Déposé le 29 juin 2016 par : M. Grand.
Après l’article 47
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La section 1 du chapitre III du titre III du livre II du code de commerce est complétée par un article L. 233-5-... ainsi rédigé :
« Art. L. 233-5-… – Sans préjudice des actions sociales et individuelles en responsabilité mentionnées aux articles L. 223-22, L. 225-252 et L. 225-256 du présent code, les sociétés dont les effectifs et indicateurs financiers dépassent les seuils définis au dernier alinéa du présent article, qui, seules ou de concert, directement ou indirectement, contrôlent une société dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché règlementé ou sur un système multilatéral de négociation organisé, et qui conduisent ou contraignent, directement ou indirectement, cette société à une action ou une omission contraire à ses intérêts propres, commettent un abus de majorité. Ils sont tenus de réparer le dommage qui en résulte pour la société, au plus tard à la fin de l’exercice suivant celui au cours duquel ce dommage est survenu.
« À défaut, ils doivent proposer aux autres associés ou actionnaires, dans un délai de trente jours courant à compter de la fin dudit exercice, d’acquérir la totalité de leurs titres pour une valeur déterminée par un expert désigné soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal compétent statuant en la forme des référés et sans recours possible. Pour les besoins de son évaluation, l’expert doit se placer immédiatement avant la survenance du dommage.
« Le ou les autres associés ou actionnaires, bénéficiaires de l’obligation d’achat visée au deuxième alinéa peuvent en poursuivre l’exécution forcée.
« Pour les besoins du premier alinéa, sont concernées les sociétés de plus de 250 salariés dont le chiffre d’affaire annuel dépasse les 50 millions d’euros ou dont le total de bilan annuel est supérieur à 43 millions d’euros. »
La France ne compte que peu d’entreprises de taille intermédiaire, alors qu’elles constituent pourtant un important levier de croissance.
En effet, les PME françaises ont des difficultés à croître : sept ans après sa création, une entreprise américaine a en moyenne doublé ses effectifs, alors qu’une entreprise française aura, sur la même période, augmenté les siens de seulement 7%.
Ainsi, il y a, en France, un réel déficit de grosses PME et d’ETI : l’Allemagne compte 3 fois plus d’ETI que la France (12500 contre 4800 en France ; 10500 aux Etats-Unis et 8000 en Italie).
Pourtant, la taille des entreprises est un facteur clé de leur capacité à innover et à exporter. Les ETI et les grosses PME sont un important moteur de croissance, d’innovation et d’emploi en France : les ETI représentent 0, 2% des entreprises françaises mais 23% de l’emploi salariés, 1/3 de l’emploi salarié industriel, 34% des exportations françaises et 23% des investissements.
Parmi les freins au développement des PME française : une faible protection des intérêts des ETI face aux logiques des grands groupes
De manière générale, 85% des dirigeants d’ETI estiment que l’environnement législatif, fiscal et juridique actuel n’est pas favorable au développement de leur entreprise.
Parmi les freins au développement des PME et ETI figure en bonne place le droit français des sociétés non cotées, marqué par un fort déséquilibre entre l’actionnariat minoritaire et l’actionnariat majoritaire. En conséquence, les PME qui s’associent à des grands groupes, en restant minoritaire, sont généralement absorbées par ces derniers, ce qui porte souvent préjudice à leur développement. Les PME françaises sont d’ailleurs très souvent réticentes à ouvrir leur capital par crainte d’être absorbées, quitte à limiter leur développement à un niveau compatible avec leurs capacités financières. Ainsi, moins de 5% des entreprises françaises de plus de 500 salariés seraient indépendantes.
La réalité des difficultés entre minoritaires et majoritaires est très largement invisible, car les conflits sont rares, du fait d’un syndrome « Pot de terre / pot de fer » : peu nombreux sont les dirigeants de PME qui ont le courage et les moyens (à la fois en temps et financier), de s’engager dans un long (et coûteux) conflit judiciaire face à un grand groupe, et cela d’autant plus que l’état actuel de la jurisprudence ne leur est pas forcément favorable (cf. point 3). D’ailleurs, les avocats d’affaires conseillent généralement à leurs clients de vendre la totalité de leur capital et de ne pas en conserver une minorité importante, afin d’éviter tout problème futur ; en effet, les majoritaires se comporte trop souvent comme s’ils détenaient la totalité du capital, alors qu’ils n’en détiennent parfois que 51%.
Du fait de ce type de frein, les partenariats constructifs entre groupes de taille internationale et PME ne font pas véritablement partie de notre culture entrepreneuriale, comme le déclarait Frédéric Sanchez, président de Fives et de la commission commerce international du Medef en 2013 : « Les grands groupes doivent soutenir les ETI ; pour grandir à l’international, il faut avoir des relais. Fives doit à Air liquide son développement dans la cryogénie en Chine. Les grands groupes doivent mieux soutenir les PME et ETI, en apportant une aide « logistique » ou leur connaissance du marché. Peu de groupes le font en dépit du Pacte PME ou des pôles de compétitivité ». Cela est très dommageable quand on connait les besoins de financement (de 20 à plus de 250 millions d’euros) et de développement à l’international des ETI (3 entrepreneurs sur 4 d’ETI affichent une volonté de s’internationaliser).
Il est donc essentiel, en France, de définir des règles pour rééquilibrer les relations entre PME et grandes entreprises, et ainsi favoriser la constitution d’un fort tissu d’ETI, à l’instar de l’Allemagne.
Le droit allemand des sociétés (Aktiengesetz du 6 septembre 1965) prévoit que si un groupe prend des décisions contraires aux intérêts d’une société qu’il contrôle, il doit alors compenser directement les actionnaires minoritaires lésés par cette décision. Ce dispositif permet aux ETI d’être au cœur du tissu industriel allemand (elles représentent 90% de l’excédent commercial et sont largement à l’origine de la balance commerciale excédentaire de l’Allemagne de 199 milliards d’euros en 2013).
D’autres grandes nations industrielles, comme le Canada, la Grande-Bretagne ont mis en place des dispositifs comparables à celui de l’Allemagne. C’est aussi le cas aux Etats-Unis, où l’actionnaire de contrôle ne peut pas prendre la décision de vendre un actif important d’une entreprise non cotée sans désintéresser les actionnaires minoritaires si une telle vente leur porte préjudice. Cette règle existe également en France mais elle ne vaut que pour les sociétés cotées (règlement général de l’AMF).
A contrario, il n’existe pas, en droit français, de dispositif juridique qui protège réellement les actionnaires minoritaires des sociétés non cotées face aux actionnaires majoritaires. Le droit en la matière n’a pas évolué depuis plus de 50 ans (arrêt de la Cour de cassation du 18 avril 1961), et n’est pas adapté aux réalités actuelles du business. Les minoritaires doivent prouver l’abus de majorité, ce qui leur est très difficile du fait des critères actuellement retenus par la jurisprudence, d’autant plus que les groupes savent parfaitement comment la contourner à leur profit. La preuve de l’abus de majorité est difficile voire impossible à rapporter et nourrit souvent de longs contentieux et de coûteuses expertises, rarement supportées par les associés/actionnaires minoritaires d’entreprises de taille modeste. Sur les 15 dernières décisions rendues par la Cour de cassation en matière d’abus de majorité, les deux tiers sont favorables aux actionnaires majoritaires.
Cet amendement vise donc à sécuriser juridiquement la situation des PME et ETI, à travers un rééquilibrage du rapport de forces entre les actionnaires majoritaires et les actionnaires minoritaires. Il propose d’inscrire dans la loi et de renforcer le mécanisme jurisprudentiel de « l’abus de majorité », qui prévoit un dédommagement de l'entreprise dans le cas où les associés majoritaires auraient pris une décision contraire à son intérêt. A défaut de compensation juste, les actionnaires majoritaires seront tenus de proposer aux actionnaires minoritaires le rachat de leurs parts sociales. Ce dispositif crée les conditions d’un partenariat fertile entre les grands groupes et les PME, indispensable au développement des petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire.
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