diabète asymptomatique avec surcharge pondérale ». Il était écrit précisément : « La prévention de l'athérosclérose est explicitement écartée ». La direction du médicament notifie ces nouvelles indications auxquelles on ne pourra pas déroger. Le Mediator conserve son ancienne AMM car la révision de toutes les AMM aurait engorgé la commission d'AMM. Cependant, dans la pratique, le Mediator est réduit à ces indications. Deux dispositifs se chevauchent ainsi pendant dix ans. Nous n'avons jamais eu de contentieux sur ce point avec aucun laboratoire ; le cas échéant nous aurions révisé l'AMM.
La déclaration d'intérêts est aujourd'hui obligatoire. Pourquoi ne pas y faire figurer le montant versé ? Il ne faut toutefois pas y attacher trop d'importance. La solution consiste à connaître les personnes, engager le dialogue et faire preuve de transparence. En effet ce n'est pas la nature de la fonction exercée qui met à l'abri des conflits d'intérêts. La seule affaire pénale dont nous ayons eu connaissance en vingt ans en Europe s'est produite en Italie, sur la personne même du directeur de l'administration. Dans la gestion du médicament, vous ne savez pas dans quel sens joue le conflit d'intérêts. La personne peut aussi bien défendre le produit qu'avoir un intérêt à l'attaquer. Cette question du conflit d'intérêts doit être résolue par la clarté et le débat.
Comment se sont mis en place les premiers dispositifs de pharmacovigilance ? Comment s'opèrent la sélection des médicaments et la détection des effets indésirables ? Comment retirer un produit du marché ?
Le réseau des centres de pharmacovigilance nous a énormément aidés. A l'époque, la France disposait de peu de pharmacologues, et pratiquement pas d'épidémiologistes. Ces centres furent rapidement mes premiers interlocuteurs, auxquels nous avons donné d'abord une reconnaissance officielle, puis une reconnaissance légale. Ces pharmacologues cliniciens rassemblaient au niveau régional les effets adverses, les partageaient et tenaient une réunion mensuelle pour échanger leurs observations. Je crois que cette organisation était très efficace. Nous avons dû retirer des produits, dont la Phenformine, pour des effets adverses. Nous avons aussi commencé les révisions de classes. Le professeur Legrain a commencé par la classe des antalgiques.
Elle précède la validation européenne. Nous avons fait de nombreux classements au tableau A et retiré l'amidopyrine qui était très utilisée. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, lorsqu'un directeur du médicament retire des médicaments, il reçoit surtout des reproches de la part des patients, qui sont habitués à leurs médicaments.
Les patients peuvent aussi reprocher le fait qu'un médicament n'ait pas été retiré du marché, comme en témoigne l'affaire du Mediator. L'exemple du Di-Antalvic atteste cependant de la véracité de vos propos.
En effet ; nous avons toujours tort ! Je m'associe aux protestations des patients au sujet du Di-Antalvic.
D'une manière générale, nous prévenions le laboratoire avant de retirer un médicament. Le laboratoire préférait souvent le retirer lui-même. Suivant l'urgence de la situation, le médicament était retiré soit immédiatement, soit après un bref délai permettant aux médecins de modifier les prescriptions.
Revenons sur la loi Talon votée le 7 juillet 1980. Cette année-là, l'administration a été informée de pratiques qualifiées « d'aberrantes » par le sénateur Talon, de la part de médecins spécialisés dans l'amaigrissement consistant à remettre des spécialités pharmaceutiques sous forme de préparations magistrales. Il s'agissait de mélanger des produits extrêmement dangereux tels que des psychotropes, des diurétiques, des anorexigènes ou encore des extraits thyroïdiens. Il était très difficile d'agir sur ces pratiques car nous portions atteinte à la liberté de prescription.
Il fallait passer par une loi. L'attaché parlementaire du ministre a demandé au sénateur Talon de travailler sur cette question. Je vous recommande cet excellent rapport pour mieux comprendre l'affaire du Mediator. A la demande de la commission d'AMM, il fallait organiser de manière légale une surveillance des médicaments après leur mise sur le marché. A l'époque, le terme de surveillance a suscité un débat au sein de la commission. Le sénateur a accepté que nous lui préférions le terme de pharmacovigilance.
Cette loi a permis de légaliser la pharmacovigilance et de rendre possible d'établir par décret, après avis des académies de médecine et de pharmacie ainsi que des conseils de l'Ordre des médecins et des pharmaciens, des listes de médicaments qu'il est interdit de mélanger. Ce décret est paru avec une liste d'anorexigènes dont le benfluorex.
En 1995, lors de la séance de la commission nationale de pharmacovigilance traitant des anorexigènes, quelqu'un - nous ne savons pas qui - propose que les anorexigènes visés soient ceux de la liste 3 du décret de 1982. Il n'a pas cité le benfluorex en séance mais s'est référé très clairement à la loi Talon. Nous avons là une très bonne illustration de ce qu'est pour l'administration un personnel compétent, doté d'une grande mémoire et capable d'effectuer un suivi sur dix ou vingt ans.
Pourquoi n'a-t-on pas interdit le benfluorex à cette époque ? C'était impossible car les preuves du danger n'étaient pas établies. Il aurait fallu reprendre le dossier. Il s'agit d'un problème de mobilisation de toutes les personnes qui travaillent sur ces sujets de pharmacovigilance. Une occasion a été perdue mais nous ne pouvons le reprocher à personne. Il faut que nous recherchions l'efficacité de nos organisations.
Monsieur le président, mes suggestions sont très modestes. Il faut étudier sérieusement l'éventualité d'un retour au rattachement ministériel. Un ministre anime son administration très fortement. Il est exigeant ; pose des questions tous les jours ; demande que les choses avancent sans se contenter de délais.
Remettriez-vous en cause ce principe selon lequel le directeur de l'Afssaps par exemple prend ses décisions au nom de l'Etat ?
La situation est absurde ; deux niveaux de décisions coexistent.
En outre je propose de retire le nom « d'Institut du médicament » pour l'organe de gestion du médicament. Il faut également assurer la plus grande unification possible du domaine du médicament (AMM, transparence, pharmacovigilance).
Il faut donner une plus large place à l'expertise externe ; attacher une grande importance au bon fonctionnement des commissions en réduisant leurs dimensions et assurer une meilleure connaissance du hors AMM. Ce problème se pose depuis trente ans. Mon administration souhaitait que l'Etat finance un sondage sur des prescripteurs. Ce sondage existe ; il s'agit du panel DOREMA, devenu « l'étude permanente de la prescription médicale » (EPPM). Nous avons toujours obtenu ces informations sur demande aux laboratoires. Il faut comprendre qu'un outil de cette nature, qui donne la réalité des motifs de prescription avec la posologie et les durées de traitement, de manière continue dans le temps, est un élément extraordinaire du suivi de l'activité du médicament.
Cela est différent des bases de données dont dispose l'assurance maladie puisque le codage n'y figure pas.
C'est exact. Il faudrait au préalable obtenir le codage auprès des praticiens et mettre en place de gigantesques bases de données. Je pense que ce sondage des prescripteurs serait un signal d'alerte important pour le suivi après la mise sur le marché par la pharmacovigilance.
Je suggère également de porter une attention particulière au « double marketing » qui consiste à dédoubler la présentation d'une spécialité pour la placer dans deux voire trois réseaux de visiteurs médicaux simultanément à son lancement. Dès lors nous constatons une montée très rapide des ventes de ce produit et ainsi un risque accentué du point de vue de la surveillance de ce produit.
Le me too désigne un produit qui ressemble à un autre sans être le même.
Cela veut dire que la commission d'AMM mettrait simultanément sur le marché deux médicaments identiques sous des noms différents.
Je pense que la commission d'AMM ne peut pas légalement s'y opposer. Je pense toutefois que la commission de la transparence et que le comité économique des produits de santé pourraient s'y opposer.
Par ailleurs il faut confier à l'administration du médicament le leadership de l'exploitation des grandes bases de données existantes. Avec l'affaire du Mediator, nous avons assisté au croisement des bases hospitalières. Ces études peuvent être multipliées. Qui prendra l'initiative de ces études ?
A l'heure actuelle, cette base de données est gérée par l'assurance maladie.
L'Institut des données de santé en est le dépositaire. Je reconnais que cette structure est assez fermée. L'Afssaps peut demander des données mais les organismes privés n'en ont pas la possibilité.
Il faut aussi que le directeur de l'Agence du médicament dispose d'un droit d'initiative, de suivi et de connaissance de l'ensemble de ces études.
Il faudrait donc que la puissance publique se dote de moyens lui permettant de procéder à des études épidémiologiques.
Je pense qu'il faudrait en premier lieu confier au directeur de l'Afssaps ou à l'organisme successeur la responsabilité de ces études. Nous sommes dans le domaine de la santé publique et non de l'assurance maladie. La meilleure connaissance de la santé de la population ou des effets adverses des médicaments sont des compétences régaliennes.
Vous avez parlé de la création de l'amélioration du service médical rendu (ASMR). Que pensez-vous de l'ASMR 5 ?
Nous parlons du médicament. Le circuit des produits de santé ne mériterait-il pas aussi de bénéficier d'un contrôle plus précis ?
Je suis incompétent sur l'ASMR 5.
La complexité du circuit de santé tient à la diversité extrême des produits. Je crois que nous ne pouvons pas donner de réponse d'ensemble. Il faut suivre ce secteur par grandes catégories de produits, en y portant la plus grande attention.
Monsieur Barbier a raison de nous le rappeler ; lorsque nous évoquons la pharmacovigilance ou l'évaluation, nous pensons d'abord aux médicaments, en oubliant les dispositifs médicaux. Nous devrons sans doute nous y intéresser davantage car ce domaine est sans doute appelé à se développer et est moins bien contrôlé que les médicaments.
Je vous remercie infiniment pour cette contribution très intéressante.