La réunion est ouverte à 16 heures 15.
Nous poursuivons nos auditions en revenant sur le projet de ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux. Nous recevons Benoît Faucheux, vice-président délégué à la transition énergétique et à l'environnement, qui est accompagné de Géraud de Saint Albin, chef du service biodiversité.
Je vous rappelle que ce projet est l'un des quatre projets spécifiques que notre commission d'enquête étudie pour tenter de voir, de manière plus générale, quelles sont les difficultés actuelles de l'application de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC) et de la mise en oeuvre ainsi que du contrôle et du suivi des mesures compensatoires pour les projets d'infrastructures.
S'agissant de la LGV Tours-Bordeaux, nous nous déplacerons le 24 février sur le tronçon proche de Bordeaux.
Notre réunion d'aujourd'hui est ouverte au public et à la presse. Elle fera l'objet d'une captation vidéo et sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Un compte rendu en sera publié.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment en rappelant que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Benoît Faucheux et Géraud de Saint Albin prêtent successivement serment.
A la suite de vos propos introductifs, mon collègue Ronan Dantec, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera un certain nombre de questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.
Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les autres projets concernés par notre commission d'enquête ? Je les rappelle : l'autoroute A65, le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.
Je n'ai pas de liens d'intérêts avec les autres projets étudiés par la commission d'enquête.
Je n'ai pas non plus de liens d'intérêts.
Mon propos portera sur la LGV Sud Europe Atlantique (SEA) mais il sera également plus large.
Dans le questionnaire que vous nous avez fait parvenir, vous nous demandez quels sont nos rapports avec les services de l'Etat sur la question de la compensation. Actuellement, ils sont inexistants. La région n'a pas été associée à la définition ni au suivi des mesures de compensation concernant la LGV SEA. Cela se comprend dans la mesure où, à l'époque où a été engagé le projet, la région n'était pas encore chef de file sur la question de la biodiversité. Avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et dans un contexte où nous participons activement à la création de la future agence régionale de la biodiversité (ARB), les choses ont changé. Il faut nous interroger sur la façon dont nous allons pouvoir faire vivre ce rôle de chef de file, y compris sur le sujet de la compensation, tout en étant conscients du fait que la biodiversité ne relève pas de la compétence des seules régions et que l'Etat exerce une responsabilité particulière, notamment pour assurer l'application des directives européennes.
Dans un période où l'argent public est de plus en plus rare, il convient de s'interroger sur l'utilité des nouveaux projets d'infrastructures. Quand on s'y attarde un peu, la rénovation et la modernisation des infrastructures existantes est souvent une alternative envisageable. Je pense, dans ma région, au projet de création de LGV Paris/Orléans/Clermont-Ferrand/Lyon. Des élus régionaux travaillent à un scénario alternatif qui consiste à moderniser le réseau existant : le coût des travaux serait bien moins élevé pour un niveau de service sensiblement équivalent et des temps de trajet rallongés de peu. Cette question de l'utilité des nouvelles infrastructures se pose aussi pour des projets de moindre ampleur. La région a longtemps mené une politique de développement des zones d'activité. Aujourd'hui, nous réalisons que ces zones sont sous-occupées. Notre objectif prioritaire est donc, plutôt que de créer de nouvelles zones, d'optimiser l'existant.
Il faut d'abord éviter, réduire au maximum et, en dernier recours, compenser. Sur cette question, le couple région/Etat doit vivre de façon plus forte qu'il ne l'a fait par le passé. Nous travaillons ensemble sur les schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE) ainsi que sur les comités régionaux de la biodiversité. Il faut qu'il en soit de même s'agissant de la mise en oeuvre des mesures de compensation, qui doivent être cohérentes avec les stratégies régionales définies en la matière.
Dans la région Centre-Val de Loire, le partenariat État/région fonctionne bien. C'est le cas aujourd'hui avec la création de l'ARB. Cela pourrait l'être aussi sur le sujet de la compensation. Si les mesures de compensation sont placées sous la seule responsabilité de l'Etat, nous risquons de créer des interférences avec le rôle de chef de file biodiversité des régions.
S'agissant de la LGV SEA, je constate qu'elle a permis de financer un ensemble de mesures de compensation intéressantes mais dont il est difficile de comprendre comment elles s'inscrivent dans le schéma régional de cohérence écologique (SRCE). En outre, le pilotage de ces mesures reste largement dans la main de l'opérateur qui construit l'infrastructure, qui se retrouve alors juge et partie.
Les régions sont désormais en charge de la mise en place d'un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) qui constitue, avec le schéma de développement économique, l'un des deux piliers de l'aménagement du territoire. Il me semble de ce point de vue intéressant d'avoir un pilotage régional permettant d'identifier les infrastructures nécessaires au développement de la région et les enjeux écologiques qui y sont associés.
S'agissant des propositions d'évolutions juridiques que nous pourrions formuler, il me semble notamment nécessaire que, dans la loi, soit ajoutée à la séquence ERC une séquence préliminaire de recherche de projets alternatifs de rénovation et de modernisation des structures existantes. L'évaluation et la comparaison des différents scénarios seraient obligatoires. Ensuite, il me semble utile que le co-pilotage État/région devienne un principe général et que le comité régional de la biodiversité devienne un lieu de dialogue entre les parties prenantes sur le sujet de la compensation, ce qui permettrait d'éviter les accusations d'opacité ou de conflits d'intérêts.
Nous avons auditionné hier la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire. Il semble en effet que la région a été peu associée à la mise en oeuvre des mesures compensatoires. Est-ce que la chambre d'agriculture échange avec la région ? Est-ce qu'on arrive, in fine, à avoir un minimum de cohérence ?
Je ne suis élu que depuis un an donc mon recul est limité. Pour le moment, je n'ai pas eu d'échanges sur la compensation avec la SNCF ni avec les chambres d'agriculture. Je n'ai pas le sentiment pour autant qu'il y ait de contradictions flagrantes ou de dérives, les associations et les chambres d'agriculture ayant joué leur rôle.
Nous n'avons pas été sollicités sur la LGV SEA. En revanche, nous avons échangé avec les chambres d'agriculture sur le SRCE mais la question de la compensation n'a alors pas été évoquée.
Notre région a été fortement touchée par des projets d'infrastructures. Je pense en particulier à l'A19 et à la LGV. Des changements importants sont donc intervenus, sur des surfaces étendues. Il en est de même s'agissant des mesures compensatoires : 3 500 hectares seront occupés par les mesures liées à la LGV, soit l'équivalent de la surface que gère aujourd'hui le conservatoire des espaces naturels.
Notre politique de conservation des espaces naturels est construite de façon conjointe avec l'Etat. Il n'en est pas de même s'agissant de la séquence ERC.
Avez-vous mesuré les impacts des infrastructures en termes de fractionnement ?
Les impacts sur la biodiversité des projets d'infrastructures ne sont souvent quantifiables que longtemps après leur réalisation. Si le SRCE nous a permis de bien identifier l'obstacle que constitue aujourd'hui l'A71, nous commençons depuis peu à mesurer les effets de l'A19, notamment en suivant la façon dont sont utilisées les infrastructures de franchissement. Pour la LGV SEA, il est trop tôt pour avoir des éléments.
Pour les infrastructures anciennes, qui conduit le dialogue pour assurer leur transparence ?
La région est sollicitée. Nous avons récemment été interpellés par courrier sur un ouvrage, suite aux discussions intervenues concernant les trames vertes et bleues et le SRCE. Nous avons également entamé des études, notamment concernant l'impact des grands grillages en Sologne sur le franchissement par les grands gibiers. Nous avons également des discussions avec Cofiroute sur l'A71, qui ont du mal à aboutir, faute de moyens pour aménager cette infrastructure ancienne.
Le concessionnaire considère qu'il n'a pas à revenir sur ce qui a été construit ?
Le concessionnaire considère que l'Etat ne lui donne pas les moyens de rendre plus transparentes les infrastructures existantes.
Il ne se considère donc pas comme étant soumis à une obligation de résultats ?
L'obligation de résultat est avant tout considérée par le concessionnaire au moment de la construction et en fonction de la réglementation applicable à cette date. La mise en oeuvre de la directive cadre sur l'eau pose des questions de ce point de vue puisque certains ouvrages ne sont pas transparents et devront être mis en conformité.
Est-ce que le concessionnaire considère qu'à partir du moment où il y a une demande nouvelle de l'Etat, des financements nouveaux doivent être prévus de la part de ce dernier ?
Le concessionnaire estime en effet qu'il n'a pas les crédits pour améliorer la transparence des infrastructures existantes.
Le concessionnaire estime que ce n'est pas de sa responsabilité mais de celle de la puissance publique. De façon générale se pose la question de la façon dont on peut suivre au niveau régional l'impact des grandes infrastructures et mettre en oeuvre le SRCE. Tout cela est encore récent. En tant qu'élu régional et responsable d'une commission d'associations d'élus qui travaille sur cette question, je constate que les régions ont la volonté politique d'agir mais que leurs moyens demeurent limités. La question de la façon dont doit être répartie la fiscalité écologique mériterait notamment d'être posée.
Nous travaillons en effet à sa création. Il y a une attente du territoire régional sur le sujet. Nous espérons créer une agence qui, sans mobiliser beaucoup de personnel, aurait avant tout un rôle d'animation et de mise en synergie du réseau existant, pour faire progresser l'observation et la connaissance. Nous avons également un observatoire régional pour la biodiversité qui doit être développé et mieux connecté avec les milieux de la recherche. Nous espérons également avancer sur l'éducation à l'environnement, sur la protection des espèces et sur l'accompagnement des territoires, afin qu'ils prennent davantage en compte la biodiversité dans leurs projets. La biodiversité est un facteur d'attractivité, notamment touristique, des territoires, mais également source de services. Il y a une envie d'agir mais aussi un manque d'ingénierie. L'ARB doit pouvoir permettre aux collectivités de progresser sur ce point et de se poser les bonnes questions en amont de leurs projets.
Pour revenir sur les sujets agricoles, nous avons eu le sentiment que les mesures de compensation environnementale venaient parfois suppléer les mesures agro-environnementales (MAE), et que, dans une certaine mesure, la compensation venait financer ce qui était auparavant réalisé au titre des MAE. Est-ce le cas ?
Un agriculteur doit dégager un revenu et faire fonctionner son exploitation. Nous sommes autorité de gestion du FEADER depuis, donc les MAE sont de notre ressort, et nous sommes par ailleurs chef de file de la biodiversité. Mais n'ayant pas été associés au suivi des mesures de compensation de la LGV, je peux difficilement vous répondre. Il pourrait y avoir des synergies intéressantes. Les MAE portent surtout sur des sites Natura 2000 dans notre région. Elles font l'objet d'assez nombreux retards de paiement, qui sont exaspérants pour toutes les parties prenantes, même s'il s'agit d'un autre sujet.
Il y a eu certaines difficultés lors de la réalisation des travaux sur la LGV. Pensez-vous que l'ensemble des enjeux environnementaux ne sont pas toujours bien pris en compte lors de cette étape du projet ?
Nous avons également eu connaissance de problèmes, mais c'est un chantier considérable.
Nous avons été interpellés sur ces sujets. On peut toujours faire mieux. Il y a de nombreuses incitations ou pressions, venant de l'administration et de la société civile, pour améliorer le système. Mais la région n'a pas fait un suivi fin des travaux.
Sur l'outarde, oiseau emblématique de la région, on nous a indiqué que les moyens étaient peut-être disproportionnés par rapport à la situation, et surtout aux résultats obtenus. Avez-vous suivi ce sujet ?
Certains territoires font effectivement l'objet de mesures en faveur de l'outarde sans qu'elle soit présente. Le recul de la population de cette espèce n'est pas irréversible. Si l'outarde revient, elle trouvera alors des espaces qui lui sont favorables. Mais cet exemple témoigne d'un manque de suivi des évolutions, y compris au niveau national. Selon les espèces protégées, les moyens devraient être mieux adaptés. Certaines espèces ne présentent plus d'enjeux. Je pense notamment au lézard des murailles, pour lequel on demande encore des mesures importantes et sans doute disproportionnées, y compris pour des petits projets.
Si la région était mieux associée au projet, elle pourrait proposer d'autres priorités ?
On peut le penser. En tout état de cause, il nous sera difficile d'exercer notre rôle de chef de file en matière de biodiversité si nous ne sommes pas associés au pilotage de ces mesures.
Si nous sommes associés en amont et en continu, nous pourrons apporter une certaine expertise mais surtout organiser la concertation avec les acteurs locaux, que nous connaissons bien. Le travail que nous faisons sur l'agence régionale pour la biodiversité est une mise en cohérence de la connaissance et des moyens, pour plus d'efficacité. Le suivi dans la durée de la compensation est essentiel, mais encore faut-il que la durée soit adaptée et que l'on tienne compte de l'évolution de l'espèce et du résultat des premières mesures compensatoires, en les révisant, si nécessaire.
Hier, nous avons discuté de la proximité entre la LGV et l'autoroute. Pour vous, est-ce une bonne formule pour la biodiversité et l'aménagement foncier ?
La question se pose également pour le projet de LGV Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon (POCL). Le risque est d'isoler géographiquement certains espaces. Nous avons un autre exemple concernant une zone de tir militaire au sud de Tours, qui isole certaines communes dans un no man's land peu accessible.
Il faut prendre en compte tous les enjeux, non seulement les continuités écologiques mais également l'aménagement du territoire. L'élaboration du SRADDET et l'intégration du SRCE devrait nous permettre de travailler sur ce sujet.
Quand une infrastructure traverse déjà le territoire, est-il préférable pour la biodiversité qu'une nouvelle infrastructure linéaire soit réalisée à proximité ou à distance de celle qui existe déjà ?
Il faut privilégier la mise en transparence des infrastructures existantes, pour éviter la fragmentation des espaces, comme nous le faisons notamment dans le domaine des rivières. Ajouter une nouvelle infrastructure linéaire à côté de celle existante renforce l'effet couperet.
La question ne peut pas se traiter in abstracto, cela dépend des espèces. Nous n'avons pas d'exemple de doublement d'infrastructures en région Centre mais certains exemples en France ont fait l'objet d'études. Nous savons que, pour les rivières, le franchissement peut poser problème à certaines espèces quand l'espace couvert est trop important. En région Centre, on parlait de doubler une autoroute par une LGV. Mais ces infrastructures ont des rayons de courbure différents. Cela aboutissait aussi à isoler des massifs boisés importants entre deux infrastructures.
Nous avons entendu des propos assez variables sur ce sujet. Certains intervenants nous ont dit que les espaces qui se retrouvent ainsi enclavés peuvent avoir des gains positifs de biodiversité, tandis que d'autres personnes nous ont indiqué qu'ils deviennent des nids à sangliers et à lapins qui ravagent les territoires alentours.
En région Centre, nous avons un exemple intéressant sur un délaissé de l'autoroute A71. Après des discussions, l'exploitant Cofiroute a pris conscience de l'intérêt de ce terrain, désormais géré par le conservatoire et dont une partie a été restaurée comme zone humide. L'isolement lui est assez bénéfique en termes de biodiversité et la proximité avec l'autoroute n'a pas d'impact sur les espèces présentes.
À l'issue des différentes auditions que nous avons déjà menées, nous avons l'impression qu'un nombre croissant d'acteurs intègrent ces questions de compensation. Avez-vous le sentiment que l'idée d'une mise en cohérence de la compensation progresse, au-delà de l'approche projet par projet ?
Il y a un mouvement de société dans notre pays. Il y a dix ans, l'aménagement du territoire intégrait très peu ces enjeux. Les différentes parties prenantes ont conscience d'être sur un territoire partagé, notamment pour les bassins versants. Mais ce mouvement d'ensemble est hétérogène et il est sans doute fragile. Il n'est pas toujours évident d'intégrer et de visualiser ces sujets techniques, comme les trames vertes et bleues. Les blocages locaux sont souvent un indice de progression globale. Lorsqu'une personne regrette de ne pas avoir été associée, c'est pour nous très positif, car cela montre que l'enjeu est là et que la personne a envie d'y travailler.