Mes chers collègues, nous reprenons les auditions de notre commission d'enquête sur l'impact économique et financier de la pollution de l'air.
La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.
J'attire l'attention du public sur le fait qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue.
Cette audition fait l'objet d'une captation audiovisuelle. Elle sera diffusée sur le site internet du Sénat.
La dernière audition de cette journée est celle de de M. Marc Larzillière, président du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (le CITEPA).
Créé en 1961, le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique est une association à but non lucratif. Le CITEPA identifie, analyse et diffuse des données et des méthodes sur la pollution atmosphérique - notamment les émissions dans l'air - et le changement climatique. Dans le cadre de la mission qui lui est confiée par le Ministère chargé de l'écologie, le CITEPA assure la réalisation des inventaires nationaux d'émissions de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre conformément aux engagements internationaux de la France. Il effectue également des études technico-économiques et prospectives, notamment sur le sujet de notre commission d'enquête.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Marc Larzillière, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
Marc Larzillière prête serment.
Je vous remercie. Je vous laisse exposer votre propos liminaire avant de vous poser d'en venir aux questions.
Vous avez la parole.
Je vous remercie d'avoir pensé à auditionner le CITEPA. Je suis très heureux d'avoir l'occasion de témoigner dans le cadre de votre commission d'enquête. Je ferai un bref exposé des activités du CITEPA avant de m'arrêter de manière plus détaillée sur les inventaires que nous effectuons et sur les évolutions de la pollution. Enfin, je terminerai en évoquant les actions qui pourraient être entreprises pour renforcer notre lutte contre la pollution.
Le CITEPA est une association à but non lucratif créée il y a cinquante ans par des industriels, qui ont souhaité, dans le contexte d'une réglementation de plus en plus sévère, créer un organisme purement scientifique à même de donner des avis sur les moyens de lutter contre la pollution, de la manière la plus efficace qui soit. Le CITEPA s'est progressivement vu confier par l'administration un nombre croissant d'études et de missions, et en particulier l'élaboration d'un inventaire national d'émissions, requis par un certain nombre de traités internationaux.
Les inventaires, qui sont devenus de plus en plus complexes, retracent actuellement les émissions de vingt-deux polluants et de six gaz à effet de serre.
Le CITEPA comprend vingt-sept salariés, dont vingt-quatre ingénieurs, et un président bénévole. Nous avons quatre-vingts adhérents, qui sont pour une partie des industriels, mais aussi des bureaux d'étude, des organisations de recherche, des laboratoires et des associations. Le travail d'inventaire représente environ 50% de notre activité. Nous effectuons également des études prospectives. Nous interprétons les données et donnons des indications tendancielles. À titre d'exemple, nous faisons en ce moment une étude pour déterminer ce qui a conduit à l'évolution des émissions de gaz à effet de serre.
Notre positionnement est particulier. Nous ne cherchons pas à concurrencer les bureaux d'études mais nous positionner comme un référent, un expert scientifique, dont les avis sont indiscutables et qui se situe « au-dessus de la mêlée ». Nous préférons, plutôt que de réaliser des bilans de gaz à effet de serre, valider ceux qui sont établis par divers organismes.
J'en viens aux inventaires. Établir un inventaire national est un exercice très complexe qui demande d'analyser des quantités de données de toute nature, comme par exemple le parc automobile, la consommation de carburant, l'activité des différents industriels ou encore des données climatologiques.
Notre inventaire est rigoureusement contrôlé. Nous faisons l'objet d'audits internationaux par d'autres pays. À l'inverse, nous auditons les inventaires d'autres pays, comme les Etats-Unis récemment.
Notre système d'inventaire est reconnu comme particulièrement performant. Sa particularité par rapport à d'autres pays est qu'il regroupe les polluants et les gaz à effet de serre. Les sources de pollutions ou de gaz à effet de serre sont en effet souvent communes. Nous cherchons d'ailleurs à communiquer ce savoir-faire à d'autres pays sous la forme de capacity building. Nous travaillons en ce sens au Mexique, en Serbie ou en Tunisie par exemple.
J'en viens au contenu et aux enseignements de l'inventaire lui-même. Un premier constat s'impose : la pollution a fortement diminué depuis cinquante ans. Deux exemples sont significatifs de cette baisse. Les émissions de dioxyde de soufre (SO2), responsable des pluies acides, sont ainsi passées de 3,5 millions de tonnes en 1973 à une quantité dix fois moindre aujourd'hui et la contribution de l'industrie à ces émissions a considérablement diminué, sous l'effet d'une réglementation très sévère et d'une taxation des émissions. Second exemple, les émissions de plomb, qui autrefois étaient ajoutées aux essences, ont considérablement baissé, ce qui montre l'utilité de la réglementation.
Je souhaite m'arrêter désormais sur deux exemples qui posent encore problème. Premièrement, les émissions d'oxydes d'azote n'ont pas suffisamment baissé. Le transport routier est le principal émetteur. Quant aux particules fines inférieures à dix microns, les PM10, nous peinons à en réduire les émissions de manière significative. Les PM2,5 ne diminuent pas assez non plus. Le principal émetteur de particules fines est le résidentiel tertiaire, et plus précisément le chauffage au bois. Enfin, les PM1 connaissent une tendance analogue. Quant aux nanoparticules, elles ne font pas encore partie des inventaires car on ne sait pas bien les mesurer.
Quel bilan peut-on tirer de ces constats ? Premièrement, que la pollution a nettement diminué, en grande partie grâce aux réglementations, mais aussi que des problèmes persistent, et qu'ils ne sont plus seulement le fait des industriels. Les secteurs en cause sont aujourd'hui les transports, le résidentiel tertiaire et l'agriculture. Tous les citoyens sont aujourd'hui concernés : ils ne sont plus seulement victimes de la pollution mais également acteurs. Nous devons donc agir sur les comportements et la sensibilisation des citoyens.
J'en viens aux émissions de gaz à effet de serre. Les émissions de CO2 de la France ne connaissent pas une baisse très sensible. Dans les dernières années, la désindustrialisation a d'ailleurs pu jouer un rôle, alors que les émissions liées au transport n'ont pas bougé. Les industriels ne sont pas les seuls émetteurs de gaz à effet de serre : les transports ou le résidentiel tertiaire sont également de gros contributeurs.
Pour finir, j'attire votre attention sur trois points qu'il convient de distinguer en matière de pollution : le niveau d'émissions que l'on mesure dans l'air, la concentration en polluants, qui dépend de plusieurs facteurs, et enfin le facteur d'exposition, très important dans les études épidémiologiques, qui ne peut se résumer au lieu de résidence. D'une manière générale, l'étude de la pollution reste un sujet très complexe sur lequel nous avons encore beaucoup de progrès à accomplir.
Je vous remercie, Monsieur le Président. Je passe la parole à madame la rapporteure.
Merci pour votre exposé. Je souhaite vous poser deux questions précises. Comment est financé le CITEPA ? Et quelle est la répartition de votre conseil d'administration ? J'ai noté votre insistance sur le fait que les secteurs des transports, du résidentiel et de l'agriculture étaient fortement émetteurs de pollution, tandis que, selon vos propos, les émissions de polluants émanant de l'industrie auraient considérablement diminué. Je voudrais ainsi connaître la composition de votre conseil d'administration.
Le CITEPA se finance en premier lieu à partir des études qu'il réalise. 50% à 60% de son financement provient ainsi de l'administration, et du Ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie en particulier. Comme je vous l'ai indiqué, l'établissement de l'inventaire représente la moitié de notre activité. Les cotisations des adhérents représentent 8% de nos ressources.
De mémoire - je vous transmettrai notre rapport d'activité qui comporte toutes les informations précises - notre conseil d'administration est composé de grands industriels, comme EDF ou GDF, de fédérations d'industriels, de représentants d'associations, comme l'Association pour la prévention de la pollution atmosphérique ou le réseau national de surveillance aérobiologique, qui mesure les émissions de pollens. Cette composition, que nous cherchons à faire évoluer aujourd'hui, reflète en partie l'histoire du CITEPA, qui a été créé par des industriels. Nous souhaiterions désormais que la palette de nos adhérents reflète la palette des émetteurs de polluants et de gaz à effet de serre.
Vous n'avez pas de représentants de producteurs de pesticides ou du secteur des transports ? Vous n'avez que des industriels ?
Pour le secteur des transports, nous avons les grands constructeurs, mais pas la SNCF par exemple.
Vous établissez l'inventaire. Qui passe commande auprès de vous ? Est-ce que les industriels vous passent commande ou êtes-vous vous-même à l'initiative de telle ou telle étude ? A qui sont destinés les rapports que vous réalisez ? Donnez-vous des orientations et des alertes ?
Votre question résume toute l'activité du CITEPA. Tout d'abord, nous avons toutes les commandes du ministère de l'écologie, qui représentent une part importante de nos travaux. Nous avons ensuite des demandes d'industriels d'études qui peuvent porter sur des sujets spécifiques : comment améliorer un bilan de gaz à effet de serre ; comment mieux identifier et mesurer les émissions de tel ou tel procédé. Nous faisons également des séances de formation à l'application de la réglementation auprès des industriels et des agents de l'administration, notamment pour remplir les déclarations, qui peuvent être très complexes. Nous avons un rôle de passerelle entre l'administration et les industriels. L'administration peut aussi nous demander conseil. À l'inverse, les industriels nous demandent comment appliquer la réglementation. Les industriels n'attendent pas que nous fassions du lobbying, ce qui serait à contre-emploi, mais ils nous demandent d'analyser les choses sur un plan scientifique et avec rigueur.
Concernant notre personnel, nous avons 24 ingénieurs, qui sont tous très motivés par les questions d'environnement. Notre travail exige une certaine déontologie et une rigueur scientifique, qu'ils possèdent.
Vous ne pouvez donc pas vous auto-saisir. Est-ce que les constructeurs automobiles vous ont demandé d'analyser précisément le diesel en tant qu'émetteur de particules fines. Si oui, quand et quelles conclusions en ont-ils tirées ?
L'évaluation des émissions polluantes des véhicules routiers, et en particulier du diesel, fait partie de notre métier. Nous en donnons des évaluations dans notre inventaire. J'en profiterai pour faire deux remarques. Nous utilisons les normes européennes mais ce n'est pas suffisant, car les normes européennes ne traduisent pas assez les conditions d'utilisation réelle des véhicules. Nous les corrigeons donc d'autant plus que nous avons d'autres manières de mesurer les consommations de carburants, à partir des déclarations des douanes, par exemple, par croisement de bases de données.
Le diesel est un toxique déclaré cancérogène par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Mais l'analyse du problème est complexe. L'étude Aphekom par exemple, rendue publique en 2012, portait sur des données de 2004 à 2006. Les études épidémiologiques ne peuvent aboutir à des résultats que sur un laps de temps relativement important : dans le cas d'Aphekom, dix ans ont été nécessaires. Or, la durée moyenne d'un véhicule est de dix ans, ce qui veut dire que l'étude épidémiologique porte sur des véhicules qui auraient aujourd'hui quinze ans d'âge. Aujourd'hui, les normes ont évolué dans un sens plus sévère. Lorsqu'on parle du problème du diesel aujourd'hui, on parle de décisions qu'on aurait dû prendre il y a quinze ans, et qu'on a d'ailleurs pas prises.
Vous n'avez pas répondu à ma question. Avez-vous eu une demande précise de la part des constructeurs automobiles sur ce polluant qu'est le diesel ?
Non, pas en tout cas au cours des deux ou trois dernières années pendant lesquelles j'ai exercé mes fonctions.
Vous nous avez indiqué que les émissions avaient baissé depuis cinquante ans, notamment dans le secteur industriel. Comment déclinez-vous cette amélioration ? Y a-t-il des types d'industrie qui ont notamment été délocalisés par exemple ?
Je n'ai pas de données quantitatives sur ce sujet, même si je pense que la désindustrialisation a certainement joué. Je pense néanmoins qu'il y a eu des améliorations considérables qui ont été faites au niveau des procédés.
Je voudrais faire une dernière remarque : si les émissions ont baissé, les cas d'asthme ou de bronchites chroniques augmentent.
Nous vous adresserons quelques questions complémentaires par écrit.
La réunion est levée à 14 heures 40.
Audition de M. Marc Larzillière, président du centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique
La réunion est ouverte à 14 heures.