Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds

Réunion du 15 avril 2014 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • douanes
  • taxe
  • transporteur
  • écotaxe

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Nous entendons, à leur demande, MM. Jean-Claude Plâ, président, Denis Baudoin, membre et prochain président, ainsi que Jean-Christophe Gavend, membre du Groupement de transporteurs ASTRE qui se revendique comme le premier groupement européen des professionnels du transport et de la logistique.

Nous vous rappelons que notre commission d'enquête a été créée pour s'intéresser aux modalités du montage juridique et financier et l'environnement du contrat retenu pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds. Nous ne sommes pas là pour réfléchir aux évolutions de l'écotaxe poids lourds.

Je vous informe que votre audition est ouverte au public et à la presse et fera l'objet d'un compte-rendu publié.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Claude Plâ, Denis Baudoin et Christophe Gavend prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Plâ, président d'ASTRE

Nous nous exprimons en tant que transporteurs et représentants d'un nombre important d'entreprises de transport. La création de l'écotaxe a suscité, dès mars 2012, la mobilisation de la profession à l'encontre des modalités retenues pour sa mise en oeuvre. Astre, dans sa démarche, est soutenu par un grand nombre de groupements, comme Evolutrans, France-Plateaux, France-Bennes avec lesquels nous avons créé une alliance afin de relayer nos inquiétudes auprès des instances professionnelles et au-delà.

Plus précisément, quatre éléments de ce dossier de la mise en oeuvre de l'écotaxe nous inquiètent.

En premier lieu, la présence de l'opérateur routier Geodis, issu de la SNCF, aux côtés de la société Autostrade dans la société Écomouv' chargée par l'État de la mise en oeuvre et de la collecte de l'écotaxe poids lourds.

Ensuite, le rôle conféré aux transporteurs de percevoir la taxe pour le compte de l'État.

En troisième lieu, les modalités de la facturation, qui s'effectue par petits tronçons de cinq kilomètres, et sa complexité qui rend difficile sa vérification nous paraissent susciter un problème d'équité.

Enfin, alors que le secteur routier connaît de réelles difficultés depuis de nombreuses années, la répercussion de la hausse des coûts sur les clients et les chargeurs, qui n'étaient pas informés au départ de la répercussion de l'écotaxe dans la facturation, s'avère malaisée faute du consentement des intéressés.

Alors que la profession peine, en moyenne, à atteindre un résultat net de l'ordre de 0,5 %, l'introduction d'une nouvelle taxe de l'ordre de 5 % du chiffre d'affaires n'est pas de nature à améliorer les choses ! Si la suspension de l'écotaxe nous permet de respirer, sa remise à plat nous laisse entrevoir une meilleure prise en compte des intérêts de notre profession !

Debut de section - Permalien
Denis Baudoin

Nous sommes contre le principe que les transporteurs deviennent des collecteurs d'impôt, alors que les chargeurs devraient supporter cette taxe en direct puisque sa finalité était de soutenir le report modal. En théorie, le processus instauré par l'écotaxe est transparent : il s'agit de collecter d'un côté et de restituer à l'État de l'autre. En réalité, ce processus est totalement différent puisqu'on aurait dû être facturé par les portiques, si l'écotaxe n'avait pas été suspendue, et nous aurions dû proposer à nos clients et aux chargeurs des pieds de facture de l'ordre de 5 % au risque d'essuyer leur refus. D'ailleurs, on devrait assister logiquement au report du coût de l'écotaxe vers d'autres éléments de la facturation, comme les prix de transport : celui-ci sera indolore pour les chargeurs et les clients tandis qu'il sera pleinement supporté par les transporteurs qui verront ainsi leur rentabilité grevée !

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Gavend

J'ajouterai simplement qu'au niveau européen, nous ne sommes pas équitables puisque les caboteurs européens empruntent essentiellement des autoroutes et ne sont donc pas assujettis dans les mêmes proportions à l'écotaxe ! Avec leurs charges qui sont moindres, ces caboteurs voient leur compétitivité accrue par l'écotaxe qui est peut-être la taxe de trop pour notre profession !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Le fait que les transporteurs étrangers empruntent nos routes et provoquent leur usure, sans contrepartie aucune, ne vous choquait pas ?

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Gavend

Mon propos concernait les autoroutes.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

L'écotaxe a été instaurée pour tous les camions, et en particulier les camions étrangers sur des grandes distances. Vous avez parlé de la collecte de l'impôt. Je trouve que les débats sur l'écotaxe ne distinguent pas assez entre le dispositif lui-même et ses répercussions. On aurait très bien pu s'en tenir au seul dispositif tout en laissant de côté ces dernières et se contenter d'un ajustement indifférencié par les prix. Est-ce une bonne chose que le législateur, soucieux d'examiner les répercussions de ce dispositif, se soit emparé de cette question de la contrepartie ? Je n'en suis vraiment pas persuadée. Le décret du 6 mai 2014 n'a pas été une réussite et la question de la forfaitisation permettait de résoudre les difficultés de la facturation, mais elle s'est révélée, dans certains cas, inefficace !

Nous sommes quelque peu hors sujet par rapport à notre préoccupation d'analyser la passation du contrat et ses conséquences en termes de finances publiques.

La mission d'information sur l'écotaxe poids lourds de nos collègues de l'Assemblée nationale me paraît plus à même d'entendre votre témoignage sur les effets néfastes de la mise en oeuvre de cette taxe qu'elle évalue pour proposer d'éventuelles améliorations.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Plâ

Si la profession n'est pas forcément contre l'idée d'une participation financière, la méthode retenue pour la mise en oeuvre de l'écotaxe pose en revanche problème ! L'assiette retenue s'avère trop étroite et les transporteurs étrangers y échappent puisqu'ils utilisent les réseaux autoroutiers ! Les concertations entre transporteurs ont conclu à la nécessité d'élargir l'assiette de l'écotaxe et de taxer la totalité des kilomètres parcourus, mais elles n'ont pas été relayées au-delà des fédérations de transport !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Je comprends votre propos, mais s'agissant de la méthode, celle-ci s'inspirait justement du principe du pollueur-payeur retenu par le Grenelle de l'Environnement !

Debut de section - PermalienPhoto de Francis Grignon

J'entends bien votre remise en cause de la méthode suivie pour la création de l'écotaxe, mais au-delà, deux points que vous venez de soulever me semblent intéresser au premier chef notre commission : d'une part, la sélection d'Autostrade, société étrangère, par les Pouvoirs publics à l'issue d'un appel d'offres. D'autre part, la présence de l'opérateur Geodis, filiale de la SNCF, dans le consortium Écomouv' : cette participation soulève-t-elle selon vous le risque d'un conflit d'intérêt et permet-elle à cet opérateur d'échapper à la taxe ?

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Plâ

Sur ces deux points, nous nous sommes fait l'écho de ce qui se dit dans la profession : il est dommage d'avoir désigné un consortium étranger tandis que d'autres prestataires de service basés en France auraient pu remporter cet appel d'offres. En outre, Geodis est aujourd'hui le premier transporteur routier en France ...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Mais tout consortium est légitime, quelle que soit sa nationalité d'origine, du moment où il est sélectionné à l'issue d'un appel d'offres régulièrement conduit !

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Plâ

Voilà notre ressenti comme transporteurs ! Nous sommes choqués par la présence de la SNCF et de Geodis dans ce consortium !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Pourquoi dénoncez-vous la présence de Geodis dans ce consortium ? Parce que c'est potentiellement un concurrent ? Est-ce en raison de la présence également de la SNCF susceptible de favoriser sa filiale dédiée au transport routier ? Pensez-vous qu'une telle situation soit de nature à fausser la concurrence en influant sur le mode de tarification retenu et la constitution des sociétés habilitées au télépéage ?

Debut de section - Permalien
Denis Baudouin

Il est vrai que Geodis est la branche routière de l'unique opérateur français de transports ferroviaires. Cette situation est juste de nature à aviver les doutes de la profession qui a déjà connu des distorsions de concurrence avec la SNCF.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Plâ

En effet, le jeu de la concurrence peut être faussé par ce biais puisque l'écotaxe doit être acquittée par les transporteurs utilisateurs des routes, tandis que Geodis, qui bénéficie du support de la SNCF, est plus à même d'y échapper !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Mais vous ne pouvez pas reprocher que les opérateurs sélectionnés à l'issue d'un appel d'offres légal soient des transporteurs ! Ce n'est pas un argument recevable !

Debut de section - Permalien
Denis Baudoin

Ce n'est certes pas un argument, mais une telle réaction est de l'ordre du ressenti ! Et vous savez comme moi que la politique est bien souvent faite de plus de ressentis que d'arguments !

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Il faut bien avoir à l'esprit l'un des principaux objectifs du Grenelle de l'environnement qui était de déplacer tout une partie du transport du fret routier vers le rail ou le fluvial et de faire payer à chaque mode de transport les coûts environnementaux d'une telle démarche ! D'ailleurs l'idée de toute écofiscalité est d'intégrer ces coûts dans le prix de revient et par conséquent dans le prix de vente en économie de marché.

D'ailleurs, il est surprenant de constater que l'écotaxe suscite la plus forte opposition parmi les transporteurs, alors que d'autres prélèvements acquittés par les transporteurs nationaux sont loin de conduire à une telle mobilisation. Il est enfin étonnant que notre nouvelle ministre de l'environnement propose, comme elle vient de le faire, la mise en oeuvre d'une forme de discrimination visant les transporteurs étrangers, alors que le principe de l'écotaxe est de faire participer aussi les étrangers, à l'instar de ce qui se passe avec la TVA sociale où les importations sont aussi taxées. Mais pourquoi pas ? L'écotaxe me paraît totalement recevable, à condition de baisser concomitamment les taxes que seuls les transporteurs français doivent acquitter et de faire payer le transit et non les dessertes locales !

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Plâ

Nous avons déjà demandé la suppression de la taxe à l'essieu en cas d'application de l'écotaxe. Mais cette demande n'a pas été honorée. En outre, le transit n'est pas soumis à l'écotaxe, puisque les transporteurs qui empruntent les réseaux autoroutiers, et parmi eux un grand nombre de transporteurs d'origine étrangère, ne sont pas assujettis. Nous ne sommes pas contre le principe de l'écotaxe, mais nous souhaitons voir son assiette élargie !

Debut de section - Permalien
Denis Baudoin

Abaissons cette dernière de 12 tonnes à 3,5 tonnes !

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Mais c'est déjà le cas... le seuil de 12 tonnes prévaut seulement en Allemagne !

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Plâ

Mais les véhicules de 3, 5 tonnes ne paient pas l'écotaxe en France !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Si, c'est déjà le cas ! D'ailleurs, vous avez dans notre commission deux rapporteurs du budget des transports qui savent de quoi ils parlent !

Debut de section - Permalien
Denis Baudouin

Il existe un dispositif en Angleterre qui assujettit les transporteurs uniquement d'origine étrangère à une taxe. Mais cette situation est peut-être particulière au Royaume-Uni ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Ce qui se fait Outre-Manche peut en effet s'avérer très particulier par rapport à ce qui se fait en Europe !

Debut de section - Permalien
Denis Baudouin

Je n'ai pas compris pourquoi le Grenelle de l'environnement préconise que les utilisateurs consommateurs n'acquittent pas l'écotaxe. Pourquoi ce ne sont pas les chargeurs qui la paient puisqu'ils choisissent le canal d'approvisionnement de leurs clients ? Pourquoi ne pas appliquer directement cette taxe aux industriels ? Quel est le fondement d'une telle méthodologie ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Le principe retenu s'apparente au processus de fabrication.

Debut de section - Permalien
Denis Baudouin

Mais c'est le chargeur qui choisit le mode de transport et ce n'est pas au transporteur de servir d'intermédiaire ! D'ailleurs, puisqu'on parle de processus de fabrication, mieux vaudrait s'inspirer de la taxe sur l'emballage !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Mais il faut bien prendre en compte les kilomètres parcourus ! Et d'ailleurs, les opérateurs qui assurent par eux-mêmes le transport ne seraient pas assujettis avec un tel dispositif ! Bien que je n'ai pas participé au Grenelle de l'Environnement, il existe des dispositifs et des méthodes qui font l'unanimité !

Debut de section - Permalien
Denis Baudouin

De quelle unanimité parlez-vous, celle des politiques mais pas celle de notre profession ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Celle que prescrit l'intérêt général qui ne se résume pas à la somme des intérêts particuliers ! Nous ne sommes pas là pour nous prononcer sur l'intérêt de l'écotaxe.

Debut de section - Permalien
Denis Baudouin

Il faudrait également s'interroger sur le coût du recouvrement et de la perception de l'écotaxe !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Sur ce point, nous avons été éclaircis sur la méthodologie qui a présidé à la définition de l'écotaxe : l'objectif était initialement de rapporter un milliard d'euros à la collectivité nationale.

C'est peu en volume lorsqu'on compare ce chiffre aux 4,5 milliards d'euros que rapporte l'écotaxe Outre-Rhin, mais ramenés au kilomètre, les coûts de collecte s'avèrent relativement proches entre la France et l'Allemagne ! Mais il est vrai que l'écotaxe suscite un ressenti parmi les transporteurs, sans doute parce que sa mise en oeuvre n'a que trop été retardée !

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Plâ

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2007, le fret routier assurait le transport de 195.000 milliards de tonnes de marchandises ; ce chiffre est en 2012 de l'ordre de 168.000 milliards ! Dans un tel contexte baissier, les chargeurs peuvent faire le jeu de la concurrence et les transporteurs étrangers sont bien plus compétitifs ! Il ne reste aux transporteurs français qu'à abandonner le marché ou, s'ils s'y maintiennent, à être voués à disparaître !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

C'est la raison pour laquelle le législateur s'est emparé de la question des répercussions de l'écotaxe. Une telle tendance va bien au-delà de la question de l'écotaxe et conduit à s'interroger sur les marges des transporteurs, comme je l'avais fait dans mon précédent rapport consacré au transport terrestre.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Ne faudrait-il pas plutôt s'interroger sur les rapports de force entre les transporteurs et leurs donneurs d'ordre, parmi lesquels le secteur de la grande distribution, et prendre les mesures législatives adaptées pour restaurer un équilibre qui semble faire aujourd'hui défaut ? D'ailleurs, l'introduction de l'écotaxe peut induire des effets bénéfiques sur l'organisation du secteur des transports, comme la Suisse en fournit l'exemple en matière de rationalisation des tournées ! Cet aspect des choses me paraît tout à fait absent de votre propos ! Avez-vous des propositions qui garantissent que le poids de l'écotaxe soit renvoyé vers les donneurs d'ordre ?

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Plâ

En effet. Nous préconisons une nouvelle forme de taxe que nous dénommons Ecomax poids-lourds qui reposerait sur une assiette élargie à 3,5 tonnes et qui concernerait tous les kilomètres. Ce nouveau dispositif devrait rapporter jusqu'à 1,6 milliard d'euros annuels. Il permettrait ainsi d'inclure la taxe sur l'essieu qui ne rapporte que 250 millions d'euros et dont la collecte spécifique serait supprimée. Nous tentons de nous faire entendre sur ce projet, mais nous n'y parvenons pas !

Debut de section - Permalien
Jean-Christophe Gavend

De toute manière, on ne peut échapper à une taxe sur la mobilité dans un contexte où près de 30 % du parc sera bientôt composé de véhicules hybrides électriques. Nous sommes bien conscients des conséquences du transfert énergétique auquel nous assistons actuellement ! Nous sommes ouverts !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

À ce titre, je vous indique que nous avons auditionné l'Organisation des TPE et des PME du transport routier (OTRE), et que, par ailleurs, nous avons comme rapporteurs du budget des contacts fréquents avec la Fédération nationale des transports routiers.

Debut de section - Permalien
Jean-Claude Plâ

Il faut régler les problèmes en amont !

Debut de section - Permalien
Denis Baudouin

Il convient d'être méthodique pour redéfinir un tel rapport de forces puisque nous ne disposons actuellement d'aucun moyen contre les chargeurs !

La réunion est ouverte 15 h 15

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Nous auditionnons M. Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports du 14 novembre 2010 au 10 mai 2012, c'est-à-dire au moment de l'attribution du contrat de partenariat à Écomouv' et de sa signature. Monsieur le Ministre, nous souhaitons comprendre quel a été le rôle de votre ministère au cours de la mise en place du contrat. Quel a été le rôle du Premier ministre et des autres ministres ? Quels ont été vos éventuels contacts avec Écomouv' et votre appréciation globale de la manière dont les choix ont été effectués, qu'ils soient juridiques (celui d'un contrat de partenariat global) ou techniques (interopérabilité, choix du réseau) ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Thierry Mariani prête serment.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Comme vous l'avez rappelé, j'ai été ministre du 14 novembre 2010 au 6 mai 2012. J'ai donc pris cette procédure en cours de route. Le choix du PPP était déjà acté avant mon arrivée. Le dialogue compétitif était déjà lancé. En réalité, mon rôle, que j'assume totalement, a consisté en deux choses. Premièrement, à entériner le classement des offres tel qu'il avait été effectué par la commission consultative. Deuxièmement, à faire appel après le jugement du tribunal administratif parce que je pensais - et je continue à le penser - que ce projet était intéressant pour les infrastructures. Ce projet avait été voté, conformément à la loi Grenelle I, à l'unanimité par le Parlement. J'ai donc relancé la procédure pour que cette taxe puisse être appliquée le plus rapidement possible et j'ai signé le 6 mai 2012 le décret sur le commissionnement par le Parlement pour la même raison.

Je lisais hier L'Opinion dans lequel il était écrit que, toutes les trois minutes, on perdrait cinq milles euros. Je constate que cette taxe n'est toujours pas mise en place et que mon successeur a pris, depuis sa prise de fonctions et jusqu'à la suspension de l'écotaxe, treize arrêtés. La nouvelle majorité n'avait donc rien trouvé, à ce moment-là, à redire à cette procédure. Je trouve que les événements qui ont abouti à la suspension de l'écotaxe sont préjudiciables à l'investissement sur notre réseau routier.

Quant à la procédure elle-même, pourquoi avoir choisi un PPP ? Je le répète, le choix était déjà tranché à mon arrivée. Si je prends, en tant que parlementaire, le coût du fonctionnement des simples radars qui se situe à 25 %, je considère que le coût d'Écomouv' était tout à fait raisonnable. Nous avions d'ailleurs volontairement choisi de ne taxer les poids lourds qu'au-dessus de 3,5 tonnes et à un taux au kilomètre bien inférieur à celui pratiqué en Allemagne - de mémoire 13 centimes contre 16 centimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

A votre arrivée, quelles étaient les relations avec les douanes ? Quels étaient les rôles respectifs de votre ministère et des douanes ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Je n'ai eu aucun contact avec les services des douanes.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

La commission consultative qui a classé les offres était constituée, comme vous le savez, de techniciens, de juristes, de membres du Conseil d'État, d'ingénieurs, etc. Quand vous êtes ministres et qu'une telle commission vous transmet le classement des offres et que vous n'êtes pas vous-même ingénieur, je ne vois pas en quoi j'aurais remis en cause le classement de ces offres.

Pour répondre à votre question précisément, je n'ai eu aucun contact avec les services des douanes.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Ma question n'est pas spécifiquement adressée à vous en particulier, mais à vous ou vos services.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Je ne peux répondre qu'en ce qui me concerne. Je pense que vous avez auditionné un certain nombre de responsables du ministère. Je peux seulement vous répondre que je n'ai eu aucun contact avec le service des douanes. J'avais un contact avec mes services, en l'occurrence le responsable de la DGITM, que vous avez auditionné, qui m'a transmis le classement des offres, point final.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Il y a bien eu des réunions interministérielles (RIM) sur le sujet ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

À ma connaissance, je n'ai pas participé à une réunion interministérielle sur le sujet, mais je suis parti sans archives, donc ma mémoire peut me trahir. Personnellement, je n'ai pas participé à ces réunions ou je n'ai pas le souvenir d'y avoir participé.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Il y avait tout de même - et il y a toujours - un aspect important dans ce contrat, qui est la récupération d'argent pour le réinvestir.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Quel est le rôle d'un ministre quand il arrive à un moment où l'appel d'offres est déjà lancé ? C'est de prendre connaissance du classement et, éventuellement, de l'acter ou non. Après, au sein du ministère des transports, il y a des services compétents. Savoir comment la taxe allait être récupérée - pardonnez-moi l'expression - mais c'est leur boulot. Le rôle d'un ministre, c'est de faire des choix politiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Je réitère ma question qui ne porte pas sur votre rôle précisément, mais il y a forcément eu des arbitrages politiques à certains moments, notamment par rapport aux contraintes et aux demandes des douanes et/ou aux dysfonctionnements relevés dans le cadre de la vérification pour aptitude au bon fonctionnement (VABF) ou de la vérification pour service régulier (VSR).

Je n'imagine pas qu'il y ait pu avoir des arbitrages qui aient pu être rendus sans que vous en ayez été informé. Vos services ont dû parler avec le service des douanes et vous faire remonter des informations. C'est là où je suis un peu étonnée de votre réponse.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Il y a des dizaines de réunions et je n'ai pas le souvenir d'avoir participé à une réunion avec les douanes, ni même que l'on m'ait fait remonter le moindre problème. A priori, il n'y avait pas le moindre problème à signaler.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

En ce qui concerne le réseau taxable, tout était-il déjà acté à votre arrivée ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

C'était déjà acté.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Où en étaient les négociations avec les transporteurs ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

J'ai eu plusieurs réunions avec les transporteurs, notamment avec la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) et son secrétaire général. Leur inquiétude portait essentiellement sur la répercussion. Il y a eu une série de réunions avec mes services pour la transparence de la facturation et c'était d'ailleurs l'un des buts du décret du 6 mai 2012.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Le 6 mai, c'était encore une inquiétude prégnante. Tout n'était pas encore réglé ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

La consultation des transporteurs avait eu lieu et ce décret n'est, ni plus, ni moins, que l'application stricte de la loi puisque c'était la transcription de ce qui était prévu par les textes.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Je ne résiste pas à vous poser la question. Le 6 mai 2012, c'est une date particulière. N'aurait-il pas été possible de le signer à une autre date ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

J'attendais le retour du Conseil d'État. Si je ne l'avais pas signé, certains m'auraient reproché d'avoir laissé le cadeau empoisonné à mon successeur.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Ce n'était pas un cadeau empoisonné puisque vous venez de nous dire que tout était réglé.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Aujourd'hui, j'ai l'impression que, pour la majorité, c'est un cadeau empoisonné. Pour moi, ce décret était l'application technique d'un dispositif voté par le Parlement à l'unanimité. Le hasard du calendrier a fait que j'ai été amené à signer, le 6 mai 2012, le décret validé par le Conseil d'État. Je pense que mon successeur n'aurait pas forcément apprécié que je lui laisse le soin de signer ce décret. Cela aurait été un manque de responsabilités de ma part alors que tout était prêt.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Pourtant, cela arrive souvent quand il y a des transmissions de pouvoir que les décrets attendent le successeur pour être signés, surtout quand ils ne posent pas problème.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Oui, mais je pense que les collectivités territoriales attendent les recettes de l'écotaxe depuis un certain temps, que l'on avait déjà subi dans ce processus un retard suite à la décision du tribunal administratif. Donc, tous les responsables de collectivités, de gauche ou de droite, attendaient cette manne financière.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Tout à l'heure, nous avons parlé rapidement de la DGITM, qui faisait partie de vos services. Avez-vous le sentiment que c'est une direction suffisamment structurée, avec des moyens suffisants, pour suivre un dossier qui était, et qui est toujours, important, complexe et lourd ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Chaque fois que des problèmes étaient soulevés, ils y répondaient avec précision. Oui, les services de la DGITM sont techniquement et intellectuellement équipés pour suivre ce genre de dossier.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Y compris en nombre de personnes employées sur le sujet ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Est-ce que vous connaissez un chef d'administration qui ne demande pas de fonctionnaires en plus ? Je pense que si vous posez la question à M. Bursaux, son prédécesseur ou son successeur éventuel, il vous dira toujours qu'il a besoin d'avoir d'un peu plus de fonctionnaires dans son service.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Les services de la DGITM à cette époque ont fait leur travail correctement. Je n'ai rien à y redire. Puisqu'ils ont fait leur travail correctement, je pense qu'ils avaient le personnel suffisant.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Aviez-vous des remontées des Bretons à l'époque ? Ils avaient quand même obtenu 50 % de remise. Est-ce qu'ils avaient donné leur accord ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

D'abord, la loi s'applique à tous, qu'on soit breton, provençal ou autre. Deuxièmement, il n'y avait aucune remontée particulière des Bretons à l'époque. Comme vous le savez, il y avait le décret sur la « périphicité », grâce auquel certaines régions, dont la Bretagne et l'Aquitaine, avaient bénéficié de certaines réductions. Je n'ai pas le souvenir du moindre Breton qui soit venu me voir, de gauche ou de droite, en m'expliquant qu'il souhaitait que la taxe ne s'applique pas à la Bretagne.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Je note que lorsqu'on fait a posteriori le procès du dossier, les décisions ont toujours été prises ou trop tôt ou trop tard. Certains retards reprochés ont souvent des raisons techniques. Je rappelle que n'importe quelle autorité administrative, y compris un ministre qui prend ses fonctions, peut reporter les décisions prises par son prédécesseur, si elles ne lui conviennent pas. J'aurais aimé savoir si entre vous-même et votre successeur, il y a eu des discussions lors de la passation de fonction. Avait-il des sujets d'inquiétude, des interrogations ou des doutes sur ce dossier, sur la pertinence de l'écotaxe elle-même ou sur les modalités de mise en oeuvre ?

S'agissant des modalités de mise en oeuvre, le refus par la profession est apparu presque deux ans plus tard, après la hausse d'un certain nombre de taxes totalement indépendantes de l'écotaxe. Déjà à cette époque, lors de vos contacts avec les professionnels, avait-il été discuté des difficultés que cette écotaxe pouvait créer au regard de la compétitivité du secteur économique en France, sachant que cette taxe a l'avantage d'être payée par les transporteurs étrangers, comme la TVA sociale qui est aussi payée par les importateurs ? Était-il envisageable de diminuer ou supprimer la taxe à l'essieu ou, en tout cas, d'autres types de prélèvements pesant spécifiquement sur les transporteurs français, pour ne pas accroître leurs difficultés au moment de la mise en place de l'écotaxe qui a l'avantage, je le répète, d'être payée par tous les utilisateurs, y compris étrangers, contrairement aux autres prélèvements ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Je n'ai pas évoqué ce sujet lors de la passation de pouvoir avec M. Frédéric Cuvillier, avec lequel j'ai des rapports très courtois. Pour ne rien vous cacher, on en a discuté une fois à la sortie de l'hémicycle, après une séance de questions. De mémoire, sa seule remarque était : « Le système n'est pas au point, c'est techniquement compliqué ». Il n'y avait pas d'autres points. J'observe qu'entre l'arrivée de mon successeur au ministère des transports et la suspension du processus de l'écotaxe, il y a eu treize textes réglementaires qui ont été pris, ce qui prouve bien qu'avant cette date, le processus administratif suivait son cours et que le nouveau gouvernement ne remettait absolument pas en cause l'écotaxe avant le mouvement social qu'on a connu en Bretagne.

Sur la deuxième question concernant l'inquiétude des professionnels, ceux-ci n'étaient bien sûr pas enthousiastes face à une nouvelle taxe sectorielle. Leur principal souci était, comme je l'ai déjà signalé, que la répercussion se fasse réellement. Premièrement, ils demandaient une véritable transparence dans le système de facturation au moyen d'une ligne faisant apparaître le coût de l'écotaxe et, deuxièmement, ils s'inquiétaient du fait qu'on leur demande de raboter sur leurs marges. Leur demande de transparence étant facilement satisfaite, leur véritable souci était économique, que les donneurs d'ordre leur demandent de réduire leurs marges et que, même en cas de transparence et d'affichage du coût de manière bien séparée, cela se répercute sur la profession. Dans les discussions, j'avais évoqué l'idée de mettre un coût au kilomètre plus élevé, avec une compensation sur les charges des transporteurs, ce qui aurait permis de se servir de l'écotaxe comme d'une sorte de TVA sociale. Le coût plus élevé aurait été payé par la totalité des transporteurs qui passaient sur le territoire français, ce qui aurait pu transférer une petite partie des charges sociales sur l'ensemble. Après techniquement, on m'a expliqué que c'était trop compliqué à monter.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Filleul

Pour revenir aux transporteurs, malgré tout, il y a eu manifestement défaut d'information. Vous parlez du mouvement social en Bretagne. Dans les contacts que nous avons eus préalablement, nous avons également bien vu qu'il y avait beaucoup d'hésitations, beaucoup de méconnaissance. L'audition précédente du groupement de transporteurs Astre l'a démontré. Qu'avez-vous fait au niveau de votre ministère pour informer sur l'écotaxe, sur ses interférences, pour donner les moyens d'une meilleure compréhension ?

J'ai une question complémentaire. Est-ce vrai que, pour opérer une compensation par rapport à l'écotaxe, la taxe à l'essieu a été baissée à son plus bas niveau et que la circulation des quarante-quatre tonnes sur les routes a été autorisée ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Sur le premier point relatif à l'information des transporteurs, j'ai la conviction qu'ils étaient suffisamment informés. Les responsables de mon cabinet rencontraient régulièrement les organisations professionnelles. Sincèrement, je pense qu'il y a eu un nombre de contacts fréquents et je vous le répète, la principale inquiétude des transporteurs était la répercussion.

Sur le deuxième point concernant l'abaissement à son plus bas niveau de la taxe à l'essieu, très sincèrement, je ne m'en souviens pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Je souhaite revenir sur ce fameux décret du 6 mai 2012. La leçon aujourd'hui est-elle qu'il ne faut pas signer de décret avant de partir car on peut toujours l'instrumentaliser après-coup ?

Aujourd'hui, nous avons une certaine connaissance du sujet grâce aux travaux de la commission d'enquête, au temps qui s'est écoulé. Mais à l'époque, les problèmes techniques étaient-ils sous-jacents et les difficultés politiques prévisibles ? Enfin, l'administration française, qui aime beaucoup les détails, a peut-être engendré un système trop complexe, notamment par rapport à l'Allemagne. Comment réagissez-vous sur ces trois points : le technique, le politique, le zèle de l'administration ?

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Avec un complément sur cette question et sur un point que vous avez soulevé tout à l'heure, relatif à l'importance que les transporteurs attachent à la transparence sur la facture pour la refacturation. Est-ce qu'à l'époque, vous aviez des éléments vous assurant que la transparence serait effectuée avec cette facturation car, avec le regard d'aujourd'hui, on s'aperçoit que la facturation n'est pas si lisible, je ne dis pas transparente, mais pas forcément lisible par les transporteurs ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

La signature d'un décret même dans les derniers jours ne me pose pas de problème et répond à ma conception de l'action politique. J'ai également signé la concession de Notre-Dame-des-Landes et mon successeur ne me l'a jamais reproché ! C'est un processus administratif qui était lancé, tous les élus locaux attendaient ce dispositif, on avait pris du retard, il fallait aller au plus vite. Je me souviens de M. Montebourg m'expliquant qu'il voulait garder l'essentiel de l'écotaxe pour sa région.

Il n'y avait à l'époque aucune difficulté politique. Ce dispositif avait été voté à l'unanimité. Des élus locaux de gauche et de droite venaient dans mon bureau pour bénéficier de plus de recettes compte tenu du trafic dans leur collectivité. Autre preuve de cette absence de difficulté politique : jusqu'au mouvement des bonnets rouges, l'écotaxe n'a quasiment pas été évoquée dans la presse. Le premier portique a été installé en janvier 2012 et cela n'a ému personne.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Et les contentieux sur le contrat non plus n'ont pas posé de problème ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Non, c'était purement juridique. Le discours général de tous ceux qui parlaient de ce dossier était : « le temps perdu nous coûte cher, le temps que l'on est en train de perdre nous coûte encore plus cher et il faut avancer ». J'ai donc signé ce décret et je le referai si c'était à refaire.

Nous avions conscience des difficultés techniques de ce dispositif. Comme toujours en France, nous voulions faire un système parfait qui ne pénalise pas trop les contribuables, mais qui pénalise quand même les véhicules polluants, qui ne soit pas parmi les plus chers - nous avions choisi un prix au kilomètre plus bas que celui retenu par les allemands pour que ce soit accessible - et le dispositif est donc techniquement difficile.

Sur la transparence, j'avais la conviction, après ce que m'avaient dit mes services, que le coût de l'écotaxe apparaitrait clairement sur la facture du transporteur. Après, ce n'était pas une difficulté technique, c'était une difficulté économique avec la répercussion de cette écotaxe.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Le coût de l'écotaxe apparaît en effet clairement. En revanche, ce qui n'apparaît pas clairement est ce qui est imputable à tel chargeur ou à tel autre et comment le transporteur peut contrôler la véracité ou la légitimité de sa facturation. C'est certes théoriquement possible, mais nous avons vu des modèles de facturation : c'est concrètement et pratiquement impossible sauf à avoir quelqu'un qui passe un temps complet, voire deux, à éplucher chaque facture.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Ce dispositif, tel qu'il m'a été présenté par la DGITM, semblait le moins imparfait. Mais il est évident qu'il s'agit d'un dispositif compliqué. Si nos voisins allemands ou suisses arrivent à le faire, la France doit bien pouvoir réussir à le faire et trouver un système équivalent.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Je confirme que l'information des transporteurs à cette époque-là était connue et qu'effectivement, les transporteurs se posaient la question du transfert de la taxe sur les donneurs d'ordre. Mais le principe de l'écotaxe semblait, à cette époque, accepté.

Est-ce que le politique que vous étiez a pris conscience ou pas que cette complexité, de faire le mieux possible, d'avoir zéro fraude était un bon objectif à atteindre ou était-ce en demander trop à la technique et complexifier trop le dispositif ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Nous étions conscients de la complexité du dispositif. Lors de nos rencontres avec les transporteurs, ils évoquaient le problème des multiples chargeurs et chargements et de la diversité des routes écotaxées ou non empruntées. Le système était forcément très difficile techniquement. Un ministre prend conscience de la difficulté mais il fait aussi confiance à ses services pour résoudre, avec les moyens modernes la complexité. J'avoue ne pas avoir réfléchi à la manière selon laquelle la comptabilisation allait être effectuée.

Nous avons voulu faire un système irréprochable, comme souvent en France, qui est quelquefois difficile à appliquer.

À l'époque, la seule inquiétude des transporteurs était celle de la répercussion, avec le discours tout à fait compréhensible qu'il s'agit d'une activité de plus en plus soumise à la concurrence, de plus en plus pénalisée par le coût des charges sociales par rapport à leurs voisins européens qui empruntent le territoire national, avec les délocalisations d'entreprises... L'inquiétude des transporteurs était de savoir si le jeu de la concurrence n'allait pas les amener à prendre cette écotaxe dans leur marge.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Vous avez voulu mettre en oeuvre un système parfait - c'est le sentiment que nous avons eu - et en plus, vous avez souhaitez attendre qu'il le soit parfaitement pour le mettre en oeuvre. Ailleurs, en Allemagne par exemple, on a commencé avec des systèmes qui ne l'étaient pas. C'est doublement pénalisant.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Nous sommes en 2014, cela fait cinq ans que la décision a été actée. Ce système rapporte quatre milliards d'euros par an en Allemagne. Cela représente une perte pour notre réseau routier. Faut-il démarrer avec un système imparfait ou attendre que le système soit parfait ? En France, nous optons traditionnellement pour la seconde solution.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Il y avait tout de même la possibilité de faire des « tests » et une expérimentation avec la taxe poids lourds alsacienne. Vous nous avez affirmé ne pas avoir eu de contacts avec les douanes. Il a bien dû y avoir une coordination interministérielle. Quelle répartition des rôles y a-t-il eu entre les transports et l'écologie ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

La coordination avec les douanes devait être effectuée entre les services, il ne revenait pas au ministre de s'en occuper. Je rappelle que beaucoup de textes ont aussi été signés par le ministre du budget et des finances.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Nous travaillions d'un commun accord. Nos cabinets étaient proches, nous nous voyions plusieurs fois par jour.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Il n'y a pas eu de répartition des rôles. Quand je suis arrivé, tout était déjà acté. Quant à la décision de faire appel à la décision du tribunal administratif, elle était logique - nous n'allions pas recommencer depuis le début -, et nous l'avons prise d'un commun accord.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Il y a une contradiction, ou au moins une tension, entre la volonté d'une mise en place rapide du système et la recherche d'un dispositif quasiment irréprochable, qui constitue une vitrine technologique exportable, avec des entreprises françaises. La stratégie était assez globale : une perception financière importante, le souhait de créer une entreprise globale exportable, les discussions avec la FNTR. On a moins bien considéré d'autres syndicats.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Il y a un syndicat qui représente plus que les autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Effectivement, mais vous avez peut-être trop négligé les autres. N'y a-t-il pas eu de tensions avec les grands opérateurs autoroutiers qui auraient pu être concernés par ce système global, avec le système d'habilitation ?

Je ne comprends pas qu'il n'y ait pas eu de contacts avec les services pendant un an et demi, ou d'alerte de leur part, alors que l'on a voulu mettre en place un système à la fois compliqué et parfait. Il y a bien eu des réunions entre les services, le cabinet et le ministre pour affirmer qu'on ne peut pas à la fois aller très vite et avoir un système irréprochable.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Je n'ai pas consulté les autres sociétés autoroutières, mais je n'ai pas eu de remontées de leur part a posteriori.

Nous avons eu des remontées des services nous expliquant que le système était techniquement difficile, puisque l'idée était effectivement d'avoir un dispositif exportable, avec du made in France parfait, et qu'il y aurait peut-être du retard, mais jamais quelque chose de précis. Le seul retard auquel nous avons été réellement confronté a été le retard juridique.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Dans le processus de décision politique, quelle que soit l'appartenance politique des uns et des autres, ne fait-on pas une erreur collective en essayant à tout prix de tenir une date, ce qui a ici eu pour conséquence de fragiliser le système ? On a créé dès le départ une tension difficile à gérer.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Nous savions dès le départ qu'il y aurait des difficultés techniques mais aujourd'hui, le principal retard résulte d'un choix politique, la suspension de la taxe, qui a été décidée alors que le système était quasiment prêt. Je ne nie pas que le dispositif ait pris du retard, les services m'avaient alerté sur un tel risque. Le système était tellement complexe. Le souhait du ministre était que le dispositif s'applique au plus vite, avec le moins de reproches possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Il n'est pas discutable qu'il y avait une acceptation globale des acteurs à ce moment-là. Mais il y a peut-être une erreur d'analyse politique, constante d'ailleurs, à dire que le retard pourrait remettre en cause un consensus sur une taxation.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

À mon avis, ce qui a brisé le consensus, c'est davantage le ras-le-bol fiscal et les plans sociaux à répétition dans une région. Je n'ai pas l'impression que le consensus politique ait été brisé par les acteurs. En réalité, ce qui a abouti politiquement à remettre en cause ce processus, ce n'est pas la FNTR ou les autres syndicats qui étaient sur les barricades. C'est une partie de la population d'une région qui était, je crois, justement exaspérée par les plans sociaux à répétition et qui s'en est pris à la seule manifestation physique présente sur ses routes avec le paradoxe, que vous avez souligné, que c'est la région qui a le plus fort taux d'exemption.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Ce qui a brisé le consensus d'acceptabilité, ce n'est pas la complexité technique, mais la situation d'overdose fiscale de ce pays.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Un paradoxe supplémentaire était de supprimer l'écotaxe censée réorganiser le transport routier, alors même qu'était dénoncée chez Gad la délocalisation de l'activité d'abattage, de découpe et de conditionnement de la viande.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Je pense qu'il y a eu un manque de courage politique des deux côtés de l'hémicycle, parce que, comme le disait votre collègue, M. François Grosdidier, le but de l'écotaxe était aussi de faire en sorte que la tomate ou la viande bretonne arrive moins cher à Rungis en coût de transport que celle qui vient d'Espagne ou d'ailleurs. L'écotaxe est aussi une sorte de TVA sociale. Alors qu'il y aurait dû y avoir un travail pédagogique de la part de tout le monde, un certain nombre de politiques se sont mis aux abris. Je fais remarquer qu'à l'époque, j'ai été l'un des rares à continuer à défendre l'écotaxe, d'abord par souci de cohérence, et puis parce que je reste persuadé que le principe n'était pas mauvais. Je ne vois pas comment nos assemblées parlementaires seraient contre puisqu'elles l'ont voté à l'unanimité.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Justement, sans vouloir faire le procès de personne, ne pensez-vous pas qu'on a quelque peu oublié l'aspect pédagogique et politique de la chose pour se concentrer sur l'aspect technique, il est vrai, compliqué, et que de ce fait, on a oublié de continuer de parler de l'écotaxe, qui a peut-être semblé en sommeil et, du coup, est réapparue brutalement ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Comme une partie d'entre vous l'a reconnu, les professionnels ont été informés du temps où j'étais ministre et je suis persuadé que mon successeur a fait la même chose. Après, on a un phénomène de psychose collective. Dans le mot « écotaxe », les deux dernières syllabes sont de trop. Ceux qui se sont levés contre cette écotaxe, à 99 % n'étaient pas assujettis à l'écotaxe, ce qui est le paradoxe le plus total de cette histoire. Je pense qu'on a tous répété dans la presse que l'écotaxe ne s'appliquait qu'aux véhicules à partir d'un certain tonnage. Le Breton ou le Provençal normal qui circulait avec son véhicule savait très bien qu'il n'était pas pénalisé, ou alors il ne voulait pas comprendre ! On sait tous que ce dossier est arrivé à un pire moment pour une région qui souffrait des plans que vous connaissez, Gad ou autres. Je pense franchement que la pédagogie avait été faite avant, mais aussi qu'elle aurait dû continuer à être faite par tous les politiques, par le gouvernement en premier et l'opposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Peut-être Monsieur le Ministre, le contentieux a-t-il aussi pesé. Pendant ce temps-là, il est sûr que rien n'a été fait et c'était assez légitime. De mon point de vue, ce contentieux a été aggravant. Le fait d'aller devant le tribunal administratif et le Conseil d'État a pris un temps considérable. Pendant ce temps-là, aucune pédagogie n'a été faite. Il y a là des conséquences qui ne sont pas neutres. Et on ne peut le reprocher à personne !

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Je le rappelais tout à l'heure : le processus a commencé en 2009, on est en 2014, il n'est toujours pas appliqué. Je me souviens du moment où le ministère devait prendre la décision de relancer la procédure ou faire appel de la décision du tribunal administratif. Relancer le processus c'était reprendre un temps infini, remettre en cause des choses qui avaient fait l'unanimité. Mais il est sûr que le recours nous a fait perdre, de mémoire, au minimum de huit à dix mois.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Êtes-vous dans la mission d'information sur l'écotaxe poids lourds à l'Assemblée nationale ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Non. Je pense qu'on ne peut pas être juge et partie.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Sinon, on vous aurait demandé ce qu'il en était car je trouve les députés très avares de paroles.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Si la mission d'information veut m'auditionner, j'irai. Mais je trouve qu'il eût été paradoxal d'être à la fois dans la mission et concerné.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Bien sûr. Mes chers collègues, peut-on en rester là ? Merci Monsieur le Ministre de vous être prêté au jeu, avec toute la difficulté que représente le fait de répondre sur un dossier pour lequel vous n'avez plus d'archives.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Je voudrais dire en conclusion qu'il faudrait qu'on sorte vite de cette situation.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Vite, cela paraît difficile. On nous a dit que quelle que soit la modification ou remise à plat, il fallait un délai de six mois pour reconfigurer le dispositif, avec de nouveaux arrêtés, décrets, etc. La remise à plat annoncée, avec une fin éventuelle du contrat Écomouv', n'est-ce pas la fin de l'écotaxe pendant plusieurs années ?

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Je ne sais pas quelle sera l'option choisie, mais ce qui est sûr, et vous suivez le dossier mieux que moi, aujourd'hui, c'est que tout cela aura un coût pour les finances publiques ; pour une entreprise, pour une région. Regardant M. Grosdidier, je crois me souvenir qu'une partie des services étaient localisés à Metz, y compris une partie des douanes. Tout cela est un immense gâchis.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Si effectivement on remet en cause tout le dispositif pour le plaisir de la remise en cause ou pour justifier a posteriori une décision prise dans la panique, il faudra peut-être six mois, un an, deux ans ou trois ans. Maintenant, nous allons attendre les conclusions de chacune des instances parlementaires. Pour l'instant, si l'on mesure le bilan coût-avantage d'une remise en cause générale, ce que la ministre appelle « remise à plat », le bilan risque effectivement d'être au grand désavantage de la remise en cause, par rapport à une continuité du processus tel qu'il avait été engagé et qui aurait pu être revu à la marge. Je crois que les cocontractants, que nous avons rencontrés, n'auraient pas été opposés à des ajustements à la marge et des avenants au contrat. Plus la remise en cause sera profonde, plus les délais seront longs et préjudiciables à la collectivité.

Debut de section - Permalien
Thierry Mariani, ancien ministre chargé des transports

Une remise à plat complète du dispositif nous fera perdre encore deux ans sur un dispositif qui a été voté en 2009.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Ce n'est pas raisonnable quand on voit nos préfets suspendre la négociation des contrats de plan État-régions dans l'attente de la recette de l'écotaxe, quand on connaît la situation de l'Afitf... Je vous remercie Monsieur le Ministre pour vos déclarations.

La réunion est levée 16 heures