Dans le cadre des travaux préparatoires à l'examen du projet de loi bioéthique, la commission organise à une table ronde sur les cellules souches. Elle entend les professeurs Norbert-Claude Gorin, responsable médical du pôle Oncologie, hématologie et médecine nucléaire de l'hôpital Saint-Antoine, Eliane Gluckman, présidente de l'association Eurocord, Philippe Menasché, chirurgien cardiaque à l'hôpital européen Georges Pompidou, directeur de l'unité Thérapie cellulaire en pathologie cardio-vasculaire à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des maladies monogéniques (I-Stem).
Je remercie nos invités d'avoir accepté une discussion. Je vous propose qu'elle s'articule autour de nos questions, après une présentation de vos travaux.
J'ai beaucoup travaillé sur la cryopréservation des cellules souches hématopoïétiques. J'ai réalisé la première autogreffe de cellules souches, en réinjectant au patient un prélèvement de moelle osseuse conservé dans de l'azote liquide. Depuis, ces traitements ont été développés pour les leucémies, les lymphomes, et - avec un peu moins de succès - pour des maladies auto-immunes comme le lupus ou la sclérose en plaques.
Nous avons enregistré d'autres avancées. Les manipulations de moelle osseuse et l'isolement des cellules souches mésenchymateuses ont conduit à la découverte de cellules stromales, issues du tissu de soutien de la moelle osseuse. Ces cellules, qui peuvent être mises en expansion plusieurs millions de fois, sont utilisées en hématologie pour accélérer la prise du greffon ou réduire les conflits immunitaires. Nous avons travaillé avec l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ; ces cellules ont été utilisées avec efficacité pour les accidentés d'irradiation, dont un patient sénégalais et les irradiés d'Epinal, au point de conduire à se demander s'il ne faudrait pas en constituer un stock.
Je m'intéresse aux cellules souches multipotentes que l'on espère créer à partir de cellules cutanées fibroblastiques : les Japonais ont montré qu'on pourrait ainsi recréer en laboratoire tout ce que l'on veut, en petite quantité. Avec un seul gène du fibroblaste, une équipe canadienne a été capable de recréer l'hématopoïèse. Peut-être que d'ici à dix ans, l'autogreffe ne se fera pas par réinjection de cellules médullaires mais que l'on utilisera des cellules fibroblastiques pour constituer un petit greffon.
Je conclus en rappelant que le Congrès européen des spécialistes de la greffe de moelle osseuse se tiendra à Paris dans quelques jours, et nous serons reçus à cette occasion par la présidente Muguette Dini.
Hématologiste, je suis spécialisée en greffe de moelle osseuse, après avoir été l'élève du pionnier que fut le professeur Mathé. Je m'intéresse essentiellement à la greffe de moelle allogénique. La moelle prélevée sur un donneur, apparenté ou non, peut guérir définitivement la leucémie ou certaines maladies héréditaires. Il s'agit d'une technique différente de l'autogreffe, et les indications sont différentes. Désormais, je me consacre à la direction du groupe Eurocord, créé à la suite de la première greffe de sang de cordon ombilical. Cette technique novatrice sert notamment en pédiatrie : à l'hôpital Saint-Antoine, 50 % des patients atteints de maladies héréditaires de la moelle osseuse sont des enfants.
Eurocord a constitué un réseau de banques de sang de cordon, Netcord. L'accord conclu avec tous les centres de transplantation nous a donné un prestige mondial. Les résultats étaient inattendus. Les propriétés particulières du sang de cordon ombilical ont montré un déficit des réactions immunitaires : on pouvait désormais faire des greffes non compatibles. C'est la grande découverte, un dogme est tombé. Aujourd'hui, on trouve un donneur pour pratiquement chaque demande.
Il faut distinguer les cellules embryonnaires, qui ont des propriétés particulières, les cellules du sang de cordon ombilical, intermédiaires, et les cellules « adultes », qui sont des cellules vieillissantes, davantage susceptibles de présenter des anomalies chromosomiques ultérieures. Le sang de cordon convient à toutes les indications de greffes avec moelle adulte.
On compte plus de 600 000 unités de sang de cordon congelé dans le monde ; les greffons sont commandés sur un grand catalogue international. Il vous faudra tenir compte dans votre réflexion des problèmes d'import-export, car les règles ne sont pas les mêmes partout.
Une nouvelle application se dessine en médecine régénérative. Les cellules souches du placenta et du sang de cordon peuvent être dédifférenciées ; on peut faire des cellules souches pluripotentes induites (iPS). C'est la médecine du futur. Des essais cliniques sont en cours. Dans ce domaine, la médecine va très vite : de nouveaux articles paraissent chaque semaine dans les revues internationales. Je crains que nous n'ayons pris beaucoup de retard sur les Etats-Unis et l'Asie.
Eurocord oeuvre au développement des banques et des indications hématologiques, et à la mise en place de structures pour développer les thérapeutiques du futur.
L'insuffisance cardiaque touche 120 000 nouveaux patients par an en France et représente 2 % du budget de la santé. Un infarctus étendu, c'est un milliard de cellules détruites. Il nous faut donc apporter des cellules neuves contractives. Les premiers essais ont été faits avec des cellules souches adultes prélevées dans le muscle de la cuisse. Le 15 juin 2000, nous avons réalisé avec succès la première greffe mondiale de cellule souche musculaire. Depuis, j'ai opéré dix patients selon cette technique. Les résultats étaient encourageants.
Nous avons donc amorcé un grand essai européen, avec un groupe placebo. Ce fut la désillusion : les effets bénéfiques attendus des cellules souches musculaires n'étaient pas au rendez-vous. La régénération cardiaque à partir de cellules musculaires ou médullaires reste un voeu pieux. Avec pragmatisme, nous avons pris acte de l'échec des cellules adultes dans cette indication : il faut apporter de vraies cellules cardiaques. Nous avons donc recentré la recherche sur les cellules souches embryonnaires, qui peuvent être transformées in vitro en cellules cardiaques. Je suis hostile à l'opposition qui est faite entre cellules adultes et cellules embryonnaires : on soigne des malades, pas des cellules ! Les cellules de sang de cordon permettent de soigner l'artérite des membres inférieurs, mais pas l'insuffisance cardiaque. Aurons-nous un succès avec les cellules embryonnaires ? Je ne sais, tant que nous n'aurons pas exploré cette piste. Après des essais sur des primates, nous sommes en phase de préparation d'un essai clinique, sachant que deux ont déjà été autorisés aux Etats-Unis, pour la paraplégie traumatique et la dégénérescence maculaire.
Ce débat donne aux scientifiques l'occasion de vous dire où en sont leurs travaux. Il s'agit d'éviter que la loi ne soit modifiée sur la base d'informations erronées, comme cela a pu être le cas...
Neurologue de formation, j'ai rapidement obliqué vers l'Inserm où je m'intéresse depuis vingt-cinq ans aux thérapies innovantes. Mon équipe a réalisé des essais cliniques pionniers : première greffe de neurones foetaux sur un patient atteint de la maladie de Huntington, première thérapie génique, première greffe de neurones sur un patient atteint de la maladie de Parkinson.
Depuis 2005, nous avons accès aux cellules souches embryonnaires humaines, ce qui nous a enfin permis de rattraper les collègues étrangers qui s'attachent à améliorer les thérapeutiques que nous avions développées. Dans la thérapie cellulaire de la maladie de Huntington, nous avons eu un succès sur un patient traité uniquement par la greffe de cellules de foetus issu d'une interruption volontaire de grossesse. En huit ans, nous n'avons pu greffer que quatre-vingts patients, alors qu'il y a trois cents nouveaux cas par an. La lourdeur de la logistique a interdit tout développement de cette thérapeutique. Il n'est pas possible de réaliser l'expansion des cellules en laboratoire. Dès 1998, le potentiel que représentent des cellules souches embryonnaires, qui sont les seules à être à la fois immortelles et pluripotentes, est donc apparu comme le Saint Graal.
L'I-Stem, créé en 2005, est sous la double tutelle de l'Inserm et de l'association française contre les myopathies (AFM), qui contribue, grâce au Téléthon, à 50 % de notre budget. Notre objectif est d'orienter les travaux vers l'application thérapeutique dans les maladies génétiques. C'est le plus grand centre de recherche dédié en France, avec dix équipes et quatre-vingt-dix personnes.
Le développement de médicaments est possible à condition d'obtenir des cellules à partir de donneurs porteurs de maladies génétiques, ce qui permet la modélisation. Nous publierons dans une semaine un travail sur la dystrophie myotonique. Les cellules peuvent être utilisées pour reproduire les mécanismes et en découvrir de nouveaux, le criblage permettant de trouver les molécules en amont.
S'agissant des cellules induites à la pluripotence, nous sommes avant tout pragmatiques. L'I-Stem est le plus grand laboratoire en la matière, et en forme d'autres. Toutefois, la revue Nature vient de publier trois articles, de grands maîtres américains, qui ont causé un véritable traumatisme et nous incitent à l'humilité. Il en ressort que le phénomène de reprogrammation aurait introduit dans ces cellules un défaut génétique, génomique. Preuve qu'il faut caractériser les cellules, être patients, savoir respecter le rythme de la science... Le deuxième article souligne des désordres dans l'épigénétique et le contrôle du fonctionnement de l'ADN. Au travers de la reprogrammation, le nombre des variants « répétés » se trouvait modifié. Nous ne connaissons pas les conséquences fonctionnelles...
Nous travaillons depuis douze ans sur les cellules souches embryonnaires ; elles sont bien caractérisées et maîtrisées, contrairement aux cellules souches induites à la pluripotence. Laissez-nous le temps d'étudier ces dernières en laboratoire, avant de nous demander de remplacer une cellule par une autre. La comparaison entre cellules n'a aucun sens. Ne nous interdisons pas d'aller dans la direction scientifique la plus prometteuse.
Le texte issu de l'Assemblée nationale reprend la loi de 2004, qui interdit la recherche sur les cellules souches embryonnaires, sauf autorisation exceptionnelle. Cette solution vous semble-t-elle satisfaisante ? Y a-t-il des raisons scientifiques d'abandonner la recherche sur tel ou tel type de cellules ? Enfin, est-il vrai que l'on peut trouver des cellules souches embryonnaires dans le placenta ?
Je pense, avec nombre de chercheurs, que la législation de 2004 nous a gênés, et nous a fait prendre beaucoup de retard sur les autres pays. Les procédures pour obtenir l'autorisation exceptionnelle sont très lourdes. A l'interdiction, j'aurais préféré une autorisation réglementée, plus accessible, d'autant que les cellules induites vers la pluripotence sont devenues intéressantes. Ma tendance serait donc d'être un peu plus libéral !
Faut-il abandonner des pistes de recherche ? Non. La richesse, c'est d'aller dans tous les sens ! C'est ainsi que l'on a par exemple identifié des îlots pancréatiques dans la moelle osseuse. Il ne faut pas élever de barrières. Pour déposer un protocole, nous devons déjà passer devant une douzaine d'experts, de l'Inserm, de l'université, de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), de l'institut national du cancer (INCa)... Il s'en trouve toujours un pour juger que la recherche en cause est un scandale !
Il y a des thérapies reconnues, démontrées par des essais cliniques ; la loi doit permettre d'y recourir. Avec des interdictions a priori, on se coupe de la possibilité d'appliquer immédiatement les résultats de la recherche. Il faut privilégier l'innovation. Philippe Menasché a bien décrit la démarche scientifique, qui est tout sauf linéaire. Il faut toujours laisser une petite porte ouverte sur l'inattendu. Je préfère une réglementation stricte à une interdiction.
Quant à la voie à favoriser, tout est dans l'établissement des priorités de la recherche. Les moyens sont limités, la concurrence sauvage : il faut équilibrer les axes de recherche, sans en négliger. Les indications hématologiques sont connues, mais les nouveaux développements en thérapie génique sont encore au stade de la recherche. Il faudrait un créneau pour la thérapeutique en investigation, accompagnée de moyens. Nous avons publié dans Nature un essai sur une thérapie génique qu'il a fallu dix ans pour mettre en place, et qui a permis de traiter un malade. Nous attendons, pour en traiter un deuxième, d'avoir les moyens de produire le vecteur ! Il faut fluidifier, différencier recherche fondamentale et recherche applicable aux patients dans des délais raisonnables. Cela suppose d'apprécier l'efficacité des traitements au regard de leur coût. Je suis pour la liberté de la recherche, mais en tenant compte des objectifs sociétaux.
Enfin, il y a dans le sang de cordon des cellules intermédiaires entre sang embryonnaire et sang adulte, que l'on peut congeler pendant vingt ans. Il n'y a pas là de problème éthique, s'agissant de ce que l'on qualifie - à tort - de « déchets ». Je privilégierais donc la recherche sur le sang de cordon et le placenta.
C'est exactement mon point de vue.
- Présidence de Mme Isabelle Debré, vice-présidente -
S'agissant du choix des cellules, nous sommes dans un état d'ignorance, renforcé par la parution des trois articles de Nature qui jettent une ombre sur ces cellules iPS dont on attendait tant. Il est indispensable de favoriser toutes les pistes, sans a priori. En fonction des pathologies, les meilleures cellules feront leurs preuves lors des essais cliniques.
La loi est très mauvaise. Une telle prudence était justifiée en 2004 mais, depuis, le temps a passé, sans l'ombre d'une dérive. L'agence de la biomédecine a prouvé que cette recherche pouvait être encadrée avec la plus grande rigueur. Rien ne justifie le maintien d'une interdiction accompagnée d'autorisations. Nous avons certes pu obtenir les dérogations nécessaires, mais l'image de la France pâtit de ce manque de cohérence philosophique : personne, dans les instances internationales, ne comprend qu'une loi autorise après avoir interdit ! Ce n'est pas un hasard si une des premières décisions du président Obama a été d'autoriser les recherches. En Pologne et en Irlande, c'est non ; au Royaume-Uni, c'est oui. Les deux approches sont concevables mais on ne peut pas dire d'abord non, puis oui comme le fait la loi française. Cette ambigüité hypocrite, qui ne satisfait ni les tenants du conservatisme, ni ceux de la libéralisation, n'a plus de raison d'être.
J'abonderai dans le même sens. Nous avons beaucoup de mal à expliquer notre situation, à tous les niveaux. Il est vrai que nous avons pu travailler : l'Inserm a obtenu nombre d'autorisations. La communauté scientifique a l'habitude de devoir justifier en permanence son activité ! Il y a trente ans, alors que je travaillais sur la pharmacologie de la douleur, il avait bien fallu justifier l'utilisation du LSD comme produit pharmacologique pour s'en procurer légalement mais chaque prélèvement était étroitement contrôlé et si j'avais eu l'idée d'en emporter hors de l'hôpital, je serais allé en prison... Les autorisations encadrées sont la règle, qu'il s'agisse par exemple d'expérimentations animales ou de radioactivité.
On nous accorde des dérogations sur certains projets, en tant que laboratoires publics et c'est dans ce cadre que nous conduisons nos recherches, celui de l'autorisation réglementée. Lors des débats à l'Assemblée nationale, des députés ont prétendu que nous n'aurions rien trouvé sur les cellules souches embryonnaires : c'est faux, et c'est d'autant plus choquant que des résultats intéressants ont été obtenus à l'étranger, mais aussi en France dans le cadre pourtant très restrictif dans lequel nous avons travaillé ! Nous avons des résultats, notamment pour la modélisation pathologique, c'est très important au moment où nous devons monter des laboratoires de standard international.
Doit-on changer de système ? Oui, car nous devons franchir une nouvelle étape. Les cellules souches humaines ont été découvertes en 1998 et jusqu'au milieu des années 2000, la recherche a consisté à les caractériser, à comprendre leur fonctionnement, en particulier les processus de différenciation, de prolifération et de spécialisation. On travaille depuis lors sur l'application, avec des essais cliniques : c'est la deuxième étape. Maintenant, il s'agit de passer à la thérapeutique, avec les résultats des essais cliniques, en particulier dans le traitement de l'infarctus du myocarde ou de la dégénérescence maculaire liée à l'âge. Cette troisième étape exige des cellules souches par milliards, donc des investissements très importants, hospitaliers et industriels. Ces investissements ont commencé aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Suisse. Nous sommes dans la course puisque, par exemple, nous avons formé les ingénieurs de Roche qui sont ensuite allés monter une structure à Bâle, qui compte aujourd'hui quarante chercheurs. Nous ne devons pas rater le coche : une loi lisible est nécessaire pour permettre les investissements nécessaires.
Enfin, nous sommes tous quatre des scientifiques pragmatiques, nous recherchons des outils pour avancer, quels qu'ils soient. Les cellules souches du placenta sont-elles équivalentes à celles de l'embryon ? Scientifiquement non, elles sont différentes et on ne peut pas, par exemple, obtenir des neurones avec des cellules prélevées sur un cordon ombilical.
Le sujet est complexe. Vous souhaitez, si je vous entends bien, passer de l'interdiction avec dérogation à une autorisation encadrée.
Nous avons besoin que les choses soient claires !
Comment, techniquement, peut-on stocker les cellules souches ? Quel vous semble devoir être, ensuite, le rôle de l'établissement français du sang et quel avenir voyez-vous pour le principe de la gratuité des dons, à l'heure où les associations rencontrent les plus grandes difficultés pour trouver suffisamment de donneurs ?
Moi qui ai consacré ma jeunesse à la recherche sur la cryopréservation, je me réjouis de voir que les résultats en sont aujourd'hui utilisés pour le stockage des cellules souches. Les cellules souches sont liquides, leur cryopréservation est une technique parfaitement maîtrisée, routinière même. Le seul risque est dans la chaîne du froid : l'azote liquide étant à - 196°C, une rupture de courant peut provoquer un réchauffement, puis une décongélation : si l'on ne s'en aperçoit pas, les cellules peuvent être recongelées, mais elles seront détruites. Différents systèmes de sécurité sont censés nous préserver de ce risque. A plus long terme, il y a le risque théorique lié aux radiations cosmiques, mais nous n'avons pas mesuré ses effets sur le greffon le plus ancien, qui n'a cependant qu'une vingtaine d'années.
Sur la transfusion sanguine, je crois qu'il faut également prendre la mesure des changements. Il y a le don du sang tel que nous le connaissons depuis longtemps, où l'on recherche surtout des globules rouges et des plaquettes, et pour lequel notre législation est excellente, en garantissant le don anonyme et gratuit. Je le dis par comparaison avec la situation américaine, que je connais bien pour avoir passé deux ans aux Etats-Unis, où j'ai vu des scientifiques donner leur propre sang pour ne pas avoir à en acheter... Ensuite, il y a la transfusion moderne, qui fait intervenir des cellules souches progénitrices, comme elle se pratique par exemple dans le bâtiment que l'établissement français du sang a créé au sein de l'hôpital Henri Mondor, consacré à la thérapie cellulaire. Les globules rouges ont une durée de vie de vingt-sept jours, qui inclut bien évidemment leur vie avant le prélèvement ; mais les globules obtenus à partir des cellules souches hématopoïétiques CD34 sont dits réticulocytes, c'est-à-dire qu'ils sont tous nés le même jour, ce qui est une garantie de leur durée de vie : des essais cliniques ont confirmé leur valeur. Nous entrons alors dans une nouvelle ère de la transfusion sanguine.
Nous n'avons pas encore évoqué l'embryon lui-même. A votre avis, jusqu'où peut-on prélever des cellules souches sans détruire l'embryon ? A quel stade de l'évolution foetale la cellule souche devient-elle inutilisable ?
Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il nous faut sortir de la situation grotesque où nous sommes, où nous n'interdisons pas, mais où nous n'autorisons pas non plus. Le travail sur l'embryon fait peur et il semble que celui sur les cellules souches soit socialement plus accepté : pensez-vous que la distinction ait une validité scientifique et que la loi doive la reprendre ?
Par ailleurs, la précédente loi bioéthique avait fixé sa révision tous les cinq ans ; or, le projet de loi, tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale, ne prévoit aucune échéance de ce genre : qu'en pensez-vous ?
Enfin, ne pensez-vous pas qu'il serait plus rationnel de regrouper l'ensemble des procédures d'autorisation dans les mains d'un même organisme, par exemple l'agence de la biomédecine, quitte à en modifier la composition ?
Le laps de temps pendant lequel on peut prélever les cellules souches est très court : il se situe entre cinq jours et demi et sept jours et demi après fécondation, avant quoi elles sont totipotentes et après quoi elles ont un potentiel plus limité. Dans les faits, les occurrences sont rares, nous travaillons essentiellement sur la lignée de cellules souches embryonnaires dites H1, pour Human One, premier embryon prélevé à partir duquel les chercheurs américains ont dérivé des cellules souches, il y a treize ans. Cette situation est du reste propice à la recherche internationale, puisque nous sommes nombreux à travailler sur des cellules d'une même origine. Mis à part ces cellules H1, nous n'avons dérivé qu'une trentaine de cellules souches en France, à partir d'embryons diagnostiqués, lors d'un diagnostic préimplantatoire, comme porteurs d'aberrations chromosomiques et à ce titre voués, sur décision de leurs géniteurs, à la destruction.
En ma qualité de scientifique, je ne peux donc, au-delà de mes convictions personnelles, répondre à la question de savoir s'il est légitime de travailler sur des embryons voués à la destruction ; mais je peux assurer que le prélèvement de cellules souches doit être opéré entre cinq jours et demi et sept jours et demi après la fécondation.
Je considère que l'agence de la biomédecine fait très bien son travail. Il n'est pas nécessaire de changer son fonctionnement, mais plutôt de préciser ses missions et éventuellement d'étendre sa composition.
Ensuite, il me semble qu'une grande partie de la communauté scientifique validerait un compromis consistant à interdire la recherche sur l'embryon, en assortissant cette interdiction de dérogations, et à autoriser la recherche sur les cellules souches, avec un encadrement strict.
Je rappellerai enfin que la recherche sur les cellules souches embryonnaires n'a été rendue possible que parce qu'elles viennent d'embryons congelés, résultant des procédés de fécondation in vitro qui ont permis d'accéder aux cellules souches. La fécondation in vitro est légale et je ne crois pas qu'aucun d'entre vous en remette en cause le principe.
Il y a autant d'embryons surnuméraires conservés que d'habitants à Aix-en-Provence...
M. Philippe Menasché. - Ce que je constate, c'est qu'aucun embryon n'est créé pour les besoins de la recherche mais nous regorgeons d'embryons que la loi impose de détruire au bout de cinq ans lorsqu'ils ne font plus l'objet de projet parental ; la recherche sur les cellules souches est liée à la fécondation in vitro, que personne ne remet en cause, aussi comprend-on d'autant moins qu'on interdise en aval quand on autorise en amont.
Devant les difficultés du financement de la recherche, diriez-vous que des initiatives comme le Téléthon vous sont indispensables ? Que pensez-vous du décalage entre les besoins colossaux d'investissements et le manque criant de moyens pour la recherche publique ? Nous avons toujours refusé la marchandisation des produits issus du corps humain et il faut éviter toute césure entre les chercheurs et la société. Le texte de l'Assemblée nationale est à cet égard caricatural et nous espérons faire des progrès avec celui que nous élaborons ici...
Celui d'une autorisation de la recherche, avec un encadrement strict, régime que nous préférons à celui de l'interdiction : nous sommes au diapason des quatre chercheurs que nous auditionnons ce matin, lesquels paraissent bien faire front commun sur ce point.
Le financement est effectivement essentiel, puisque les projets dont nous parlons coûtent très cher. Nous disposons de subventions, d'appels d'offres, d'initiatives venues des fondations, comme le Téléthon, et du partenariat public-privé. Or, c'est sur le PPP que les règles ne sont pas suffisamment claires, car nous rencontrons très vite l'obstacle du conflit d'intérêts et de la prise de participation. Il faut trouver un juste équilibre entre la recherche académique et la recherche clinique : nous allons très loin dans nos laboratoires publics, mais à une échelle bien trop restreinte, - dans l'exemple de thérapie génique que je vous ai donné, en dix ans, nous n'avons traité qu'un seul malade ! - ce qu'on ne peut que déplorer.
Oui, nos statuts nous interdisent toute participation à des laboratoires privés.
Le traité de Lisbonne a fixé l'objectif d'une recherche publique à 3 % du Pib, nous en sommes à 2,08 % et la tendance est à la baisse. Mon institut, I-Stem, a besoin de 9 millions d'euros par an pour quatre-vingt-dix personnes, salaires compris, soit 100 000 euros par an et par personne : l'Inserm nous apporte 670 000 euros pour les salaires et 116 000 euros pour les frais de fonctionnement ; l'université finance quatre postes et apporte 27 000 euros au fonctionnement - c'est tout, le reste est à trouver, dans les appels d'offres en particulier. Les industriels sont intéressés lorsque nous mettons en place une plateforme, à partir de laquelle un transfert devient possible. Lorsque je suis arrivé à la tête de l'institut, j'ai proposé de consacrer 20 % de nos efforts à autre chose que la recherche sur les maladies génétiques, la collaboration avec Roche a compté pour 10 %.
Je conviens avec vous que notre réglementation est hypocrite, en ne choisissant ni d'interdire, ni d'autoriser, mais comme vous l'avez déclaré aux Etats généraux de Marseille, elle ne vous a pas empêché de travailler. Pour avoir lu l'intégralité des débats sur les lois de bioéthique, je sais que c'est à la demande des scientifiques que la nécessité de justifier du besoin d'une recherche à partir de cellules souches embryonnaires, en prouvant l'impossibilité de recourir à des méthodes comparables, avait été inscrite, pour permettre les recherches sur les cellules souches embryonnaires car il n'existait à l'époque aucun matériau de recherche comparable !
Ensuite, s'agissant du médicament et des brevets, la procédure est centralisée, comme le prévoit l'Agence européenne du médicament. L'Afssaps travaille donc dans un cadre légal.
Monsieur Peschanski, considérant le nombre de lignées de cellules souches dont nous disposons actuellement, est-il, à votre sens, encore justifié de prévoir la destruction d'embryons sains ?
Monsieur Gorin, estimez-vous que les produits thérapeutiques innovants représentent un risque, qui appellerait l'intervention du législateur ?
Madame Gluckman, vous avez réussi la première mondiale avec le sang de cordon ombilical et vous annoncez des applications thérapeutiques. Notre pays compte 800 000 naissances par an, n'est-ce pas particulièrement encourageant pour la collecte ? Pourquoi tant de difficultés à installer des banques de sang de cordon ombilical : ne croyez-vous pas qu'il y a une sorte d'omerta sur ce sujet ?
Les scientifiques n'ont pas demandé que la comparaison entre les méthodes de recherche soit inscrite dans la loi ; la comparaison entre matériaux de recherche scientifique ne vise pas à exclure tel ou tel type de recherches, mais à inclure ces matériaux dans le champ de la recherche. C'est ainsi que la science progresse et je ne peux pas interpréter différemment la parole des scientifiques sur la loi bioéthique. S'agissant de nouvelles lignées, nous travaillons pour l'essentiel à partir de cellules souches prélevées après diagnostic préimplantatoire qui a identifié une maladie génétique, et les recherches portent précisément sur les maladies identifiées. Nous possédons environ trente-cinq lignées, représentant une vingtaine de maladies génétiques.
Pourquoi dérivons-nous des cellules ? Pour combattre des maladies génétiques, et nous avons besoin de nouveaux embryons, tout simplement pour donner des moyens suffisants à la thérapie cellulaire. Nous devons aussi tenir compte du rejet immunitaire en cas de greffe cellulaire, ce qui a conduit les scientifiques à estimer - compte tenu des incompatibilités et en passant par les propriétés de l'antigène HLA - qu'il faut 22 000 donneurs potentiels pour prélever des cellules de vingt embryons compatibles avec 55 % de la population caucasienne.
C'est très optimiste et contestable dans la méthode.
C'est un débat scientifique qui n'est pas tranché.
A-t-on mis en place les financements nécessaires au prélèvement du sang de cordon ? Nous connaissons tous des femmes qui ont accouché ; laquelle s'est vu proposer un prélèvement ? C'est toujours l'omerta !
Ma propre fille, qui souhaitait faire un don, n'a pas pu trouver de correspondant compétent, à Paris ! D'où vient l'empêchement ?
Je milite pour la mise en place de banques de sang de cordon ombilical et je ne m'explique pas la lenteur sur ce dossier, autrement que pour de mauvaises raisons - il y a eu une volonté politique de refus. Nous avançons cependant, grâce notamment à l'engagement de Mme Hermange : un plan a été adopté, mais il s'agit seulement de nous mettre au niveau des autres pays de l'Union européenne. Les résultats sont effectivement encourageants, des essais sont en cours, notamment sur le traitement des souffrances néonatales, la transfusion sanguine du nouveau-né et les diabètes de type 1.
S'agissant de la date programmée de la révision de la future loi bioéthique, je m'inquiète qu'elle ne soit plus envisagée car je l'estime indispensable : il est certain que nous allons découvrir de nouvelles indications thérapeutiques pour les cellules souches, nous ne devons pas nous fermer la porte.
Quelle vous paraît être la bonne échéance pour réviser la loi sur la bioéthique ? On nous a reproché de faire trop de place aux chercheurs et pas assez à l'éthique : qu'en pensez-vous ?
La loi bioéthique a posé une interdiction, il est donc nécessaire de prévoir une révision après quelques années. Mais si la loi pose le principe d'une autorisation encadrée, il peut ne pas être nécessaire de la réviser régulièrement.
Je crois que le débat éthique doit être mené, c'est la fonction des comités qui ont été installés. Je comprends qu'on soit choqué de ce que des scientifiques détruisent des embryons humains, mais comme scientifique, mon opinion, sur le plan éthique, ne vaut pas plus que celle d'un autre. Aussi, je crois que la loi doit rechercher l'équilibre entre l'intérêt de la science et les convictions de la société.
En tant que citoyen, il me paraît indispensable que les parlementaires débattent de bioéthique, sans que cela débouche nécessairement sur une loi, car le Parlement est le lieu de la délibération nationale. J'ai été choqué que le débat sur la fin de vie n'ait pas été développé au Sénat, le Premier ministre y ayant coupé court.
Au contraire ! Un groupe de travail de notre commission a planché sur le sujet pendant six mois !
A lire la presse, j'ai eu le sentiment contraire que le débat que vous aviez lancé avait tourné court, et j'ai trouvé cela anormal.
Mais en tant que scientifique, je considère qu'il serait catastrophique d'imposer une révision périodique de la loi, car cette épée de Damoclès empêcherait d'attirer les investissements publics ou privés. Pour la loi de 1994, cela se justifiait, le problème des cellules souches embryonnaires s'étant posé avec acuité à partir de 1998 ; le retard avec lequel la loi a été révisée a d'ailleurs handicapé les scientifiques français. Mais cette fois-ci, cela ne se justifierait plus.
Il serait donc souhaitable que le Sénat et l'Assemblée nationale débattent de ce sujet chaque année, sans pour autant légiférer. Je regrette le rôle que l'on veut faire jouer au comité national consultatif d'éthique, dont les membres, quelles que soient leurs qualités personnelles, ne représentent qu'eux-mêmes.
C'est au Parlement de remplir ce rôle, car l'éthique est une partie de la politique.
J'apporterai un correctif à ce que vient de dire mon collègue : si la loi reconduit en l'état le régime d'interdiction avec dérogations, il faudra la réviser !
Je voudrais revenir sur les forums citoyens. Il y a quelques années, l'agence de la biomédecine a lancé une vaste enquête auprès des citoyens, à qui étaient expliqués les enjeux et le contenu des recherches ; il était précisé qu'il existait des embryons surnuméraires destinés à être détruits faute de projet parental. Or la majorité des personnes interrogées se sont déclarées favorables à la libéralisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires ! Les Etats généraux ont abouti à la même conclusion. Les ministres qui se refusent à faire évoluer la législation sous prétexte qu'il s'agirait d'un sujet trop sensible jouent à se faire peur ! Une loi d'autorisation convenablement encadrée serait conforme aux voeux de la nation.
J'ai participé au comité d'organisation des Etats généraux. A Marseille, un panel de citoyens devait se pencher sur l'ensemble des cellules souches, adultes ou embryonnaires, mais il fut convenu de ne pas parler des cellules issues du sang de cordon ! Les citoyens ont regretté de ne pas recevoir une information complète.
Merci d'avoir participé à ce débat très riche. Il est particulièrement complexe de légiférer sur un sujet qui touche à l'éthique, à la philosophie, à la religion. A titre personnel, je regrette que M. Peschanski ait eu le sentiment que le débat sur l'euthanasie n'avait pas eu lieu au Sénat. Au contraire, ce fut un débat riche et profond.
Je ne suis pas d'accord pour dire qu'une loi d'autorisation encadrée ne devrait pas être révisée périodiquement. Il serait impossible d'y revenir chaque année, vu l'intensité du travail parlementaire. Mais moi qui appartiens à une famille de médecins, j'ai le sentiment que, dans un domaine où les choses évoluent aussi rapidement, le législateur doit remettre régulièrement l'ouvrage sur le métier. Enfin, j'espère que nous entendrons davantage le mot « confiance ».