Lors de notre mission d'information sur le Vioxx, on nous a reproché de ne pas avoir auditionné la presse médicale. Il est vrai que c'est un élément de réflexion important. Nous avons donc convié ce matin MM. Vincent Bouvier, président de Vidal, Gilles Cahn, directeur des éditions John Libbey, Gérard Kouchner, président de Janus, M. Bruno Thomasset, président du groupe Impact Médecine, Alain Trébucq, président du Syndicat de la presse et de l'édition des professionnels de santé, directeur général de Global Média Santé et Mme Stéphanie Van Duin, présidente-directrice générale des éditions Elsevier Masson.
Vidal est, plus qu'une entreprise de presse ; c'est une entreprise éditrice de bases de données sur les produits de santé - les médicaments et les dispositifs médicaux -, et une entreprise plus qu'une maison d'édition. Notre métier est de rassembler, agglomérer, diffuser une information standardisée sur les médicaments et les dispositifs médicaux. Notre ligne éditoriale passe par un strict respect de l'information validée par les sources officielles, qui sont nombreuses en France.
Je veux vous dire, au nom des éditeurs de bases de données, que nous avons besoin d'informations officielles de qualité et à jour pour pouvoir fournir de bons outils aux professionnels de santé. Dans le cas qui nous occupe, l'information officielle sur le Mediator n'a pas été, pendant longtemps, au niveau où elle aurait dû être. Notre première demande est d'améliorer le fonctionnement et la qualité des sources officielles.
L'une des composantes de la qualité est la rapidité dans la mise à disposition de l'information. Sur les effets secondaires, le délai moyen pour que les rectificatifs de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) figurent dans les résumés des caractéristiques des produits (RCP) est aujourd'hui de dix-huit mois en moyenne.
Aux procédures contradictoires entre l'Afssaps et les laboratoires.
Grâce aux outils électroniques, nous diffusons l'information dans la journée, la semaine tout au plus. C'est ce qui s'est passé pour les informations sur le Mediator.
Nous devons également prendre en compte l'information publique mais moins officielle : les avis de la commission de la transparence ne sont pas à la disposition des professionnels dans les bases de données et l'affaire du Mediator pose la question des informations diffusées. Les avis sont publiés tardivement.
Les avis de la commission de la transparence figurent dans les bases de données.
Et les améliorations du service médical rendu (ASMR), de niveau 1, 2, 3, 4 ou 5 ?
Elles y sont, indexées par indication, puisqu'un même produit peut être prescrit pour différentes pathologies.
Les éditions John Libbey regroupent des revues médicales liées à des sociétés savantes, financées par abonnement et centrées sur une pathologie, Bulletin du cancer ou Société française d'hématologie, par exemple. Chaque revue a un comité de lecture, les articles sont soumis à la rédaction ou sollicités par elle dans le cadre de l'éducation et de la formation médicale continue. Nous sommes une maison essentiellement francophone : 80 % des titres sont publiés en français.
Le défaut d'information dans nos revues est essentiellement lié à la faible valorisation de l'auteur qui publie en français. Et cela entraîne un déficit d'informations du tissu médical français. Pourquoi l'article de Mme Irène Frachon n'a-t-il pas été publié dans notre presse médicale ? Parce qu'elle ne nous l'a pas soumis. Pourtant, nous aurions été heureux de le publier !
Quand les articles sont sollicités par vous, comment cela se passe-t-il ? Un article d'un professeur de médecine a-t-il autant de valeur qu'un article écrit par un donneur d'alerte ? Comment êtes-vous financés ? Uniquement par les abonnements ?
Les articles primaires ne sont jamais sollicités par les rédactions. C'est l'auteur qui décide où il présente son article, où son intérêt de chercheur est le mieux satisfait. Les articles sollicités par nous sont ceux relevant de la formation médicale continue et de l'éducation, ceux qui dressent l'état des connaissances sur un sujet ; et des articles de synthèse, soumis au comité de lecture, qui corrige éventuellement -il demandera par exemple des compléments bibliographiques. Le financement, dans le cas des sociétés savantes, repose uniquement sur les abonnements, mais les revues francophones ne sont pas suffisamment soutenues, et la publicité devient rare !
J'étais président du groupe UBM Medica France ; il y a huit jours à peine, j'ai racheté une partie du groupe, accompagné par quelques managers. L'entreprise de presse qui a pris le nom de Janus est ainsi redevenue française. Elle édite notamment Le Quotidien du médecin, Le Quotidien du pharmacien, le Généraliste, Décision santé. C'est une presse payante, contrairement à ce qui se dit trop souvent : elle vit d'abonnés. La diffusion ne peut se faire à destination des non-professionnels. Le caractère payant a été vérifié par des magistrats lors des contrôles demandés par la commission paritaire.
Lorsque j'étais médecin, je ne payais pas le Quotidien du médecin, mais lorsque je suis devenu sénateur, il a fallu que je règle mon abonnement ! Pourquoi un tel ostracisme ? Aucun de mes confrères en exercice, à l'époque, ne payait !
La commission paritaire de la presse autorise un tirage équivalent à deux fois le nombre d'abonnements, pour faciliter la prospection. Nos abonnés sont essentiellement des spécialistes et des institutions de santé, des bibliothèques, des facultés. Les abonnés généralistes sont plus rares, ils payent moins facilement... Nous servons un certain nombre d'entre eux gratuitement - mais pas toujours les mêmes ! Nous organisons une rotation. Les généralistes en France reçoivent presque tous Le Quotidien du médecin.
Pour chaque médecin, on arrête, puis on recommence, puis on arrête...
Si je vous l'envoie à titre gratuit, nous serons accusés d'être une presse gratuite. Nous appliquons strictement la loi ! Notre presse, dans l'ensemble, n'est pas une presse gratuite.
Quelle est la part de la publicité et la part des abonnements, par exemple pour Le Quotidien du médecin, ou Décision santé ?
Pour l'ensemble de nos titres, la publicité pharmaceutique représente 42 % des financements, mais aucun laboratoire ne dépasse 4 % du chiffre d'affaires, la diversité des annonceurs assurant l'indépendance ; les abonnements représentent environ 20 % pour Le Quotidien du médecin ou Décision santé. Les annonces classées ont une part comprise entre 10 et 15 %, qui monte à 20 % pour Le Quotidien du médecin.
Je croyais que la publicité assurait 65 % à 70 % du financement de cette revue ?
Ce n'est plus vrai : en quelques années cette part, qui était de 68 %, est tombée à 58 % : elle recouvre aussi les publicités des mutuelles, des assurances, des entreprises d'électronique, et non seulement des laboratoires.
Notre syndicat regroupe des éditeurs de presse et des éditions scientifiques. Nos adhérents sont très divers, multinationales ou sociétés strictement françaises, entreprises employant un grand nombre de salariés et petites structures de deux ou trois personnes... Nous comptons à ce jour 49 adhérents qui représentent 270 publications traditionnelles et 141 publications en ligne. Ce sont ainsi 30 millions d'exemplaires annuels de journaux et de revues qui sont diffusés auprès de toutes les catégories de professionnels de santé, médecins, sages-femmes, ambulanciers, chirurgiens-dentistes,... Notre presse est à la fois d'information et de formation. Les éditions scientifiques émanent de sociétés savantes ; certains de nos adhérents publient des livres scientifiques, tel Elsevier Masson.
Le modèle économique n'est pas très différent de celui des autres secteurs de la presse. Le partage entre publicité et abonnements varie d'un titre à l'autre. Mais s'agissant de santé, nous sommes assujettis au code de la santé publique, au contrôle permanent de la commission de la publicité de l'Afssaps, à la charte de l'Union des annonceurs et de notre syndicat professionnel, au règlement intérieur du syndicat, opposable à chaque adhérent - qui peut être exclu en cas d'infraction au code des bonnes pratiques signé entre les entreprises du médicament (Leem) et le ministère de la santé pour encadrer les actions financées par les laboratoires, dans le cadre de la formation continue des médecins.
L'entreprise que je dirige et dont je suis le principal actionnaire depuis trois ans est à cheval entre deux secteurs de la presse qui suivent des modèles économiques différents. Nous éditons deux publications consacrées à la formation généraliste des médecins - généralistes ou spécialistes - Le Concours médical, créé en 1879, et La revue du praticien, depuis 1861. La seconde est financée à 98 % par les abonnements. Le Panorama du médecin fonctionne différemment, les articles ne sont pas soumis à un comité de lecture, les journalistes sont médecins ou non. Nous sommes sur un modèle qui a plus bénéficié de la publicité que des abonnements. Depuis le milieu des années soixante-quinze et l'avènement des blockbusters, la promotion de ces médicaments à travers la publicité pour les installer sur le marché s'est faite au plus grand bénéfice de la santé publique. Mais cette bulle a disparu. L'ensemble des laboratoires pharmaceutiques dépense en publicité dans la presse médicale généraliste 300 euros par an et par médecin.
On est loin des 25.000 euros par médecin évoqué dans le rapport de 2007...
Le budget a chuté de moitié depuis 2007, et même de 80 % ces derniers temps, avec la montée en puissance des génériques. Les laboratoires ont de moins en moins intérêt à promouvoir des marques dans nos journaux.
Impact médecin hebdo comprend 14 publications de médecine générale ou spécialisée ou de pharmacie. Je représente ici, surtout, l'hebdomadaire Impact médecin hebdo, qui compte 45 000 lecteurs, surtout des spécialistes de médecine générale. La presse médicale devrait être considérée comme les autres secteurs de la presse et devrait être soumise aux mêmes droits et des devoirs. Songez à la largeur de la cible de lectorat : nous pourrions parfaitement revendiquer le statut de presse d'information générale et politique !
Le fisc, les pouvoirs publics, la réglementation de la presse ne nous considèrent pas comme tels, malgré le nombre de lecteurs, l'importance des sujets traités, la place de la santé publique.
Mais s'agit-il d'informations générales ? Chacun doit peut-être faire une partie du chemin...
La santé représente 35 % de l'information générale, autrement dit nous couvrons déjà un tiers des sujets traités par l'information générale. Impact médecin hebdo a depuis l'origine le projet éditorial d'être Le Point, L'Express ou Le Nouvel Observateur des médecins.
En dix ans, Impact médecin hebdo n'a rien écrit sur le Mediator, sauf le 26 novembre 2009 - il a alors signalé le retrait du marché. Je n'éprouve guère de culpabilité car dans le foisonnement de l'information, le Mediator était inexistant ! J'assume cette responsabilité. Nous avons publié en ligne la lettre de l'Afssaps aux prescripteurs.
Aucun titre de la presse spécialisée n'a évoqué le dossier Mediator ces dernières années, car il n'y avait pas d'« affaire Mediator ». Je rappelle que l'Afssaps a délivré une AMM à des molécules génériques du Mediator en 2009. Ce sujet était inexistant.
Depuis, la presse médicale a relayé l'information. La couverture a été large, sur internet notamment, où les médecins ont été libres de formuler leurs commentaires à charge et à décharge.
Ce que j'attendrais des pouvoirs publics est un soutien à l'investissement publicitaire. La publicité dans la presse médicale représente moins de 3 % des investissements promotionnels de l'industrie. Or elle finance des projets éditoriaux utiles aux professionnels de santé et constitue un relais pour les politiques de santé publique. La publicité médicale, après contrôle des autorités, ne devrait pas être freinée. Les laboratoires veulent faire de la publicité, mais ils ne veulent pas que cela se sache, car ils craignent de se faire taper sur les doigts !
Je dirige la filiale française d'Elsevier, groupe important dans l'édition médicale et scientifique. Nous adhérons au syndicat de la presse et de l'édition, nous suivons des règles de fonctionnement très spécifiques, comités de rédaction, conseils scientifiques, rédacteurs en chef, souvent des leaders dans leur spécialité. Nos revues, souvent l'émanation de sociétés savantes, sont référencées dans les bases de données internationales telles que l'ISI (Institute for scientific information), lesquelles imposent des règles, réception électronique, transmission à deux experts pour avis, correction, intervention du comité de rédaction et du rédacteur en chef. Si l'article est accepté pour publication, l'auteur doit remplir une déclaration mentionnant les conflits d'intérêts qu'il pourrait connaître. Il doit indiquer ses activités annexes, de consultant, d'expert, auprès de laboratoires ou d'autres entités.
Toutes nos revues, aujourd'hui, sont en ligne. Papier ou électronique, cela ne change rien dans le traitement des manuscrits ; simplement, on peut, en ligne, ajouter des contenus complémentaires, des vidéos, des images en 3D.
Nous avons de plus en plus de difficultés à obtenir de bons articles de recherche, car les revues internationales sont plus connues et plus largement diffusées. Nous recevons plutôt des articles de deuxième, troisième ou quatrième niveau. Si bien que les sociétés savantes qui en ont les moyens décident d'opter pour la langue anglaise. Les autres souffrent.
La presse et l'édition spécialisées devraient être considérées comme contribuant à la politique de formation continue - par conséquent éligibles aux crédits de celle-ci. Tous les autres pays procèdent ainsi ! Un abonnement à une revue de société savante coûte entre 400 et 600 euros, ce qui induit une spirale négative sur la diffusion.
Quel est le référencement des revues françaises par rapport aux revues anglo-saxonnes ?
La situation est dramatique. L'impact factor est un algorithme fondé sur le nombre de citations et de consultations. Un article écrit en français a forcément une audience plus limitée, les bons articles paraissent donc en anglais et sont ensuite traduits en français. Quelle perte !
Les revues américaines, je vous renvoie au rapport de l'Igas, publient, semble-t-il, essentiellement des études financées par des laboratoires. Les résultats sont présentés plus favorablement, les résultats négatifs non publiés... Quel est le point de vue de la presse française ? Cette mission peut être l'occasion de réfléchir sur l'ensemble de la politique du médicament. Avez-vous tenté de comparer les différentes bases de données ?
Le fonctionnement de la recherche est très différent aux États-Unis. Ce sont les laboratoires qui la financent. Il est donc normal, si les résultats ne sont guère favorables, qu'ils ne soient pas publiés.
Pourtant, on dit aux Etats-Unis que la presse française est en partie financée par des laboratoires et qu'elle n'est pas objective ! Or certaines revues américaines sont financées en totalité par des laboratoires.
Le traitement des manuscrits par nos titres est soumis aux normes de Vancouver et au « double blind » en particulier, qui impose la lecture du texte, rendu anonyme, par au moins deux experts. Ensuite, il y a la déclaration des conflits d'intérêts ; mais nous n'avons pas à vérifier si la déclaration est honnête ou mensongère...
C'est certain.
Je signale que nous avons publié l'article du docteur Frachon quand il a été présenté à notre comité de rédaction.
Nos rédacteurs en chef sont des experts hospitaliers et non des salariés de notre société. Nous n'entretenons pas de rapport avec eux, sauf pour fixer le calendrier. La presse francophone est dévalorisée au point que même les publications dans les sociétés savantes comme l'Académie des sciences ne sont pas prises en compte dans l'évaluation des chercheurs ! Cela leur vaudrait plutôt des points négatifs !
Dans les années à venir, les pouvoirs publics devraient nous aider à améliorer l'impact factor. Le système Sigaps d'interrogation, de gestion et d'analyse des publications scientifiques a été mis en place. Il concerne les cliniciens chercheurs.
Une revue scientifique se doit d'être référencée sur Medline : or aucune française ne l'est ! La référence Medline rapporte des crédits à l'hôpital, les chercheurs sont donc fortement incités à publier dans les revues internationales, tandis que les sociétés savantes se paupérisent. L'enjeu peut atteindre 16 000 euros par an pendant cinq ans ! Nous devrions définir avec l'agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) les revues éligibles à une récompense similaire.
Dans une vie antérieure j'ai soumis quelques articles à la presse scientifique et je puis vous dire que le double aveugle n'existe pas en pratique, parce que tout le monde sait qui travaille sur quoi. Et quelle garantie a-t-on d'une absence de conflits d'intérêts, non à l'instant de la publication, mais avant et après !
Publions-nous seulement des études positives, demandait Mme Hermange ? Il faut distinguer entre les études cliniques où l'on cherche à évaluer l'efficacité supplémentaire d'un médicament, et les études financées par l'Inserm ou par les laboratoires, où l'on tente d'évaluer d'éventuelles nouvelles indications. Dans toute la presse médicale, par le passé, on privilégiait les résultats positifs. Mais les choses ont changé. Le Quotidien du médecin publie les résultats négatifs d'impact clinique.
Cela n'a pas toujours été le cas : des laboratoires ont été condamnés pour cette raison. Voyez que les sanctions servent à quelque chose !
Nous avons affaire à un partenariat à trois, qui associe la presse, les pouvoirs publics et les laboratoires.
En ce qui concerne les conflits d'intérêts, la question ne se pose que dans des cas délimités. Les intérêts apparaissent dans nos cahiers de formation continue, et les interventions d'experts pour les laboratoires sont toujours signalées. Chaque fois que nous citons un expert, ses conflits d'intérêts apparaissent soit dans le journal, soit sur le site - c'est la solution à laquelle nous étions parvenus avec Que choisir ?
En ce qui concerne le Mediator, nous avons rendu compte des études Cnam 1 et Cnam 2, des travaux du docteur Frachon, mais aussi des professeurs Alpérovitch et Acar. Il ne s'agit pas de nier le drame des victimes, mais d'évaluer la portée de cet accident de santé publique.
Pourquoi ne pas avoir publié une analyse de ces travaux au moment où la presse généraliste en rendait compte ?
Une vague de stupeur et d'indignation a déferlé lorsqu'on a entendu parler de centaines de morts. A ce moment-là, nous n'étions pas audibles. Mme Alpérovitch ne voulait pas s'exposer à un lynchage médiatique en critiquant les études mettant en cause le Mediator...
Il est difficile de ne publier des informations qu'à charge.
Sur ce plan-là, on peut dire que vous avez fait votre travail ! Je n'ai lu dans Le Quotidien du médecin aucun compte rendu du livre du docteur Frachon, mais seulement un communiqué AFP de Servier. Est-ce un oubli ?
Non, c'était délibéré : nous ne sommes pas une presse à sensation. Pareil sujet mérite que l'on prenne du recul, et nous avons parlé ultérieurement de l'enquête du docteur Frachon. Mais nous ne traitons pas des chiens écrasés.
Vous rangez donc ce livre à la rubrique des chiens écrasés ! Nous en prenons note.
Des livres à sensation paraissent tous les jours ! Nous devons à nos lecteurs, médecins, une information rigoureuse, et nous avons consacré vingt articles aux travaux du docteur Frachon. Nous avons aussi publié le rapport de l'Igas.
Il est heureux que vous ne rangiez pas les rapports de l'Igas parmi les chiens écrasés...
Je tiens à apporter une précision : nous ne sommes pas une commission d'enquête, mais une mission d'information.
Vous prétendez, en tant que presse d'information générale et politique, au même soutien que la presse ordinaire, mais vous avez refusé de rendre compte du livre du docteur Frachon au motif qu'il était destiné au grand public. N'y a-t-il pas là une contradiction ?
Je vous rassure : nous ne revendiquons d'aide d'aucune sorte.
Les éditions Vidal pourraient-elles nous remettre les fiches du Mediator depuis 1975 ? Certaines ne sont disponibles que sur papier, mais ce ne sont pas celles qui disparaissent le plus vite : l'Afssaps avait publié sur Internet un article selon lequel les dérivés mercuriels des vaccins contre la grippe devaient être retirés du marché, mais cet article a disparu lors de la diffusion du vaccin pandémique. Heureusement qu'un doctorant avait enregistré le fichier PDF...
Nous vous ferons bien sûr parvenir ces informations.
Vous avez dit qu'aucune alerte n'avait été lancée dans la presse, qui se conformait à la ligne de l'Afssaps. Mais avez-vous publié des articles décrivant le rôle du Mediator, ou de la publicité ?
Le Mediator, comme tout médicament mis sur le marché, a fait l'objet de campagnes promotionnelles. Je ne me rappelle pas de quand date la dernière, mais cela remonte loin.
Ce n'est pas un reproche que je vous fais, mais il est important pour nous de savoir dans quels termes cette publicité était faite, et si elle correspondait ou non à l'AMM.
Nous vous fournirons des documents, mais vous pouvez aussi vous tourner vers la Commission de la publicité de l'Afssaps, qui exerce un contrôle a posteriori, et vers les laboratoires Servier. Le Mediator avait suscité des polémiques dès avant « l'affaire », mais il nous fallait prendre du recul. Nos sources d'informations sont les institutions publiques - Afssaps et Haute autorité de santé -, les experts et les entreprises du médicament. La publication des études de la Cnam a donné lieu à un emballement médiatique ; nous n'avons pas alors attendu le rapport de l'Igas : quinze articles ont été publiés dans Le Panorama du médecin et sur son site internet, à charge et à décharge. Il est regrettable que la presse d'information générale n'ait pas relayé les informations à décharge, notamment les études du professeur Jean Acar. On a accusé ce dernier de conflits d'intérêts, mais les experts qui composent le comité scientifique de nos revues de formation m'ont assuré qu'il s'agissait d'un homme d'une grande intégrité, et d'un spécialiste mondialement reconnu des valvulopathies.
Madame Klès, avez-vous le sentiment que l'on ait répondu à votre question ?
Non. Je la répète : comment contrôlez-vous les conflits d'intérêts des experts de vos comités de lecture, qui savent bien quels collègues ont écrit les articles ? Selon quel calendrier contrôlez-vous ceux des auteurs eux-mêmes ?
En général, le nom des membres des comités de lecture n'est pas rendu public, afin de préserver leur indépendance. Mais dans certaines revues très spécialisées, la composition des comités est connue, car les experts sont en si petit nombre qu'il n'y aurait aucun sens à cacher leur identité.
Des membres de comités de lecture m'ont parfois contacté parce qu'ils avaient compris que j'étais l'auteur d'un article... Le « double aveugle » ne marche pas.
Cela dépend des revues. Quoi qu'il en soit, les auteurs doivent signer un formulaire détaillant précisément leurs conflits d'intérêts : se sont-ils fait payer des voyages, des déplacements pour des conférences ? Nous conservons ces déclarations sur l'honneur, et si un auteur refuse de s'y prêter, nous le signalons.
La question de Mme Klès m'a paru polémique. Dans les domaines très spécialisés, les experts sont peu nombreux, et il n'est pas difficile d'identifier les équipes qui ont réalisé des travaux. Mais les experts font leur travail : chez nous, le taux de rejet s'élève à 50 %, et à 90 % pour The Lancet !
Arrive-t-il que les laboratoires commandent des articles, ou qu'ils en relisent ?
Tous les articles publiés à l'initiative des laboratoires, ou soumis à leur relecture, sont signalés comme tels : la publicité rédactionnelle est interdite par notre charte.
Dans tous les cas, la chose est signalée.
Je le confirme. Aujourd'hui, les recettes publicitaires ne suffisent plus à assurer l'équilibre financier des revues, qui ont besoin d'une diffusion payante : d'où la nécessité de gagner la confiance des lecteurs. Nous aurions tort de sous-estimer l'esprit critique des lecteurs.
Monsieur Thomasset, j'ai remarqué que tous les articles sur les laboratoires Servier dans votre journal étaient signés par une certaine Claire Bonnot, dont je n'ai pas trouvé trace dans l'ours. S'agit-il d'une pigiste ? Dans quelles conditions travaille-t-elle ?
Il s'agit en fait d'un pseudonyme. Je vous ferai parvenir les coordonnées du journaliste concerné.
Notre règlement intérieur ne prévoit rien à cet égard. Tout dépend de la déontologie de chaque éditeur.
Nos revues sont archivées à la Bibliothèque nationale, et nous avons pu analyser nos publications des années 1995, 1997 et 1999. Nous n'avons rien trouvé de significatif sur le Mediator, mis à part une campagne de publicité au début de l'année 1995.
On dit que certains groupes pharmaceutiques étrangers veulent racheter des laboratoires français. Observe-t-on la même tendance dans la presse médicale ?
Bien au contraire ! Je viens de racheter l'entreprise à un groupe anglo-saxon coté à Londres.
Celle dont je suis le principal actionnaire appartenait à un groupe britannique il y a trois ans.
Je détiens à 100 % les éditions britanniques John Libbey. Mais notre marché doit s'élargir, notamment grâce aux abonnements.
La nationalité est devenue secondaire. La mondialisation s'impose à nous, que nous le voulions ou non.
Il faut encourager l'expression médicale francophone, pour laquelle il y a une forte demande en Afrique, en Amérique latine, en Asie ou en Europe de l'Est.
Une remarque encore : je n'ai pas trouvé trace dans le Vidal du SMR ou de l'ASMR du Mediator.
Je me suis mal exprimé : ils figurent sur notre base électronique.
Monsieur Servier, merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes président-fondateur des laboratoires Servier depuis 1954, et président d'honneur du conseil central de l'Ordre national des pharmaciens. Vous avez souhaité que cette audition se déroule à huis clos : cette demande est de droit. Vos collaborateurs pourraient-ils se présenter ?
Je suis responsable des risques et assurances chez Servier, rattaché à la division juridique.
Je suis médecin pédiatre et dirige la recherche-développement.
Je suis directrice en charge des relations avec le Parlement.
Je suis conseiller en communication, responsable des relations avec la presse.
Après l'intervention liminaire de M. Servier, Mme le rapporteur et les membres de la mission vous interrogeront.
L'entreprise que je préside s'est beaucoup développée depuis quarante ans. Actuellement, nos produits sont consommés pour 90 % hors de France : cela illustre l'effort considérable que nous avons fait pour l'économie du pays.
Notre but est triple. Avant tout, nous voulons satisfaire les patients qui utilisent nos produits, et sommes très attachés à leur confiance, notamment celle des diabétiques confrontés à une maladie difficile et qui vivent souvent dans l'inquiétude. Ensuite, nous avons l'ambition de faire progresser la recherche. Enfin, nous souhaitons que nos collaborateurs soient satisfaits de leur travail ; des laboratoires de quelque importance, nous sommes les seuls à n'avoir jamais procédé à aucun licenciement collectif.
A propos du Mediator, on a parlé de « scandale » ou d'« affaire », termes très exagérés. Ce médicament a reçu son autorisation de mise sur le marché en 1974 ; il a été conçu pour les diabétiques qui tolèrent mal les autres traitements. Depuis, il est toujours resté sous surveillance étroite. Le feuillet du Vidal - organisme très contrôlé par l'Etat - donne sa définition officielle.
Je vous arrête : Vidal est une entreprise privée, même si les informations fournies ont un caractère officiel puisqu'elles émanent de l'Afssaps.
Le contrôle de l'Afssaps est étroit, parfois tatillon. Tous les documents produits par les laboratoires sont soumis à un contrôle en vertu de la loi du 24 août 1974 qui a instauré une véritable censure. L'AMM du Mediator a été renouvelée tous les cinq ans, non sans de longues discussions, car l'Afssaps est, comment dirai-je, loin d'être négligente.
En 2008, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé le Mediator sous la rubrique des « autres médicaments utilisés dans le traitement du diabète, en dehors de l'insuline ». En novembre 2008, il s'est passé quelque chose de remarquable : l'Agence a accordé une AMM à deux génériques du Mediator, qui sont normalement les copies textuelles du médicament, un an avant le retrait de celui-ci : jusqu'à la fin, nous avons été en règle avec la pratique administrative.
Ainsi, en novembre 2009, le Mediator a été retiré du marché, car les laboratoires Servier et l'Afssaps ont voulu appliquer le principe de précaution. Lors d'un point d'information, l'Agence a estimé qu'il n'y avait pas eu d'alerte significative avant le début de l'année 2009. Le retrait faisait suite à l'étude Regulate que nous avons menée à nos frais et à notre initiative sur huit cents patients pendant plusieurs années : les indices donnaient satisfaction sur l'activité du produit mais non sur la tolérance. Cette étude fut entreprise à nos frais et sous notre animation.
Quant aux études des autorités universitaires et administratives, leur méthodologie est très critiquable. On a voulu établir un nombre de victimes, selon des calculs hasardeux. Lorsqu'un produit concurrent, l'Avandia, a été retiré du marché le 23 septembre 2010, cela n'a suscité aucune émotion médiatique !
Nous n'en avons pas fini avec l'Avandia. Il a fallu un an, depuis le retrait du Mediator, pour que l'opinion s'émeuve de ses effets néfastes.
Justement : s'il y avait urgence, pourquoi la presse n'a-t-elle pas réagi plus tôt ?
L'intérêt matériel des laboratoires Servier est chétif en ce qui concerne le Mediator. Ce dernier ne représente que 0,7 % de leur chiffre d'affaires.
Le rapport de l'Igas a suscité une grande émotion. Et l'Igas a refusé de nous entendre ! Ses conclusions sont très violentes, alors qu'en la matière les conclusions n'appartiennent qu'à la justice.
En outre, ce rapport est entaché d'inexactitudes. Il ne tient aucun compte des travaux de deux spécialistes très compétents, les professeurs Alpérovitch et Acar.
On lit dans la presse que le Mediator n'est pas un antidiabétique. C'est faux, comme en témoignent les termes de l'AMM et l'expérience quotidienne des médecins.
Les anomalies valvulaires étaient connues il y a cinquante ans. Nous avons étudié le rétrécissement mitral. Jadis, il s'agissait d'une découverte clinique d'auscultation, très forte et symptomatique. Mais la cardiologie a fait des progrès inouïs, et l'on découvre à présent les anomalies valvulaires par milliers, grâce à des examens spécialisés très fins.
On a parlé de glissements de prescription. Il semble en effet que le Mediator ait été prescrit pour le traitement de l'obésité, dans environ 10 % des cas. Mais il existe une zone d'ombre qui n'est pas de notre fait : les diabétiques éprouvent une faim intolérable, et les obèses deviennent souvent diabétiques.
Sur les prescriptions hors AMM, vous déclinez toute responsabilité. M. Jean-Philippe Seta parlait lui aussi de moins de 10 % de mésusages. Mais selon l'assurance maladie, cette proportion s'élève à 30 %. Comment un antidiabétique a-t-il pu être prescrit comme coupe-faim ? Qu'il l'ait été, cela ne fait aucun doute : lorsque l'Isoméride a été retiré du marché, les ventes de benfluorex ont fortement augmenté.
Je puis vous expliquer la différence des chiffres. En annexe du rapport de l'Igas, nous avons découvert un document interne de l'Agence, où M. Frédéric Fleurette, en charge de la division épidémiologique, répond à M Jean-Michel Alexandre, qui lui avait demandé de suivre les prescriptions du Mediator ; selon M Fleurette, les prescriptions hors AMM étaient très limitées et n'avaient pas augmenté suite au retrait de l'Isoméride.
Quant aux chiffres avancés par M. Van Roekeghem, ils ne prennent pas en compte les patients soignés pour des troubles du métabolisme des lipides - alors que cette indication figurait dans l'AMM du Mediator jusqu'en 2007 - ni les patients diabétiques au régime ou sous insuline. Selon les chiffres de Thales et Dorema, 45 % des prescriptions concernaient des troubles du métabolisme des lipides, 35 % le diabète, 10 % l'obésité, et 10 % des prescriptions restent indéterminés. Voilà pourquoi l'Afssaps parlait de 20 % de prescriptions hors AMM, proportion assez classique.
Qu'auriez-vous dit aux inspecteurs de l'Igas s'ils vous avaient auditionné ?
Comme le disait le docteur Seta, nous avons été surpris que l'Igas n'ait pas souhaité nous entendre, alors que son guide de bonnes pratiques de mai 2009 impose un débat contradictoire dans la conduite de ses enquêtes. N'étions-nous pas les premiers accusés ?
Je ne crois pas que l'Igas ait refusé de vous entendre : selon son interprétation des textes, elle n'avait pas le droit de le faire. Mais nous auditionnerons le docteur Aquilino Morelle.
Nous n'allons pas refaire l'histoire, mais il s'agit d'une interprétation restrictive des textes de la part de l'Igas et nous aurions préféré un débat contradictoire.
Estimez-vous que le benfluorex représente une classe pharmacologique à part, avec un profil d'activité différent de celui de l'amphétamine alors qu'il partagerait les effets indésirables d'autres dérivés d'amphétamines ? Ne serait-ce d'ailleurs pas la raison pour laquelle il a été retiré en Espagne puis en Italie ?
Cette question est essentielle : en ce qui concerne l'Espagne, l'Italie, la Grèce, la Belgique et la Suisse, il faut savoir qu'à l'époque nous étions un laboratoire peu important et nous n'avions pas les moyens de fonctionner dans ces pays. Nous y étions représentés par des agents avec plus ou moins de bonheur et, quand nous avons retiré ce produit de ces pays, les ventes étaient infinitésimales et nous redoutions de laisser traîner indéfiniment dans les pharmacies des produits non utilisés. Nous avons donc retiré un médicament qui n'avait pratiquement plus d'existence dans ces pays.
Les discussions que nous avons eues en Espagne ont été simples et beaucoup plus compliquées en Italie, mais les conséquences ont été les mêmes.
S'agit-il d'un médicament bien à part ? On ne peut pas confondre le blanc avec le noir : si on consulte la formule du principe actif du Mediator, on constate qu'elle est assez compliquée et nettement différente de celle de l'amphétamine et des produits anorexigènes que nous avons exploités par la suite.
Ce point est effectivement très important. Il y a une grande différence entre la structure d'un produit et la fonction pharmacologique dont est porteur un composé.
En termes de structures chimiques, il n'est pas douteux que l'on peut trouver une analogie de structure chimique entre une amphétamine ou une phényléthylamine et le benfluorex, au même titre qu'un certain nombre de neuromédiateurs naturels ou d'autres médicaments qui n'ont en aucun cas le profil, sur le plan pharmacologique ou sur le plan de l'efficacité thérapeutique, d'une amphétamine : il faut donc bien faire la distinction entre, d'une part, la structure chimique et, d'autre part, le profil d'activité pharmacologique. L'exemple des sulfamides est, de ce point de vue, assez clair.
J'en viens à l'aspect pharmacologique : si on regarde la pharmacologie moléculaire, c'est-à-dire l'affinité d'une molécule pour ses récepteurs, il y a une grande différence entre l'amphétamine et le benfluorex : d'un côté, les amphétamines sont plutôt des composés qui vont interagir avec la dopamine ou la noradrénaline alors que le benfluorex interagit plutôt avec la sérotonine.
Sur le plan de la pharmacologie de ces composés, les amphétamines vont induire des effets hémodynamiques, avec l'augmentation de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque, ce qui n'est pas le cas avec le benfluorex.
Il n'y a pas non plus d'effet psychostimulant avec le benfluorex, ce qui n'est, bien sûr, pas le cas avec les amphétamines.
Si nous revenons aux modalités de prescription, j'observe que pour la Ritaline, qui est une amphétamine, le Vidal précise que ce composé doit être donné le matin pour éviter les insomnies.
C'est une amphétamine cachée, car elle est sur le marché alors que toutes les autres amphétamines ont été retirées en 1997.
Les indications sont bien particulières. Contrairement à ce médicament, le Mediator était administré trois fois par jour, dont le soir. D'ailleurs, il n'induisait pas d'hyperactivité, ni de psychosimulation, il entraînait plutôt une légère somnolence.
Troisième point majeur : on observe une addiction aux amphétamines, alors que tel n'était pas le cas avec le benfluorex.
Vous voyez donc que le profil du Mediator était à l'opposé d'une amphétamine. Certes, il y a une analogie de structure, mais on ne peut conclure qu'il y ait analogie de fonction : ce raccourci n'est pas recevable.
On prétend que les amphétamines ont été retirées du marché en 1995. Les fabricants d'amphétamines ont fait appel à la Cour européenne de justice et celle-ci a estimé que la position européenne n'était pas légale. Il y a eu une nouvelle discussion au niveau national et aujourd'hui l'amfépramone est à nouveau en vente et utilisée comme anorexigène en Allemagne et en Finlande.
Vous estimez donc qu'il y a analogie de structure mais pas de fonction.
Ce qui est d'ailleurs assez classique dans le domaine de la pharmacologie.
Merci pour ces explications très claires.
Je souhaite en revenir aux amphétamines : votre directeur général, avant-hier, nous avait expliqué que, dans le bilan métabolique du benfluorex, il restait seulement 7 % de fenfluramine. Dans le bilan métabolique de l'Isoméride ou du Pondéral, combien reste-t-il de fenfluramine ou de norfenfluramine ?
C'est un point important sur lequel nous aurions également aimé être entendus par l'Igas.
Lorsque vous administrez de la fenfluramine ou de la dexfenfluramine, le composé parent, elle représente environ 60 % des composés circulants, les 40 % autres circulants étant de la norfenfluramine. Si vous prenez du benfluorex, ce dernier ne circule pas au niveau plasmatique en tant que tel : il est en effet métabolisé en trois à quatre métabolites circulants, la norfenfluramine ne représentant que 10 % des composés circulants. Ce qui fait la différence majeure, c'est que le benfluorex ne donne pas naissance à de la fenfluramine. Dans le cas de l'Isoméride, la fenfluramine est elle-même porteuse de l'activité pharmacologique, et donc en partie responsable de l'effet anorexigène.
La fenfluramine et la norfenfluramine sont tous deux porteurs de l'activité pharmacologique alors que, pour le benfluorex, la norfenfluramine ne représente qu'environ 10 % de l'exposition plasmatique de l'ensemble des métabolites qui sont d'une autre nature. Le benfluorex ne donne pas naissance à la fenfluramine.
Le rapport de l'Igas rappelle que l'effet anorexigène a été rapporté dans les études de pharmacologie chez l'animal. Mais il y a une différence majeure entre le métabolisme du rat et celui de l'homme pour ce qui concerne le benfluorex. Chez le rat, après administration de benfluorex, la norfenfluramine est le métabolite principal et est retrouvé en quantité très supérieure au métabolite S1475 qui lui est le métabolite principal retrouvé après administration de benfluorex chez l'homme. Nous sommes donc dans un niveau d'exposition à la norfenfluramine différent et un ratio des composés circulants totalement inverse selon qu'on fait la pharmacologie chez le rat ou chez l'homme. Cela permet de comprendre pourquoi chez le rat on est capable de mettre en évidence, à des taux d'exposition élevés de norfenfluramine, une activité de type anorexigène, alors qu'on ne le constate pas chez l'homme.
Si nous regardons l'effet sur le poids chez l'homme, qui n'est pas forcément lié à un effet de type anorexigène, dans des études en monothérapie ou dans des études versus comparateur, la baisse de poids induite par le benfluorex est en moyenne d'un kilo. Pour les fenfluramines, elle est au moins égale à trois kilos. La baisse de poids est équivalente chez les personnes ayant pris ou non du benfluorex. Il y a en effet un certain nombre d'autres antidiabétiques qui ont un effet bénéfique sur le poids : je pense à la metformine, aux agonistes GLP-1 et même à l'insuline qui a un effet central sur la prise alimentaire. Pour autant, on ne dit pas que ce sont des produits de type anorexigène.
Nous aurions pu porter ces points importants à la connaissance de l'Igas dans le cadre d'un débat contradictoire pour éviter des raccourcis ou des conclusions hâtives qui soient tirés à partir d'une analyse partielle, qui néglige en particulier les études menées chez l'homme.
Votre thèse n'est pas partagée par l'Afssaps : le professeur Lechat, chargé de l'évaluation, a estimé dans son document qu'il n'y avait pas de différences entre les différents médicaments et les différentes molécules, étant donné les doses qui avaient été prescrites et c'est pourquoi il a conclu que le benfluorex était un anorexigène.
Il s'agit d'une querelle d'experts et il nous est difficile d'avoir un avis sur ce point : il leur appartiendra de se mettre d'accord entre eux.
Le professeur Le Douarec, qui a été un de vos experts, disait dans les années soixante-dix que le benfluorex était un anorexigène puissant. Il a pu se tromper, mais les choses ne sont pas simples puisque, même chez vous, on a pu défendre des thèses inverses à celles que vous soutenez aujourd'hui.
Encore une fois, si un débat contradictoire avec l'Igas avait eu lieu, nous aurions pu nous expliquer de façon détaillée. Je ne remets pas en cause nos publications, mais elles concernaient le rat dont le métabolisme est différent. L'activité anorexigène de la fenfluramine n'est pas portée uniquement par la norfenfluramine, qui ne représente qu'un tiers des composés actifs circulants. Dans ce cas, la fenfluramine, qui représente deux tiers des composés actifs circulants, est elle-même porteuse de l'activité. M. Lechat a considéré qu'il n'y avait qu'un composé actif, la norfenfluramine, dans les deux cas, ce qui est faux pour l'un et pour l'autre de ces médicaments.
D'entrée de jeu, vous nous avez expliqué que la posologie et la fréquence d'administration étaient bien supérieures par rapport aux amphétamines. Vous nous parlez de ratio de métabolite actif mais, au-delà, il y a des concentrations plasmatiques qui sont intimement liées à la posologie et à la fréquence d'administration.
Dans un cas, vous avez deux composés, A et B, et dans l'autre vous avez B, C, D, E. Pour un médicament A et B sont actifs tandis que pour l'autre B, C, D et E sont actifs mais ne portent pas la même activité pharmacologique (excepté pour B). Il y a donc à la fois des différences de ratio, mais aussi de nature des composés circulants et de profil d'activité de ces composés.
L'Igas oublie également de dire qu'il y a une différence importante entre le profil métabolique chez l'animal, notamment chez le rat, et l'homme.
Pourquoi ne pas avoir mené des essais avec d'autres espèces que le rat, plus proches de l'homme ?
Nous avons fait des études de toxicologie à la fois sur les rongeurs et sur les gros animaux, en particulier le chien, à des doses suprathérapeutiques. Or, à très fortes doses chez le chien après traitement chronique (52 semaines), on ne constate pas d'impact sur le poids ni sur la consommation alimentaire.
Le métabolisme du chien se rapproche assez peu de celui de l'homme. Pourquoi ne pas avoir étudié les réactions sur le porc, proches de celles de l'homme ?
Merci pour ces précisions sur les aspects pharmacologiques. Quand le produit a été mis sur le marché, le lien moléculaire structurel très fort qu'il y a entre le benfluorex et l'ensemble des anorexigènes était-il connu ?
L'analogie structurale avec les dérivés de la phényléthylamine était connue et nous avions d'ailleurs publié ce fait à deux reprises, mais le Salbutamol est également un dérivé de la phényléthylamine. Je fais bien la distinction entre une parenté de structure et une activité pharmacologique. Notre objectif était d'identifier un composé qui avait en priorité une activité sur le métabolisme des glucides et des lipides, ce qu'ont confirmé ultérieurement la pharmacologie et les essais cliniques.
A chaque renouvellement de mise sur le marché du Mediator, vous avez tenu le même raisonnement. Je suppose que lorsque vous déposiez un demande de renouvellement d'AMM, les questions étaient les mêmes. Vous garantissiez ce produit et vous assuriez qu'il n'y aurait pas de dérives pour d'autres utilisations. Comment se fait-il que vous n'ayez pas remarqué jusqu'à une date récente les risques d'anomalies valvulaires ? Pourquoi êtes-vous passés à côté de ces risques ? Quand l'Isoméride a été retiré du marché, vous ne vous êtes pas posé de questions, sachant qu'il y avait des prescriptions hors AMM ? Nous ne comprenons pas ce décrochage.
Concernant le mésusage, nous avions pris des mesures auprès des médecins prescripteurs et de nos visiteurs médicaux pour nous assurer que les recommandations de prescription du produit étaient bien suivies, à la fois par nos propres collaborateurs et par nos médecins prescripteurs. Nous avons tout fait pour réduire les prescriptions hors AMM. Nous tenons ces documents à la disposition de la mission d'information.
Fin décembre 2008, il n'y avait pas de signal tangible, et d'ailleurs différentes commissions de pharmacovigilance l'ont confirmé : après trente-cinq ans de commercialisation, après plus de deux millions et demi de patients traités, nous comptions onze cas de valvulopathies dans notre base de pharmacovigilance, et la Commission nationale de pharmacovigilance considérait qu'il n'y avait pas de signal tangible. Ce n'est qu'en 2009, avec une augmentation importante des notifications, en particulier avec les cas de Brest, que le signal est apparu et que les choses se sont accélérées. A la même époque, les résultats de l'étude Regulate ont confirmé ce signal, ce qui a abouti au retrait du Mediator à l'automne 2009.
Un mois avant le retrait du Mediator, deux génériques ont obtenu leur AMM : les règles sont-elles différentes en fonction des laboratoires ? Avez-vous le sentiment que vos concurrents cherchent à singulariser le cas du Mediator ?
L'AMM des génériques en question a été délivrée par l'Afssaps en 2008, mais ces médicaments n'ont été mis sur le marché qu'en octobre 2009, ce qui démontre que l'Afssaps ne mettait pas en doute le rapport bénéfice-risque du produit en 2008 : je pense qu'elle n'aurait pas donné d'AMM à ces génériques en octobre 2009.
En ce qui concerne la rosiglitazone, nous sommes un peu surpris de la façon dont les choses se sont passées, car ce produit induit des effets secondaires sur le plan cardio-vasculaire. Pourquoi ne parle-t-on que de « l'affaire » du Mediator ? Il existe d'autres produits qui sont susceptibles de donner des valvulopathies. Jusqu'à décembre 2010, il y avait d'autres produits sur le marché, qui y sont encore et qui sont des dérivés de l'ergot de seigle et dont on sait qu'ils risquent d'induire de telles maladies.
Faudrait-il être, d'après vous, plus attentif aux mises sur le marché des génériques ?
Il y a probablement des mesures à prendre pour que les exigences soient identiques en ce qui concerne les princeps et les génériques.
Le générique doit seulement démontrer sa bioéquivalence avec le produit et se raccroche à toutes les preuves d'efficacité et de sécurité d'emploi du médicament princeps. La qualité de la fabrication de ces produits doit cependant être vérifiée. En France, les mesures d'inspection sont très sérieuses, mais il n'en va pas de même en dehors de l'Europe.
C'est pour cela que j'ai refusé de voter hier la transposition de la directive en matière sanitaire.
Il ne s'agissait pas de la directive sur la pharmacovigilance qui n'est pas encore parvenue au Parlement !
Vous avez parlé d'indemniser les victimes à hauteur de 20 millions d'euros. Cette indemnisation doit-elle s'opérer dans le cadre de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) ou d'un dispositif ad hoc ? Nous avons auditionné M. Martin, directeur de l'Oniam, qui indiquait que le coût moyen d'un dossier médical est d'environ 100 000 euros. Cela signifie-t-il que vous considérez le nombre de victimes aux alentour de deux cents alors que vos bases de données n'enregistrent que trente-huit décès « sous Mediator », dont quatre chez des malades porteurs de valvulopathies ?
Fin février 2011, nous avons dans notre base de données trente-huit décès, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient liés à la prise de Mediator. Sur ces trente-huit décès, quatre sont le fait de porteurs d'une valvulopathie, sans préjuger de l'imputabilité.
Pour calculer le montant de l'indemnisation, nous avons un problème d'évaluation. Nous avons exprimé cette incertitude à Mme Favre, qui a été missionnée par les ministères de la santé et de la justice. Nous avons eu trois rendez-vous avec elle et c'est pour cela que le communiqué de presse d'hier peut être qualifié d'intermédiaire. Les solutions techniques n'ont pas encore été validées par les deux autorités qui ont missionné Mme Favre. Il faut comprendre que ces 20 millions sont une première dotation et nous verrons si cette estimation doit être révisée. Nous n'avons pas procédé à une projection de nos bases de pharmacovigilance pour aboutir à ce chiffre.
Pour faire des projections d'indemnisation, il faut prendre en compte le nombre de personnes amenées à être indemnisées et l'amplitude de leurs dommages. Grâce à notre étude Regulate, nous avons pu démontrer que les atteintes cardiologiques ou de type valvulopathie dont souffraient les patients étaient minimes. C'est pourquoi nous estimons que, dans la majorité des cas, les indemnisations seront relativement basses ou modérées et que nous pourrons répondre à la plupart des demandes d'indemnisations grâce à ce fonds.
J'en viens à l'Oniam : nous avons voulu combler un vide juridique en proposant une indemnisation aux patients les plus modérément atteints, c'est-à-dire ceux présentant entre 5 % et 24 % d'incapacité permanente partielle (IPP). Nous offrons une procédure d'expertise simplifiée pour ces patients et nous répondons à la demande qui a été faite d'une indemnisation juste et rapide. Un collège d'experts fera un examen sur pièces avant de proposer une indemnisation. Nous travaillerons avec la Commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) pour les cas qui seraient supérieurs à 24 % d'incapacité permanente partielle (IPP).
Comme l'a souligné M. Boussu, il est possible qu'un certain nombre de patients se manifestent dans les mois à venir, ce qui explique la distorsion de chiffres entre les données dont nous disposons et le montant dont nous avons doté le fonds d'indemnisation.
Que pensez-vous de la plainte de la Cnam pour « tromperie aggravée » ? L'affaire est portée devant la justice. Nous ne sommes pas des juges : notre mission est d'informer et d'améliorer la politique du médicament.
Nous contestons un certain nombre de points soulevés par le rapport de l'Igas qui semble, pour l'instant, être la vérité admise et qui ne reflète pas ce que nous savons.
Nous avons toujours travaillé en étroite concertation et avec le maximum de transparence avec les autorités administratives et avec l'Agence du médicament.
Notre mission est de restaurer la confiance vis-à-vis du médicament et d'induire une nouvelle politique du médicament. Quel regard portez-vous sur l'évolution des conditions de mise sur le marché ? Pensez-vous que des médicaments comme le Mediator - ou comme l'aspirine - seraient aujourd'hui mis sur le marché dans les mêmes conditions qu'en 1974 ?
Les modifications des règles administratives ont-elles été dans le bon sens ? En souhaitez-vous de nouvelles ?
Cette question est passionnante mais il est difficile d'y répondre.
Je crois beaucoup en la capacité des serviteurs de l'Etat français et j'estime que nous avons les fonctionnaires les plus honnêtes du monde.
Elle n'a jamais été indulgente et je ne la connais pas personnellement.
J'ai toujours eu affaire à des fonctionnaires parfaitement honnêtes.
La pharmacie était entièrement libre jusqu'en 1940. Cette année-là, on nous a imposé une loi qui n'a pas été très heureuse, alors qu'il y avait peu d'accidents thérapeutiques en France auparavant et une liberté complète.
La professionnels de la santé n'ont jamais intérêt à tuer, à blesser, ni même à mécontenter leurs clients.
Exactement ! L'industrie pharmaceutique française était la première du monde jusqu'en 1914 et la deuxième jusqu'en 1940. Il était indispensable de mieux règlementer les pratiques à cause de l'efficacité et de l'activité des nouveaux médicaments. Mais les contrôles ont été très lourds, avec d'abord le service central de la pharmacie qui comprenait 40 personnes. On a estimé, à tort, qu'elles ne travaillaient pas très bien, et on a créé l'Agence qui est passée à 1 200 personnes. Les fonctionnaires devaient être choisis en fonction de leurs compétences, de leur objectivité et de leur ténacité. Mais ils auraient dû avoir une situation en rapport, ce qui ne s'est pas passé. Les fonctionnaires et les membres des commissions ne sont pas bien traités. Ils travaillent très souvent dans des conditions difficiles et ils font ce qu'ils peuvent.
Vous faites allusion aux conditions de travail des membres des commissions, des praticiens hospitaliers professeurs des universités (PHPU), par exemple, dont les membres viennent souvent travailler bénévolement ?
Absolument ! Ainsi, un professeur de Montpellier devait se lever à 5 heures du matin pour être à 10 heures à Paris et il avait une demi-heure pour prendre connaissance de dossiers qui comportent des millions de données. C'est inhumain. Mais les fonctionnaires de carrière ne sont pas mieux traités. Il aurait fallu des instances moins lourdes et sélectionner les gens en fonction de leur bon sens et leur ténacité.
En outre, on suppose de la malhonnêteté dans tous ces mécanismes : mais il n'y en a pas. Mais comment éviter que, dans de si lourdes organisations, il n'y ait pas des camaraderies et des affinités de toutes sortes ? La France vit assez largement sous un régime d'endogamie.
Il faudrait sélectionner des gens parfaitement raisonnables dans les commissions et non pas des ténors de la contestation ou de la conservation. Nous y sommes arrivés dans le domaine du nucléaire.
Vous avez évoqué le poids de l'industrie pharmaceutique en France et son rang. Aujourd'hui, sentez-vous l'appétit de certaines grandes firmes étrangères, notamment américaines, pour l'industrie française ?
Quand j'ai commencé à exercer, il y avait 3 000 laboratoires français. Aujourd'hui, il n'en reste que trois ou quatre. Évidemment, il y a eu un mouvement de concentration mais en Allemagne ou aux États-Unis, il y a beaucoup plus de sociétés pharmaceutiques, ce qui permet davantage de créativité.
L'industrie pharmaceutique française n'a pas d' « ambassades », alors que les industries étrangères en ont : quand un grand pays industriel veut imposer ses produits dans un autre pays, ses « ambassades » jouent un grand rôle.
Comme le disait Charles Mérieux, ce sont des métiers dont on vit et dont on meurt, car ce sont des métiers stimulants mais aussi horriblement angoissants, vous en comprenez les raisons dans le contexte actuel. Ce sont des métiers extrêmement agités dans leurs rapports administratifs et politiques. Nous avons absolument besoin de ténacité. Il a fallu 50 ans pour construire ce laboratoire. A l'heure actuelle, les grands managers entrent dans une grande entreprise, y restent deux ans et s'en vont avec des indemnités et des primes considérables, mais notre industrie ne peut pas se permettre ce type de fonctionnement.
C'est pourtant ce qui se passe dans les grands laboratoires internationaux.
Chez nous, nous essayons de payer convenablement tout le monde, et pas spécialement les grands cadres, et c'est pour cette raison que nous sommes une maison extrêmement unie. L'argent ne compte que lorsqu'on n'en a pas : lorsqu'on en a suffisamment, il faut s'en contenter et on a fait une folie avec les sursalaires des grands managers, car ils n'en n'ont pas besoin et parce que cela provoque des jalousies dégradantes.
Que pensez-vous de la proposition consistant à interdire la visite médicale ?
Il s'agit d'une activité particulière : elle a beaucoup augmenté dans les années 70 lorsque les laboratoires américains se sont implantés en France : nous avions alors dans notre maison 30 visiteurs et nous nous sommes trouvés devant des concurrents qui en avaient 1 000 ! Il aurait fallu à l'époque un arrangement entre les laboratoires et les pouvoirs publics afin de ne pas multiplier les visiteurs médicaux.
Être visiteur médical, c'est souvent une deuxième chance dans la vie : nous recrutons des gens intelligents mais qui n'ont pas eu la chance de faire des études longues ou qui ont connu des accidents familiaux. Mais les médecins ont aussi besoin qu'on vienne leur présenter les dernières nouvelles de la thérapeutique dans leur cabinet.
Et puis, si l'on supprimait les visiteurs médicaux, cela ferait 25 000 chômeurs de plus du jour au lendemain. Enfin, l'État doit-il être le seul à produire de l'information sur les médicaments ?
Que s'est-il passé avec Les entreprises du médicament (LEEM) ? Quels sont vos rapports avec cette organisation ?
Si les syndicats ouvriers étaient aussi efficaces que le LEEM, il y aurait toujours des enfants qui travailleraient dans les mines. Cela dit, c'est certainement un des clubs les plus sympathiques du XVIe arrondissement.
Nous avons démissionné quatre fois et, comme dans l'affaire du Mediator il n'a pas fait preuve d'une grande solidarité, nous avons démissionné une cinquième fois. De temps en temps, nous nous rapprochons un peu, nous nous rendons des services, mais ce sont des rapports comme on en a dans les mauvais ménages.
En lisant le livre d'Irène Frachon, j'ai vu que le laboratoire Servier aurait suspendu sa subvention à l'Association des diabétologues et sa participation à son congrès annuel. Est-ce exact ?
C'est impensable ! Nous sommes très liés à l'Association de langue française pour l'étude du diabète et des maladies métaboliques (Alfédiam) et cela fait 20 ans que nous y cotisons.
Son état d'esprit s'apparente sans doute à celui de Jeanne d'Arc.
Nous poserons la question à Mme Frachon lorsque nous l'auditionnerons.
J'en viens au think tank nommé l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMED) dont l'objectif est de rapprocher par l'économie les deux rives de la Méditerranée et dont l'un des présidents était M. Guigou. Avez-vous participé à son financement, comme il a été indiqué dans la presse ?
Vous avez confié au professeur Lucien Abenhaïm une étude restée célèbre, l'International primary pulmonary hypertension study (IPPHS), que vous avez rémunérée dans sa totalité. Lui avez-vous confié d'autres études ?
Jamais !
Mme Patricia Maillière. - Avant l'étude IPPHS, une étude relative à l'hypoglycémie et aux sulfonylurées avait été réalisée par le professeur Lucien Abenhaïm. Après l'IPPHS nous avons continué à travailler avec lui dans le cadre d'une étude sur la maladie veineuse.
Vos relations étaient donc excellentes, malgré une petite divergence sur l'IPPHS, dont les résultats n'étaient pas forcément conformes à vos attentes. Quelle appréciation portez-vous sur cette étude et quelles en ont été les conséquences sur vos rapports avec le docteur Abenhaïm ?
Si je le rencontre dans Paris, nous aurons des échanges amicaux. Mais nous renouvelons nos experts de temps à autre.
Lui se plaint d'avoir reçu des petits cercueils par la Poste, il s'est senti persécuté.
Votre très récente annonce d'une proposition d'aide aux victimes n'a été accompagnée ni d'une évaluation chiffrée, ni de mesures techniques. Vous avez lié cette offre, comme cela se fait dans certaines affaires, à une renonciation aux poursuites judiciaires, ce qui a semé l'émotion. Dans le cas de l'amiante, l'indemnisation par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ne fait pas obstacle aux poursuites - le Fiva se portant lui-même en justice. Les victimes ont besoin de recevoir une aide mais aussi de faire dire la faute. Votre demande leur pose problème.
La façon dont les medias ont présenté l'information nous a émus. Sachez que des personnes qui n'ont subi aucun préjudice s'adressent à nous pour recevoir de l'argent...
Dans le cas de l'amiante, les victimes indemnisées conservent la faculté d'engager des poursuites. Mais dans le cas d'autres fonds, créés pour des indemnisations de même nature, les intéressés renoncent à agir en justice. Je comprends l'émotion que vous rapportez mais les personnes qui nous contactent, ou leurs avocats, ou les associations, formulent avant tout un souhait d'indemnisation. Chacun est libre d'user de sa faculté d'ester en justice. Et les informations pénales qui ont été ouvertes se poursuivent. Nous en attendons beaucoup pour avoir l'occasion enfin de nous exprimer sur le sujet. Nous sommes du reste étonnés - à moitié - que des avocats dénoncent notre démarche en évoquant une visée procédurière, alors que nous proposons une solution rapide.
Estimez-vous que votre laboratoire est victime d'une cabale médiatique ? La médiatisation de l'affaire du Mediator vous semble-t-elle normale ? Les pouvoirs publics sont-ils dans leur rôle en insistant pour comprendre ce qui se passe ?
Je ne comprends pas grand-chose aux informations scientifiques et je crois que les medias ne les maîtrisent guère plus que moi. Si bien que tout et n'importe quoi a été écrit, mais toujours à charge contre les laboratoires Servier, avant même qu'aucune preuve n'ait été apportée. Je le déplore. Il en résulte des dommages considérables pour cette entreprise et pour l'activité économique dans le Loiret. Servier y fournit du travail depuis 56 ans et sa réputation n'a auparavant jamais été égratignée.
Nous sommes en présence de différentes thèses et il faut qu'elles s'expriment.
D'où cette mission, mais je regrette que tout et n'importe quoi soit dit avant même que nous soyons parvenus à une quelconque conclusion et que la vérité ait émergé.
Nous sommes heureux de pouvoir nous exprimer devant la représentation nationale, exposer nos arguments, donner des éléments de réponse. Le déroulement des événements est parfois anormal : ainsi la commission nationale de pharmacovigilance a tenu une réunion où elle ne nous a pas entendus ; des informations ont filtré dans la presse le soir même et la commission a convoqué une conférence de presse avant même de nous avoir donné l'occasion de répondre.
Vous aussi avez tenu une conférence de presse, réservée à la presse médicale, me semble-t-il ?
Nous avons de temps en temps de telles réunions avec la presse spécialisée.
Nous considérons que le traitement médiatique ne nous a pas laissé la possibilité de faire valoir notre point de vue dans le cadre d'un débat contradictoire, conforme aux règles de la démocratie. Nous sommes favorables à un débat public dans une enceinte qui garantit son caractère contradictoire.
L'affaire du Vioxx a montré que les médicaments sont mis sur le marché selon un modèle pasteurien. Or un médicament est appliqué à une population qui souffre d'une pathologie sur le long terme. Il peut y avoir inadéquation entre le modèle d'élaboration des médicaments et leur utilisation ultérieure.
C'est absolument certain. Le seul remède est de tenir compte de l'avis des médecins. La médecine française est la meilleure du monde, au plus près du patient. La santé publique est un concept théorique : ce qui doit être pris en compte avant tout, c'est la souffrance de chacun, la migraine de l'un et la gastralgie de l'autre. On entend encore trop d'opinions dogmatiques.
Il faut faire évoluer le modèle en fonction des pathologies chroniques.
Dans les études de phase III et le dossier d'AMM, on tient compte des pathologies chroniques mais il est exact qu'on n'inclut pas dans les d'essais, sur des sujets fragiles, personnes très âgées ou enfants, etc. La pharmacovigilance a connu des évolutions profondes, l'AMM s'accompagne désormais d'une réflexion sur un plan de gestion des risques : il s'agit de réfléchir sur les risques éventuels qui n'ont pu être évalués initialement. Des points d'étape sont prévus.
Mais je rappelle que les études portent sur un nombre toujours plus important de patients, jamais moins de 5 000 dans un dossier d'AMM. Néanmoins le risque à fréquence rare reste difficile à cerner. La pharmacovigilance restera toujours un outil indispensable.
Je vous remercie de ce débat en profondeur : il n'y a pas de démocratie sans Sénat.