Commission d'enquête coût économique et financier de la pollution de l'air

Réunion du 5 juin 2015 à 15h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • carbone
  • diesel
  • environnementale
  • motorisation
  • pollution
  • taxe

La réunion

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Debut de section - Permalien
Christian de Perthuis

Mes travaux universitaires portent principalement sur l'évaluation et la tarification des coûts des nuisances environnementales induites par le changement climatique. Dans ce cadre, je me suis intéressé à l'impact des émissions de dioxyde de carbone au niveau global. En outre, comme président du Comité pour la fiscalité écologique, j'ai pu envisager la diversité des problèmes auxquels cette fiscalité spécifique s'adresse.

Quel est le fil conducteur de mes travaux ? Évaluer l'impact des nuisances environnementales pour la société afin de définir une tarification, une fois l'évaluation conduite, permettant à l'action publique de réduire leur coût économique et social. Cette évaluation doit s'opérer périodiquement afin de tenir compte des progrès scientifiques qui permettent d'appréhender une diversité grandissante de phénomènes. En effet, ce qui paraissait anodin, voire négligeable, il y a vingt ans, est désormais plus connu et impose une telle actualisation de notre réglementation.

Ainsi, il importe de prendre en compte les effets croisés des émissions de polluants, soit dans l'air, ou dans d'autres éléments, comme l'eau des rivières notamment. Si les polluants comme le dioxyde de carbone peuvent être facilement mesurés, par leurs émanations dans l'atmosphère, d'autres polluants, comme les micro-particules, doivent être également pris en compte ; une telle diversité avivant le problème de la tarification à y apporter, puisque l'imputation d'un coût à la quantité de carburants consommée est imparfaite, en ce qu'elle ne prend pas en compte la technologie utilisée, comme les nouveaux types de motorisation.

Quels ont été les travaux conduits par le Comité pour la fiscalité écologique que j'ai présidé pendant près d'un an et demi ? Il s'est, d'une part, saisi de la question des relations entre la pollution atmosphérique et l'énergie conduisant à la tarification des nuisances dont la fiscalité des carburants est l'un des éléments. Le comité s'est ainsi penché sur la question du diésel bénéficiaire en France d'avantages fiscaux, alors qu'un litre de ce carburant émettait plus de nuisances environnementales que l'essence. Le mode de fonctionnement du Comité était spécifique. En effet, il incarnait une sorte de « France en miniature », en rassemblant la diversité des élus, de l'échelle locale à européenne, deux Sénatrices, des représentants de l'ensemble de la société civile et des corps intermédiaires, ainsi que des organisations non gouvernementales écologiques. S'agissant de la tarification environnementale, nous avons débuté par recenser les constats partagés sur la base des connaissances transmises par les experts, en matière d'émissions de dioxyde de carbone et de fiscalité affectant le diésel et l'essence. Je tiens d'ailleurs à souligner que les deux avis du Conseil sur cette question ont été rendus par consensus, impliquant la neutralité ou le vote nul de ses membres les plus réticents. Ainsi, le Comité a émis le diagnostic, le 18 avril 2013, que la différence de fiscalité entre ces deux types de carburant s'avérait injustifiable au niveau écologique et qu'il convenait de faire progressivement disparaitre l'avantage dont bénéficiait le gazole.

Ce diagnostic marquait une première étape, mais l'obtention d'un consensus quant aux recommandations s'est avérée malaisé à obtenir. En effet, le Comité, qui avait pour mission d'adresser au Gouvernement des propositions soumises, au préalable, aux parties prenantes, n'avait pas vocation à se substituer au Parlement. Aussi, après avoir consulté les Commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale, nous avons proposé l'instauration de la taxe carbone dans le domaine de la fiscalité de l'énergie et l'augmentation graduelle de la composante carbone de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui ont été retenues par les Pouvoirs publics. En revanche, la réduction de l'écart entre la fiscalité du gazole et de l'essence, que le Comité préconisait, n'a pas été suivie d'effets.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Le sujet que vous abordez est au coeur de nos échanges, s'agissant notamment des disparités entre la fiscalité applicable au diésel et celle de l'essence. D'ailleurs, lorsque nous abordons ces questions relatives à la fiscalité environnementale, il est fréquent de se voir opposer par les industriels concernés une sorte de chantage à l'emploi destiné à prévenir toute avancée dans ce domaine. En 2015, quels leviers vous paraissent susceptibles d'atteindre un alignement de la fiscalité du diésel sur celle de l'essence ?

Debut de section - Permalien
Xavier de Perthuis

Cet écart de fiscalité nous parait induire deux types de distorsion. D'une part, du point de vue du système général de tarification, il était possible de créer une taxe nouvelle sur le diésel tout en précisant certaines exemptions afin de soutenir certaines professions. Mais il fallait avant tout décrisper le débat qui demeure polémique sur cette question. Le régime général de la fiscalité nous semble avant tout devoir être modifié progressivement, en dépit des difficultés institutionnelles et ce, afin de convaincre les acteurs concernés.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Savez-vous quelle durée serait idoine pour une telle révision ?

Debut de section - Permalien
Christian de Perthuis

Une période de trois ans me paraît la plus opportune. Elle permet de convaincre les acteurs les plus réticents que la mesure proposée peut devenir un atout pour leur compétitivité et trois ans me paraissent requis pour apporter les ajustements nécessaires. Comme j'ai pu le constater au sein du comité, il s'agit de convaincre à la fois les industriels et les syndicats que l'adaptation progressive de la fiscalité peut permettre de conduire une reconversion industrielle, comme a pu le démontrer le Groupe Peugeot Société Anonyme (PSA) depuis 2013. Par ailleurs, l'une des conditions de la décrispation que j'appelle de mes voeux réside dans la capacité d'avancer de toutes les parties prenantes et dans le fait de prévenir des arguments extrêmes qui peuvent confiner au manichéisme. Chacun doit ainsi faire un pas et les petits progrès qui ont déjà été réalisés en matière de réduction des nuisances environnementales ne doivent pas être occultés, tant ils peuvent s'avérer cumulatifs. En plus, le contexte international, dans lequel de telles mesures seront prises à l'avenir, évolue constamment.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Avez-vous des exemples de conversion permettant d'obtenir une plus grande compétitivité ?

Debut de section - Permalien
Christian de Perthuis

De façon générale, il semble que le diésel ne sera pas privilégié pour la motorisation des petits véhicules destinés, à l'avenir, à la mobilité urbaine, en raison des contraintes techniques qui en renchérissent le coût, comme l'installation d'un filtre à particules, par rapport à d'autres motorisations.

Debut de section - Permalien
Christian de Perthuis

Je vous adresserai ces données par voie écrite. D'autres solutions demeurent, comme l'utilisation de véhicules hybrides ou électriques. À cet égard, la tarification doit être un signal pour emprunter d'autres voies de développement.

Une autre piste peut consister en l'exemption de la fiscalité diésel afin de soutenir certaines professions et activités. À cet égard, le comité n'est pas allé au-delà de ce constat, du fait également de sa durée de vie qui s'est avérée limitée ! Il fallait alors distinguer la légitimité collective de l'action publique vis-à-vis d'une profession particulière et l'instrument utilisé pour y parvenir, ce que, du reste, notre comité n'était aucunement fondé à opérer. En effet, ne pouvant juger la valeur d'un soutien public en faveur de tel ou tel acteur, il ne pouvait en revanche qu'informer les Pouvoirs publics de la valeur du soutien qui étaient le leur, en identifiant les signes environnementaux néfastes au développement d'activités nouvelles et compétitives. C'est pourquoi, loin de désigner des coupables, le comité avait comme préoccupation de poursuivre un dialogue continu avec les parties concernées par cette question, en évitant de faire montre d'une sorte de naïveté environnementale.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Nous avons adressé aux représentants d'un groupe industriel automobile, que nous auditionnions ce matin, une question qui s'inscrit dans la continuité de votre propos et concerne le fléchage des aides pour construire le véhicule propre. En effet, 90 millions d'euros ont été débloqués, dans le cadre du Grand Emprunt, en faveur de ce groupe qui a utilisé ces fonds pour développer la motorisation hybride diésel. Ne pensez-vous pas qu'une telle démarche s'inscrit en faux avec les objectifs du développement durable et d'amélioration de la qualité de l'air, en raison des conséquences sanitaires induites par l'utilisation des motorisations diésel ? Il me semble que cet exemple reflète également que nos industries ont encore une conception du développement économique héritées du XXe Siècle, alors que nous avons changé, depuis lors, de paradigme !

Debut de section - Permalien
Xavier de Perthuis

Je ne ferai pas de commentaire sur la stratégie industrielle de tel ou tel groupe, mais en ce qui concerne la prévalence du diésel, celle-ci a été favorisée par une politique volontariste de l'État. La prise de conscience de ses conséquences environnementales ne s'est ailleurs opérée que tardivement. En outre la motorisation hybride diésel n'est pas la solution idoine pour la ville, en raison du chauffage des moteurs, mais elle constitue tout de même un moindre mal par rapport à une motorisation totale. À cet égard, nos deux constructeurs nationaux travaillent sur des solutions plus innovantes encore sur les moyen et long termes. En outre, la nouvelle configuration du Groupe PSA, qui présente désormais un fort ancrage chinois, devrait induire une nouvelle adéquation avec les normes qui prévalent en dehors de nos frontières et qui tendent à restreindre l'utilisation du diésel.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Pensez-vous que le principe pollueur-payeur soit respecté aujourd'hui ?

Debut de section - Permalien
Xavier de Perthuis

La réponse est évidemment négative. La modélisation d'une économie repose en partie sur les fonctionnalités du capital naturel, qu'il faut entendre au-delà des stocks de réserves naturelles en y incorporant ses systèmes de régulation. Il nous faut ainsi opérer un changement de paradigme, puisque les externalités environnementales ne sont pas incorporées dans les prix. De ce fait, il importe d'être beaucoup plus ambitieux en matière de verdissement de la fiscalité, afin de mieux taxer les pollutions tout en réduisant d'autres impôts pesant sur les coûts du travail et du capital. Un tel coût est plus impliquant qu'on ne le croit, puisque la fiscalité verte doit servir à financer la dépollution. Il lui faut également prévenir le risque d'une hausse générale des impôts afin de demeurer socialement acceptable. Une telle fiscalité, pour être efficace, obéit au principe du double dividende selon lequel chaque euro provoquant la modification du comportement des agents économiques est compensé par un euro résultant de la réduction de la fiscalité existante. Une telle conception de la fiscalité s'est avérée une réussite dans certains États européens, comme en Suède où la taxe sur les émissions de dioxyde de carbone a progressivement atteint, à partir de 1991, un niveau de 130 euros par tonne et a contribué à l'élaboration d'un nouveau système fiscal qui a permis concomitamment d'abaisser les autres impôts pesant sur les fonctions de production. Loin de conduire à la désindustrialisation du pays, une telle démarche a plutôt permis de redéfinir les modes de production industriel et énergétique.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Selon vous, la taxe carbone détruit-elle sa base taxable ?

Debut de section - Permalien
Christian de Perthuis

Le principal critère de réussite d'une taxe réside justement dans sa capacité à faire disparaître son assiette. Il s'agit ainsi de lui conférer un niveau qui rend inefficaces les différents substituts qui sont visés. Dans le cadre de la taxe carbone par exemple, le seuil requis est de 50 euros la tonne pour notre pays qui aura divisé par quatre ses émissions de dioxyde de carbone. Comme le rapport du Comité trajectoires 2020-2050, auquel je participais lors de la mandature précédente, l'avait indiqué en 2011, il importe de faire progresser le niveau de la taxe carbone dont la réduction de l'assiette devrait compenser l'évolution du taux aux alentours de 2040. Ce qui démontre que cette base taxable ne va pas être épuisée dans les toute prochaines années !

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Encadrez-vous des étudiants qui travaillent sur le coût économique et financier de la pollution de l'air ?

Debut de section - Permalien
Christian de Perthuis

L'une de mes collègues de la chaire économie et climat de l'Université Paris-Dauphine vient de publier un article sur la valeur sanitaire de la pollution de l'air, qui aborde cette thématique. De nombreux doctorants sont également passionnés par l'intégration de la nuisance environnementale dans la connaissance économique. Notre chaire a d'abord travaillé sur le dioxyde de carbone, mais son programme de travail a évolué progressivement, en privilégiant une approche sectorielle. Elle s'est d'ailleurs exprimée, sous la forme de publication idoine, lors des pics de pollution.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Le développement durable et la transition énergétique constituent des solutions pour devenir compétitif, à la condition de changer de paradigme. Quelles sont, selon vous, les forces de résistance les plus âpres à un tel changement ?

Debut de section - Permalien
Christian de Perthuis

J'ai toujours eu à coeur de coupler mes activités de recherche avec la confrontation au monde réel, comme en témoignent mes fonctions de conseiller de la direction de la Caisse des dépôts et consignations entre 2001 et 2008. Toute proposition d'innovation se heurte manifestement à une forme de conservatisme, comme j'ai pu le constater à l'occasion de la mise en oeuvre des engagements de la France souscrits dans le cadre du Protocole de Kyoto en matière d'émissions de dioxyde de carbone. Le problème réside en ce que les générations futures, par définition, ne votent pas et qu'il faut convaincre la génération présente, ainsi que la diversité des acteurs du tissu économique, du bien fondé d'accélérer la mise en oeuvre de la croissance verte, car on ne peut conserver les bénéfices de l'industrie du XXème Siècle et anticiper, dans le même temps, ceux de la transition énergétique. Il importe désormais d'aller jusqu'au bout de la logique puisque l'existence du changement climatique ne se discute plus, pas plus d'ailleurs que celle de la pollution atmosphérique. D'ailleurs, s'il est urgent de mettre en oeuvre les instruments économiques et financiers adaptés, il faut éviter de sombrer dans une dramatisation excessive qui rendrait, à terme, difficile une telle transition.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Je vous remercie, Professeur, de votre intervention et de la qualité de vos réponses.

Audition de M. Christian de Perthuis, ancien Président du Comité pour la fiscalité écologique

La réunion est ouverte à 15 heures 30.