Mes chers collègues, nous continuons notre cycle d'auditions de la semaine en entendant M. Gallo Gueye, directeur des statistiques sociales d'Eurostat, qui est accompagné de Mme Anne Clémenceau, chef de l'unité marché du travail et formation tout au long de la vie, et de M. Boyan Genev, administrateur d'Eurostat.
Je rappelle qu'un questionnaire préalable vous a été transmis. Je donnerai donc directement la parole, à l'issue de mon propos, au rapporteur, Philippe Dallier, puis aux membres de la commission d'enquête, qui vous interrogeront sur la base des réponses que vous nous avez transmises.
Cette audition doit permettre d'éclairer les membres de la commission sur le rôle d'Eurostat dans le pilotage du système statistique des États membres de l'Union européenne, s'agissant, en particulier, de la mesure de l'emploi et du chômage. Il nous serait également utile de connaître le regard que vous portez sur les statistiques françaises en matière d'emploi et de chômage.
Je vous précise que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle sera captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Nous essayons de mieux comprendre comment les chiffres du chômage sont produits en France et utilisés au niveau européen. Nous nous interrogeons également sur les comparaisons que nous pouvons opérer entre pays européens, tout particulièrement avec le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie. Or ces trois pays n'élaborent pas leurs statistiques selon la même méthode.
Votre interlocuteur en France est l'Insee, qui produit des statistiques trimestrielles. Mais vous utilisez également les données administratives qui vous sont communiquées par Pôle emploi. Celles-ci n'étant pas au format souhaité, vous procédez à des extrapolations, ce que vous ne faites pas pour les trois pays auxquels nous souhaitons nous comparer.
En quoi consiste cette extrapolation ? Nos données sont-elles vraiment comparables à celles des pays précédemment cités ?
Eurostat est l'autorité statistique de l'Union européenne. Ce service de la Commission européenne a pour rôle de promouvoir la législation statistique en Europe et son application. Les statistiques sociales sont assises sur des règlements européens, destinés à assurer la comparabilité des données statistiques européennes.
Nous recueillons et agrégeons les statistiques en provenance des États membres, qui, s'agissant du chômage et de l'emploi, sont des données annuelles, trimestrielles et mensuelles.
Nous coopérons très étroitement avec les organisations internationales, notamment le BIT et les instituts de statistique des principaux partenaires de l'Europe.
Nous sommes particulièrement soucieux de la question de l'indépendance au service de la qualité des statistiques. Nous travaillons avec les instituts de statistique de chacun des États membres afin d'assurer cette indépendance. Pour cela, nous disposons d'un comité consultatif sur la gouvernance statistique.
Cette architecture d'ensemble est tournée vers l'élaboration de statistiques comparables et de qualité.
Les statistiques mensuelles que nous élaborons sont assises sur les définitions internationales du BIT. Nous avons l'obligation de produire ces statistiques, utilisées dans certains cadres particulièrement importants de l'Union européenne comme la procédure sur les déséquilibres macroéconomiques.
Dix-sept États membres nous transmettent directement des chiffres du chômage conformes aux BIT. La Finlande et la Suède produisent en réalité des chiffres mensuels à partir de l'enquête sur les forces de travail, dénommée « enquête emploi » en France ; d'autres pays appliquent des méthodes d'extrapolation, mais en restant, toujours, dans le domaine de l'enquête emploi. Les données administratives ne jouent aucun rôle dans l'élaboration de ces statistiques.
Eurostat produit les chiffres pour les onze autres États membres, en employant une méthode hybride combinant les données administratives sur les demandeurs d'emploi et les données issues de l'enquête emploi.
L'extrapolation est opérée les mois où les données de l'enquête emploi sont indisponibles. La méthode, validée par le groupe de travail statistique sur le marché de l'emploi, consiste à appliquer, aux données relatives aux demandeurs d'emploi transmises par la Dares, un ajustement par désagrégation.
Cette méthode est solide. Les estimations initiales sont parfois révisées, mais le différentiel, en positif ou négatif, ne dépasse pas 0,3 points de pourcentage. Que ce soit pour la France ou les dix autres pays concernés, les révisions ne paraissent pas hors normes.
Quelles données de l'Insee allez-vous utiliser pour obtenir le taux de chômage de janvier 2016, sachant que Pôle emploi vous aura transmis ses propres données dans le courant de février ?
La règle en matière de transmission des données trimestrielles de l'enquête emploi veut que ces données nous soient transmises au maximum douze semaines après la fin du trimestre. Mais certains pays les publient bien avant ce terme.
Selon la rapidité de réponse des pays, pour ce même mois de janvier 2016, vous seriez donc amené à utiliser des données trimestrielles correspondant à des périodes différentes. N'est-ce pas problématique ?
Le risque existe. Mais, à nouveau, nous considérons que des révisions de 0,3 points de pourcentage ne sont pas hors normes.
Observez-vous une différence entre les mois où vous vous appuyez sur le chiffre trimestriel et ceux où vous produisez la donnée par extrapolation ?
Des variations peuvent être constatées d'un mois sur l'autre, mais la moyenne des trois mois est toujours calée sur le résultat de l'enquête emploi.
Les dix-sept pays produisant leurs propres données emploient-ils la même méthode ? Ce point a-t-il une importance pour vous ?
Comme je l'ai souligné, tous les pays ne procèdent pas de la même manière, et les méthodes sont même assez diverses. Après examen des séries qui nous sont transmises sur une longue période et discussion avec les différents pays sur la pertinence de leurs procédés, nous jugeons ces différentes méthodes satisfaisantes. Pour autant, nous continuons à travailler sur leur amélioration dans le cadre des contacts permanents que nous entretenons avec nos interlocuteurs dans les États membres.
L'Europe cherche-t-elle à aller vers l'uniformisation ? Des objectifs sont-ils fixés dans ce domaine ?
Nous ne cherchons pas à ce que la même méthode soit employée partout. Notre objectif est la comparabilité des résultats. Cela n'exclut pas que nous discutions avec les pays d'éventuels points qui nous paraîtraient obscurs.
Après vos explications sur vos procédés d'extrapolation, je ne suis pas totalement rassuré sur la comparabilité, in fine, des résultats. Les différences entre pays - en particulier, toujours, entre la France et les trois pays déjà cités - sont-elles moindres sur les périodes trimestrielles ?
J'ai évoqué des écarts - de 4 mois, environ - dans les délais de transmission, par les pays, des données sur lesquelles nous nous calons pour sécuriser nos extrapolations. Mais nous obtenons, dans les extrapolations mensuelles, un niveau d'harmonisation acceptable pour l'objectif qui est le nôtre. Ce décalage ne remet pas en cause notre statistique mensuelle.
Les données trimestrielles reposent sur une base légale. L'implémentation de l'enquête diffère d'un pays à l'autre, conformément au principe de subsidiarité. Mais, à nouveau, nous visons la comparabilité du résultat.
Les chiffres de l'Insee sont en parfaite conformité avec le règlement européen, ainsi que les statistiques trimestrielles fournies par le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie.
Les règlements européens imposent de nombreuses contraintes techniques et méthodologiques, ce qui garantit, pour les données trimestrielles et annuelles, un niveau de comparabilité très supérieur à bon nombre de statistiques. Mais nous continuons de travailler, notamment sur la séquence des questions dans les différents questionnaires nationaux, pour progresser encore.
Pour les statistiques mensuelles, notre objectif est de parvenir à l'utilisation de méthodes encore plus harmonisées, mais il sera difficile à atteindre.
Si l'on veut être certain d'utiliser des statistiques fiables, il faut donc préférer les données trimestrielles aux données extrapolées.
Les chiffres trimestriels sont effectivement plus solides, même si la comparabilité n'est jamais complète. Mais nos chiffres mensuels, plus représentatifs que les données relatives aux demandeurs d'emploi, en tout cas dans les cadres d'évaluation que nous utilisons, ont toute leur place parmi nos indicateurs.
Mme Christine Erhel, que nous avons auditionnée le 11 mai, a évoqué l'existence d'un « halo » autour du chômage et, en particulier, la frange d'inactifs en fin de carrière, qui n'apparaît pas dans certaines statistiques. En France, on en dénombrerait 1,408 million ! Au niveau européen, la population concernée devrait atteindre des niveaux très élevés, sachant que l'âge de départ à la retraite varie d'un pays à l'autre. Prenez-vous ce phénomène en considération ?
Je ne crois pas que les différences entre pays sur cette question précise aient une incidence sur les données trimestrielles au sens du BIT.
Peut-on envisager qu'une harmonisation complète soit un jour possible ? Votre travail en serait-il simplifié ?
S'agissant des chiffres trimestriels et annuels, nous l'avons dit, le niveau d'harmonisation est très satisfaisant.
S'agissant des chiffres mensuels du chômage au sens du BIT, nous ne cessons de pousser à l'harmonisation, mais, encore une fois, il s'agit d'obtenir, non pas le recours à une méthode unique, mais une comparabilité indirecte des résultats. L'objectif porte sur l'« output », même si, pour l'atteindre, nous travaillons aussi sur l'« input ».
Cela étant, tout soutien des efforts d'amélioration de méthodologie que nous portons serait bienvenu !
Vous indiquez dans les réponses à notre questionnaire qu'Eurostat est amené à corriger des chiffres mensuels déjà publiés. Est-ce plus fréquent pour les onze pays dont les chiffres sont extrapolés ou pour les dix-sept autres ?
Nos analyses ne révèlent aucune différence entre les deux groupes de pays.
Je m'interroge depuis longtemps sur la fiabilité et la comparabilité des chiffres mensuels du chômage. Vos propos viennent conforter mes doutes. Votre office pourrait-il demander de ne plus publier les données mensuelles, moins porteuses de sens que les données trimestrielles ?
Les chiffres du chômage selon le BIT publiés mensuellement par Eurostat répondent aux objectifs de nos cadres d'évaluation et, j'y insiste, nous jugeons la série mensuelle solide.
Le marché du travail est un système complexe. Notre préoccupation première est d'expliquer clairement, de la façon la plus transparente possible, la signification de chacune des séries mensuelles publiées. Je rappelle que nous ne publions pas les chiffres mensuels des demandeurs d'emploi, uniquement utilisés pour l'extrapolation.
Au-delà des relations bilatérales avec tous les instituts statistiques nationaux, entretenez-vous des relations multilatérales ?
La méthode d'extrapolation hybride que nous utilisons a été validée par un groupe de travail d'Eurostat réunissant des experts statisticiens de tous les instituts nationaux de statistique en Europe. Celui-ci se réunit au moins deux fois par an, et d'autres réunions sont prévues entre directeurs des instituts nationaux. Les méthodologies sont toutes définies dans ce cadre, et non, de manière isolée, par Eurostat ou la Commission européenne.
En cas de rétropolation, les États sont amenés à vous transmettre d'éventuelles corrections sur une base volontaire. Cette transmission ne devrait-elle pas être obligatoire ?
Nous sommes en contact avec les instituts nationaux, qui nous informent de projets de révision ou de changements pouvant entraîner des rétropolations. Mais, effectivement, cette communication n'est prescrite par aucun texte juridique et repose sur le volontariat.
Nous disposons néanmoins d'un code de bonnes pratiques, édictant un certain nombre de règles, et voilà quelques années, nous avons défini des lignes directrices concernant les révisions de série, la rétropolation et l'information entourant ce processus.
Il ne serait pas évident d'établir une obligation en la matière. Mais je ne connais pas de cas dans lequel nous n'aurions pas été informés.
En France, une statistique mensuelle du nombre de demandeurs d'emploi a dû être corrigée du fait du fameux « bug » SFR. Avez-vous également modifié votre chiffre issu de l'extrapolation, en fonction des informations transmises par Pôle emploi ?
Je ne peux pas vous répondre sur le champ. Nous vérifierons cette information.
L'Insee interviewe 100 000 personnes pour son enquête trimestrielle. Interrogé sur la possibilité de procéder à cette enquête chaque mois, son directeur nous a opposé une question de coût. Mais l'utilisation d'Internet pourrait engendrer des économies, permettant une évolution en ce sens. Si l'Insee se lançait dans cette opération, faudrait-il vous consulter en amont ?
Nous sommes très fréquemment consultés sur les changements envisagés. Nous l'avons été sur le changement de l'ordre du questionnaire en 2013 ou sur les évolutions relatives aux DOM. J'imagine qu'il en irait de même dans le cas que vous mentionnez.
Nous examinons les modes d'administration des questionnaires très attentivement au niveau européen, car la question du biais est essentielle. Les expériences menées ici ou là ne démontrent pas pour l'instant que l'on obtient des résultats identiques en interrogeant la même population selon des méthodes différentes.
Les économistes, selon les pays, travaillent-ils plutôt avec les données trimestrielles ou les données mensuelles ?
Les chercheurs travaillent aussi bien avec les unes que les autres. Mais ils utilisent aussi des schémas de modélisation et de prévision.
Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. Yves Perardel, économétricien au Bureau international du travail (BIT).
Je rappelle que le BIT est le secrétariat permanent de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui a adopté, en 1982, la définition internationale du chômage dont nous avons déjà longuement parlé au cours des auditions précédentes.
Notre commission a souhaité vous entendre, monsieur Perardel, pour que vous puissiez rappeler l'historique et les modalités de fonctionnement de l'appareil statistique international en matière d'emploi et de chômage.
Il serait, en outre, intéressant que vous nous précisiez le regard que vous portez sur la qualité du système statistique français en matière d'emploi et de chômage.
Je vous donne maintenant la parole pour un exposé liminaire d'une vingtaine de minutes, à la suite duquel le rapporteur, M. Philippe Dallier, ainsi que les autres membres de la commission vous poseront leurs questions.
Nous disposons de différentes sources officielles de statistiques sur le marché du travail. Quatre d'entre elles peuvent en particulier nous intéresser : le recensement général de la population et des logements ; les enquêtes effectuées auprès des ménages sur la main-d'oeuvre ainsi que sur les revenus et les dépenses des ménages ; les recensements et enquêtes auprès des entreprises et établissements ; enfin, les registres administratifs.
Le recensement général n'est plus une source de statistiques en matière d'emploi pour la France ou, plus largement, les pays de l'Union européenne, mais il reste la seule source disponible pour une soixantaine de pays. Il a lieu en général tous les dix ans ou par rotation de manière annuelle. Son avantage est qu'il couvre tous les habitants : il s'agit d'une enquête exhaustive. En revanche, son coût est très élevé et sa périodicité très faible. Les questions relatives au travail sont en général très limitées, car le questionnaire est court.
L'enquête auprès de la main-d'oeuvre est ce qu'on appelle habituellement en France l'« enquête emploi ». Dans la plupart des pays, elle a lieu chaque trimestre ; seule une quinzaine de pays la publie chaque mois. L'avantage de cette enquête est que le questionnaire et la méthodologie employés se concentrent sur les problématiques d'emploi ; en particulier, tous les indicateurs clés peuvent être mesurés. Son coût est nettement inférieur à celui d'un recensement et sa périodicité beaucoup plus élevée. En revanche, l'échantillon interrogé est non pas exhaustif mais uniquement représentatif de la population. Tous les pays de l'Union européenne utilisent pour cette enquête, effectuée à un rythme trimestriel, un questionnaire harmonisé par Eurostat, ce qui permet la comparabilité des résultats.
Le registre administratif, tel, en France, celui qui est tenu par Pôle Emploi, ne présente quant à lui pas de problèmes d'échantillonnage puisqu'il s'agit d'un registre exhaustif de la population concernée. Ses données sont publiées plus rapidement et plus fréquemment que pour les enquêtes auprès de la main-d'oeuvre. En revanche, il dépend uniquement du cadre législatif défini par chaque État : les comparaisons entre les pays sont donc impossibles. Par ailleurs, il n'offre pas de dénominateur : on compte le nombre de chômeurs inscrits sans pouvoir calculer le taux de chômage, en l'absence de données sur la population active. Tous les autres chiffres relatifs au marché du travail - le taux de sous-emploi, par exemple - ne peuvent pas non plus être mesurés.
Enfin, les enquêtes auprès des entreprises et des établissements permettent d'apprendre le nombre de postes vacants disponibles au moment de l'enquête ; cette donnée est généralement calculée en équivalent temps plein. Cela permet de mesurer la demande de main-d'oeuvre alors que les autres sources mesurent l'offre. Les établissements non déclarés, dont le nombre est souvent très important dans les pays en développement, ne peuvent en revanche être pris en compte. Par ailleurs, comme pour l'enquête auprès de la main-d'oeuvre, l'échantillon étudié est représentatif et non pas exhaustif.
Aucune source de données ne peut donc à elle seule répondre à tous les besoins. Un système intégré de statistiques du travail doit reposer sur leur combinaison. Les données du recensement permettent ainsi de faire des évaluations comparatives et d'élaborer des bases de sondage pour les enquêtes ultérieures. Les données issues des enquêtes servent aux estimations intercensitaires et au suivi des tendances à court terme ; elles permettent en outre d'évaluer le sous-enregistrement dans les sources administratives, qui sont quant à elles utiles par leur fréquence et leur rapidité d'obtention. Les données issues des registres administratifs ne représentent qu'une fraction de ce que peut nous apprendre l'enquête emploi.
La définition actuelle du chômage a été adoptée par la treizième Conférence internationale des statisticiens du travail (CIST) en octobre 1982. La CIST rassemble, tous les cinq ans, des statisticiens du travail de tous les pays membres de l'OIT, actuellement au nombre de 187. Les statisticiens invités proviennent des instituts nationaux de statistique, tel en France l'Insee, et des ministères couvrant le domaine du travail et de l'emploi. Des représentants des syndicats d'employeurs et de travailleurs sont également conviés.
Les personnes au chômage, suivant cette définition, sont des personnes en âge de travailler - en général de 15 à 74 ans - qui remplissent trois critères.
Tout d'abord, ces personnes doivent être sans travail durant la semaine de référence : elles n'ont pas d'emploi rémunéré ou ne travaillent pas comme indépendant pour une durée minimale d'une heure.
Ensuite, elles sont disponibles pour travailler, c'est-à-dire pour commencer un emploi rémunéré ou indépendant au cours des deux semaines suivant la semaine de référence.
Enfin, elles sont en recherche active d'un travail : elles ont pris des mesures spécifiques, dans la période de quatre semaines se terminant avec la semaine de référence, pour chercher un emploi rémunéré ou indépendant, ou elles ont trouvé un emploi commençant dans les trois mois suivants.
Cette définition a été adoptée par tous les États membres de l'OIT. Ainsi, elle permet d'obtenir des chiffres comparables, si tant est que les questionnaires employés dans chaque pays permettent de mesurer ces trois critères.
Le nombre de chômeurs inscrits sur des registres administratifs dépend du cadre législatif national, qui varie de manière importante selon les pays.
En général, les trois critères du BIT sont appliqués. Néanmoins, des différences peuvent apparaître sur plusieurs points. Parfois, le critère d'une heure travaillée dans la semaine de référence peut être assoupli, ce qui permet, par exemple en France, de distinguer certaines catégories de demandeurs d'emploi.
Quant au critère de disponibilité, des personnes malades, qui ne sont donc pas disponibles, vont être prises en compte dans les registres administratifs de nombreux pays. À l'inverse, certains pays demandent une disponibilité à temps complet, ce qui n'est pas le cas de la définition internationale.
Pour ce qui est du critère de recherche active, certains pays demandent des preuves de cette recherche pour maintenir les personnes concernées sur le registre. De plus, certains pays imposent de prendre un emploi trouvé par le service public d'emploi.
Enfin, contrairement à la définition internationale, les chômeurs inscrits doivent s'enregistrer auprès du service public d'emploi. Si les personnes concernées voient un bénéfice potentiel à s'inscrire - aide pratique et personnalisée à la recherche d'emploi, indemnité financière -, la majorité d'entre elles s'inscrira. Ce n'est pourtant pas toujours le cas, notamment dans les pays dépourvus d'un système d'indemnisation des chômeurs.
Les registres de chômeurs inscrits sont parfois plus restrictifs que la définition internationale du chômage. Cela est particulièrement vrai dans les cas suivants.
Les jeunes, tout d'abord, sont souvent exclus des registres, car ils n'ont pas encore exercé d'emploi ou ils sont encore étudiants.
Certaines personnes plus âgées peuvent quant à elle être au chômage selon la définition internationale alors que, ayant atteint l'âge officiel de la retraite dans leur pays, elles sont automatiquement exclues du registre des chômeurs.
Par ailleurs, les personnes en recherche d'un emploi à temps partiel - moins de 20 heures par semaine - sont parfois exclues du registre.
Enfin, dans certains pays, seules les personnes ayant le droit de recevoir une indemnité financière sont conservées dans les registres de chômeurs inscrits. Toute personne n'ayant droit à aucune indemnité sera automatiquement exclue du nombre total. Cela réduit souvent considérablement le nombre de personnes inscrites.
À l'inverse, la définition internationale du chômage est parfois plus restrictive que le registre national. C'est le cas pour les personnes travaillant à temps partiel, qui sont souvent comptées dans les registres alors que la définition internationale les exclut dès la première heure de travail hebdomadaire effectuée. C'est aussi le cas, dans certains pays, des personnes dont la rémunération est inférieure à un seuil, qu'on autorise alors à s'inscrire au registre des chômeurs.
Je peux vous montrer un tableau qui compare, pour un ensemble de pays, le nombre de chômeurs inscrits sur leurs registres et celui qui a été calculé selon les normes internationales à partir des enquêtes auprès de la main-d'oeuvre. Le ratio entre ces deux nombres varie considérablement d'un pays à l'autre. Dans certains, tels la France ou l'Islande, les deux nombres sont du même ordre de grandeur. Comparons à présent l'Autriche et la Macédoine : ces deux pays ont un nombre comparable de chômeurs suivant la définition de l'OIT, environ 250 000 personnes. En revanche, le nombre de chômeurs inscrits sur leur registre varie du simple au triple : le nombre de chômeurs inscrits sur les registres autrichiens dépasse les 380 000, alors que les registres macédoniens ne comptent que 125 000 chômeurs.
Dans le cas de la France, le nombre de chômeurs inscrits au registre national est-il celui fourni par Pôle Emploi ?
Tout à fait ; il s'agit de la seule catégorie A de Pôle Emploi. Comme il n'existe pas de norme internationale pour les registres administratifs, nous utilisons les données fournies par les pays suivant leur système propre.
Qui vous fournit le nombre de chômeurs suivant les normes internationales ? Eurostat a-t-il un rôle à jouer ?
L'Insee le calcule à partir de son enquête trimestrielle et nous le fait parvenir directement, sans l'intermédiaire d'Eurostat. En revanche, du fait de l'harmonisation des questionnaires, ces données sont très aisément comparables entre les pays de l'UE.
Ces questionnaires ne sont pourtant harmonisés que jusqu'à un certain point, à en croire le représentant d'Eurostat que nous avons auditionné.
Je dirais qu'ils sont plus harmonisés que les autres. La manière dont les questions sont posées est très importante : demande-t-on directement à la personne si elle est en recherche d'emploi ou bien lui pose-t-on cinq questions indirectes dont on déduit la réponse ? Des différences peuvent subsister à ce niveau entre pays européens.
Parmi les 187 États membres de l'OIT, combien vous fournissent des statistiques trimestrielles fiables ?
Environ la moitié d'entre eux. Une quinzaine de pays nous fournissent même des données mensuelles.
Ces derniers pays nous intéressent particulièrement, car nous sommes incapables de produire ces statistiques mensuelles. Comment s'y prennent-ils ? Y a-t-il des pays européens parmi eux ?
Les pays européens se sont mis d'accord pour fournir des données trimestrielles fondées sur un questionnaire et une méthodologie harmonisés. Il me semble donc qu'aucun d'entre eux, sauf exception, ne publie de statistique mensuelle à partir des enquêtes emploi. Je vous ferai en tout cas parvenir la liste des pays publiant ces statistiques à un rythme mensuel.
Pour en revenir au tableau comparant chômeurs inscrits et chômeurs selon la définition internationale, le ratio entre ces deux nombres est aussi fonction de la générosité du système d'indemnisation. Le système macédonien est sans doute beaucoup plus contraignant et moins généreux que le système autrichien. À l'échelle mondiale, rappelons que seules 28 % des personnes ont un accès potentiel à une indemnisation chômage.
Je veux maintenant présenter l'exemple des États-Unis, pays qui fournit d'ailleurs des statistiques d'enquête mensuelles. La différence entre le nombre de chômeurs suivant la définition internationale - 8 674 000 - et le nombre de chômeurs inscrits pour recevoir une indemnisation - 2 254 000, seuls les personnes recevant une indemnisation demeurant sur le registre - est extrêmement importante. Par ailleurs, l'enquête menée auprès des entreprises et établissements montre que 5 851 000 postes sont vacants.
Comment les États-Unis parviennent-ils à publier mensuellement les statistiques fondées sur les normes internationales ? C'est parce que leur échantillon représentatif est suffisamment large pour fournir une estimation fiable chaque mois. Par ailleurs, le nombre de chômeurs inscrit au registre est publié à un rythme hebdomadaire ! Cette fréquence accrue est permise par l'informatisation totale du registre, qui permet à chaque agence d'avoir un aperçu instantané du nombre de personnes inscrites. Cela illustre bien les avantages du registre en termes de rapidité et d'exhaustivité.
Y a-t-il une seule enquête pour l'ensemble des États-Unis ou bien chaque État mène-t-il sa propre enquête ?
Une seule enquête est menée dans l'ensemble du pays et le même questionnaire est utilisé dans tous les États. En revanche, chaque État publie ses statistiques de chômage.
L'enquête publiée en France de manière trimestrielle s'effectue déjà en continu. Pour passer à une publication mensuelle, il faut augmenter l'échantillon pour qu'il soit représentatif à l'échelle d'un mois.
Selon l'Insee, c'est bien une question de coût. Savez-vous comment s'effectue l'enquête aux États-Unis, par Internet - ce qui permettrait sans doute de réduire les coûts -, par téléphone ou par rendez-vous ?
Je ne sais pas comment ils procèdent. De plus en plus de pays effectuent ces enquêtes par Internet ou par téléphone, certains le font encore sur papier.
Je tiens à rappeler les indicateurs issus de la 19ème CIST. Cette conférence a abouti à la première définition internationale du travail, dont l'emploi ne constitue que l'une des cinq formes, aux côtés du travail de production pour la consommation personnelle, du travail en formation non rémunéré, du travail bénévole et des autres activités productives. Il nous importe de mieux reconnaître ainsi les autres formes de travail, particulièrement importantes dans les pays en développement. Elles sont en revanche moins significatives en France.
Par ailleurs, au vu des contraintes entourant le chômage, en particulier dans les pays en développement où les indemnités de chômage n'existent pas, différents critères de sous-utilisation de la main-d'oeuvre ont été mis en place : le sous-emploi lié au temps de travail ; le chômage, dont la définition ne change pas, conformément à une forte demande des pays développés ; enfin, la main-d'oeuvre potentielle, qui est composée de deux catégories, les demandeurs d'emplois non-disponibles et les demandeurs potentiels disponibles. Chacune de ces deux catégories assouplit un critère de la définition du chômage pour englober ce qu'on nomme en France le « halo du chômage ». Ces nouveaux indicateurs seront testés dès l'an prochain en Europe par le biais d'un nouveau questionnaire harmonisé par Eurostat.
Le Bureau international du travail fournit un appui technique aux États membres qui le souhaitent - surtout des pays en développement - dans la conception du questionnaire de l'enquête emploi, afin de s'assurer que tous les indicateurs pourront être calculés correctement, ainsi que dans la préparation de l'échantillon représentatif et des tableaux issus des micro-données et l'analyse des résultats.
Notre site Internet permet l'accès à toutes les données qui nous ont été transmises par les États membres, ainsi qu'aux résolutions adoptées par l'OIT.
En conclusion, la source primaire d'information sur les statistiques du travail demeure l'enquête emploi. Néanmoins, la mesure du nombre de chômeurs inscrits reste pertinente et complémentaire.
Il ne faut pas comparer les deux chiffres sur le nombre de chômeurs en espérant qu'ils soient identiques, car ils couvrent des concepts certes proches mais distincts.
De plus, dans le cas d'une étude européenne ou internationale, le nombre de chômeurs inscrits sur des registres n'a pas de sens : il est fonction, dans chaque pays, de la législation nationale.
Dans un pays donné, l'évolution historique du nombre de chômeurs inscrits est pertinente uniquement si le cadre législatif de l'inscription des personnes n'évolue pas.
D'autres indicateurs existent néanmoins et doivent également être mis en évidence ; ils peuvent être mesurés uniquement par l'enquête emploi.
Si je vous comprends bien, vous édictez des normes, vous conseillez les pays qui vous sollicitent, mais rien d'autre : vous vous contentez de récupérer les données que ces pays veulent bien vous transmettre sans disposer d'aucun rôle de contrôle de la validité des données qui vous sont fournies. Ai-je bien résumé les choses ?
Nous contrôlons la conformité des critères officiellement employés par les pays dans leurs enquêtes par rapport à ceux qui fondent la définition du chômage. Certains pays ne suivent pas les recommandations de la CIST en excluant, par exemple, le critère de la recherche active. Dans un tel cas, nous publions les données fournies mais nous les accompagnons d'une annotation précisant qu'elles ne peuvent faire l'objet de comparaisons internationales.
Les États membres de l'OIT ne doivent-ils pas s'engager, par la signature d'une charte, à suivre les critères de l'organisation ?
Tous les pays devraient suivre les normes établies et, de fait, l'immense majorité d'entre eux le fait. Pour autant, chaque État est souverain et s'il décide, pour quelque raison que ce soit, de ne pas suivre ces normes, cette décision prévaut. Nous avons seulement un rôle de conseil.
Pourriez-vous nous donner votre opinion de la qualité du système statistique français ? Notre commission d'enquête ne doute pas de la qualité du travail de l'Insee. En revanche, les commentateurs et la classe politique utilisent en permanence le nombre mensuel de chômeurs, dont on commence à mieux mesurer les limites de la pertinence, et non pas tant le nombre trimestriel correspondant à vos critères. Voilà pourquoi les pays capables de fournir des statistiques mensuelles conformes à ces critères nous intéressent tant.
Par ailleurs, le découplage existant entre les données de Pôle Emploi et de l'Insee, auquel s'ajoutent les extrapolations opérées par Eurostat, apparaît problématique. Comment, selon vous, pourrait-on améliorer cette situation et rendre le système plus rationnel et pertinent ?
Je veux d'abord souligner la qualité exceptionnelle du travail de l'Insee, notamment dans la précision des données qu'il fournit à un rythme trimestriel.
En revanche, le travail d'extrapolation mené par Eurostat à partir des données mensuelles issues des registres administratifs peut présenter des risques. Si l'on veut obtenir des données mensuelles valables, il faudrait surtout augmenter l'échantillon des enquêtes emploi afin de pouvoir publier des données mensuelles avec la même confiance qui entoure les données trimestrielles actuelles.
Notre interlocuteur d'Eurostat nous a assuré que ce processus d'extrapolation ne pose pas tant de difficultés et que les données qui en résultent sont acceptables si l'on tient compte de la marge d'erreur. Partagez-vous cette conviction ?
Ces données sont acceptables mais elles ne seront jamais aussi bonnes que celles produites à partir d'une enquête représentative de la population, dès lors que l'on prend le temps nécessaire pour l'exploitation des résultats. L'enquête emploi reste la manière la plus fiable de mesurer le nombre de chômeurs et le taux de chômage d'un pays tout en assurant la possibilité de comparaisons internationales.
Certes, on peut mener des travaux économétriques préliminaires à partir des tendances des registres administratifs ; c'est bien moins coûteux que d'augmenter la taille de l'échantillon représentatif. Néanmoins, en tant qu'expert, je préfèrerais une enquête représentative mensuelle.
Sauriez-vous nous dire à combien de personnes il faudrait porter l'échantillon pour remplir cet objectif ?
C'est à l'Insee de répondre précisément à cette question. La solution n'est pas forcément l'élargissement de l'échantillon : on pourrait également interroger l'échantillon actuel à un rythme plus fréquent.
Un tel rapprochement ne rend-il pas moins pertinentes les données issues de l'enquête ?
Environ 100 000 personnes sont interrogées dans le cours de chaque trimestre. Il faudrait avoir les moyens de les interroger dans le cours d'un mois seulement. Cela semble techniquement possible et, peut-être, moins coûteux dès lors que l'on utilise Internet. Encore faut-il s'assurer que les personnes répondent au questionnaire sans qu'on ait à les solliciter.
Il n'y a en effet aucun problème technique : un pays comme la France peut tout à fait se le permettre. Il faut simplement analyser le rapport coût-bénéfice d'une telle initiative. Chaque pays mène des enquêtes au rythme qu'il peut, que ce soit cinq ans ou un mois.
Quel est l'intérêt fondamental de bénéficier d'un calcul mensuel, si ce n'est de faire la démonstration du décalage entre les données de l'Insee et celles de Pôle Emploi ?
De fait, beaucoup d'indicateurs mesurés par l'enquête emploi auront une variabilité très faible de mois en mois. L'indicateur ayant la plus forte variabilité est le taux de chômage ; pour d'autres, tel le taux d'emploi, une valeur trimestrielle est largement suffisante. La raison principale de passer à un rythme mensuel est sans doute la volonté de connaître plus précisément l'évolution du taux de chômage.
Il sera intéressant d'apprendre de ces pays quelles données sont chez eux plus mises en avant. Pour que ce passage au rythme mensuel ait un sens, il faut que ces données issues de l'enquête deviennent, en quelque sorte, les données officielles.
Tout à fait.
Tel est bien le but recherché. Il serait bon qu'on puisse enfin comparer aisément nos données avec celles d'autres pays, ce qui exige d'utiliser les mêmes méthodes de calcul. L'immédiateté de l'information reçue est aussi séduisante ; le rythme hebdomadaire de parution du nombre de chômeurs inscrits aux États-Unis va peut-être un peu trop loin en ce sens.
Le principal intérêt du registre administratif, outre son exhaustivité, est sa périodicité plus fréquente que celle de l'enquête emploi. Si celle-ci devenait mensuelle, il perdrait cet avantage. Le passage à la publication hebdomadaire représente peut-être une réponse à ce problème.
Beaucoup de pays ne connaissent pas ce débat entre les deux comptabilisations des chômeurs : les deux valeurs y sont en effet si différentes, historiquement, que l'on n'a jamais cherché à les comparer ou à les opposer. La proximité des deux valeurs en France y nourrit ce problème.
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La réunion est levée à 15 h 50.
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