Dans le cadre des missions d'information à l'étranger organisées chaque année par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, une délégation de cinq sénateurs s'est rendue en Corée du Sud du 17 au 23 avril 2011. Il s'agissait d'étudier la situation économique de ce pays ainsi que ses nouveaux axes de développement dans les nouvelles technologies et l'environnement.
MM. Dominique Braye, Gérard Le Cam, Hervé Maurey et Mme Renée Nicoux ont participé à cette mission à mes côtés.
Ce voyage constituait un complément à la mission organisée par notre commission trois ans auparavant dans le Japon voisin. Ces deux pays ont en commun d'avoir su construire une réussite économique spectaculaire sur un territoire exigu, montagneux et quasiment dépourvu de ressources naturelles.
Il faudrait pourtant se garder de confondre, comme on le fait trop souvent, la Corée du Sud avec ses deux grands voisins que sont la Chine et le Japon. Je dois donc vous rappeler quelques données générales.
La République de Corée - c'est son nom officiel - occupe une superficie de 99 600 km², soit moins du cinquième de la France métropolitaine, pour une population de près de 50 millions d'habitants. Il faut ajouter que les quatre cinquièmes de ce territoire sont à peu près inhabités car montagneux : l'occupation du territoire est donc caractérisée par une concentration très importante dans les centres urbains. La mégalopole de Séoul est l'une des plus importantes du monde avec environ 20 millions d'habitants ; elle concentre à elle seule 40 % de la population du pays. La densité de la population n'a d'équivalent que le manque de ressources naturelles, notamment de sources d'énergie.
Enfin le produit intérieur brut par habitant des Coréens en parité de pouvoir d'achat était en 2010 de 30 000 $ par an : il n'est plus très éloigné de celui des Français qui était de 34 000 $ la même année.
Située géographiquement entre le Japon et la Chine, la Corée a souvent servi de lieu de passage entre ces deux civilisations. C'est encore le cas sur le plan du développement économique. Le pays est en effet dans un statut intermédiaire : contrairement au Japon, la Corée est une économie encore en pleine croissance (6,1 % en 2009). Le dynamisme de son économie face aux crises majeures de 1997 et de 2008 n'a pas laissé de nous impressionner.
La Corée résiste donc aux catégorisations faciles : ce pays que l'on peut désormais considérer comme riche présente toujours un profil de croissance proche de celui d'un pays émergent.
On a parlé au sujet de la Corée du Sud, qui était l'un des pays les plus pauvres du monde il y a cinquante ans, de « miracle sur le fleuve Han », par référence au « miracle sur le Rhin » du développement allemand après la seconde guerre mondiale.
Nous avons constaté, au cours de nos visites sur place, que ce miracle se caractérise par une intervention forte de l'État, qui trace des lignes directrices et, bien souvent, choisit des grands partenaires industriels chargés de conduire le développement de nouvelles filières.
Nous avons ainsi pu visiter le complexe sidérurgique de Pohang, qui appartient à POSCO. Cette entreprise a été créée de toutes pièces à la fin des années 1960 sur décision du gouvernement, qui a choisi un partenaire privé. Le groupe est devenu un fournisseur majeur de l'industrie coréenne, notamment de son secteur automobile et de son industrie navale : sa production de 35,4 millions de tonnes d'acier par an le place parmi les tout premiers rangs mondiaux. Une planification soignée a permis de créer sur un seul site, de manière rationnelle, toutes les étapes du traitement de l'acier jusqu'à la création de produits semi-finis.
La même approche et la même ambition ont été appliquées dès la fin des années 1960 dans la construction d'un réseau autoroutier, sur le modèle de l'Allemagne. Visionnaire à l'époque, compte tenu du sous-développement du pays, ce réseau est devenu par la suite une infrastructure essentielle au développement de l'économie.
Le rôle de l'État est tout aussi frappant dans le cas de l'industrie nucléaire. Nous nous rappelons tous comment les Émirats arabes unis ont choisi, fin 2009, la société sud-coréenne Kepco de préférence à un consortium regroupant l'ensemble des acteurs du secteur en France. Ce choix a été ressenti en France comme un échec et le signe d'une mauvaise organisation de notre filière. Je voudrais souligner qu'il résulte aussi, tout simplement, de la qualité de l'offre coréenne, qui a su s'adapter à la demande du client grâce à une réactivité plus grande.
La Corée est en effet un pays nucléaire ancien et, à certains égards, comparable à la France : 21 réacteurs sont en fonctionnement, les plus anciens ayant été installés aux environs de 1980. Comme chez nous, l'électricien local est parti d'une technologie nord-américaine, que les industriels locaux se sont peu à peu appropriée jusqu'à devenir compétitifs à l'exportation. Nous avons visité l'usine de Doosan, dans le sud-est du pays : nous avons pu assister, sur un site unique de 400 hectares, aux deux extrémités de la chaîne de production, depuis le pressage à chaud de l'acier jusqu'à la finition d'une cuve de réacteur. Cette stratégie d'intégration, aussi bien verticale qu'horizontale, est une caractéristique majeure des grandes entreprises coréennes.
Les réacteurs coréens ne visent toutefois pas toujours les mêmes marchés et les réacteurs français, notamment l'EPR, conservent certainement un avantage en terme de sûreté : c'est ce que nous avons entendu de la bouche même d'un expert nucléaire coréen...
L'économie coréenne a ainsi su, au contact des autres pays, acquérir de manière accélérée les connaissances et les technologies qui lui ont permis de conquérir des positions importantes, parfois dominantes, sur des secteurs industriels dont elle était absente peu d'années auparavant. Nous l'avons constaté tout particulièrement dans le cas des nouvelles technologies.
Nous avons examiné il y a quelques jours une proposition de loi de nos collègues Hervé Maurey et Philippe Leroy sur l'aménagement numérique du territoire : un tel texte ne serait sans doute pas nécessaire en Corée du Sud... On nous a indiqué en effet que le déploiement de la fibre optique a été financé par les opérateurs. Il leur a été demandé, de manière informelle, d'étendre leur couverture en direction des zones rurales. C'est encore une marque de la capacité de l'État à impulser des politiques en harmonie avec les entreprises privées...
La Corée du Sud est aujourd'hui le pays le plus connecté au monde ; elle vise l'ultra-haut débit fixe (1 gigabit par seconde) et mobile (10 mégabit par seconde).
Le comportement très technophile des citoyens se reflète dans le développement des entreprises des technologies de l'information. La Corée ne compte pas un, mais deux leaders mondiaux dans le secteur des téléphones portables : Samsung et LG, respectivement 2e et 3e mondiaux au 2e trimestre 2011.
Mais le développement de la Corée se fonde aussi, et peut-être surtout, sur une ressource qui compense l'absence de ressources naturelles : c'est sa population, qui donne au travail et à l'éducation une place qui ne connaît guère d'équivalent dans les pays développés.
La Corée du Sud est, avec la Finlande, le pays qui obtient les meilleurs résultats dans les tests éducatifs PISA, au prix d'un investissement financier considérable des parents. La Corée détient également le record du nombre d'heures travaillées dans l'OCDE.
Tout n'est pas pour autant positif : le taux de natalité est, lui, le plus faible de l'OCDE, et le renouvellement des générations ne pourra être assuré par croissance naturelle.
Aujourd'hui, la Corée se fixe un nouveau défi en tentant de donner une orientation « verte » à une croissance jusqu'ici fondée sur le paradigme productiviste.
La croissance de la Corée du Sud a un prix : les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté dans ce pays depuis 1990, beaucoup plus que dans les grands pays occidentaux. La consommation d'énergie repose pour l'essentiel sur les carburants fossiles, ce qui rend sa dépendance particulièrement préoccupante à l'égard des pays producteurs.
La Corée du Sud a donc lancé, à partir de 2008, une politique de « relance verte » qui est présentée comme le nouveau grand axe de développement du pays, après la grande industrie dans les années 1960-1970 ou les nouvelles technologies depuis les années 1990. Nous avons été frappés par le volontarisme affiché par les autorités comme les entreprises.
Nous avons visité un centre de traitement des déchets de niveau comparable aux installations françaises, mais situé en pleine ville, sous un parc urbain, alors que le même projet aurait sans doute rencontré des obstacles en termes d'acceptabilité dans notre pays.
Je ferai toutefois observer que la Corée est un pays pragmatique s'il en est : le réalisme économique n'est pas absent de l'économie verte. On peut même dire que c'est sans doute sa composante principale... Le virage environnemental se fonde, d'abord et avant tout, sur le développement de filières industrielles « vertes » qui tentent de reproduire le succès rencontré à l'export par leurs aînées.
C'est le cas de l'industrie éolienne comme de l'industrie photovoltaïque. Nous avons visité une usine de panneaux photovoltaïques qui, là encore, repose sur un modèle d'intégration verticale ambitieux, depuis la fabrication des lingots de silicium jusqu'à la production de panneaux complets. Cette usine, à elle seule, pouvait produire, lors de notre visite, 580 mégawatts de cellules par an, avec un objectif de 2 000 mégawatts en 2012 : elle pourrait, à elle seule, alimenter une partie importante du marché français...
Ces réussites ne doivent toutefois pas cacher les limites des politiques environnementales. La mise en place d'un système d'échange de permis d'émission de gaz à effet de serre prend du retard alors qu'il est en place chez nous depuis longtemps. La Corée ne fait d'ailleurs pas partie des pays dits de « l'annexe 1 » au sens du traité de Kyoto, c'est-à-dire qu'elle ne s'est pas vu assigner des objectifs précis de diminution des émissions de gaz à effet de serre. Cette situation pourrait être remise en cause, car la Corée est désormais un pays pleinement développé.
M. Kim Sung-soon, président de la commission de l'environnement et du travail de l'Assemblée nationale coréenne, nous a longuement interrogés sur le projet d'instauration d'une « taxe carbone » en France : cet échec, nous a-t-il dit, a fait réfléchir les autorités coréennes dans la mise en place d'une législation de lutte contre le changement climatique.
Enfin, je voudrais signaler que la Corée du Sud et la France partagent plus de caractères qu'on ne croit : identité très ancienne, pays aujourd'hui de taille moyenne sur la scène mondiale, rôle d'impulsion de l'État en matière économique, position forte sur des secteurs économiques tels que les grandes infrastructures énergétiques et de transport. La France a remporté le marché du TGV sud-coréen il y a 20 ans, au prix de transferts technologiques qui, sans doute, ne sont pas pour rien dans la capacité qu'a aujourd'hui la Corée du Sud à présenter son propre modèle de train à grande vitesse dans les appels d'offre internationaux...
La création et le développement de Renault-Samsung constituent actuellement l'une des implantations françaises les plus remarquées dans la péninsule. La marque Samsung a été conservée à cause de son attrait sur le marché coréen, mais c'est bien le groupe français qui détient majoritairement le capital de cette société qui produit des véhicules développés en partenariat avec Nissan. Il s'agit d'un excellent exemple de coopération entre les équipes françaises et coréennes, qui a permis à une firme française de conquérir une place, certes minoritaire, sur un marché dominé par des firmes locales de taille mondiale telles que Hyundai ou Kia. Je vous rappelle en effet que la Corée du Sud est devenue le cinquième producteur mondial d'automobiles, devant la France.
Les entrepreneurs français que nous avons rencontrés nous ont signalé tout l'intérêt que représente la Corée du Sud pour nos sociétés : la qualité de la main-d'oeuvre, la proximité des marchés japonais et surtout chinois devraient encourager nos entrepreneurs à s'intéresser plus encore à ce pays. La Corée se présente comme le « hub » de l'Extrême-Orient : le pays est en effet un excellent point d'entrée pour cette région.
Je voudrais en conclusion souligner la richesse de ce déplacement, dont la réussite est aussi due à la coopération de l'ambassade de France. Il nous a montré comment un pays peut, même après avoir atteint un niveau de développement considérable, conserver tout son dynamisme économique et industriel. Puisse cette attitude nous inspirer !
Pouvez-vous nous donner des précisions sur le régime politique coréen, l'organisation du système économique et la politique d'éducation et de formation, notamment en ce qui concerne l'enseignement supérieur ?
La mission nous a permis de revenir sur beaucoup d'idées préconçues sur la Corée du Sud, que l'on perçoit encore comme un pays en développement alors qu'il s'agit en réalité d'une économie intensément développée, fortement concurrente de notre industrie nationale, qu'elle a même dépassée dans certains secteurs. L'essor des énergies renouvelables, essentiellement tourné vers l'export et concurrençant directement les producteurs français, par exemple dans le photovoltaïque, s'inscrit également dans une recherche d'indépendance énergétique. Les investissements très importants réalisés dans la formation se répercutent au niveau de la productivité, particulièrement élevée. Les Coréens sont extrêmement préoccupés par la formation de leurs enfants, dès le plus jeune âge, ce qui peut se révéler très stressant pour ces derniers.
La Corée du Sud est un pays très impressionnant : dépourvu de ressources, il importe tout pour transformer et réexporter. Majoritairement montagneux, le pays est bordé par une plaine côtière source d'activités économiques ; il se consacre toutefois principalement à son secteur industriel, qui est l'un des plus performants au monde. Connaissant une très forte densité démographique, il accorde une grande importance à la vie familiale mais se caractérise par un faible taux de mariage des femmes, celles-ci craignant, sur le plan culturel et social, d'être absorbées par la famille de leur mari. Le développement de la filière environnementale vise surtout à améliorer l'image du pays. La construction d'immeubles en série, qui sont rasés puis reconstruits après 15 ou 20 ans, est étonnante. La Corée mène une politique d'acquisition de terres à l'étranger. Le volontarisme et l'âpreté au travail de ses habitants sont sans doute les traits les plus caractéristiques d'un pays qui s'est admirablement développé au cours des dernières décennies.
Le proverbe coréen « si tu as soif, creuse un puits » résume parfaitement l'état d'esprit qui anime ce pays. Le travail est la valeur fondamentale, et ce dès le plus jeune âge. Il faut avoir conscience que nos enfants seront confrontés aux leurs dans la compétition internationale de demain.
L'énergie nucléaire occupe une large place dans le bouquet énergétique, même si les énergies fossiles sont également très utilisées. Quelles sont les mesures prévues en matière environnementale ? Quelle est la part des différentes sources de production d'énergie dans la consommation d'électricité ?
Quelle technologie a été utilisée pour la mise au point du TGV coréen ? Quels sont, plus généralement, les moyens de transport les plus utilisés ? Quelles relations le pays entretient-il avec le nôtre en matière agroalimentaire ? Quel est le coût de la main d'oeuvre ? Quel est le temps de travail ? Comment sont organisées les retraites ?
Quelles sont les orientations du commerce extérieur ? Quel est l'équilibre budgétaire ? Quel est le cours de la monnaie nationale par rapport à celui des monnaies chinoise et américaine ? Les grands projets de recherche coréens sont difficilement accessibles, quel est le niveau de dépense en matière de formation ? Quelle est la politique en matière démographique et d'immigration ?
Au début des années 1990, le groupe français Alstom a vendu le TGV à la Corée, en la faisant bénéficier d'un transfert technologique. Y a-t-il eu depuis d'autres cas de transferts de ce type ?
Je souscris aux observations de nos collègues Renée Nicoux, Gérard Le Cam et Hervé Maurey, membres de la délégation.
La Corée du Sud est une démocratie, connaissant un régime parlementaire monocaméral ; elle est présidée par un ancien chef d'entreprise.
Le système éducatif, majoritairement privé, est dominé par des universités de très haut niveau particulièrement coûteuses.
La « filière verte », essentielle pour l'économie du pays, est tournée vers l'extérieur, la Corée étant peu vertueuse d'un point de vue environnemental. Il s'agit d'un modèle inverse à celui de notre pays.
L'énergie électrique provenait à 34 % du nucléaire en 2009, un niveau qui devrait atteindre 60 % en 2030. Les énergies renouvelables représentaient 2,2 % de la production énergétique totale en 2006, et la dépendance pétrolière était alors de 43 % ; en 2030, ces proportions devraient être de respectivement 11 et 22 %.
Les transports se font quasi exclusivement en voiture, presque toutes de marque coréenne.
Dans le secteur agroalimentaire, un accord de libre-échange avec l'Union européenne est entré en vigueur en 2011. Il s'agit d'un marché intéressant pour nos entreprises.
Le droit du travail est quasi inexistant. Les Coréens travaillent près de 2 300 heures chaque année, contre 1 600 environ pour les Français.
La croissance démographique est de 0,2 %, l'espérance de vie étant de 79,4 ans. La natalité est donc peu élevée, ce qui constitue une des faiblesses du pays, d'autant plus que la Corée du Sud n'est pas très ouverte à l'immigration.
La balance commerciale était, en 2009, excédentaire de 42 milliards de dollars, les principaux partenaires commerciaux étant, dans l'ordre décroissant, la Chine, l'Union européenne, les États-Unis, le Japon et Hong-Kong.
On pourrait comparer le pays, de ce point de vue, avec la France des années 1960, qui connaissait alors de grands plans économiques et industriels. La place des grands groupes intégrés est par ailleurs prépondérante.
Il faut conserver à l'esprit l'histoire particulière du pays, issu d'une partition et aspirant, à plus ou moins long terme, à une réunification. Le rapprochement de la ville de Nantes avec la ville coréenne de Suncheon a été l'occasion d'observer les mutations à l'oeuvre dans ce pays, qui a entamé une politique titanesque de reconquête environnementale. Très active sur la scène internationale, comme l'a illustré sa candidature à l'accueil de la conférence mondiale sur le climat, la Corée du Sud s'intéresse de près à l'économie circulaire et devrait évoluer très rapidement de ce point de vue.
Le pays est animé par une exceptionnelle cohésion, et cherche tant à dépasser le Japon qu'à exister face à la Chine.
En tant que présidente du groupe d'amitié France - Corée du Sud, je vous invite à y adhérer.
La publication du rapport d'information a été autorisée.