La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Gilles Bessero, directeur général du Service Hydrographique et Océanographique de la Marine (SHOM) et de M. Jean-Claude Le Gac, chef de département au SHOM.
a présenté le SHOM, héritier du premier service hydrographique officiel au monde créé en France en 1720, devenu établissement public national à caractère administratif en 2007, et placé sous la tutelle du Ministère de la Défense. Son objet est de garantir la qualité et la disponibilité des informations sur l'environnement maritime par le recueil, la diffusion et l'archivage de ces informations, et de satisfaire les besoins civils et militaires. Le SHOM est à la fois le service hydrographique national, un service d'appui au Ministère de la Défense pour certaines applications militaires et un service de soutien aux politiques publiques maritimes et littorales. La coexistence de ces trois missions permet d'établir des synergies face à des besoins croissants en termes de sécurité de la navigation maritime, de conduite des opérations militaires et d'expertise sur le littoral. Le SHOM dispose de 525 personnes et d'un budget de 60 millions d'euros ainsi que de moyens à la mer mis à sa disposition par la Marine Nationale pour environ 25 à 30 millions d'euros par an. Sous la présidence du Chef d'Etat major de la Marine, le conseil d'administration rassemble les représentants des ministères, des partenaires du SHOM, et des personnalités qualifiées dont le Président de l'association nationale des élus du littoral. Le SHOM est certifié ISO 9001 depuis 2004. Il poursuit une logique de coopération avec les autres organismes de recherche et opérateurs au plan national et international. Si sa culture interne privilégie davantage le « savoir-faire » que le « faire-savoir », le SHOM met l'accent sur les actions de long terme, et utilise ainsi des données qui datent de plus de deux siècles relatives au niveau de la mer.
a fait valoir que le SHOM est l'organisme de référence pour l'évaluation du niveau de la mer et la prévision des marées ; il est responsable de la cartographie des fonds marins et développe une fonction de soutien opérationnel des forces. Une océanographique opérationnelle s'est développée grâce à des efforts communs avec le Centre National d'Etudes Spatiales (CNES), le Centre National de Recherche Scientifique (CNRS), l'Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer (IFREMER), l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et Météo-France, sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP) Mercator-Océan créé en 2002.
a souligné que, malgré ces outils, le SHOM n'est que l'une des « briques » en matière de prévision marine et le Grenelle de la Mer a bien mis en valeur le besoin abyssal de connaissances en la matière. Il faut associer des compétences multidisciplinaires et croiser les informations, comme l'a montré l'expérience de la tempête Xynthia, et maintenir l'effort de recherche-développement. A ce titre, il faut citer le projet de service national d'océanographie côtière opérationnelle (SNOCO) ainsi que le lancement du centre national d'alerte aux tsunamis en 2009 et le projet de dispositif « vagues submersion » piloté par Météo-France, auxquels le SHOM est associé.
a demandé si le SHOM estimait disposer de données fiables sur la cartographie marine et s'il avait des connaissances sur le niveau des terres.
a répondu que les données du SHOM étaient fiables mais que le problème résidait dans la densité des informations recueillies. En effet, la qualité d'une modélisation est fonction du degré de résolution du modèle bathymétrique, c'est-à-dire de la représentation des fonds marins en trois dimensions. C'est pour améliorer la densité de ces informations qu'a été lancé le projet « Litto3D » sous l'impulsion du Comité Interministériel de la Mer (CIMER), en 2003, et du Comité Interministériel pour l'Aménagement et le Développement du Territoire (CIADT), en 2004. Le CIMER a demandé la mise en place d'un programme national en décembre 2009. Pour la connaissance du niveau des terres, cette compétence relève de l'Institut Géographique National (IGN). Le trait de côte, défini conjointement entre le SHOM et l'IGN marque en effet la frontière de leurs compétences respectives. Cependant, il faut remarquer que la cartographie terrestre nécessite des outils plus simples à manipuler que la cartographie marine, car tous les sites sont accessibles pour des photographies aériennes et des mesures par lasers aéroportés.
a interrogé M. Gilles Bessero sur la multiplicité des organismes intervenant dans le domaine de la recherche sur le milieu marin. Il lui a demandé s'il fallait regrouper ces organismes, mieux les coordonner ou les laisser en l'état.
a répondu que chacun de ces organismes disposait de compétences spécifiques et que, dès lors, un regroupement ne créerait pas d'économies. Il existe déjà une grande coordination, un partage de données avec des sites à disposition du public comme le géoportail. Par ailleurs, se met en place une coordination à la carte, en fonction des compétences et des problématiques, comme pour la coopération sur l'alerte aux tsunamis par exemple. La problématique est davantage celle du donneur d'ordre et du« chef de file ». Les priorités doivent être définies par les pouvoirs publics.
a demandé dans quelle mesure le SHOM était intervenu avant, pendant et après le déroulement de la tempête Xynthia.
a répondu que le SHOM n'avait pas joué de rôle « en amont » de la catastrophe, mais seulement en aval. Il a rappelé que le déclenchement de la tempête Xynthia était dû à un phénomène météorologique. Le SHOM apporte sa contribution grâce à l'observation instantanée du niveau de la mer, mais les marégraphes des Sables d'Olonne et de La Rochelle n'étaient pas équipés pour une transmission des données en temps réel.
a précisé que seulement 17 marégraphes disposaient de cette faculté sur le littoral métropolitain. Il a ajouté que le programme de mise à niveau des marégraphes avait débuté en 2009 dans le cadre du projet d'alerte aux tsunamis et que la généralisation du dispositif était prévue pour fin 2012.
En réponse à M. Alain Anziani, rapporteur, sur l'utilisation qui aurait pu être faite de telles données en temps réel, il a indiqué que Météo-France aurait sélectionné les données pour obtenir le meilleur modèle de prévision et d'alerte.
a demandé si les données recueillies par les marégraphes pouvaient être considérées comme fiables par Météo-France.
a répondu que Météo-France développait un modèle « vague submersion » qui serait mis en place d'ici la fin 2011, avec un dispositif d'avertissement selon des couleurs (vert, orange, rouge etc). Les données seraient révisées toutes les six heures. Le maître d'oeuvre est Météo-France et les données des marégraphes ne font qu'alimenter le dispositif.
a demandé pourquoi les données n'étaient pas toutes intégrées dans un seul système opérationnel.
a répondu que les volumes d'information étaient trop importants pour être assemblés dans un même modèle, c'est la raison pour laquelle il y avait plusieurs modèles en parallèle. Les données sont publiques mais il manque un passage au stade opérationnel. Il faut veiller à générer des alertes à bon escient et, par exemple, à ne pas procéder à des évacuations inutiles.
a expliqué qu'il existait une dualité entre les systèmes opérationnels qui devaient fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et la démarche scientifique de long terme d'amélioration des modèles de prévision.
a demandé s'il ne manquait pas un schéma d'ensemble qui relierait les phases de prévision, prévention et protection.
a estimé qu'il convenait effectivement d'avoir une approche intégrée mais que la phase « aval », c'est-à-dire la diffusion du message d'alerte et les mesures qui sont prises en conséquence, ne relevait pas de la compétence du SHOM. Il a indiqué que cela relevait d'une concertation entre la direction de la sécurité civile et la direction générale de la prévention des risques, ainsi que de l'interface entre les Préfets, les maires et les habitants. Lors de la tempête de 1953 aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, qui a fait plus de 2.000 morts, les messages d'alerte n'étaient pas parvenus jusqu'aux communes concernées.
a demandé à M. Gilles Bessero s'il pensait qu'un phénomène comme Xynthia pouvait se renouveler et, d'une manière générale, s'il constatait un développement de ce type de phénomènes.
a répondu que Xynthia était un phénomène exceptionnel avec malheureusement une coïncidence d'un vent fort, d'une élévation du niveau de la mer due à la pression atmosphérique et au vent et d'une pleine mer de fort coefficient. Si la dépression atmosphérique était passée quelques heures plus tôt ou plus tard, les conséquences auraient été moins lourdes. Le phénomène peut évidemment se reproduire mais sa probabilité d'occurrence est infime.
a cité le récent « coup de mer » sur la Côte d'Azur en demandant si les tempêtes se faisaient plus fréquentes.
a répondu que le SHOM n'avait pas de compétence pour répondre sur ce sujet. Sur le niveau de la mer, il observe grâce aux marégraphes à Brest et Marseille notamment, une élévation de 1,2 millimètres par an du niveau de la mer sur les deux cents dernières années, mais avec des variations suivant les décennies comportant des phases d'accélération et de décélération, sans qu'il soit toujours possible de distinguer les évolutions conjoncturelles des évolutions structurelles. Des observations par satellite, sur des périodes plus courtes, font état d'une élévation du niveau de la mer de 2 à 3 millimètres par an. Enfin, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a observé une élévation du niveau de la mer très variable suivant les océans, avec des cas très problématiques comme ceux des Etats insulaires du Pacifique. Sur les côtes françaises, à Brest ou au Mont-Saint-Michel, l'évolution tendancielle du niveau de la mer n'a pas beaucoup d'impact, tant sont grandes les amplitudes de marées.
a répondu, qu'à titre personnel, il estimait qu'il convenait de s'interroger sur le message d'alerte adressé aux citoyens et sur le fait que l'alerte parvienne aux bonnes personnes. On pouvait aussi regretter que les efforts de recherche et de mise en oeuvre opérationnelle des données ne soient pas allés plus vite. Il a constaté que, dans nos sociétés modernes, on oubliait trop souvent les risques naturels.
a rappelé, qu'au cours d'une précédente audition, il avait été indiqué à la mission que des pays comme la Belgique mettaient beaucoup plus de moyens sur la prévention et que la France mettait davantage l'accent sur la protection.
a répondu que tout était une question de dosage et de culture du risque. Les ouvrages de protection comme les digues sont faits pour s'inscrire dans la durée, mais il faut mesurer toutes les conséquences de s'installer dans des zones à risques.
Puis, la mission a entendu M. Stéphane Raison, directeur de l'aménagement et de l'environnement de Dunkerque port, ancien chef du service maritime et des risques de la direction départementale de l'équipement (DDE) de Vendée.
Ayant brièvement décrit ses fonctions à la préfecture de Vendée entre 2005 et 2008, M. Stéphane Raison a exposé qu'il avait étudié les digues de La Faute-sur-Mer à l'occasion du congrès « Génie civil, génie côtier » de Nice en 2008 ; à ce titre, il a observé que les côtes vendéennes, considérées comme représentatives des côtes en érosion, étaient fréquemment étudiées par les universitaires et les spécialistes du trait de côte. Il a indiqué que sa communication avait repris les éléments figurant dans l'atlas des zones submersibles -qui avait été élaboré par la DDE et qui mettait en évidence la vulnérabilité des secteurs situés à l'arrière des digues en les classant en « zone rouge »-, ces éléments ayant été portés à la connaissance des élus locaux et de la population dès 2002.
a, de plus, rappelé qu'un arrêté préfectoral de classement des digues de La Faute-sur-Mer avait été prescrit en 2005, et qu'il avait alors été demandé à la commune de faire réaliser un diagnostic de ses ouvrages de protection. Ce diagnostic a révélé que la partie sud de la digue avait une altimétrie insuffisante et qu'elle présentait certains défauts structurels (une expertise géotechnique de structure a, en effet, montré que les matériaux qui composaient la digue étaient hétérogènes et que, en conséquence, celle-ci n'assurait pas une protection optimale des populations).
Sur une question de M. Charles Gauthier, il a précisé que l'altimétrie de crête de digue était de 4 mètres NGF, c'est-à-dire 50 à 70 centimètres de moins que ce qui aurait été nécessaire pour faire face à des évènements extrêmes.
a précisé que cette démarche avait été étendue à la moitié des digues de Vendée au cours de l'année 2005, si bien que 43 kilomètres de digues sur 100 avaient fait l'objet d'un diagnostic complet ; dans ce cadre, la DDE a noté que les digues étaient d'autant mieux entretenues que les gestionnaires avaient une forte conscience du risque.
Interrogé par M. Alain Anziani, rapporteur, sur les délais d'approbation des plans de prévention des risques (PPR), M. Stéphane Raison a souligné que la démarche de classement des ouvrages de protection lancée par la préfecture de Vendée en 2005 avait permis d'accélérer la signature des arrêtés portant anticipation des PPR. En outre, il a expliqué que la question de la gestion du trait de côte et des systèmes littoraux n'avait été prise en compte que de manière récente. Il a relevé que les submersions marines comparables à celle qui était intervenue lors de la tempête Xynthia avaient une récurrence très faible et que, de ce fait, elles n'étaient que rarement perçues comme un problème urgent par les élus locaux.
En réponse à une remarque de M. Alain Anziani, rapporteur, qui envisageait la mise en place d'une « date butoir » ou d'un délai maximal pour l'approbation des PPR, M. Stéphane Raison a fait valoir que le corpus réglementaire existant permettait déjà aux préfets de faire obstacle à la délivrance de permis de construire dans les zones à risque. Il a indiqué que la préfecture de Vendée avait utilisé l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme à cette fin à de multiples reprises à partir de 2007, et avait profité de sa mission de « porter à connaissance » auprès des élus locaux pour mettre en avant l'existence d'un risque naturel grave.
À M. Alain Anziani, rapporteur, qui lui demandait comment les conclusions de sa communication avaient été prises en compte sur le terrain, M. Stéphane Raison a répondu que la préfecture avait mené de nombreuses actions de communication (par exemple, 3 000 plaquettes d'information ont été distribuées dans les communes de La Faute-sur-Mer et de L'Aiguillon lors de l'approbation anticipée du PPR couvrant ces communes), mais que les élus locaux n'avaient pas pleinement tiré les conséquences de ces informations en raison d'une défaillance de la « mémoire du risque », qui peut parfois mener à un véritable « déni ». Par ailleurs, il a estimé que les moyens affectés à la défense contre la mer avaient été insuffisants et qu'il était nécessaire de trouver de nouvelles solutions de gestion et de financement des digues.
En réponse à M. Alain Anziani, rapporteur, qui s'interrogeait sur la manière de fédérer le savoir-faire des acteurs impliqués dans la « chaîne » de gestion des risques (selon le triptyque « prévision, prévention, protection ») et de mettre en place un schéma d'intervention global, M. Stéphane Raison a souligné que la question du niveau le plus pertinent pour mettre en oeuvre cette vision globalisée devrait alors être posée et que, plus particulièrement, il conviendrait de déterminer si cette mission devait être confiée aux services déconcentrés du niveau départemental (directions départementales des territoires et de la mer, DDTM) ou du niveau régional (directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement, DREAL).
a estimé nécessaire d'affirmer et de renforcer la responsabilité des préfectures en matière de diffusion des alertes et d'évacuation des populations. Il a ensuite interrogé M. Stéphane Raison sur les modalités d'amélioration de la culture du risque.
a estimé que l'insuffisance de la mémoire du risque (dont témoignaient les difficultés qu'il avait rencontrées pour collecter des informations sur les évènements climatiques majeurs passés lors de sa prise de fonctions à la préfecture de Vendée) faisait obstacle au développement d'une véritable culture du risque en France métropolitaine.
a fait valoir qu'un travail de caractérisation et de recensements des tempêtes passées était indispensable. En outre, il a exposé que les travaux sur la gestion du trait de côte, bien que nombreux et de qualité, n'avaient pas été vulgarisés et n'étaient donc pas accessibles au public. Enfin, il a considéré qu'un effort de pédagogie devait être mené sur le terrain, et notamment dans les écoles, et que de telles actions pourraient être organisées en partenariat avec les associations de protection de l'environnement.