Notre étude sur la question de la représentation et de la visibilité des outre-mer sur les chaînes publiques nous conduit à accueillir aujourd'hui le président de Public Sénat, M. Emmanuel Kessler, que je tiens à remercier de sa diligence à répondre à notre sollicitation.
Comme vous le savez, notre délégation s'est emparée de cette question à la suite de l'annonce par le Président de la République au début de l'été 2018, puis par le Gouvernement, de la disparition de France Ô de la TNT à l'horizon 2020, au profit d'un renforcement de la présence des outre-mer sur les ondes publiques - ce ne serait effectivement pas du luxe ! - et également de la mise en place d'une plateforme numérique dédiée.
Nous avons décidé de procéder à un état des lieux de la situation, car les enjeux sont colossaux pour nos outre-mer et les contours flous des réformes envisagées suscitent beaucoup d'inquiétude, en particulier au siège de France Ô à Malakoff où nous nous sommes rendus par deux fois. La méthode employée, qui distille les évolutions sans vision globale ni feuille de route précise, crée une confusion dommageable et regrettable.
Notre démarche a donc pour ambition d'établir un bilan de la représentation et de la visibilité de nos territoires sur les ondes publiques, d'évaluer l'impact de la réforme annoncée, de clarifier les enjeux et de formuler des préconisations de nature à apporter les garanties nécessaires. Nous souhaiterions que l'état des lieux ainsi dressé vienne démentir notre sentiment selon lequel nos territoires restent largement invisibles pour le grand public ou sont regardés à travers les prismes déformants de clichés de cartes postales ou de visions apocalyptiques lors de la survenance de catastrophes naturelles.
C'est dans ce contexte qu'il nous a semblé important de vous entendre ainsi que votre homologue de LCP, car il incombe aux chaînes parlementaires une mission éminente d'information et de formation des citoyens à la vie publique.
Avant de vous céder la parole, je précise que notre délégation a investi de la responsabilité de cette étude, en les nommant rapporteurs, Mme Jocelyne Guidez, sénatrice de l'Essonne, et M. Maurice Antiste, sénateur de la Martinique.
Merci pour votre accueil. Je suis très heureux d'être auditionné par votre délégation pour évoquer la représentation et la visibilité des territoires ultramarins sur notre chaîne Public Sénat, sujet qui me tient à coeur.
La chaîne des territoires - un ancrage d'ailleurs mis en exergue dans notre nouvelle signature « Public Sénat au coeur des territoires » - a toujours veillé à traiter équitablement l'ensemble des régions de France, qu'elles soient en métropole ou en outre-mer.
Cette considération, cette vigilance, n'est pas suivie en tant que telle par un indicateur du contrat d'objectifs et de moyens (COM) de la chaîne. Mais il s'agit d'une attention continue dont nous avons tenu à rendre compte dans les rapports d'exécution annuels du COM à travers une carte de France précisant les lieux de tournage de nos émissions, reportages ou documentaires. L'outre-mer est traitée comme les autres régions françaises pour mesurer notre présence territoriale.
Sur Public Sénat, l'outre-mer, comme tout autre sujet, est abordé dans nos tranches d'actualité, dans nos magazines et dans nos documentaires.
Ainsi, pour la saison 2017-2018, il y a eu une quarantaine de reportages consacrés aux territoires ultramarins dans nos différentes émissions d'actualité, notamment dans notre matinale « Territoires d'infos » où Luc Laventure, le président de Outremers 360 qui est portail numérique avec lequel nous avons passé un accord de partenariat, intervient régulièrement, et en particulier lorsqu'il y a une actualité liée aux territoires d'outre-mer. Nous travaillons également dans le cadre de notre JT des Territoires le matin avec différentes chaînes d'outre-mer, à l'instar d'ATV Martinique que nous avions en duplex dans notre émission spéciale du jeudi consacrée au grand débat national il y a quinze jours. Chaque jeudi, nous avons des duplex avec des télévisions locales qui interpellent nos invités en plateau. Il y a donc eu une intervention en provenance de la Martinique. Nous essayons de développer des partenariats avec des chaînes de télévision locales d'outre-mer.
Chaque année, lors du Congrès des Maires de France, nous réalisons des reportages dans le cadre de nos émissions d'actualité pour couvrir la journée d'ouverture, dédiée à l'outre-mer. Nous avons d'ailleurs retransmis en novembre dernier une grande partie des débats qui se sont tenus au Sénat, ce qui nous a facilité les choses puisque nous disposions de toutes les infrastructures.
Chaque année, le 10 mai, nous commémorons la journée de l'abolition de l'esclavage, avec un programme spécial que nous avons réalisé jusqu'à présent en partenariat avec France Ô.
Outre l'actualité quotidienne, nous élaborons une programmation plus spécifique dédiée aux territoires ultramarins, à l'instar d'un programme qui me tient à coeur et qui s'appelle « Positive Outre-mer » que nous avons lancé en décembre 2017. Il s'agit d'une série de quinze épisodes de programmes courts qui mettent en avant les atouts de l'outre-mer au travers de son environnement et de son patrimoine culturel. Nous sommes partis du constat suivant : en métropole, nous entendons seulement parler de l'outre-mer lorsqu'il y a une crise sociale ou des dégâts dus à une tempête. À Public Sénat, nous voulons mettre en avant les richesses économiques, patrimoniales, culturelles et touristiques des outre-mer dans l'émission « Positive Outre-mer ». Ces formats courts irriguent notre grille : nous nous sommes associés à un producteur lié au groupe de La voix du Nord. Des parrainages nous ont aidés à réaliser ce format. Ces programmes courts nous permettent d'exploiter au mieux les multi-diffusions et de parler des outre-mer tout au long de l'année. La première série de quinze épisodes a mis en avant les atouts de l'outre-mer. Nous avons lancé une deuxième saison de quinze épisodes que vous pouvez regarder sur le canal 13 de la TNT ainsi que sur notre site internet publicsenat.fr. Nous avons diffusé le premier épisode de la saison 2 cette semaine.
L'outre-mer est également traité dans notre collection « Sénat en action » : il s'agit d'un documentaire de 26 minutes à partir d'une actualité portée par des sénatrices et des sénateurs. Il s'agit de projets de loi ou de dossiers sur lesquels ces sénateurs sont intervenus. Ainsi, nous avons couvert le référendum en Nouvelle-Calédonie en novembre 2018. Jérôme Rabier, journaliste reporter d'images (JRI) de la rédaction de Public Sénat, a fait un déplacement d'une dizaine de jours pour ce tournage. Son reportage a été diffusé bien après le résultat du référendum, car il s'agissait de montrer le contexte en Nouvelle-Calédonie.
Toujours dans cette série documentaire « Sénat en action », nous nous sommes également déplacés en septembre 2017 à Saint-Martin et en Guadeloupe, pour suivre les défis de la reconstruction aux côtés de deux sénateurs : nous avons montré les difficultés mais aussi la volonté des habitants de reconstruire leurs territoires touchés par les cyclones. Nous avons également montré le rôle des sénateurs en tant que relais entre les citoyens et l'administration locale.
S'agissant des documentaires, qui sont une des lignes de force de la chaîne, avec des formats de 52 minutes, nous avons notamment diffusé « Césaire, le prix de la liberté » qui revenait sur le parcours de Césaire, ou encore « Les enfants de La Réunion, un scandale d'État oublié » qui traite de ces 2 000 enfants réunionnais qui ont été transférés en métropole, entre 1963 et 1981, dans des départements dépeuplés et qui cherchent aujourd'hui à redécouvrir leur histoire. Nous abordons avec recul des sujets de société ou des sujets historiques liés aux outre-mer. Dans notre annualité documentaire, nous traitons toujours un ou deux sujets liés à l'outre-mer.
Enfin, le 22 février à 23 heures sera programmé un épisode de 26 minutes de notre collection « C'est vous la France », qui sera consacré à Tony Mango, un enseignant de créole en métropole. La diffusion de la culture des outre-mer en métropole est un enjeu important à destination de l'ensemble de la communauté nationale au-delà des communautés ultramarines présentes dans l'hexagone.
Par ailleurs, nous nous efforçons de donner la parole à chacun des sénateurs. Il s'agit d'un indicateur de notre COM et nous nous félicitons qu'en 2017, 300 des 348 sénateurs soient intervenus sur notre antenne. S'agissant des élus ultramarins, nous essayons d'être incitatifs, même si ces élus ont parfois des difficultés de calendrier. Sur les 21 sénateurs et sénatrices d'outre-mer, 15 sont intervenus sur l'antenne de Public Sénat en 2017, représentant 9 des 11 territoires d'outre-mer ; seuls les représentants des îles Wallis et Futuna et de la Polynésie française ne sont pas intervenus sur l'antenne. Nous nous efforçons de progresser encore.
Comme vous le constatez, Public Sénat veut couvrir les territoires d'outre-mer dans leur diversité. Je reste modeste : comparativement à France Télévisions et à d'autres chaînes de télévision, nous n'avons pas les mêmes moyens ni les mêmes possibilités. Nous faisons un « Sénat en action » par an outre-mer sur une série de neuf ou dix épisodes. Le problème de coût budgétaire se pose ainsi que celui de la diffusion sur la TNT outre-mer. Compte tenu de l'éloignement géographique, nous sommes confrontés à une question de moyens, mais nous nous sommes fixés pour règle d'être présents. Plus qu'une sorte de quantum, c'est bien grâce à la qualité que nous remplissons notre mission.
Vous avez parlé de modestie. À titre personnel, je trouve que Public Sénat remplit bien son rôle en parlant de nos territoires.
Nous sommes très heureux de vous recevoir.
Combien de personnes employez-vous ? Y a-t-il des agents contractuels ? Combien de journalistes sont-ils spécialisés sur l'outre-mer ?
Nous comptons 63 collaborateurs en équivalent temps plein, dont une bonne trentaine de journalistes. La majorité est titulaire, mais nous avons un petit volant de pigistes. Notre budget s'élève à un peu plus de 17 millions d'euros et il vient d'être fixé à la même hauteur pour les trois prochaines années par le COM. Ce contrat a été négocié par la délégation pour les relations avec la chaîne Public Sénat, présidée par Mme Troendlé, vice-présidente du Sénat, et signé par le président du Sénat. Nous partageons le canal 13 de la TNT avec LCP, douze heures chacun, sur une grille qui est bien établie : ainsi, LCP dispose du créneau de 19 h 30 à 22 heures et nous reprenons l'antenne ensuite jusqu'à 23 h 30. Nous avons en particulier le créneau de 7 h 30 à 9 heures, qui nous semble très important pour la visibilité des territoires. Nous n'avons pas d'équipe dédiée pour couvrir les outre-mer. Notre équipe parlementaire interroge les sénateurs d'outre-mer sur les projets de loi ou sur des dossiers d'actualité. Pour les reportages de terrain, je pense en particulier à « Sénat en action », c'est un journaliste reporter d'images (JRI) de l'équipe qui se déplace : comme il s'agit de reportages attractifs, chacun y va à son tour. Pour les documentaires ou la série « Positive outre-mer », nous travaillons avec des producteurs extérieurs à la chaîne avec qui nous contractualisons pour qu'ils produisent un certain nombre d'épisodes, mais bien entendu sous le contrôle éditorial de notre chaîne.
Pas pour l'instant, mais c'est une piste que l'on pourrait suivre. Lorsque nous avons lancé notre programme matinal « Territoires d'info », pour des raisons d'agilité, nous avons plutôt développé des partenariats avec une cinquantaine de télévisions locales de France et d'outre-mer. Nous avons poursuivi dans cette voie plutôt qu'avec les chaînes La 1ère. Mais avec la disparition de France Ô sur la TNT, avec laquelle nous avons réalisé quelques documentaires en co-production, peut-être pourrions-nous signer des partenariats pour des documentaires.
Après la disparition de France Ô, comment travaillerez-vous avec d'autres partenaires ?
France Ô disparaît de la TNT, mais les équipes dédiées à l'outre-mer vont être sans doute réintégrées dans France Télévisions. Nous avions des interlocuteurs avec France Ô à l'occasion, par exemple, du direct du 10 mai. Cela devrait fonctionner cette année puisque cette chaîne n'aura pas encore quitté la TNT. Nous allons voir comment ces équipes pourront continuer à être nos interlocuteurs pour ce type d'opération. Peut-être le réseau des chaînes La 1ère sera-t-il intéressé par la diffusion outre-mer de ce programme. Mais nous n'avons pas entamé de discussions précises pour savoir qui seront nos futurs interlocuteurs, alors que la porte d'entrée de France Ô était commode pour nous. Nous ne savons pas non plus quelle sera la couverture ultramarine de France Télévisions. De manière générale, j'ai des contacts assez fréquents avec France Télévisions et je m'entends très bien avec Delphine Ernotte ; d'ailleurs, nous co-produisons des documentaires avec certaines chaînes de France Télévisions, notamment avec France 3. Il n'y a aucune raison qu'on ne puisse pas continuer.
Pour être sincère, c'est plutôt l'inverse. Dans la mesure où notre identité spécifique est reconnue, les chaînes du service public sont ouvertes pour travailler avec nous. Nous travaillons ainsi sur des documentaires avec France 3 régions. Avec France 3 Nouvelle-Aquitaine, nous allons ainsi essayer de nouer un partenariat au long court sur divers projets. Des synergies sont possibles mais c'est plutôt nous qui sommes demandeurs. Nous avons discuté avec la chaîne France info pour apporter notre savoir-faire lors de la couverture parlementaire pour certains textes. Nous le faisons d'ailleurs déjà lors des questions d'actualité au Gouvernement, diffusées sur France info et son site Internet. Sauf événement ponctuel ou élections sénatoriales où nos partenaires sollicitent l'expertise de Public Sénat, les télévisions publiques ne manifestent pas d'attentes particulières à notre égard. En revanche, elles souhaitent que nous intervenions en complément de leurs initiatives.
Votre budget de 17 millions d'euros est relativement modeste. Comment vous en sortez-vous ?
Ce budget est gelé depuis trois ans et il va l'être pour les trois prochaines années. L'ensemble du canal dispose d'un budget de 35 à 36 millions d'euros. C'est moins que les chaînes d'informations qui bénéficient, outre leur budget facial, de beaucoup de synergies avec les groupes auxquels elles appartiennent, que ce soit Canal Plus, TF1 ou BFM qui appartient au groupe SFR-Médias.
Notre budget est donc serré. Néanmoins, nous prouvons chaque jour l'efficience de la dépense publique sur Public Sénat car nous gérons de façon rigoureuse. Sur les documentaires que nous co-produisions avec France 3, France Télévisions met beaucoup plus d'argent que nous. Notre ticket d'entrée étant plus modeste, nous parvenons tout de même à donner une exposition à ces programmes en les diffusant sur la TNT. Nous essayons de nouer des partenariats gagnant-gagnant. Sur notre matinale, nous avons noué des alliances avec des télévisions locales qui nous permettent de diffuser leurs sujets sans contrepartie financière et nous leur donnons en échange la possibilité de diffuser sur leurs propres antennes l'ensemble de notre matinale. Elles disposent ainsi d'un programme clé en main, qu'elles peuvent diffuser en tout ou en partie. Ces échanges nous donnent un effet de levier qui nous permettent de réaliser nos ambitions avec des moyens raisonnables.
Outre le budget que nous verse le Sénat, nous essayons de développer nos ressources propres grâce au parrainage, mais ce dernier représente moins de 5 % de notre budget global.
Pour « Positive outre-mer », des groupes comme Enedis nous ont parrainés avec un écran avant et un après le programme, puisque nous n'avons pas droit à la publicité. Cela nous permet de boucler le financement de ces programmes qui coûtent cher.
À peu près 18 millions, soit 17,5 millions alloués par le Sénat et 500 000 euros de parrainage.
Nous l'évitons pour ne pas effrayer notre actionnaire ! Notre nouveau COM impose à la chaîne de respecter les équilibres budgétaires. Plus que d'autres chaînes, nous sommes obligés de faire des choix et de renoncer à des émissions ou à des déplacements. Il existe aussi des aléas liés à l'actualité : cette année, il y a eu le déplacement en Nouvelle-Calédonie pour couvrir la consultation référendaire et cela a coûté cher. En 2017, nous avons connu une série d'élections présidentielles, législatives et sénatoriales. Nous avions tenu compte de ces échéances dans notre budget mais si un autre aléa était survenu, avec la nécessité de reportages supplémentaires, nous aurions été en difficulté.
Un des grands changements que nous avons connu et qui a été assez coûteux a été le passage à la haute définition. En 2016, nous avons hésité à passer à la HD et nous nous en étions ouverts à Mme Isabelle Debré qui, à l'époque, était notre interlocutrice pour le Sénat. Le coût d'investissement technique pour renouveler les matériels en régie était important et nous l'avons réparti sur plusieurs exercices. Grâce au soutien des présidents des deux assemblées, nous avons également bénéficié d'une baisse des coûts de diffusion. Dans notre budget, 20 % part d'emblée en frais de diffusion pour le transport du signal de la TNT, sachant que le coût de diffusion est le même pour Public Sénat que pour TF1 ! Il n'est donc pas du tout proportionnel au budget de la chaîne. Nous payons ainsi 3,2 millions d'euros par an de coût de diffusion, soit 6,5 millions d'euros pour l'ensemble du canal.
Notre gestion consiste en un pilotage budgétaire fin mais nous ne sommes pas à l'abri d'un déséquilibre ponctuel.
Victorin Lurel nous avait demandé pour quelle raison le canal 13 n'était pas diffusé sur la TNT en outre-mer. Cela nous coûterait un million d'euros supplémentaire, d'où une diffusion limitée aux boxes, au câble et au satellite. C'est évidemment dommageable mais nos moyens ne nous permettent pas cette diffusion sur la TNT ; cependant, nous voyons en métropole et sans doute aussi outre-mer que les Français sont de plus en plus nombreux à regarder la télévision via d'autres modes que la TNT. Outre-mer, le satellite est d'ailleurs très développé.
Nouez-vous des relations avec LCP pour donner plus de visibilité à l'outre-mer ?
Le COM nous enjoint d'accroître les synergies avec LCP, dans le respect de l'indépendance éditoriale de chacune des chaînes, bien sûr. Le Sénat est très attaché à l'autonomie de sa chaîne d'information et il a toujours refusé les perspectives de fusion parfois envisagées. Mais nous devons coopérer pour des raisons d'efficacité budgétaire. Depuis l'arrivée de Bertrand Delais à LCP, nous avons rajouté l'émission « Europe Hebdo », l'émission d'actualité parlementaire « Parlement Hebdo » qui est un journal de l'actualité parlementaire avec un invité, alternativement un député et un sénateur, diffusé chaque vendredi sur la chaîne et sur France 3 le dimanche. Enfin, nous avons créé à la rentrée 2018 une troisième émission « Audition publique » qui est notre grand rendez-vous politique commun, comme il en existe sur d'autres chaînes. L'invité politique - ministre, chef de parti, chef de groupe parlementaire, président d'assemblée - répond aux questions des journalistes mais aussi aux interpellations d'un député et d'un sénateur qui viennent chaque semaine sur le plateau. Cette émission est réalisée en partenariat avec l'AFP et le Figaro sur le plateau Figaro Live. Et puis, nous coopérons régulièrement avec LCP sur diverses opérations comme les journées parlementaires, les congrès des partis politiques... Nous allons probablement lancer un documentaire produit par les deux chaînes sur des thématiques parlementaires.
Sur les outre-mer, nous n'avons pas encore lancé de programme en commun. Alors que LCP est plus axée sur le magazine d'actualité lié au débat politique général, notre identification de chaîne des territoires fera naturellement de l'outre-mer un axe privilégié.
Nous nous entendons très bien avec nos homologues de LCP-Assemblée nationale. Des synergies ne sont donc pas exclues, même si nous n'en avons pas fait une priorité.
Au-delà de la visibilité des outre-mer, se pose la question de France Ô et de son devenir. Le rapport listera toutes les hypothèses, mais serait-il envisageable de coproduire, si cette chaîne est supprimée, des documentaires avec les chaînes La 1ère, qui sont bien « outillées » en termes d'équipes ?
Il peut être intéressant que l'outre-mer fasse l'objet de davantage de diffusions sur les chaînes du groupe France Télévisions que sur une chaîne qui, en réalité, faisait ses meilleures audiences quand elle ne traitait pas de l'outre-mer...
Si France Ô, avec laquelle nous avions noué des relations, disparaît, je suis favorable à votre suggestion. Nous allons nous rapprocher de France Télévisions pour leur faire part de notre disponibilité. Nous le faisons déjà avec France 3, avec laquelle nous avons eu, hier, un comité de pilotage sur nos prochains documentaires, souvent décidés six mois ou un an à l'avance. Quelques documentaires seront produits avec les chaînes régionales de France 3 ; il s'agit vraiment d'un partenariat gagnant-gagnant.
J'indiquais que, du fait de notre taille critique, nous étions plus intéressés par les autres que les autres par nous, mais ce n'est pas tout à fait vrai avec les chaînes régionales de France 3, qui recherchent une complémentarité de diffusion. Ainsi, le documentaire « Les racines du pouvoir », portant sur la carrière locale des politiques - Jacques Chirac, François Hollande, Ségolène Royal, Jacques Chaban-Delmas -, a été coproduit avec France 3 Nouvelle-Aquitaine. Il montrait comment l'ancrage local avait servi la carrière nationale de ces personnalités ; le débat qui a suivi portait sur la possibilité d'avoir un président de la République coupé de tout ancrage local. L'histoire a montré que cela pouvait effectivement poser problème ! France 3 Nouvelle-Aquitaine a diffusé ce documentaire en septembre-octobre, avec une fenêtre d'exposition locale, et Public Sénat début novembre, avec une exposition nationale, ce qui était tout à fait pertinent.
Nous avons quelques projets dans les tuyaux avec des chaînes locales de France 3. C'est une bonne idée de se rapprocher des chaînes La 1ère, qui sont des chaînes dynamiques, au plus près du terrain. Nous pouvons leur offrir une exposition majeure sur la TNT nationale, puisque nous diffusons les documentaires le samedi soir, qui est l'une des meilleures heures de la semaine pour ce type de programme, et les rediffusons le dimanche matin.
Cette piste est donc vraiment intéressante et peut même nous permettre d'aller plus loin que nous ne le faisons actuellement.
Un journaliste de Public Sénat, Quentin Calmet, m'a suivi lors de mes déplacements post-Irma. Je peux en témoigner, cette visibilité du territoire était essentielle pour montrer qu'il n'est pas toujours évident pour les élus de mettre en place des politiques de mise en sécurité du littoral, en raison de l'exiguïté du territoire, des habitudes culturelles, etc. Il y avait également urgence à faire de la pédagogie pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. J'ai encouragé M. Calmet à enregistrer d'autres images qui pourraient servir dans d'autres documentaires, en montrant par exemple la mer déchaînée pendant le phénomène cyclonique et d'une splendeur absolue quelques semaines après...
En complément des programmes que vous produisez, ne serait-il pas possible de faire aussi participer l'outre-mer à de grands débats nationaux, tels que la réforme de la santé ou celle de la justice, et de ne pas le cantonner uniquement à des sujets ultramarins ?
On pourrait par exemple se demander quelles seront les répercussions de la loi Pacte sur notre tissu économique local. Cela permettrait d'avoir un aperçu différencié de la problématique, et peut-être d'affiner le regard que la Nation peut avoir sur les outre-mer.
Le reportage montrait bien le rôle que vous avez joué entre des populations souvent très pressées de reconstruire et une administration qui imposait des règles pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise. Il illustrait la grande utilité des parlementaires dans des situations difficiles pour apaiser les tensions.
Je suis d'accord avec vous : ce serait une erreur de cantonner l'expression des ultramarins aux questions spécifiques à l'outre-mer. Il faut aussi recueillir leurs points de vue sur les débats nationaux ; nous le faisons de temps en temps, peut-être pas suffisamment - je vous l'accorde.
S'agissant du grand débat national, Emmanuel Macron a reçu, il y a une dizaine de jours, les élus d'outre-mer à l'Élysée. Nous avons diffusé une interview d'une élue d'outre-mer en amont, et organisé un débat le lundi suivant. Nous avons ainsi pu relayer le regard des outre-mer. Vous avez raison, les élus ultramarins doivent aussi être présents dans les débats généraux : nous devons être vigilants et sans doute avons-nous encore quelques progrès à faire.
Il faut aussi que les sénateurs invités en plateau dans nos émissions soient disponibles, ce qui, pour des raisons tout à fait objectives, est moins souvent le cas pour les élus ultramarins. Nous devons être attentifs à vous solliciter, car il est intéressant, sur un projet lié à l'économie, à la société ou à la santé, d'avoir un regard sur ce qui se passe non seulement à Dunkerque, mais aussi en Guadeloupe, en Martinique ou ailleurs. Nous le faisons un peu dans la matinale et notre journal des territoires inclut les outre-mer. Mais nous pouvons encore progresser.
Lorsque la délégation sénatoriale aux outre-mer organise, avec la délégation aux droits des femmes, un colloque sur la place de la femme dans les économies des outre-mer, que faut-il faire pour être visible sur votre chaîne ?
Vous m'apprenez l'existence de ce colloque ! Compte tenu de nos créneaux d'antenne, nous ne pouvons pas forcément tout couvrir, et nous privilégions parfois le travail législatif. Mais nous sommes intéressés par les colloques dès lors qu'ils couvrent un sujet large, ce qui est le cas en l'espèce.
Je vais m'enquérir auprès de l'équipe parlementaire de la façon dont nous pouvons couvrir votre colloque. Fait-il l'objet d'une captation ?
Nous pourrons le diffuser, notamment dans notre émission « Les matins du Sénat ». Tous les matins, du lundi au vendredi, nous diffusons des séances dans leur intégralité, des auditions de commission d'enquête ou de missions d'information, et des débats - nous présentons alors aux téléspectateurs l'objet et les enjeux de ces colloques.
De plus en plus de travaux de commissions sont dorénavant captés, ce qui nous oblige à faire des choix. Nous incitons les commissions, les missions d'information et les commissions d'enquête à capter au maximum leurs travaux pour les relayer, en particulier dans « Les matins du Sénat ». Nous sommes tout à fait preneurs !
Auparavant, un certain nombre de sénateurs étaient frileux à l'idée de filmer les travaux des commissions ou les auditions. Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse ! Les auditions d'Alexandre Benalla ont été un réel succès d'audience... La captation est une médiatisation intelligente qui se développe depuis une dizaine d'années. Nous ne pouvons pas forcément tout diffuser mais, même si nous ne retransmettons pas en direct, cela peut se faire dans les jours qui suivent.
Que deviennent les documentaires ou les émissions que vous réalisez ? Ont-ils une seconde vie, sur d'autres chaînes par exemple ?
Sur les coproductions que nous concluons avec des sociétés de production, nos droits sont souvent assez larges. Pour les documentaires que nous coproduisons, nous avons le droit de les rediffuser pendant 36 mois sur notre antenne, ainsi que sur notre site internet et sur les espaces de replay que nous avons développés, notamment sur la box Orange.
J'insiste sur le replay, qui nous apporte une nouvelle source d'audience et offre une nouvelle visibilité à nos productions. La seconde vie existe donc, pour l'essentiel, dans notre grille de multidiffusion et sur internet.
Pour les coproductions avec d'autres chaînes de télévision, nous avons ce qu'on appelle des « couloirs » : nous pouvons diffuser le documentaire entre telle date et telle date sur deux ou trois mois, puis sur internet ; quelques mois après, un autre couloir sera ouvert pour France 3 ou France 5. En général, les documentaires ont une durée de vie assez longue.
Dans la Caraïbe, nous recevons, via Canalsat, les émissions Public Sénat alors que le bandeau indiquant la chaîne affiche « LCP ».
D'après ce qui a été annoncé, France Ô ne sera, dans le futur, diffusée que sur une chaîne numérique. Cela représente un coût pour le consommateur, celui de l'abonnement à Canal Satellite. Votre présence sur les boxes a-t-elle également un coût pour vous ?
La loi prévoit l'obligation, pour l'ensemble des opérateurs - satellites, box ADSL, internet, etc. -, de transporter le signal des chaînes publiques, dont les chaînes parlementaires, à titre gratuit. Les opérateurs ne peuvent donc pas nous demander de contrepartie financière.
En revanche, vous avez raison de souligner que le partage du canal 13 n'est pas toujours compréhensible pour le téléspectateur sur les boxes... SFR a joué le jeu, et indique sur le bandeau du canal 13 « LCP-Public Sénat » : le téléspectateur sait que les deux chaînes existent. Mais certains opérateurs n'indiquent que le nom générique « LCP », alors que ce canal diffuse pendant 12 heures LCP-Assemblée nationale et pendant 12 heures Public Sénat.
Dans la loi de 1999, le nom légal du canal est La Chaîne Parlementaire, « LCP », avec deux sociétés de programme : LCP Assemblée nationale et LCP Sénat. Laurent Fabius et Ivan Levaï étaient satisfaits du nom LCP-AN pour la chaîne de l'Assemblée nationale, qui est progressivement devenue LCP : ils ont, en quelque sorte, fait une OPA sur le nom !
Le président Poncelet et Jean-Pierre Elkabbach ont choisi le nom Public Sénat pour illustrer le lien entre l'institution et le grand public. C'est une belle marque ! Nous nous sommes éloignés du nom légal, et certains opérateurs en restent au nom figurant dans la loi, LCP, ce qui nous pénalise quelque peu. Nous avons aussi un canal 100 % Sénat, le même que celui existant sur internet, mais avec un numéro qui est plus difficile à trouver sur les boxes.
M. Emmanuel Kessler. - C'est une bonne idée d'amendement pour la prochaine loi sur l'audiovisuel !
Pour les béotiens, le canal 13 est associé à l'Assemblée nationale, alors qu'au départ il y avait LCP-Sénat et LCP-Assemblée nationale. L'acronyme LCP est réducteur, alors que si l'on se réfère à la qualité des programmes, il n'y a pas photo !
L'audience est un critère d'évaluation. Êtes-vous évalué sur vos taux d'audience ?
Nous n'avons pas de recettes publicitaires ; nous sommes financés essentiellement par la dotation qui nous est versée par le Sénat. Dans notre mission, il n'y a pas d'objectif d'audience. Notre objectif, c'est la mission, c'est-à-dire une information parlementaire et politique pédagogique pour rapprocher les citoyens de la compréhension de la vie politique, au sens de l'intérêt pour la vie de la cité.
On s'aperçoit aujourd'hui que cette mission est vraiment essentielle. Nos chaînes ont un rôle à jouer dans ce nécessaire rapprochement. L'intérêt d'une chaîne ancrée dans les territoires, c'est de montrer que, sur le terrain, les élus se battent pour faire vivre leurs territoires dans l'intérêt des populations.
Néanmoins, vous avez tout à fait raison, cette mission ne peut être réussie que si nous atteignons le plus grand public possible : il faut mesurer l'audience, non pas comme un critère qui déterminera ce que nous allons faire, mais comme un signe du succès ou pas de ce que nous faisons, pour ajuster à la marge. Nous n'allons pas tout changer, mais nous pouvons travailler la forme de nos émissions, le caractère vivant des dialogues, pour répondre à l'attente de téléspectateurs.
Nous avons des indicateurs d'audience qui ne sont pas les mêmes que les grandes chaînes ; financièrement, nous ne pouvons pas nous offrir le Médiamétrie quotidien qui tombe à 9 heures du matin avec l'audience minute par minute, car cela coûterait plus de 1 million d'euros pour la chaîne. Nous avons conclu avec Médiamétrie un contrat qui porte sur une mesure d'audience intéressante, mensuelle, qui mesure l'audience sur les boxes et les satellites, hors TNT. Il faut donc un peu la corriger.
Le taux d'audience était de 0,4 % en décembre 2018, en légère progression (0,3 % en 2017), ce qui nous situe au niveau des chaînes d'information hors BFM ; 25 millions de téléspectateurs regardent au moins une fois par mois la chaîne Public Sénat. Nous avons aussi des mesures qui nous permettent d'apprécier le succès de certains programmes : les documentaires sont de grands succès. Nous avons diffusé à Noël 2018 un documentaire de Yann Arthus-Bertrand qui a recueilli 1,2 % de parts d'audience. C'est un bon résultat pour nous, d'autant que nous ne sommes pas, comme les chaînes d'information, seulement une chaîne de flux où un programme chasse l'autre. Notre chaîne se situe entre les chaînes d'actualité et les chaînes thématiques, avec des rediffusions de documentaires ou de magazines, comme « Sénat en action », qui capitalisent de l'audience.
Depuis trois ans, nous sommes donc en progression continue, mais certes pas exponentielle - cela serait difficile dans un contexte où la « consommation » de télévision est en baisse et où de nouvelles chaînes apparaissent.
L'audience ne se mesure plus seulement par la diffusion sur l'écran télé, mais aussi sur tous les écrans : smartphone, tablette, écran d'ordinateur... Depuis que nous avons modifié notre site internet fin 2016 pour l'adapter à tous les écrans, nous avons plus que doublé notre audience sur internet, et nous l'avons rajeunie et féminisée : un tiers de notre audience sur internet est constituée de personnes de moins de 35 ans, ce qui n'est pas le cas pour la télévision, où l'audience est davantage composée de seniors.
M. le président vient de dire ce que je m'apprêtais à déclarer : Public Sénat contribue à une meilleure connaissance des sénateurs et du Sénat. Quand je suis en Guadeloupe, je regarde sur mon smartphone ce qui se passe au Sénat.
La chaîne Public Sénat a connu une audience record fin 2018 et début 2019 avec les deux auditions d'Alexandre Benalla, conduites par la commission des lois transformée en commission d'enquête. BFM est arrivée en tête, mais nous avons réalisé 4 % d'audience et les chaînes d'information arrivaient assez loin derrière nous. Il y a donc eu un réflexe Public Sénat ce qui est encourageant : au-delà de l'audition à proprement parler, notre accompagnement a été identifié comme spécifique grâce à nos experts et aux interviews de vos collègues qui ont commenté cette commission d'enquête.
Grâce à votre passage en HD, vos reportages sont d'excellente qualité visuelle. Certains d'entre nous ont eu la chance de visiter les studios de Malakoff. De quels moyens disposez-vous pour parvenir à un tel résultat ?
Je vous invite à venir visiter notre plateau et nos installations.
En 2016, lorsque nous sommes passés à la HD, nous avons renouvelé nos équipements mais aussi les éclairages sur le plateau, le décor, les écrans plasma. Nous sommes désormais équipés de caméras robot ce qui donne une qualité d'images digne des plus grandes chaînes de télévision. Nous avons relevé ce défi alors que notre budget a été gelé pour six ans.
Puisque vous nous invitez à faire du patriotisme de chaîne, nous avons la chance de disposer du bel espace que nous a alloué le Sénat, bien meilleur que celui de LCP qui est contraint par une hauteur sous plafond très basse. Nos installations n'ont pas grand-chose à envier à celles dont disposent d'autres chaînes.
Je vous remercie pour la qualité de votre exposé. Nous allons continuer à travailler pour présenter nos recommandations.