Votre nomination en conseil des ministres en qualité de directeur général de l'Agence française de développement (AFD) en juillet dernier est intervenue dans un contexte de mutation profonde de son environnement et de ses activités.
Le volume d'interventions de l'Agence a été multiplié par cinq depuis dix ans, et son champ d'intervention géographique étendu à plusieurs reprises, vers l'ensemble de l'Afrique d'abord, puis en direction des pays émergents prioritaires. Son champ sectoriel s'est aussi considérablement accru avec le transfert, en 2004, des actions de coopération dans l'ensemble des secteurs relevant des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), notamment la santé, l'éducation de base et le secteur productif. Ses activités de financement du secteur privé ont connu un développement accéléré, tandis que sa production intellectuelle s'est significativement renforcée. Par bien des aspects, l'AFD se compare désormais, au plan international, aux principales agences bilatérales et aux banques multilatérales de développement.
Votre agence est aujourd'hui l'opérateur pivot de la coopération française. Elle a un rôle stratégique qui s'affirme de plus en plus, comme en témoignent l'inscription au sein de l'agenda du G20 et du G8 des questions relatives à l'aide au développement, l'importance prise par les questions du développement du Sahel ou des pays du Maghreb ou celles relatives à la lutte contre le réchauffement climatique. L'évolution de l'actualité contribue sans nul doute à accroître les attentes des pouvoirs publics à l'égard de l'AFD.
En septembre dernier, le Premier ministre vous a défini ses priorités à travers une lettre de mission. Vos tutelles ont ensuite, en liaison avec vos services et en concertation avec le Parlement, défini une stratégie de coopération de développement. Aujourd'hui, vous venez de négocier avec l'Etat votre contrat d'objectifs et de moyens.
Pouvez-vous nous décrire l'économie globale de ce contrat ? Nous expliquer la valeur ajoutée de ce document par rapport au document-cadre ? Nous décrire les objectifs qui vous sont fixés, les moyens qui vous sont attribués, les économies de fonctionnement qui vous sont imposées et le programme d'activité qui en découle ?
Je rappelle aux membres de la commission que nous aurons, en application de l'article 1 de la loi sur l'action extérieure de l'Etat, à nous prononcer sur ce contrat sur le rapport de nos collègues Cambon et Vantomme. Ce contrat va nous être communiqué très prochainement par le secrétariat général du gouvernement. Il était prévu que nous l'ayons dès aujourd'hui pour cette audition. Cela n'a pas été possible. Mais nous comptons sur vous Monsieur le directeur général pour nous en communiquer l'essentiel.
Pouvez-vous également nous indiquer comment et quand, à l'issue de l'avis du Parlement, sera adopté ce contrat et par quel organisme, le conseil d'administration ou le conseil d'orientation stratégique ? Cela sera l'occasion de nous éclairer sur la gouvernance de l'AFD. C'est également pour moi l'occasion de réitérer le souhait du Président qu'un de nos rapporteurs de la commission puisse siéger au conseil d'administration de votre Agence comme l'impose la loi sur l'action extérieure que nous avons adoptée en juillet dernier.
Je vous remercie de me donner l'opportunité de présenter à la représentation nationale le contrat d'objectifs et de moyens de l'agence française de développement. Je ne sais pas encore exactement quand et selon quelle modalité le COM sera adopté. Les sénateurs sont les bienvenus au Conseil d'administration de l'AFD et cela avant même que le statut de l'Agence ne soit modifié en application de la loi sur l'action extérieure de l'Etat.
Depuis 2005, l'AFD a en effet connu une profonde évolution, voire une véritable révolution. Grâce à une extension de son champ d'intervention géographique et à une diversification sectorielle, l'AFD a multiplié par quatre ou cinq ses engagements et atteint aujourd'hui une taille comparable à son homologue allemand ou à des banques régionales de développement telles que la Banque africaine de développement ou la Banque asiatique de développement. Cette croissance a été rendue possible par un accroissement de 35 % des effectifs depuis 2005.
Par rapport à la croissance rapide de ces dernières années, une phase de consolidation est nécessaire. Cette volonté de consolidation qui est la mienne s'est d'ores et déjà traduite par de nombreuses initiatives dont la constitution d'une direction exécutive des risques, qui s'imposait compte tenu de la croissance des engagements de l'agence.
Le contrat d'objectifs et de moyens en cours de négociation, qui s'inspire du document-cadre adopté par le Gouvernement en liaison avec le Parlement, traduit également cette volonté de consolidation. Il comporte une clarification de la stratégie de l'agence en matière de concentration géographique et sectorielle.
En matière de concentration géographique, nous avons proposé à nos tutelles de consacrer 80 % des subventions-projets aux quatorze pays prioritaires de la coopération française, hors pays en crise ou en sortie de crise. On s'aperçoit en effet que, lorsque l'on concentre 60 % de l'effort budgétaire de l'Etat, subventions et prêts compris, à l'Afrique subsaharienne, la majorité de ces engagements ne vont pas aux pays francophones de cette zone dont la capacité d'emprunt est limitée. C'est pourquoi il nous faut concentrer davantage nos interventions sous forme de dons aux quatorze pays prioritaires et en particulier à ceux de la zone sahélienne. Notre proposition n'a été retenue qu'en partie car les tutelles ont souhaité garder des marges de manoeuvre.
En matière de concentration sectorielle, le projet de contrat d'objectifs comporte des cibles sur deux secteurs : l'éducation et la santé. Pourquoi ces secteurs ? Parce qu'ils ne peuvent être financés que difficilement par des prêts ou par des instruments de marché. C'est pourquoi, il est prévu que l'AFD consacre au moins 40 % des subventions-projets affectés au secteur de l'éducation en Afrique subsaharienne et 48 millions d'euros de subventions par année dans les pays prioritaires pour la santé et notamment la santé maternelle et infantile. Il nous faudra également conserver des moyens pour intervenir dans les domaines de l'eau, de l'assainissement et du développement urbain.
Lors de la négociation du contrat d'objectifs, il y a eu un débat fourni sur le modèle économique de l'agence et la réduction des frais de fonctionnement. Une de nos tutelles a souhaité nous assimiler à un opérateur de l'Etat au sens de la LOLF, à l'instar des établissements publics administratifs ou des administrations centrales, et nous imposer une réduction de nos coûts de fonctionnement comparable à celle imposée à ces opérateurs. Or j'insiste sur le fait que nous ne sommes pas un opérateur de l'Etat au sens de la LOLF car nous ne bénéficions d'aucune subvention de fonctionnement. Non seulement la majorité de nos ressources ne provient pas de l'Etat, mais nous versons à l'Etat actionnaire un dividende conséquent qui s'est élevé en 2009 à 220 millions d'euros. L'AFD a versé, depuis 2005, 1,1 milliard d'euros de dividendes à l'Etat. Dans ces conditions, il faut bien comprendre que brider le développement de l'AFD par des contraintes conduira à réduire, à terme, le dividende dont pourrait bénéficier l'Etat. J'ai constaté lors de ces négociations une véritable dérive consistant à vouloir imposer à l'agence des contraintes en valeur absolue en matière d'effectifs et de frais généraux qui correspondent à un « micro-management ». Cette dérive n'est pas compatible avec l'autonomie de gestion dont nous devons pouvoir jouir pour mener une stratégie pertinente. Je ne suis pas opposé à mener une politique de réduction de nos coûts de fonctionnement. J'ai même proposé de réduire le taux de croissance de ces frais de 12 % par an ces dernières années à 2 % en 2011. Je suis favorable à ce que, comme pour les autres établissements bancaires, soient imposés par l'Etat actionnaire des ratios qui prennent en compte l'évolution de l'activité de l'agence tels que frais généraux sur encours ou d'autres ratios de ce type. Cela ne me paraît en revanche pas pertinent de fixer un plafond d'emplois à l'unité près ou un montant de frais généraux hors dépenses du personnel.
S'agissant du dividende, le fait que l'Etat prélève 100 % du résultat net de l'agence ne me paraît pas une attitude vertueuse. Ce n'est pas un mécanisme incitatif puisque, dans ces conditions, l'agence n'a aucun intérêt à dégager des résultats. L'agence est confrontée aujourd'hui à un problème de fonds propres puisqu'elle atteint dans un certain nombre de pays un plafond en regard du ratio prudentiel « grands risques ». C'est le cas au Maroc, en Tunisie. Cela sera bientôt le cas en Afrique du Sud, en Turquie et au Vietnam. Ce problème eût été moins important si nous avions pu conserver une partie de notre dividende pour accroître nos fonds propres. Nous avons proposé un ratio de 35 % de retenue par l'Etat qui correspond à l'impôt sur les sociétés auquel l'agence n'est pas soumise. Nos tutelles auraient retenu un prélèvement de 75 % sur les 75 premiers millions, de 50 % sur les sommes entre 75 et 140 millions.
Monsieur le directeur général, merci pour ces précisions. Avec mon collègue Cambon qui est aujourd'hui souffrant, nous avons pris un peu d'avance, pour préparer cette audition. Aussi nous nous sommes fait présenter le projet de COM par le cabinet du ministre, ce qui nous permet aujourd'hui de vous poser quelques questions sur le contenu de ce document.
Quand on regarde l'évolution des moyens en subventions attribués à l'AFD depuis dix ans et les objectifs fixés par le COM et le document-cadre : Est que vous n'avez pas le sentiment qu'on demande à l'AFD de faire toujours plus, de contribuer toujours plus à l'APD française déclarée à l'OCDE avec toujours moins de moyens publics ?
Dans le projet de COM en cours, il y a, en dehors des cibles géographiques issues du document-cadre, quelques cibles par secteur concernant l'éducation et la santé. Dans ce dernier domaine, la France contribue à hauteur de 360 millions d'euros au fonds Sida. A travers le COM, vous vous êtes engagé à hauteur de 50 millions en matière de santé maternelle et infantile, et la France s'est engagée globalement à hauteur de 150 millions dans ce domaine. On aboutit à ce que les crédits bilatéraux viennent abonder des crédits multilatéraux déjà très conséquents au niveau de l'ensemble des bailleurs de fonds. N'est-on pas en train de concentrer notre effort de façon excessive, alors même que parallèlement les sommes pour travailler dans le domaine de l'eau, de l'agriculture, du développement du secteur privé dans les pays du Sahel sont aujourd'hui dérisoires. Dans les 14 pays qui devraient être prioritaires, on est à 10 millions d'euros par pays. N'y a-t-il pas un risque de surconcentration qui de plus peut ne pas correspondre aux besoins de nos partenaires ?
Dans le projet de COM, vous vous engagez sur 10 % des subventions dans les pays en crise. En 2008 et 2009, ces pays en crise représentaient 27 % à 25 % des subventions. Est-ce à dire que vous allez réduire vos activités en Afghanistan et dans les territoires palestiniens ? La catégorie des pays en crise ne risque-t-elle pas d'inclure de nouveaux pays à l'issue des événements qui ont lieu au Maghreb ?
Il semble qu'en marge du COM, il y ait eu un accord de concessions réciproques par lequel l'AFD récupère 25 % de son dividende jusqu'à 75 millions d'euros et 50 % au-delà en contrepartie de quoi le budget vous impose des réductions de frais de fonctionnement. Ce n'est pas les 10 % d'économie demandés aux établissements publics, mais on cherche manifestement à réduire les coûts de fonctionnement de l'AFD. Le contrat fixe notamment un plafond pour les effectifs du personnel à 1.174, un plafond pour les frais généraux à 83 millions d'euros. Est-ce que vous pourrez nous dire à quoi correspondent ces derniers chiffres et si globalement l'équilibre vous paraît satisfaisant par rapport aux objectifs ?
Est-ce qu'un système réservant 1/3 du dividende à l'actionnaire, 1/3 de fonds propre et 1/3 de financement de subvention à des projets dans les zones prioritaires n'aurait pas été plus vertueux ? Est-ce qu'asseoir une partie du financement de notre aide à l'Afrique sur la marge bancaire dégagée dans des zones plus prospères ne serait pas une façon de retrouver des marges de manoeuvre en subvention et de répondre aux critiques formulées à l'encontre de votre investissement dans les pays émergents ?
Il y a dans le contrat d'objectifs et de moyens des objectifs de réduction des coûts de fonctionnement bien compréhensibles. Il y a un certain nombre d'indicateurs dont on peut toutefois se demander quels seront leurs effets à terme sur le modèle économique de l'AFD. Je pense à l'effet de levier, c'est-à-dire le montant des engagements par euro de subvention ou de bonification. Là où l'effet de levier est le plus fort, c'est de prêter sans aucune bonification au Mexique. Je pense également au ratio charges d'exploitation sur encours. Là où il est le plus faible, c'est là où l'AFD peut ouvrir une agence avec un agent et conclure dans la foulée des prêts de 300 millions d'euros comme en Colombie. Est-ce que ces ratios ne peuvent pas conduire l'AFD à s'éloigner de l'Afrique et du développement ?
On a beaucoup critiqué la faible capacité de la France à anticiper les évolutions du Maghreb. L'AFD a parmi ses missions une mission de production intellectuelle et de recherche sur les questions de développement. Pouvez-vous nous dire quels sont vos objectifs dans le domaine pour préparer les grandes échéances internationales à venir, je pense à la présidence française du G8 et du G20, à la conférence sur les PMA à Istanbul, à celle sur l'efficacité de l'aide du prochain rendez-vous de négociation internationale sur le climat ? Je pense également à des réflexions sur le développement du Maghreb et de l'Afrique.
L'AFD reçoit 355 millions d'euros d'autorisations d'engagement pour les bonifications des prêts concessionnels qu'elle consent et 182 millions d'euros d'autorisations d'engagement pour des subventions-projets. Grâce à cet effort financier de l'Etat et à des ressources propres, l'AFD contribue à 16 % de l'aide publique au développement française déclarée à l'OCDE.
Je ne sais pas si on peut dire que les pouvoirs publics demandent toujours plus à l'AFD avec de moins en moins de moyens, mais je trouve que le plus gênant reste l'absence de règles de gestion stables qui nous permettent une programmation dans la durée.
Les chiffres que vous me citez en matière d'effectifs et de frais généraux sont des chiffres que nous avons proposés et qui constituent la contribution de l'AFD à la réduction de ses frais de fonctionnement. Nous avions également proposé une revalorisation générale annuelle des salaires du personnel de 0,5 % sur trois ans. J'ai considéré qu'il fallait valoriser le personnel qui avait contribué à générer des résultats que vous connaissez et un dividende de 220 millions d'euros au titre de 2009. Les tutelles, dans un contexte de maîtrise de l'évolution des rémunérations dans la fonction publique n'ont pas retenu cet objectif.
La concentration de l'effort en subventions-projets sur les quatorze pays prioritaires ne devrait pas dans mon esprit se faire au détriment de notre action dans les pays en crise.
Je conçois qu'on puisse estimer que la France contribue largement à l'aide au développement dans le domaine de la santé aussi bien par le biais de son aide bilatérale que par celui de son aide multilatérale.
L'AFD a effectivement de multiples facettes. Elle est principalement engagée sur deux axes, un axe vertical qui va du Maghreb à l'Afrique sub-saharienne, un axe horizontal qui couvre le monde arabo-musulman. Elle intervient par ailleurs dans le cadre de la préservation des biens publics mondiaux dans les pays émergents avec des moyens aussi peu concessionnels que possible. On ne peut pas considérer que l'AFD puisse investir dans certaines zones ce qu'elle gagne dans d'autres. Il n'y a pas de vases communicants. L'AFD ne construit pas ses taux d'intérêt et ses prêts pour gagner de l'argent mais bien pour participer au développement d'un pays.
L'évolution actuelle de la situation en Tunisie, en Egypte nous conduira inévitablement à réorienter notre aide pour accompagner la transition au Maghreb.
Nous allons poursuivre la mission de production intellectuelle de l'AFD, mais le budget consacré à cette mission devra sans doute être réduit compte tenu des économies de frais de fonctionnement demandées.
Deux arbitrages ont été effectués depuis mon arrivée en matière de coûts : poursuivre les recrutements pour limiter le recours à des intérimaires et des prestataires extérieurs, et privilégier la production financière.
La restructuration que vous êtes en train de mener n'a pas toujours été bien comprise. Elle se traduit, dans le sud-est asiatique, par la suppression du chef d'agence du Laos et le regroupement de l'agence du Laos avec les agences du Cambodge et de la Thaïlande, ce qui risque d'affaiblir la présence de l'agence dans cette zone où de nombreux projets ont été poursuivis avec succès ces dernières années. La réduction de la présence de l'agence au Laos risque d'accroître encore la prépondérance de la Chine, qui finance non seulement de très nombreux barrages mais également une ligne de TGV qui permettra de relier la Chine à ce pays. Nous avions établi avec votre prédécesseur des relations de confiance fondées sur des échanges fréquents qui permettaient de discuter de ce type d'évolution qui suscite de nombreuses inquiétudes parmi les parlementaires au fait de l'évolution de la situation dans cette zone. Nous avions, par ailleurs, compris que l'agence française de développement allait étendre sa capacité à gérer des microprojets. Qu'en est-il ?
Cela fait quatre fois que, depuis ma nomination, je viens devant votre commission pour expliquer la stratégie poursuivie par l'agence. Je le fais bien volontiers. Je participe également à des petits-déjeuners thématiques avec des parlementaires et j'ai demandé à mes services de bien vouloir participer à la rédaction d'une lettre parlementaire sur le développement. C'est dire si je suis attentif à nouer des contacts étroits avec la représentation nationale.
La situation de l'agence au Cambodge ne changera pas. En Thaïlande, il est vrai que je m'interroge sur la nécessité de maintenir deux juristes à temps plein. Au Laos, je propose aux tutelles que le directeur d'agence soit celui de l'agence du Cambodge. De façon générale, l'ouverture et le maintien des agences de l'AFD à l'étranger ont un coût important. L'intervention dans une géographie n'impose pas la présence physique d'agents expatriés permanents. Sachez par exemple qu'une seule personne expatriée à Bagdad coûte environ 1,1 million d'euros par an. Dans le contexte de réduction des frais de fonctionnement qui nous est demandée, il faut procéder à des choix nécessairement délicats.
Nous sommes favorables au financement de microprojets, notamment la promotion de la micro-finance. Nous allons continuer à soutenir ce type de projet, notamment en Tunisie.
Dans le contexte actuel de rigueur budgétaire, l'AFD ne peut se positionner que sur quelques sujets sensibles et concentrer ses opérations afin de maximiser la visibilité de ses interventions.
Nous sommes attentifs à vos choix de gestion et nous comprenons les contraintes auxquelles vous êtes soumis. Nous sommes également sensibles au processus historique qui est en train de se dérouler au Maghreb. Vous dites vous-mêmes que l'agence ne pourra répondre à toutes les demandes formulées par la Tunisie. Quelles mesures prendrez-vous pour être en position d'intervenir dans les pays qui sont plus que jamais des priorités géopolitiques de la France ?
L'AFD se doit d'être présente en Tunisie. Elle l'est depuis longtemps et elle fera tout son possible pour intensifier ses interventions. La première difficulté est de sélectionner les projets qui font l'objet d'une demande de financement de la part des nouvelles autorités tunisiennes. Lors du déplacement de Mme Kosciusko-Morizet en Tunisie, nous avons notamment vérifié qu'au fil des semaines les priorités restaient les mêmes malgré de fréquents changements de ministres. Ces demandes concernent trois secteurs prioritaires qui sont en adéquation avec la présence de l'AFD en Tunisie. Elle concerne tout d'abord l'emploi et la formation professionnelle dans laquelle l'AFD s'est impliquée depuis longtemps en lien avec les industries locales. Elle vise ensuite les infrastructures et notamment les restructurations urbaines et l'assainissement des eaux, dans le cadre d'un rééquilibrage territorial. Dans ce domaine, un nouveau sujet, la gestion des déchets solides, est apparu avec les événements récents. Le troisième secteur concerne le domaine financier avec, d'une part, le développement de la micro-finance et, d'autre part, le soutien au secteur bancaire.
Je rejoins totalement ce qu'a dit mon collègue Jean Faure sur le Laos. Nous avons approuvé le recentrage des actions de l'AFD sur l'Afrique subsaharienne, mais il faut également prendre en considération la francophonie. De ce point de vue, le Laos constitue un des rares bastions de la francophonie en Asie. Il ne faut donc pas affaiblir notre présence dans ce pays si nous voulons garder notre influence dans la région.
Vous avez raison, la francophonie fait partie des priorités de l'agence et de nos tutelles. Le choix des quatorze pays pauvres prioritaires rassemble en effet, pour l'essentiel, des pays francophones de la seule Afrique sub-saharienne. L'AFD va continuer à financer le projet de Luang Prabang. La réduction des coûts de fonctionnement nous conduit à des choix délicats. Nous allons réduire les effectifs de l'agence de Pékin de 17 personnes à 12, celle de Brasilia de 5 à 2 personnes.
Ni Pékin ni Brasilia ne sont des priorités de la francophonie contrairement au Laos.
Les événements récents au Maghreb ont été accompagnés de la révélation des sommes considérables accumulées par certains dirigeants. Ces cas de prévarication et de corruption concernent des sommes considérables que l'on ne peut pas ignorer. En effet, nos concitoyens ne comprendraient pas qu'on leur demande de contribuer plus largement à l'aide au développement de ces pays sans prendre des mesures pour limiter les risques de corruption et améliorer leur gouvernance. On ne peut pas faire comme si cela n'existait pas.
Il est clair que les événements récents ont conduit les organisations internationales à dresser une liste de personnes susceptibles d'avoir été impliquées dans les turpitudes des régimes précédents. En tant qu'organisme bancaire, l'AFD dispose de procédures de vérification particulièrement strictes. Les événements récents nous ont conduits à renforcer notre vigilance. Les problématiques d'éthique et de gouvernance sont essentielles et constituent une priorité de l'agence qui s'est engagée depuis longtemps auprès d'organisations comme Transparency International pour lutter contre la corruption.
Dans ce contexte, d'aucuns voudraient aujourd'hui revenir sur le déliement de l'aide au développement pour qu'elle puisse contribuer plus largement au commerce extérieur de la France et aux exportations des entreprises françaises.
Il n'est pas question de revenir sur le déliement de l'aide. Il n'y a d'ailleurs pas de lien structurel entre le déliement et les risques de corruption. Il n'y a ni plus ni moins de garantie avec les entreprises françaises et les entreprises étrangères. En revanche, il me semble de mon devoir d'essayer, dans le cadre d'une aide déliée, de répondre aux préoccupations des entreprises françaises.
Pouvez-vous nous donner des éclaircissements sur les subventions et les prêts et nous expliquer par quels moyens les secteurs sociaux peuvent être financés par des prêts ?
Je suis bien conscient des contraintes financières qui s'imposent à vous, mais je redoute qu'en l'absence de chef d'agence au Laos l'AFD ait le même poids quand il faudra négocier avec les administrations ou intervenir auprès des ministres.
Nous finançons les structures intervenant dans le domaine social avec des prêts. C'est le cas au Maroc et en Tunisie où nous prêtons à des cliniques ainsi qu'à des centres de formation professionnelle. C'est évidemment moins le cas en Afrique sub-saharienne où il nous faut intervenir par le biais de subventions.
Le réseau des agences de l'AFD doit pouvoir évoluer. Si nous voulons pouvoir accroître nos effectifs en Tunisie et en Egypte, il faut pouvoir les réduire ailleurs. Nous avons fermé nos agences au Yémen et en Angola. Nous continuerons à travailler au Yémen à partir de Djibouti, et au Laos mais nous ne pouvons pas financer la présence d'agences et de directeurs d'agence dans tous les pays où nous intervenons. Je serais heureux que la France puisse avoir la même capacité de financement que la Chine mais ce n'est pas le cas. Il nous faut donc rester le plus réactif possible pour ajuster le réseau à nos priorités.
Je constate que le directeur général de l'AFD, loin de se plaindre, fait preuve d'une rare ténacité. Je dois retenir la volonté de l'Agence française de développement d'accroître sa présence dans les pays de la Méditerranée.