La délégation auditionne tout d'abord, dans le cadre d'une première table ronde, des représentantes de la profession de médecin : le Dr. Irène Kahn-Bensaude, membre du Conseil de l'ordre des médecins, le Dr. Cécile Renson, présidente de l'Association française des femmes médecins (AFFM), le Dr. Christine Bertin-Belot, représentante du Pôle femmes du Syndicat des médecins libéraux (SML) et Mme Frédérique Martz, responsable de la communication du SML, ainsi que Mme Nathalie Lapeyre, maîtresse de conférences en sociologie à l'Université de Toulouse II.
Dans le cadre de nos auditions sur notre thème annuel de réflexion « Femmes et travail », je suis heureuse d'accueillir ce matin un certain nombre de représentantes éminentes de la profession de médecin.
Les auditions que nous avons réalisées jusqu'à présent portaient principalement sur le travail salarié que les femmes ont investi massivement depuis une trentaine d'années.
Mais ce n'est évidemment pas l'unique forme que prend l'emploi et, en particulier, l'emploi féminin, et il m'a semblé utile que nous consacrions également des auditions à la question des femmes dans les professions libérales ou indépendantes, d'autant que certaines d'entre elles - c'est le cas de la profession de médecin ainsi que des professions juridiques que nous rencontrerons en seconde partie de matinée - sont fortement féminisées.
Je ne doute pas que nous y retrouvions les mêmes phénomènes que nous avons pu déplorer dans le monde du salariat, mais sans doute ceux-ci prennent-ils une forme particulière dans le cas de l'exercice de la profession de médecin, que ce soit en milieu hospitalier ou en médecine de ville, et suivant d'ailleurs que celle-ci est exercée en milieu urbain ou périurbain, ou en milieu rural.
Le questionnaire qui vous a été adressé recense, à titre d'aide-mémoire, quelques-uns des thèmes sur lesquels nous souhaiterions recueillir votre point de vue.
Commençons par quelques chiffres, fournis par la géographe de la santé du Conseil national. Parmi les 260 000 médecins inscrits à l'Ordre, le nombre de femmes est passé de 38 % en 2008 à 42 % en 2012, et devrait dépasser les 50 % en 2015. Entre 2008 et 2012, la part de femmes médecins exerçant en libéral a augmenté de 4,4 %, tandis que la part de femmes salariées augmentait de 10,7 %. Preuve que les femmes médecins se dirigent de plus en plus vers le salariat. La distinction n'est toutefois pas toujours si nette : les médecins hospitaliers sont salariés, et les médecins libéraux occupent souvent un poste salarié en sus.
Pas moins de 70 % des nouveaux inscrits à l'Ordre sont salariés.
Il s'agit très souvent de jeunes chefs de clinique, obligés de s'inscrire à l'Ordre, qui seront salariés pendant quatre ans. Au bout de cinq ans, 30 % d'entre eux s'installent en libéral. Il est donc normal qu'il y ait peu de médecins libéraux parmi les nouveaux inscrits.
Le nouvel atlas de démographie médicale sort aujourd'hui.
Auparavant, les jeunes médecins mettaient en moyenne huit ans avant de s'installer en libéral, aujourd'hui cinq ans nous dit Mme Kahn-Bensaude ; c'est une bonne nouvelle.
Ces données sont-elles sexuées ?
Non. Le nouvel atlas sera plus précis.
Selon la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), on comptait, en 2010, 31 % de femmes médecins en libéral, contre 69 % d'hommes.
La féminisation s'accompagne de la recherche d'un exercice plus sécurisant.
C'est pourquoi les femmes médecins souhaitent le plus souvent s'installer en groupe.
Cela fait dix ans que je me penche sur la féminisation des professions. On observe depuis cinq à dix ans une fracture générationnelle chez les médecins. Les jeunes médecins, hommes et femmes, partagent désormais les mêmes aspirations de vie. Le dialogue avec leurs aînés est d'ailleurs parfois difficile... C'est l'effet de la féminisation de la profession, qui est ancienne, mais aussi de celle du marché du travail en général : les conjointes des jeunes médecins hommes sont des femmes diplômées du supérieur, cadres, qui leur imposent de réduire leur temps de travail pour que leur activité professionnelle reste vivable pour le couple. Cette aspiration n'est toutefois pas toujours facile à réaliser, pour des questions de démographie médicale, surtout dans certaines spécialités... La féminisation du monde du travail est une véritable lame de fond.
Les hommes se féminisent !
L'arrivée des femmes dans une profession en transforme les conditions d'exercice.
On a surtout dit qu'elle la paupérisait !
Les femmes portent d'autres exigences que les hommes, car elles doivent concilier beaucoup de choses.
Un mot sur les déserts médicaux. Les femmes médecins sont en général mariées à des hommes de niveau socioculturel élevé. Là où il n'y a pas d'école, et surtout pas de travail pour le conjoint, elles ne peuvent s'installer. L'aménagement du territoire est primordial.
Il faudrait aussi inciter les médecins à se déplacer pour aller travailler.
C'est ce que prône le Conseil de l'Ordre : on peut très bien faire 40 kilomètres pour se rendre dans son cabinet.
C'est une solution particulièrement adaptée pour des exercices à temps partiel ou aménagé.
Il faut rappeler qu'un mi-temps, pour un médecin, c'est 35 heures !
Le temps de travail moyen des femmes médecins est de 50 heures par semaine, contre 55 pour les hommes. Si elles souhaitent travailler à mi-temps, les femmes ont intérêt à se regrouper, afin de pouvoir se remplacer mutuellement et se partager la permanence des soins, qui est chronophage.
L'articulation entre activité professionnelle et vie personnelle n'est pas facile, j'imagine.
Avec la féminisation de la profession, c'est un sujet crucial. L'exercice à temps partiel en libéral ne permet pas aux femmes médecins de vivre, étant donné le poids des charges et des cotisations.
Celles-ci peuvent représenter 70 % du revenu.
L'exercice à temps partiel en libéral n'est viable que lorsque le conjoint travaille et qu'il s'agit d'un revenu d'appoint. C'est pour cette raison que les jeunes femmes ne sont que 9 % à s'installer en libéral. Et les choses ne vont qu'empirer avec ce qui se prépare en ce moment... On tire sur le libéral depuis si longtemps que les jeunes médecins ont fini par le fuir !
Les femmes se tournent de plus en plus vers les remplacements, elles gagnent mieux leur vie ainsi : 75 % des remplaçants sont des femmes. Mais les hommes suivent leur exemple...
Pas moins de dix mille médecins remplaçants sont inscrits à l'Ordre.
Des femmes, mais de plus en plus d'hommes aussi !
En 2012, on compte 42 % de médecins femmes ; en libéral, elles sont seulement 31 %. Elles représentent 32,4 % des spécialistes, 30,5 % des généralistes.
Les femmes médecins choisissent-elles certaines spécialités plus que d'autres ?
Le choix de la spécialité dépend du classement à l'examen national classant, qui a remplacé l'ancien internat. Les mieux classés peuvent choisir leur spécialité, les derniers prennent ce qui reste.
Beaucoup de femmes écartent délibérément certaines spécialités, notamment celles qui supposent beaucoup de gardes. Au 1er janvier 2010, la spécialité la plus choisie était la médecine générale : 69 % d'hommes, 31 % de femmes.
Choix réel ou par défaut. C'est la spécialité qui offre le plus de postes.
Ensuite vient la chirurgie : 95 % d'hommes, 5 % de femmes.
Avec des différences entre spécialités chirurgicales. Il y a très peu de candidates en chirurgie orthopédique, par exemple.
Troisième dans l'ordre des spécialités les plus choisies : la radiologie, avec 75 % d'hommes et 25 % de femmes. Puis viennent la spécialité en pathologie cardiovasculaire, avec 85 % d'hommes pour 15 % de femmes ; en psychiatrie, avec 61 % d'hommes pour 39 % de femmes ; en ophtalmologie, avec 58 % d'hommes et 42 % de femmes ; en gynécologie-obstétrique, avec 64 % d'hommes et 36 % de femmes.
Les jeunes médecins qui s'installent choisissent en priorité la médecine générale, puis les spécialités suivantes, dans l'ordre, pour les hommes : chirurgie, anesthésie, radiologie, pathologie cardiovasculaire, psychiatrie, et enfin gynécologie-obstétrique ; pour les femmes : psychiatrie, radiologie, pédiatrie, gynécologie-obstétrique, dermatologie, ophtalmologie. Ces choix sont aussi fonction du nombre de postes ouverts chaque année. En anatomie pathologique, par exemple, il y en a eu l'an dernier deux pour toute la France !
Quand l'anesthésie-réanimation était une nouvelle spécialité, elle attirait essentiellement des femmes. Mais vu l'importance des gardes, elle est désormais essentiellement masculine...
Quid de l'accès aux postes à responsabilité ? Quelle est la proportion de femmes parmi les chefs de service ?
Une enquête quantitative montre que les professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PUPH) sont à 80 % des hommes. Mais il y a 50 % de femmes chez les simples praticiens hospitaliers (PH).
Chez les chefs de pôle, il y a une écrasante majorité d'hommes.
Il y a dix ans, le pourcentage de femmes était de 7 %.
Rose-Marie Van Lerberghe, ancienne directrice de l'AP-HP, avait coutume de dire que le féminin de PUPH, c'est PH !
Les femmes sont aussi victimes d'une contre-sélection due à l'âge auquel on parvient au clinicat : 29 ans, c'est l'âge moyen de la première grossesse. À compétence égale - ou inégale, d'ailleurs - un chef de service est plus enclin à donner un poste de chef de clinique à un homme.
La maternité pose de vrais problèmes aux femmes médecins. Jusqu'en 1982, elles n'avaient droit à aucune indemnité, aucune allocation.
Depuis 2006, la situation s'est nettement améliorée.
Les indemnités journalières ne permettent pas de payer un remplaçant. En libéral, c'est un vrai problème.
Pendant le congé maternité, les frais continuent de courir : loyer du cabinet, secrétaire, etc.
Le poids des charges fixes entraîne un clivage entre femmes médecins en fonction de leur activité. Par rapport à l'ensemble des femmes salariées, les médecins prennent en moyenne trois fois moins de congés maternité et pathologiques. L'avancée de 2006 a été importante sur le plan symbolique. On peut distinguer trois profils. Pour les femmes médecins qui ont une activité très réduite, les indemnités journalières, environ 2 000 euros par mois, couvrent tout juste les charges fixes du cabinet. Pour celles qui ont une activité moyenne, la situation se corse...
Le montant de l'indemnité journalière s'élève à 49,81 euros par jour.
A condition de s'arrêter six semaines avant la naissance.
Pour elles, avoir un enfant représente un investissement, il faut anticiper la maternité en mettant de l'argent de côté, bref, acheter un droit social. « J'ai payé mes enfants », m'a dit une femme médecin. Le coût est individualisé. Une jeune anesthésiste m'a indiqué que sa grossesse lui avait coûté 40 000 euros, car il lui a fallu alléger sa charge de travail. Le problème se pose encore plus cruellement dans les spécialités en déficit démographique.
Il est dès lors indispensable de contracter une assurance complémentaire.
En effet, la caisse autonome de retraite des médecins ne verse rien avant le quatre-vingt-dixième jour.
En libéral, on ne perçoit pas d'indemnité journalière de la sécurité sociale pour les arrêts maladie. Le temps de latence de la CARMF est de 90 jours. Nous poussons donc les médecins libéraux à prendre une prévoyance maladie et maternité.
Nous demandons qu'en cas de grossesse pathologique, les femmes médecins en libéral soient prises en charge au premier jour, et non, comme aujourd'hui, au quatre-vingt-onzième. La garantie complémentaire individuelle a un coût. La différence de traitement actuelle a des conséquences gravissimes, car une grossesse pathologique peut mettre en péril un cabinet libéral. Une centaine de femmes sont concernées chaque année ; c'est peu, mais pour elles, l'enjeu est crucial. Or cela ne grèverait pas les comptes de la sécurité sociale.
Si le régime général des médecins est aligné depuis 2006 sur celui des salariés, en termes de durée et d'indemnisation du congé, il en va tout autrement dans le régime social des indépendants (RSI), auquel adhèrent la plupart des médecins libéraux en secteur à honoraires libres. Le congé minimum de maternité est ainsi de huit semaines dans le régime général, contre six semaines dans le RSI ; le congé maximal, de seize semaines dans le régime général, contre dix dans le RSI. Pour des jumeaux, il est de trente-quatre semaines dans le régime général, contre quinze dans le RSI. Pour des triplés, quarante-six semaines dans le régime général, quinze toujours dans le RSI.
Or, les femmes médecins en secteur 2 ont souvent une activité relativement faible, notamment dans les médecines à expertises particulières où les consultations sont longues. Pour des triplés - j'ai récemment vu le cas - le cumul des indemnités forfaitaires s'élève à 18 560 euros dans le régime général, contre 8 100 euros dans le RSI... A l'heure où l'on sonne la charge contre le secteur à honoraires libres, il est bon de rappeler certaines réalités !
Et pour les cotisations, c'est le pompon ! Le revenu moyen d'une femme médecin est de 51 000 euros par an environ. Pour un quart d'entre elles, il est de moins de 25 000 euros par an. Comment payer des cotisations retraite qui s'élèvent à 8 000 euros par an au minimum ? Sans un conjoint correctement rémunéré, la situation des médecins libéraux à faible revenu n'est pas vivable.
Il est éclairant de voir que des professions que l'on pourrait croire épargnées rencontrent elles aussi de vrais problèmes, les mêmes qu'ailleurs.
À force de nous charger la barque, la situation est de pire en pire !
Il ne faut pas sous-estimer le poids des charges. Sur une consultation à 23 euros, le médecin ne perçoit que 10 euros.
Après la naissance du premier enfant, le temps de travail d'une femme médecin baisse de 16 %, et se réduit d'un cran à chaque nouvel enfant.
Sociologiquement, les médecins, hommes et femmes, font davantage d'enfants que les cadres de même niveau. Moi-même, j'en ai quatre. Difficile de faire tourner en même temps un cabinet libéral tout en présidant une union régionale !
Je vous crois volontiers ! Quel est le poids des charges ? A quoi tiennent les différences de rémunérations entre hommes et femmes ?
En libéral, le revenu moyen des femmes est en moyenne inférieur de 38 % à celui des hommes. Je l'ai dit, 25 % des femmes en libéral ont un revenu annuel inférieur à 25 000 euros. Les cotisations fixes et forfaitaires ont un impact sur le résultat, la cotisation au régime de retraite étant la dépense la plus lourde. Un médecin ayant des revenus libéraux de 20 000 euros, ce qui est bas, paiera 5 647 euros par an s'il exerce en secteur 1 et 8 407 euros en secteur 2.
Sans compter les autres charges et cotisations sociales.
Globalement, les cotisations représentent environ 50 % du revenu annuel. Un médecin libéral qui aurait un revenu annuel de 300 000 euros - ce qui ne me paraît pas excessif, compte tenu de la durée des études, du temps de travail et du niveau de responsabilité - paiera 18 500 euros en secteur 1, 21 259 euros en secteur 2. Plus les revenus sont bas, plus le poids des charges est monstrueux.
Je précise que l'on parle ici du revenu avant charges et impôts, qui absorberont 60 à 70 % du total...
Je parle de revenu déclaré. Sur 20 000 euros, le poids des cotisations CARMF représente 28 % en secteur 1 et 42 % en secteur 2 ; sur un revenu de 300 000 euros, il est de 6 % en secteur 1, de 7 % en secteur 2.
La sécurité sociale est quand même ce qui permet à la communauté médicale de vivre !
Quand 40 % de votre revenu passe en cotisation retraite, vous constituez certes votre retraite, mais comment faites-vous pour vivre entre temps ?
Le poids total des cotisations sociales et de retraite varie selon le régime. Dans le régime CNAM, pour un revenu de 20 000 euros, il est de 40 % en secteur 1, mais de 70 % en secteur 2. C'est pourquoi les médecins exerçant en secteur 2 sont au RSI, régime qui offre des prestations moins intéressantes, mais où les cotisations représentent « seulement » 57 % du revenu. Pour un revenu de 300 000 euros, le poids des cotisations avec la CNAM est de 17 % en secteur 1 et de 33 % en secteur 2, contre 24 % au RSI.
Dans le secteur 1, le principe de la convention signifie que la sécurité sociale prend en charge une partie des cotisations sociales.
C'est pourquoi j'ai pris soin de distinguer secteur 1 et secteur 2.
Quelle est la part de cotisations sociales prise en charge par la sécurité sociale en secteur 1 ?
La caisse nationale prend en charge les deux-tiers de l'avantage social vieillesse (ASV), qui est l'un des régimes de nos caisses de retraite et représente environ 40 % de notre retraite. Elle prend en charge les deux-tiers de 40 % des cotisations retraite des médecins en secteur 1 - en contrepartie d'une non-revalorisation des honoraires.
Elle n'est même pas indexée sur l'indice du coût de la vie.
Absolument pas, c'est notre caisse de retraite ! La Caisse d'assurance maladie ne nous verse rien !
La situation est pire pour les médecins hospitaliers, qui ont la même base de retraite, plus l'Ircantec.
Pour mon mi-temps hospitalier, je touche une retraite de 94 euros par mois - de quoi payer mon essence. Les hospitaliers ont une convention spéciale en sus de l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (IRCANTEC).
Pour ne percevoir qu'un revenu de 25 000 euros par an, il faut que le temps de travail soit très court, à peine un mi-temps.
Pour un médecin, un mi-temps, c'est 35 heures ! Vous le savez, étant médecin vous-même.
La distorsion des revenus montre bien que le temps de travail de ces femmes médecins est moindre.
Forcément. Ce sont nous qui faisons les enfants. Les femmes médecins qui sont aussi mères sont obligées de limiter leur temps de travail. J'ai moi-même travaillé à mi-temps... un mi-temps de libéral. Le revenu est faible, et très lourdement impacté par les charges.
Des médecins, que l'on pensait protégées, souffrent des mêmes problèmes que des femmes très déqualifiées. Pour contourner les difficultés, les femmes optent de plus en plus pour le regroupement en cabinet.
Pour assurer les obligations touchant la permanence des soins, les femmes médecins généralistes sont obligées de payer une nounou sans savoir si elles-mêmes seront rémunérées.
C'est un sujet de responsabilité collective. Il y a un gros problème d'organisation, on voit dans quel état d'encombrement sont les services d'urgence.
La solution n'est pas nécessairement la réquisition. En Bretagne, mes adhérentes se plaignent avant tout de la charge que représente la permanence des soins.
Quitter le libéral !
N'est-il pas plus intéressant de préserver le secteur libéral, en salariant une partie de l'activité ?
C'est la formule que beaucoup choisissent.
Sans revenir sur le paiement à l'acte, je note que certaines pathologies relèvent plutôt d'un parcours de soins. La forfaitisation de la prise en charge ne serait-elle pas une solution adaptée ?
Elle peut l'être, à dose homéopathique.
Il y a un problème global de moyens, d'organisation de l'offre de soins, d'articulation entre le public et le privé. Si la médecine de ville est débordée, c'est que les services hospitaliers ont été réduits partout sur le territoire.
Dernière question : les femmes médecins sont-elles confrontées à la violence, au harcèlement, aux comportements sexistes ?
D'après l'enquête que j'ai déjà citée, 58 % des femmes médecins interrogées déclarent avoir été victimes de sous-entendus sexistes, de gestes déplacés, d'avances verbales ; 30 %, de sexisme pendant leur grossesse. Le fait d'être une femme multiplie par cinq le risque d'être victime de sexisme au cours de sa carrière, le plus souvent de la part d'un pair ou d'un supérieur hiérarchique.
Dans le milieu hospitalier, les internes se plaignent de harcèlement au moment de leur grossesse.
La féminisation d'une profession n'empêche pas le sexisme. Paradoxalement, plus la féminisation est ancienne, plus le machisme est ancré ! Les ingénieures de l'aéronautique que j'ai interrogées, à Toulouse, n'y sont pas confrontées, alors qu'en 2012, les femmes médecins entendent toujours des remarques sur leur utérus, sur leur comportement hystérique... Beaucoup de femmes médecins souffrent, au point de songer à quitter leur profession, car la discrimination peut aller très loin, qu'il s'agisse de l'ambiance quotidienne ou du déroulement de la carrière - le « plafond de verre » est résistant.
C'est surtout vrai dans le milieu hospitalier. En 1962, il n'y avait que 10 % de femmes médecins. Autant dire que parmi les internes, nous n'étions pas nombreuses ! Lors des gardes de nuit, il semblait tout naturel aux confrères de nous inviter, au sortir du bloc, à les rejoindre en salle de garde pour un moment de détente...
Les jeunes filles internes s'en plaignent pareillement aujourd'hui !
Le Conseil national de l'Ordre a créé un Observatoire de la sécurité, en liaison avec le ministère de la justice. Les statistiques, qui reposent sur des déclarations, sont aisément consultables. Il s'agit souvent d'agressions verbales, mais aussi physiques. Nous nous portons partie civile dans des affaires pénales.
C'est un argument avancé, à juste titre, par certaines pour refuser d'exercer à certaines heures, dans certains lieux...
Par des hommes aussi ! A Paris, travailler pour SOS Médecins n'est pas sans risque. Les problèmes ne sont pas qu'en milieu rural, loin de là !
Une autre forme de violence, insidieuse, est le vol de travaux de recherche, notamment en chirurgie. Les femmes écrivent les articles mais se retrouvent en dernière place des signataires, ce qui leur nuit pour le classement aux concours hospitaliers... Cette pratique, apparemment très répandue, peut aussi expliquer qu'il y ait si peu de femmes nommées chef de service.
Sur les 177 membres de l'Académie nationale de chirurgie, il y a trois femmes. Au Conseil national de l'Ordre, elles sont quatre sur soixante.
Sur les 27 présidents d'unions régionales des professionnels de santé, nous sommes six.
Dans les présidences départementales de l'Ordre, nous sommes sept... sur 103.
Et parmi les doyens des 47 facultés de médecine, il y avait en 2007 une seule femme.
La situation est calamiteuse, non seulement dans l'entreprise mais dans le public...
Les internes sont victimes de discrimination si leur congé maternité tombe à un mauvais moment : si elles sont absentes pendant deux mois sur un stage de six mois, celui-ci est perdu. Soit. Mais elles sont en outre automatiquement rétrogradées à la dernière place du concours national. Cette affaire a d'ailleurs été portée devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Xavier Bertrand nous a écoutées, il avait l'intention de faire quelque chose, mais il n'en a pas eu le temps.
Cela fait partie des revendications des internes.
Les hommes sont également concernés car le congé maladie a les mêmes conséquences. Le texte est imprécis et le Conseil d'État a été saisi, mais la demande a été formulée entre les deux tours de l'élection présidentielle.
Cela figure dans l'article R.6153-20 du code de la santé publique modifié par le décret du 8 octobre 2010 : « lorsque, au cours d'un semestre, un interne interrompt ses fonctions pendant plus de deux mois (...) le stage n'est pas validé. Un stage semestriel qui, soit en application de ces dispositions, soit par décision des autorités universitaires compétentes, n'a pas été validé, est comptabilisé au titre de la durée maximale pour effectuer la formation du troisième cycle. Il entraîne l'accomplissement d'un stage semestriel supplémentaire ».
Les modalités d'attribution des stages amplifient l'impact de la rétrogradation, car les stages sont offerts en fonction du classement, mais toutes années confondues !
Dans certaines régions, des directeurs d'Agences régionales de santé (ARS) sont passés outre cette rétrogradation aberrante. Mais on ne peut en rester là.
Il faudrait revenir sur l'examen et le classement national.
Ce serait la même chose avec un classement régional.
Un classement national est particulièrement pénalisant. Et les femmes obligées d'interrompre leurs études ne peuvent même pas, après leur grossesse, passer un certificat d'études cliniques spécial (CES).
Je crois que des passerelles sont actuellement étudiées.
Nous allons examiner de près ce décret. Je vous remercie de votre contribution au travail de notre délégation.
La délégation auditionne ensuite, dans le cadre d'une seconde table ronde, des représentantes des professions juridiques : Mme Aurélie Berthet, avocat à la Cour, membre du Conseil national des Barreaux, Mme Mary-Daphné Fishelson, présidente de l'Association des femmes juristes, Mme Marie-Cécile Moreau, présidente de l'Association française des femmes des carrières juridiques, Mme Odile Lajoix, présidente de l'Association des juristes et entrepreneures, ainsi que Mme Caura Barszcz, journaliste, directeur de publication de Juristes associés.
Nous poursuivons nos auditions de la matinée sur « Femmes et travail », axées sur les professions libérales et indépendantes avec une table ronde consacrée aux professions juridiques.
Comme je le rappelais tout à l'heure, nous avons déjà procédé à un bon nombre d'auditions « généralistes » qui, par la force des choses, ont plutôt abordé la question du travail des femmes sous l'angle du salariat. Il nous a paru indispensable de compléter ce tour d'horizon par des séances consacrées aux professions libérales ou indépendantes.
On y retrouve certainement des phénomènes très proches de ceux dont on nous a parlé dans le monde du salariat ou de la fonction publique, mais je ne doute pas qu'ils puissent prendre, dans le cadre de vos professions, des formes particulières auxquelles nous devons êtes attentifs.
Je vous donne la parole.
Sur les chiffres, le Conseil national des Barreaux (CNB) est le mieux placé car il collecte l'ensemble des données relatives aux avocats. Le dernier cahier statistique « Avocats : évolutions et tendances de la profession », paru en octobre 2011 est disponible sur le site internet du CNB. Les données sont établies au niveau national puis région par région.
En 2010, on comptait 26 481 femmes avocates et 25 277 hommes. La parité a été atteinte en 2008 ; aujourd'hui, les femmes sont majoritaires. Dans cinq régions elles sont encore au-dessous du seuil de 50 %, mais pour peu de temps. La féminisation de la profession vient après celle des magistrats. Aujourd'hui, les effectifs d'étudiants sont féminins à plus de 65 %.
Le revenu moyen des avocats après dix ans d'expérience est de 51 000 euros pour les femmes contre 100 000 euros pour les hommes. Chiffre frappant ! Certes les femmes travaillent moins. Les données de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) datent de 2001, mais elles montrent une tendance nette. Surtout, les femmes travaillent différemment : pas question pour elles de sacrifier leur samedi, qui est le jour des courses et des enfants, alors qu'un homme n'hésitera pas à se plonger dans ses dossiers. Les données sur les rythmes de vie font apparaître quatre à six heures de tâches domestiques par semaine pour les femmes, deux pour les hommes. Ce temps incompressible influe directement sur la durée du travail.
Les femmes travaillent aussi dans des secteurs moins rémunérateurs. Elles font plus d'aide juridictionnelle (AJ) et sont plus souvent en cabinet individuel, moins rémunérateur que l'association. Tout ceci ne justifie pas un écart de revenu du simple au double... Mais comme la profession se féminise, la tendance va forcément s'infléchir.
Le « plafond de verre » perdure. L'homme est-il plus précieux parce qu'il se fait rare ? On trouve peu de femmes aux postes de direction des grands cabinets, mais l'évolution démographique, là encore, fera son oeuvre. Quant à la prétendue différence de rythme de travail entre Paris et la province, c'est un mythe.
Les propos de Mme Berthet sont justes, mais j'apporterai une précision au nom de l'Association française des femmes des carrières juridiques (AFCJ). Les femmes avocates peuvent avoir des quotidiens très différents : l'exercice de la profession par chacune dépend de ses capacités, de sa vie personnelle, de son lieu de travail... Ces petites différences jouent un grand rôle dans l'évolution générale. Notre association, qui couvre toute la France et pas uniquement Paris, a le sentiment que si une évolution se produit, elle se fera grâce aux femmes. Mais c'est incontestable : 52 % de femmes dans la profession, cela va changer la donne.
Deuxième observation, sur les revenus. Les honoraires des avocats sont libres. Les femmes ne sont pas soumises à des barèmes ou des grilles....
Certaines avocates vivent très bien, d'autres très mal. Il y a des réussites exemplaires, des carrières qui mènent jusqu'à la tête du Fonds monétaire international (FMI) ! Bien sûr, les honoraires sont libres et les femmes l'ont compris. Elles n'occupent pas seulement les secteurs les moins rémunérateurs. Les chiffres édités chaque année par l'Association nationale d'assistance administrative et fiscale des avocats (ANAAFA) sont cependant significatifs, pour certaines structures de cabinets. Ainsi le revenu est vraiment différent selon que l'on exerce en cabinet individuel ou en association. Les statistiques de l'ANAAFA concernent 20 000 structures.
L'avocature est une seule profession, mais qui recouvre différents métiers. Les parcours sont très influencés par l'origine sociale : l'avenir n'est pas le même pour la jeune avocate maghrébine que pour l'étudiante bourgeoise qui peut compter sur le réseau de ses parents. Dès le départ, les chances sont inégales. Il y a celle qui va intégrer un grand cabinet : si elle devient la pouliche d'un senior bien placé, elle pourra espérer prendre la tête d'un secteur important.
Il y a aussi un choix. Telle avocate ne fera que de l'aide juridictionnelle et travaillera trois après-midi par semaine, en estimant en retirer un revenu suffisant. Enfin, dans certaines niches, les honoraires sont plus importants, par exemple les fusions-acquisitions pour des clients grandes entreprises.
Puis, vers quarante, quarante-cinq ans, on peut devenir associée dans un cabinet, envisager de se présenter au conseil de l'Ordre, à la Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), et tirer les fruits de ses sacrifices.
Peu se présentent. Donc, quand elles le font, elles sont assurées du succès.
Il y a plusieurs facteurs. Elles n'y pensent pas. Il leur faut aussi appartenir à un cabinet qui adhère à ce projet. J'ai été secrétaire du bâtonnier : quatre jours de travail par semaine, bénévole bien sûr. C'est très prenant. Si l'on ne veut pas trop rogner sur ses heures de travail au cabinet, on sacrifie inévitablement sa vie personnelle.
Dans tous les métiers, l'origine sociale a un impact. Ne caricaturons pas. L'école du barreau met tout le monde au même niveau. Avoir des parents clients d'un grand cabinet ou eux-mêmes avocats peut aider à trouver une première collaboration, c'est vrai. Mais les plus favorisés ne vont pas tous dans un grand cabinet. Ce choix implique d'être toujours au plafond des heures de collaboration, 1 800 à 2 000 heures de travail, et dans certaines spécialisations, on a moins de clientèle personnelle. Du reste, à travailler sur des grosses fusions, on perd le goût de s'occuper de la petite PME. Mais tout dépend des spécialisations.
Pour une femme, les choix ne sont pas faciles. Comment concilier la vie personnelle et la carrière ? La plupart des grands cabinets sont gérés depuis les États-Unis ou la Grande-Bretagne, en majorité par des hommes. Il est très difficile pour les femmes d'y devenir associées. Elles décident en général de partir pour des structures plus humaines, devenir leur propre maître. Si la profession est majoritairement féminine, les associés ne le sont pas. Dans les petits cabinets, la progression est plus facile.
Mais il est évident qu'à expérience et compétences égales, les femmes sont moins rémunérées - sinon au niveau des associés, du moins à celui de la collaboration. Et l'on retrouve cette problématique dans les autres professions libérales représentées dans notre association, huissiers, notaires...
Je me suis penchée sur le conseil d'administration des cabinets d'affaires - pas seulement anglo-saxons. Je constate que la profession se féminise : les femmes représentent 65 % des effectifs, 63 % des collaborations, elles occupent 76 % des postes administratifs dans les grands cabinets et sont 25,6 % à être associées, ratio plus élevé que dans d'autres professions libérales.
Qu'il existe un « plafond de verre », c'est certain, mais il est à la fois objectif et subjectif. Objectivement, le processus qui mène à l'association est devenu très lent : là où il fallait dans le passé cinq à sept années pour devenir associé, il en faut aujourd'hui dix à douze. Les interruptions de carrière des femmes jouent évidement en leur défaveur. En outre, la culture de certains cabinets est très machiste. On apprécie ses nombreuses collaboratrices, mais « associer une femme, c'est compliqué ». Au niveau des clients, ça ne l'est pas ! Ils sont de plus en plus nombreux à demander des statistiques sur la mixité, à choisir un cabinet en phase avec leur propre politique dans ce domaine. Les cabinets prennent conscience de cet enjeu à la fois éthique et économique. Ils s'aperçoivent aussi de la perte sur investissement que représente le départ d'une collaboratrice. Après cinq ou sept ans de formation et d'expérience, au moment même où elles peuvent gérer des dossiers de manière plus autonome, les femmes s'en vont, dans des cabinets plus petits, ou dans les entreprises.
En ce qui concerne les associées, elles sont 25 % dans les grands cabinets d'affaires, contre 16 % aux États-Unis : nous ne sommes pas si mal loties. Mais encore faut-il faire la différence entre l'association dite « en equity » - on détient des parts, des droits de vote... - et l'association « non equity », de deuxième rang. Or 39 % des femmes associées le sont dans cette catégorie.
Les femmes occupent des créneaux moins rémunérateurs, c'est vrai, mais de moins en moins : on les spécialisait volontiers en droit social, or celui-ci avec la crise économique devient central dans les cabinets.
Mais il y a les obstacles psychologiques. La profession d'avocat a été faite par et pour les hommes, et les femmes y sont considérées comme un mal nécessaire. Il faut faire avec. Cette attitude n'est plus tenable aujourd'hui ; le développement des cabinets passe par la féminisation. Les femmes sont appelées à prendre des responsabilités, mais encore faut-il qu'elles le veuillent. Il est vrai que le système du parrainage se passe plus naturellement avec les « poulains » qu'avec les « pouliches », pour reprendre le terme employé précédemment. Les cabinets sont cependant de plus en plus nombreux à se doter de programmes de promotion des femmes... L'évolution se fait par petites touches.
Au sujet des honoraires, il y a souvent des objectifs, explicites ou non, dans les cabinets d'affaires. Les systèmes de rétrocessions, plus avantageux qu'ailleurs, n'incitent pas à développer sa propre clientèle. Mais les taux horaires demandés sont les mêmes pour les hommes que pour les femmes.
L'association des femmes pose un vrai problème économique, avec 1 200 jeunes qui arrivent sur le marché aujourd'hui. Je ne parle pas des cabinets d'affaires, qui sont surtout une spécificité parisienne. Quand nous avons débuté, nous étions sûres de devenir associées : ce n'est plus vrai aujourd'hui, même dans les cabinets d'une certaine importance.
Ainsi devenir associé dans le domaine des fusions-acquisitions ou du financement d'entreprises, par exemple, devient de plus en plus difficile, en raison des difficultés du secteur. Lors du choix, entre un homme et une femme, d'un associé, les hommes seront avantagés s'ils sont spécialisés dans un créneau considéré comme plus porteur.
Mais même au sein d'un même créneau, le choix se portera plus facilement vers l'homme.
Dans les cabinets de taille moyenne, d'une centaine d'avocats, trente sont associés, les soixante-dix autres ne le seront jamais. Il y a un problème structurel, qui se pose de manière plus aigue pour les femmes, moins présentes en raison des maternités, avec des chiffres d'affaires qui diminuent légèrement pendant ces périodes.
Et elles se positionnent moins pour accéder à l'association.
Il est évident que tout le monde ne peut pas devenir associé. Sur les rémunérations, les tarifs horaires facturés sont identiques entre hommes et femmes. Mais si les dossiers les plus prestigieux sont attribués aux hommes, leur rémunération sera supérieure.
Au retour de maternité, les femmes se voient confier des dossiers moins importants. C'est un processus hypocrite et vicieux.
C'est un vrai sujet.
Il est faux de croire que les cabinets anglo-saxons comptent plus de femmes associées. Paris est un champion de la mixité. Il fait de ce point de vue mieux que la province. C'est pourquoi des actions positives sont menées en faveur des femmes, comme me l'a confié le responsable d'un grand cabinet américain, pour les déculpabiliser, les rassurer sur la possibilité de mener deux carrières, en accordant lors des évaluations annuelles des bonus aux femmes ayant des enfants.
Cela déculpabilise surtout les hommes.
Les mentalités évoluent, mais les contraintes économiques demeurent. On avance à tâtons. Faute de pouvoir augmenter le nombre d'associés, on instaure des strates hiérarchiques intermédiaires. Mais cette problématique n'est pas propre aux femmes : il est désormais nécessaire d'aménager des carrières pour tenir compte du manque d'appétence des collaborateurs pour l'exercice des fonctions de direction, tout en les fidélisant et en leur assurant une carrière.
Sur cette difficulté d'accéder à l'association, il faut également citer l'intrusion de la vie privée dans la sphère du travail. Les femmes consacrent quatre à six heures par semaine aux tâches domestiques. C'est autant de moins pour se livrer au travail de réseautage. Pendant ce temps-là, les hommes, eux, se font connaître.
Les hommes jeunes ont moins envie de devenir associés. C'est peut-être une chance pour les femmes...
En effet ! Je suis optimiste. Mais les femmes ont moins de temps à consacrer aux démarches liées à leur carrière.
Nous souhaitons donner aux femmes, par la formation, les outils de gestion de leur carrière. Les consciences évoluent. Les grands cabinets anglo-saxons, introduits en bourse, soucieux de leur réputation dans les marchés financiers, se sont dotés de chartes pour promouvoir les femmes... La prise de conscience a conduit tel cabinet qui n'avait que des associés hommes à recruter deux associées à l'extérieur, tel autre à amplifier la promotion interne.
On constate en effet des progrès, dans toutes les entreprises, même s'ils restent embryonnaires.
J'ai participé à un groupe de travail sur la féminisation des professions juridiques mis en place par la Chancellerie. Les femmes sont un ferment de dynamisme : elles font bouger les lignes en matière de management, de relation avec les clients, de conception de la responsabilité sociétale. Les femmes aiment leur travail, mais restent prisonnières d'un carcan. Beaucoup d'entre elles parviennent à le briser, et nous devons aider les autres à faire de même. Car elles poussent les hommes à se repenser. Elles sont un catalyseur pour faire bouger les lignes !
La situation des femmes est différente selon qu'elles sont avocates ou magistrates ; le dialogue au sein des professions juridiques est important et fournit des comparaisons et des leviers d'action utiles. L'AFCJ fait partie d'une fédération qui constitue un cadre d'échanges avec des femmes d'autres pays. Nous avons de nombreux points communs ! Le droit applicable est le droit français mais aussi le droit communautaire. Ne limitons pas la réflexion aux avocates, ni même aux professions libérales. Je songe aux magistrates. Pour toutes les professions juridiques, c'est le même combat.
L'association des femmes juristes compte aussi parmi ses membres des magistrates et des avocates. Or, leurs situations me paraissent différentes : les avocates travaillent pour un client. Leur absence, pour quelque raison que ce soit, peut être source de difficulté dans la relation avec leur client, celui-ci pouvant être amené à travailler avec un autre avocat. Cette situation est très mal vécue par les associés. De même, les collaboratrices qui travaillent au sein de petites structures, avec le même associé depuis longtemps, sont susceptibles de vivre avec un sentiment de culpabilité leur grossesse si celle-ci perturbe le fonctionnement du cabinet.
Les règles déontologiques ont hélas besoin d'être rappelées. Les textes fixent les modalités du congé de maternité, durée, rétrocessions d'honoraires, retour, etc. Dans la réalité, tout est fonction des cabinets, des dirigeants, de la réaction des clients, du déroulement de la grossesse, etc. Les gros cabinets surmonteront plus facilement l'absence simultanée de plusieurs collaboratrices. Dans un petit cabinet, cela peut constituer un frein, qui frappe surtout les femmes d'ailleurs, en dépit des garanties en vigueur.
Outre les textes, déjà précis, des mécanismes existent pour faciliter la gestion des situations. Le Barreau de Paris a mis en place une assurance maternité pour prendre en charge les honoraires de remplacement lors de l'absence de collaboratrices. Mais dans les faits, on voit des situations dramatiques de rupture du contrat de collaboration en réaction à l'annonce d'une grossesse. C'est l'équivalent du licenciement pour un salarié... moins les indemnités !
Je siège à la commission de règlement des difficultés d'exercice en collaboration : huit dossiers sur dix concernent des ruptures liées à la maternité, parfois à l'annonce de la grossesse, ou le jour du retour. Des sanctions sont prévues, mais elles ne sont pas financières. Les collaboratrices n'ont droit ni à des dommages et intérêts, ni à la réintégration.
Ancienne présidente du syndicat l'Union des jeunes avocats, je confirme ce constat. Tel patron se hâte de jeter dehors sa collaboratrice enceinte en dépit de relations amicales nouées depuis des années... Nous encourageons les avocates concernées à réclamer devant les tribunaux des dommages et intérêts. Ceux-ci restent modérés, mais ils deviennent plus fréquents.
La crainte de sanctions financières est le seul aiguillon du progrès.
Le machisme est partagé par les femmes devenues associées.
Les femmes sont les meilleures ennemies des femmes.
En commission des difficultés de la collaboration, j'ai vu des associées s'indigner des absences d'une collaboratrice enceinte ou jeune mère, et clamer qu'elles-mêmes ont fait plusieurs enfants et les ont élevés tout en progressant professionnellement : elles oublient ce qu'est une grossesse difficile, elles ignorent le coût de la garde des enfants quand on a un petit salaire.
Tout est affaire de mentalité, de tolérance. Il faut révéler ces situations au grand public. Cela contribuerait à les faire reculer.
La profession aime à régler ses affaires en famille.
Ni le cabinet ni la collaboratrice n'auraient à gagner à une dénonciation...
Sans entrer dans des cas particuliers, je pense à des campagnes d'informations pour révéler les lignes de force qui rendent impossible aux femmes d'accéder à des postes de responsabilités.
La précarité n'est pas seulement liée au temps partiel, qui est une réalité variable selon les professions. Pour les médecins libéraux, par exemple, le temps partiel représente 35 heures. Il est temps de mettre fin aux archaïsmes.
Selon la fondatrice de l'association « Moms à la barre », le risque d'être virée, pour une femme au retour de maternité, qui ne peut travailler plus de 60 heures par semaine, existe dans toutes les structures, y compris les grands cabinets. Souvent les femmes ne feront pas de recours car elles craignent d'être « blacklistées ». C'est la loi du silence !
Mais non ! On voit tous les jours des recours.
Tant mieux ! Dans ce cas, je vous les adresserai.
Les avocates installées en individuel ont bien des difficultés pour tout concilier. On ne peut travailler ses dossiers avec les enfants sur les genoux. Or elles sont résolument ignorées des pouvoirs publics et en proie au préjugé selon lequel les avocats ont tous des revenus conséquents.
Il s'agit aussi d'une question d'aménagement du territoire, d'accès aux services publics. Le travail que réalisent, avec passion, les associations sur le terrain est remarquable. Il permet de faire connaître les situations de souffrance.
Dans les cas de rupture en raison de grossesse, nous incitons les avocates à porter plainte. Elles ne doivent plus accepter de se laisser renvoyer sans motif pertinent.
Les avocates peuvent souscrire une assurance contre la perte de collaboration.
Un mot sur les retraites. Les femmes quittent la profession plus tôt que les hommes et ont des revenus moindres, cotisant sur une base moins large : leur retraite est donc moindre que celle des hommes. En outre, alors que l'on compte huit actifs pour un retraité actuellement, quelle sera la pyramide des âges lorsque les femmes qui cotisent aujourd'hui prendront leur retraite dans quarante ans ? Le financement n'est pas assuré à cet horizon.
Le problème concerne aussi bien d'autres professions. L'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (AGIRC) et l'Association générale des institutions de retraite des cadres (ARRCO) seront en déficit dans quarante ans.
Il concerne les deux sexes : les femmes ne sont pas en reste pour le harcèlement moral... Le Barreau de Paris a mis en place une commission où la mixité a été voulue, pour montrer que la question n'est pas « une histoire de nanas ». Sur ce sujet aussi, l'omerta règne. Un numéro de téléphone spécialisé a été créé. Nous espérons qu'il contribuera à libérer la parole.
Mme le bâtonnier du Barreau de Paris a entrepris d'avancer sur cette question.
Je vous remercie de tous ces éclairages, si importants pour notre réflexion et notre action.