Mesdames, messieurs, je voudrais tout d'abord vous remercier d'avoir répondu à l'invitation de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et vous dire combien je suis heureux, en tant que parlementaire, aujourd'hui sénateur, autrefois député, de constater que des industriels, des scientifiques, des journalistes, des spécialistes du spatial acceptent de participer à cette audition dont l'objet final est d'éclairer les parlementaires, députés et sénateurs, sur les enjeux du prochain conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne, dénommé « Space19+ », qui se tiendra à Séville les 27 et 28 novembre prochains.
Cédric Villani, premier vice-président de l'Office, aurait aimé vous recevoir, mais des contraintes de mandat le retiennent ailleurs. Nous avons toutefois la chance d'avoir à nos côtés le député Jean-Luc Fugit, dont la compétence, l'implication et le savoir-faire forcent l'admiration de ses collègues.
Nous sommes actuellement en pleine session budgétaire, ce qui explique que nous ne soyons pas à plein effectif. Je précise néanmoins que cette audition est publique et que tous nos échanges seront par conséquent connus et très largement diffusés.
Je rappelle que notre collègue Catherine Procaccia, sénatrice du Val-de-Marne, a travaillé avec le sénateur Bruno Sido sur la politique spatiale européenne, dans le cadre d'un rapport de 2012 qui avait passionné les parlementaires. Plusieurs notes scientifiques de l'Office ont en outre été rédigées cette année sur le sujet, dont celles de Jean-Luc Fugit sur « Les lanceurs réutilisables » et « Les satellites et leurs applications » et celle de Catherine Procaccia sur « L'exploration de Mars ».
Secteur de très haute technologie, dont les promesses se vérifient chaque jour, le spatial est aujourd'hui absolument indispensable à de nombreux domaines d'activité. Il a toutefois besoin d'être mieux compris par le grand public. Notre visite au site toulousain du Centre national d'études spatiales (CNES), dont je remercie le président Jean-Yves Le Gall pour l'accueil que ses équipes ont réservé à notre délégation, nous a permis de mieux en mesurer les enjeux et de faire progresser l'intérêt des parlementaires pour ce sujet et leur compréhension du travail absolument passionnant mené au CNES.
Je rappelle que cette audition publique, disponible en interprétation simultanée en français et en anglais, est diffusée en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale.
Je précise que cette rencontre réunit des acteurs industriels majeurs du secteur spatial, mais est également ouverte à des intervenants moins connus mais très imaginatifs, qui ont retenu notre attention et dont nous pensons qu'ils pourront participer utilement aux débats de ce jour.
L'Europe est-elle capable d'avoir une voix autorisée, solidaire, influente, dans un système mondial très fortement marqué par les puissances non européennes, dont les États-Unis et la Chine pour l'essentiel ? Nous avons aujourd'hui besoin de mesurer les enjeux de la future rencontre ministérielle européenne des 27 et 28 novembre, afin d'expliquer au Gouvernement français ce que nous attendons de lui, sur la base de ce que vous pourrez nous proposer.
Je vais sans plus tarder donner la parole à Jean-Yves Le Gall, président du CNES et de l'Agence spatiale européenne (ESA).
Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, monsieur le directeur général de l'Agence spatiale européenne, mesdames et messieurs.
Je souhaite tout d'abord vous remercier, monsieur le président, pour l'organisation de cette séance. Le secteur de l'espace connaît en effet actuellement de nombreuses mutations au niveau mondial. Nous avons ainsi observé, en quelques années, une explosion du nombre d'acteurs, aussi bien gouvernementaux que privés. Au niveau européen, l'ESA va de succès en succès, tandis que la Commission européenne joue un rôle de plus en plus important. En France, le Président de la République et la ministre des armées ont annoncé récemment des décisions structurantes pour notre politique spatiale militaire. Dans ce contexte, je voudrais vraiment remercier l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques pour l'ensemble du travail effectué en son sein depuis deux ans. Comme vous l'avez rappelé, nous avons eu dans ce cadre de nombreux échanges. Des notes de synthèse remarquables ont été produites, dont la préparation a donné lieu à des débats tout à fait intéressants. Il m'apparaît ainsi possible d'affirmer que jamais les questions spatiales n'ont été instruites avec autant de profondeur que depuis ces deux années.
La conférence ministérielle « Space19+ » qui aura lieu les 27 et 28 novembre à Séville a pour principal enjeu de décider le financement des programmes de l'Agence spatiale européenne pour les trois années à venir. Le montant évoqué, qui sera certainement explicité par le directeur général de l'ESA, est de 12,5 milliards d'euros. Il s'agit d'un montant considérable sur la scène spatiale européenne. La Commission européenne parle de mettre en place sur 7 ans quelque 16 milliards d'euros, soit une augmentation de près de 50 % par rapport à la période précédente, qui se situait à 11,4 milliards d'euros. Il apparaît néanmoins qu'avec 12,5 milliards d'euros sur 3 ans contre 16 sur 7 ans, l'ESA pèse environ deux fois le poids de la Commission européenne.
Au niveau européen, ce paysage est à compléter par les activités d'Eumetsat et les programmes nationaux, y compris militaires, qui pèsent pour quelque 4 milliards d'euros par an.
La France, vous le savez, est depuis longtemps le premier contributeur de l'ESA. Nous abordons cette conférence ministérielle avec deux objectifs. Nous souhaitons tout d'abord poursuivre une politique spatiale ambitieuse pour l'Europe. Je me trouvais la semaine dernière à Washington, au congrès international d'astronautique, où nous avons assisté à une démonstration de force tout à fait impressionnante de la part des États-Unis, qui a commencé avec le discours du vice-président Mike Pence, lequel a longuement insisté sur la politique spatiale américaine. Je rappelle par ailleurs que la Chine a, en 2018, été de loin le premier État en termes de nombre de lancements, avec 39 lancements dans l'année, tendance qui se poursuit en 2019. S'y ajoutent également les pays émergents. Dans ce contexte, la France continue à souhaiter et défendre une politique ambitieuse pour l'Europe.
En parallèle, nous désirons évidemment conforter le rôle éminent de l'industrie spatiale française, qui est à la pointe de la technologie. Le spatial représente en France quelque 16 000 emplois, très hautement qualifiés, sur les 40 000 que compte le secteur à l'échelle de l'Europe, ainsi que plusieurs leaders mondiaux dans le domaine des lanceurs, des satellites et des services.
Les sujets en discussion à Séville concerneront ce que l'Agence spatiale européenne considère comme les « quatre piliers ».
Le premier est l'accès à l'espace, pour un montant de l'ordre de 2,6 milliards d'euros, avec la fin de l'exploitation d'Ariane 5. Comme vous le savez, le programme Ariane est un extraordinaire succès. Nous allons fêter le mois prochain le quarantième anniversaire du premier lancement, intervenu dans la nuit de Noël 1979. Si tout va bien, nous aurons effectué, le 22 novembre 2019, 250 lancements d'Ariane, ce qui, en 40 ans, est tout à fait remarquable. Nous devons ainsi terminer l'exploitation d'Ariane 5 et le développement d'Ariane 6, financer la transition entre les deux, démarrer l'exploitation d'Ariane 6, procéder de même pour le petit lanceur Vega C et préparer le futur avec notamment les programmes de moteur Prometheus et de lanceur réutilisable Themis. Je crois en effet que la clé du succès d'Ariane au cours de toutes ces années réside dans la capacité qu'a eue le spatial européen de toujours anticiper. Nous devons donc faire de même pour l'accès à l'espace.
Le deuxième pilier discuté à Séville concernera l'exploration, pour un montant d'environ 2 milliards d'euros. Ceci englobe les questions relatives à la station spatiale internationale. Au niveau français, nous souhaitons bien sûr en particulier que notre astronaute Thomas Pesquet vole à nouveau très rapidement. Ce sujet inclut également le démarrage du Lunar Gateway, élément du programme américain de retour sur la lune Artemis, dans lequel l'Europe a toute sa place à jouer. Nous avons aussi au menu l'exploration robotique de Mars, avec le lancement l'année prochaine de la deuxième mission ExoMars et la mission Mars Sample Return (ou mission de retour d'échantillons de Mars), qui constitue une sorte de Graal pour tous les exobiologistes qui souhaitent pouvoir examiner et analyser de façon directe des échantillons martiens.
Le troisième pilier évoqué à Séville est celui de la compétitivité industrielle. Nous disposons en Europe de constructeurs de satellites qui sont leaders mondiaux dans leur domaine. Je pense en particulier à Airbus Defence and Space (ADS) et Thales Alenia Space (TAS). Nous allons ainsi décider des programmes de soutien aux télécommunications. En matière d'observation de la Terre, Copernicus est un programme d'études de l'environnement que le monde entier nous envie ; seule l'Europe dispose d'un programme aussi performant aujourd'hui. Nous allons bien évidemment décider de le poursuivre, ainsi qu'un certain nombre d'applications dans le domaine notamment des sciences de la Terre, avec de nouveaux services et un support technologique.
Le quatrième et dernier pilier, mais non le moindre, est celui des sciences spatiales et des activités de base auxquelles vont contribuer les États membres au prorata de leur PIB, pour un montant total de quelque 3,9 milliards d'euros. Ceci inclura bien sûr le programme Cosmic Vision, avec LISA et Athena qui sont en quelque sorte le son et l'image des origines de l'univers, Euclide pour l'étude de la matière et de l'énergie noires et les programmes PLATO et ARIEL pour la recherche des exoplanètes. Ceci participe aussi au financement des infrastructures de l'ESA.
Le dernier programme, d'ampleur moindre, concerne la sûreté et la sécurité, avec l'apparition de réels enjeux en matière de surveillance de l'espace. À cet égard, je suis très heureux d'indiquer que j'ai signé la semaine dernière à Washington avec le secrétaire d'État au commerce américain un accord sur ces questions de surveillance des satellites en orbite.
Comme vous le constatez, le programme qui sera soumis à l'approbation des États membres lors de la réunion de Séville est extrêmement riche et ambitieux. La France entend bien évidemment y prendre toute sa place. Sur le total annoncé de 12,5 milliards d'euros, le budget français que nous sommes en train de discuter sera ainsi de l'ordre de 2,5 milliards d'euros, ce qui représente, eu égard à la démarche de redressement des finances publiques actuellement entreprise, un effort considérable consenti par la puissance publique. Je profite donc de cette occasion pour remercier nos autorités de tutelle.
Cette conférence a été préparée de façon remarquable, tout d'abord au niveau français dans le cadre du COSPACE, depuis un an. Une séance finale du COSPACE est ainsi prévue le 21 novembre pour s'assurer que tout est au point avant de se rendre à Séville. À l'échelle européenne, je salue le travail remarquable que nous avons mené avec le directeur général de l'ESA pour préparer cet événement. La France jouera un rôle tout à fait important puisque j'ai l'honneur de présider actuellement le conseil de l'ESA et que la réunion de Séville sera coprésidée par les ministres Frédérique Vidal pour la France et son collègue portugais Manuel Heitor.
Je souhaiterais, pour terminer, insister sur le fait que nous allons tout faire d'une part pour que l'Europe continue à occuper une place de choix sur l'échiquier spatial, d'autre part pour que la France occupe dans ce schéma le rang qui lui est dû, eu égard à la compétence tout à fait remarquable de son industrie, au budget que notre Gouvernement envisage de consacrer à ces programmes et, modestement, au rôle particulier que joue le CNES dans l'Europe spatiale.
Merci beaucoup. Nous accueillons à présent M. Jan Wörner, directeur général de l'Agence spatiale européenne. Vous connaissez déjà l'Office parlementaire, M. Wörner, puisque vous êtes venu vous exprimer ici en juillet 2015 lors d'une précédente audition publique sur la politique spatiale européenne.
Le conseil ministériel « Space19+ » nous tourne vers l'avenir, caractérisé par des défis mondiaux, parmi lesquels le changement climatique ou la question des ressources énergétiques.
Qu'est-ce que l'espace aujourd'hui ? Il s'agit tout d'abord d'un ensemble d'infrastructures pour les activités de la vie courante : on l'utilise ainsi pour le transport, les télécommunications, l'observation de la Terre et toutes sortes d'autres applications. Dans le même temps, l'espace est un capaciteur (enabler) pour l'avenir : il permet de faire plus de choses que par le passé, dans l'espace bien évidemment, mais aussi sur Terre. Les industries ont leurs propres missions spatiales, tout comme les universités, qui mènent des travaux sur le sujet, tout ceci étant potentialisé par le développement de nouvelles technologies et de l'intelligence artificielle (IA). On emploie désormais couramment, pour désigner cet environnement, le terme d'« espace 4.0 ».
Les missions de l'ESA sont structurées autour de quatre piliers de programmes : les activités autour de la science et de l'exploration, la sécurité et la sûreté, les applications (observation de la Terre, navigation, télécommunications), et enfin les activités pour faciliter et soutenir les activités de l'écosystème spatial, à travers le développement de technologies et des lanceurs. M. Le Gall a mentionné la somme de 12,5 milliards d'euros qui seront proposés au conseil Space19+. 31 % sont destinés à la science et l'exploration, 30 % au soutien, 32 % aux applications et 7 % à la sûreté et la sécurité. Nous avons effectué une enquête auprès des citoyens européens, afin de savoir quel montant ils souhaiteraient voir allouer aux activités spatiales européennes. La valeur moyenne des réponses à l'échelle de l'Europe est de 287 euros par an et par citoyen, avec des différences selon les pays, les Allemands étant prêts à donner deux fois plus d'argent que les Français ; or les fonds réellement consacrés à l'ESA correspondent à 8 euros par an et par citoyen. La marge est donc encore considérable.
Nous développons dans le cadre de l'ESA trois types de programmes : des programmes obligatoires, auxquels les États membres doivent contribuer en fonction de leur PIB, mais aussi des programmes optionnels, concernant notamment l'observation de la Terre, l'exploration, les lanceurs, les télécommunications, pour lesquels il appartient à chaque État de décider du montant qu'il souhaite y consacrer. Nous disposons aussi de programmes spatiaux en lien avec l'Union européenne et la Commission européenne ; c'est notamment le cas de Galileo et de Copernicus.
Le programme obligatoire constitue l'ossature du dispositif. C'est là que l'infrastructure est financée et les innovations effectuées. Un tiers du programme obligatoire concerne les activités de base, et les deux tiers restants sont pour la science : ceci fait l'objet d'une convention détaillant les différentes missions qui s'y rapportent. M. le Gall a ainsi évoqué précédemment les programmes tels qu'« Euclid dark universe », LISA et l'observation des ondes gravitationnelles, ou encore Athena, qui regarde les trous noirs à l'aide de rayons X. Nous menons aussi des programmes d'exploration (European Exploration Envelope programme), notamment concernant la Lune, Mars et l'orbite terrestre basse grâce à la station spatiale internationale (ISS). J'aurais souhaité ici pouvoir détailler une mission très ambitieuse, Mars Sample Return, mais le temps me manque.
Nous développons également des actions en matière de sûreté, de sécurité, de surveillance et de protection, à des fins exclusivement pacifiques. Nous disposons ainsi d'applications permettant d'observer, à partir de l'espace, les menaces de catastrophes naturelles comme les tsunamis, les tremblements de terres, les inondations, ou encore les ouragans. Nous traitons également de questions de cybersécurité et de cybersûreté, en renforçant la cyberrésilience de nos infrastructures. En outre, nous proposons une mission visant à envoyer en orbite des sortes d'aspirateurs, afin de nettoyer l'espace et d'y collecter les débris qui s'y trouvent.
Face au problème du climat, nous développons constamment des programmes d'observation de la Terre comme Sentinel, Earth explorers ou encore les satellites météorologiques EUMETSAT, qui ont vocation à prendre le pouls de la Terre et à en surveiller la santé.
Au sein de l'ESA, nous travaillons aussi, parallèlement à Galileo - système européen de navigation trois fois plus performant que son homologue américain -, sur un autre programme s'appuyant sur la prochaine génération de satellites de navigation, utilisant notamment des nouvelles technologies d'intelligence artificielle (IA).
En matière de télécommunication, « 5G » est le mot-clé. Nous travaillons notamment sur la distribution de clés quantiques pour sécuriser au mieux les télécommunications. Ce n'est qu'un projet parmi de nombreuses autres propositions que nous allons présenter au prochain conseil ministériel.
Enfin, le transport dans l'espace revêt également une grande importance. Nous oeuvrons actuellement pour mener à bien notre mission concernant le développement du programme Ariane 6. Nous essayons aussi, dans le même temps, de mettre en place la navette non habitée « Space Rider », un vaisseau spatial réutilisable, capable d'effectuer des recherches scientifiques en microgravité, de tester des technologies dans l'espace et d'effectuer toutes autres sortes de tâches.
Nous essayons, à travers toutes ces missions qui seront proposées à Space19+, de faire preuve d'inspiration, de compétitivité sur le marché mondial et de responsabilité pour assurer la sécurité de la Terre et nous prémunir contre le changement climatique.
Certains ont parfois le sentiment que les secteurs public et privé, avec lesquels nous travaillons, vont dans des directions opposées. Or nous souhaiterions les rassembler au sein d'une nouvelle approche que l'on qualifie souvent de « New Space ». Cette démarche globale, qui peut concerner non seulement de nouvelles entreprises mais aussi les agences existantes, vise à diminuer les coûts, assurer la commercialisation, utiliser l'intelligence artificielle (IA) et gagner en agilité, tout cela grâce à de l'innovation disruptive. Ça ne signifie pas qu'il faut créer des nouvelles agences. L'Agence spatiale européenne peut ainsi devenir l'« Agence européenne du New Space ». Voici quatre exemples d'interaction de l'ESA avec l'industrie, montrant la capacité d'adaptation de l'Agence au « New Space ». Tout d'abord l'ESA continue de faire du travail traditionnel d'agence, en planifiant puis en réalisant des missions qui confient à l'industrie le développement de satellites. Ainsi, le satellite Aeolus est le meilleur satellite de mesure de la vitesse du vent. Ensuite, nous développons des partenariats public privé ; c'est notamment le cas des plateformes de télécommunications de nouvelle génération NEOSAT, dont neuf ont déjà été vendues. Troisièmement, nous pouvons, pour certaines missions, contracter des services auprès d'industries sans que nous soyons impliqués dans leur réalisation. Le déploiement de services en orbite, notamment pour éliminer les débris dans l'espace, en est un exemple. Enfin, l'ESA peut jouer le rôle de courtier pour certains projets, comme le Village lunaire (Moon village), pour n'en citer qu'un.
Ainsi, cinquante ans après le premier voyage de l'homme sur la Lune, il est formidable de célébrer ce glorieux passé ; mais il est tout aussi important de préparer l'avenir.
Merci de cette présentation. La parole est à présent à Monsieur Roussel, président exécutif d'ArianeGroup, qui va nous parler des lanceurs européens.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, c'est toujours un grand plaisir d'intervenir devant la représentation nationale. Ceci est d'ailleurs en voie de devenir une habitude, puisque Jean-Yves Le Gall et moi avions déjà été conviés à une audition conjointe au Sénat sur ce même sujet des lanceurs au printemps 2019, ce dont on ne peut que se réjouir. Ceci traduit en effet un regain d'intérêt du Parlement et des Français pour les politiques spatiales, ce qui constitue selon moi un point essentiel.
L'espace n'est plus seulement un enjeu scientifique ; il est devenu un sujet politique, car il répond aux enjeux du XXIe siècle que sont le climat, la souveraineté, la défense, la connectivité, la navigation et l'économie. Il faut le traiter comme tel, sur un mode ni purement expert, ni strictement médiatique.
ArianeGroup entretient avec l'Office parlementaire un dialogue étroit et constant, qu'il s'agisse de discuter avec Gérard Longuet des enjeux de la filière industrielle de défense, de nourrir les travaux menés par Jean-Luc Fugit sur les lanceurs civils ou d'organiser une conférence avec Cédric Villani et les jeunes salariés des Mureaux sur le sujet du big data spatial.
Je m'en tiendrai aujourd'hui aux trois messages suivants :
- il y a urgence à agir pour l'Europe et pour l'ESA ;
- il existe un chemin pour Ariane ;
- et une prise de conscience des Européens est nécessaire.
La première urgence est politique. La montée en puissance de la Chine et des États-Unis, précédemment mentionnée par Jean-Yves Le Gall, se traduit par des discours sans ambiguïté, comme celui présenté par Mike Pence lors de l'ouverture du congrès international d'astronautique. On observe en outre le développement de politiques contracycliques sans précédent, avec des investissements massifs. Ainsi, depuis le début du mandat du président Trump, le budget spatial américain a augmenté de plus de 10 % par an.
On constate en outre une émergence des GAFA de l'espace, avec le développement d'une véritable verticalisation : citons notamment SpaceX, mais aussi Amazon qui, au travers de Blue Origin, de sa constellation Kuiper et d'autres initiatives travaille globalement sur l'accès à l'espace, les lanceurs, les constellations, les véhicules pour l'exploration spatiale mais aussi les services, avec en particulier l'objectif d'être les premiers à investir ce nouveau marché de la donnée spatiale et de la donnée des objets. Selon la devise désormais bien connue de la Silicon Valley, « the winner takes all ».
Comme l'avait indiqué Cédric Villani, l'Europe a perdu la première manche sur le terrain de la bataille des données personnelles. La deuxième manche se joue maintenant, avec les données sectorielles et industrielles. La conférence ministérielle de Séville est le moment pour les États européens de relever ce double défi. Concrètement, pour les lanceurs, les décisions attendues ont déjà été mentionnées : elles ont pour objectif de permettre à l'Europe de rester dans la course et à Arianespace de se maintenir sur le marché mondial des services de lancement, au moment même où la concurrence, notamment américaine, est tout particulièrement féroce, de la part d'opérateurs bénéficiant d'un volume de commandes publiques très important, d'un facteur 5 à 10, et de prix institutionnels beaucoup plus élevés que ceux du marché commercial.
La deuxième urgence est industrielle : il s'agit de réussir Ariane 6. Si cet objectif n'est pas atteint, l'Europe sortira de la compétition. En effet, Ariane 6 correspond précisément à ce que demandent les clients : deux fois moins chère qu'Ariane 5, qui a été un succès pendant deux décennies, elle remplira toutes les missions vers l'ensemble des orbites, grâce à sa polyvalence. Nous disposons pour Ariane d'une feuille de route agréée, brièvement mentionnée par Jean-Yves Le Gall. Notre équipe de France est unie, puisque nous avons élaboré cette feuille de route conjointement avec le CNES.
Où en est-on précisément au niveau industriel ? Depuis 2014 et le lancement du programme Ariane 6, nous n'avons pas chômé, puisque nous avons terminé le mois dernier la validation du design de la fusée, intégré les équipes de Safran et Airbus, rationalisé la chaîne industrielle européenne et adopté un plan de compétitivité pour réduire les coûts. Nous avons également filialisé Arianespace et démarré la commercialisation d'Ariane 6. Arianespace a déjà conclu huit contrats, dont Galileo et CSO-3, avec Ariane 6. En 2019, nous avons continué sur notre lancée : tous les moteurs de la fusée sont désormais qualifiés. La production des quatorze premiers lanceurs a commencé, grâce à une résolution adoptée en avril au conseil de l'ESA. Nous avons par ailleurs procédé au lancement de la qualification du modèle de vol, dont les premières pièces sont dévoilées aujourd'hui même sur notre site de Brême, avec l'inauguration du hall d'intégration de l'étage supérieur. En 2020, il va nous falloir accélérer le processus vers le premier vol, avec les essais de l'étage supérieur complet à Lampoldshausen en Allemagne, avec le moteur Vinci, et les essais combinés du lanceur complet sur son pas de tir en Guyane, développé en parallèle par le CNES. À l'issue de ce processus interviendra le tir inaugural d'Ariane 6, avec son premier client, la constellation OneWeb.
Où en est-on au niveau institutionnel ? Le CNES et ArianeGroup ont préparé ensemble cette conférence ministérielle, en lien avec l'ESA, pour s'accorder sur les prochains chapitres de la vie d'Ariane, à commencer par la fin d'exploitation d'Ariane 5, qu'il faut réussir, avec des missions très emblématiques comme le lancement du télescope James-Webb pour la NASA et des satellites militaires français Syracuse. Nous devons bien sûr finaliser le développement d'Ariane 6 et le démarrage de son exploitation en pleine capacité en 2023. Nous devons enfin préparer l'avenir, avec des choix de briques technologiques, en particulier le futur moteur européen low cost Prometheus, que nous développons dans un cadre franco-allemand, avec un étage supérieur allégé qui va offrir davantage de polyvalence au lanceur et un démonstrateur d'étage réutilisable, Themis, qui met en oeuvre ce moteur Prometheus. En 2022, nous pourrons ainsi, en fonction des besoins des marchés institutionnel et commercial, décider des évolutions d'Ariane ou du développement d'un futur lanceur potentiellement réutilisable.
S'il ne fallait retenir qu'un enjeu, ce serait assurément celui-ci : ne baissons pas la garde en matière de financement de la technologie. Les innovations de rupture se préparent dans la durée, avec des flux financiers constants et des partenaires innovants. C'est là tout le sens du partenariat ArianeWorks : conclu entre le CNES, l'ONERA et ArianeGroup, il doit nous permettre d'accélérer nos cycles d'innovation, en lien avec les start-up.
Sur cette base, l'effort budgétaire de la France en faveur du spatial est, comme ceci a été précédemment mentionné, extrêmement significatif. Nous souhaitons bien sûr que les derniers arbitrages budgétaires, ainsi que les discussions finales menées à Séville, le confirment.
Le troisième message que je souhaitais vous communiquer aujourd'hui concerne la nécessaire prise de conscience politique. Tout l'enjeu pour ces dernières semaines avant la conférence est de dialoguer avec nos partenaires de l'ESA, au niveau industriel et institutionnel, afin de faire passer cette idée d'un sentiment d'urgence, partager des priorités programmatiques compatibles avec les intérêts nationaux des uns et des autres et dégager des budgets cohérents et ambitieux. Il s'agit là d'un travail de longue haleine, nécessitant une vraie volonté politique. L'Europe spatiale, à l'image de l'Europe politique, est en proie à des interrogations. Elle peut même parfois être traversée par des forces centrifuges, conduisant certains à réfléchir à une renationalisation de leurs programmes. Je reste toutefois confiant et pense que l'esprit de responsabilité va prévaloir. Les dernières discussions avec nos partenaires, notamment allemands et italiens, évoluent dans le bon sens. Les échanges au niveau des chefs d'État de la France et de l'Allemagne marquent un tournant : ainsi, le conseil des ministres franco-allemand du 16 octobre 2019 à Toulouse a constitué une étape essentielle. La Chancelière et le Président y ont exprimé haut et fort leur soutien à Ariane 6, leur volonté de mettre en oeuvre la préférence européenne pour toutes les missions gouvernementales, leur souhait d'un plan de consolidation entre les industriels français et allemands, en lien avec leur partenaire italien, et leur projet de développer une mission lunaire avec Ariane 6.
En conclusion, la conférence de novembre 2019 peut marquer soit le sursis, soit le sursaut de l'Europe spatiale. L'avenir n'est pas écrit, mais se prépare aujourd'hui, avec des décisions fortes et des missions, y compris scientifiques, de l'ESA, lancées par les futures fusées européennes Ariane et Vega, pour protéger nos emplois industriels et le patrimoine technologique de nos territoires. Ceci implique également des engagements budgétaires, pour protéger nos entreprises, leur permettre de lutter à armes égales et leur donner une visibilité dans la durée, ainsi que des programmes de R&T, au service de la compétitivité et du leadership de l'Europe dans le domaine spatial commercial. Ceci suppose en outre une gouvernance entre les agences plus simple et plus efficace, pour maximiser les dépenses productives en direction de l'industrie, des entreprises et des chercheurs. Il faudra enfin faire preuve d'une vision qui démontre à nos concitoyens européens que nous avons les moyens et les compétences de nos ambitions. L'étape suivante viendra en 2020, avec l'adoption du budget spatial de l'Union européenne.
Je vous remercie et je vais à présent donner la parole à M. Alain Wagner, directeur des ventes institutionnelles espace d'Airbus Defence & Space, qui va aborder la question de l'ambition industrielle au service de l'Europe.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les parlementaires, messieurs les présidents et directeurs généraux, mesdames et messieurs, j'aimerais tout d'abord vous remercier pour cette audition, qui tombe à point nommé.
Je voudrais également vous demander d'excuser l'absence de Jean-Marc Nasr, président d'Aibus Defence & Space SAS, dont l'agenda ne lui a pas permis de se libérer.
Les conseils ministériels de l'ESA sont des événements majeurs, car ils permettent de mutualiser les budgets et de focaliser les efforts des États membres sur des programmes très ambitieux, qui ne sont susceptibles d'être réalisés qu'à l'échelle de l'Europe. Sans l'ESA, l'Europe serait bien plus divisée et fragmentée qu'elle ne l'est aujourd'hui, face à des acteurs beaucoup plus puissants et monolithiques.
J'aimerais aussi souligner que l'industrie spatiale manufacturière française réalise la moitié de son chiffre d'affaires sur des marchés publics et que plus de 50 % de ce chiffre d'affaires provient des contrats passés par l'ESA avec l'industrie française. Ces contrats constituent donc pour notre industrie un socle institutionnel très important, comportant des programmes spatiaux ambitieux qui tirent notre industrie vers le haut, et des actions de R&T qui nous permettent de préparer l'avenir de façon harmonisée au sein de l'Europe.
Je vais à présent effectuer un zoom sur quelques segments majeurs de marché, afin d'illustrer l'importance de Space19+ pour notre industrie.
Dans le spatial, le premier segment de marché est celui des télécommunications par satellites. Nous sommes leader mondial en termes de chiffre d'affaires sur le marché des satellites géostationnaires et des constellations, qui représente de l'ordre de 3 à 4 milliards d'euros par an. Ce segment de marché génère plus de 4 000 emplois chez Airbus et ses partenaires. Il crée aussi la majeure partie du marché des services de lancement pour Arianespace. Les compétences, les technologies et la compétitivité sont des éléments clés pour les systèmes de satellites de télécommunication militaires français. Or le marché mondial des télécommunications par satellites est en pleine mutation : nous faisons face à un besoin d'innovation et de prise de risques sans précédent, qui nécessite un accroissement très important de l'effort de R&D public. L'investissement public est clairement indispensable, d'autant qu'il se situe à des niveaux extrêmement élevés aux États-Unis et en Chine, ce qui fragilise toute notre filière. Les perspectives de marché en matière de télécoms spatiales sont très bonnes, avec une demande croissante de connectivité et de digitalisation, dans le monde entier, en particulier pour des communications aéronautiques toujours plus sécurisées. Dans ce contexte, les investissements publics devraient être augmentés pour développer des satellites standardisés et à bas coût, mais aussi les communications optiques, qui vont constituer une révolution dans le secteur, les mégaconstellations de nouvelle génération et des satellites de très forte capacité pour le très haut débit et la 5G. Pour toutes ces raisons, le programme ARTES de l'ESA est majeur pour notre industrie. In fine, il faut savoir que tous ces satellites de télécommunication commerciaux sont assemblés, intégrés et testés à Toulouse, avec une part propre française supérieure à 50 %.
Dans le domaine de l'observation de la Terre, Airbus est le numéro un mondial de l'exportation de satellites. Le volume de ce marché est de l'ordre d'un milliard d'euros par an, avec une très forte part propre en France. Hormis le marché de la très haute résolution, qui est presque autoporteur, la plupart des marchés de l'observation de la Terre restent des activités financées par le secteur public. À l'ESA, les investissements relatifs à l'observation terrestre doivent donc surtout répondre aux besoins opérationnels du programme Copernicus, en sécurisant l'excellent positionnement actuel de la France sur les futurs satellites Sentinel, lesquels vont entrer en service entre 2025 et 2030. Il est important de souligner que ces satellites seront appelés à conduire à une production récurrente : cet investissement français produira donc une sorte d'effet de levier.
L'ESA va d'autre part contribuer à la préparation de missions futures qui pourraient par exemple permettre de mesurer de façon plus précise les concentrations en gaz à effet de serre, la biomasse ou la vitesse des vents sur toute la planète. Nous sommes donc très attachés à un bon niveau de souscription aux programmes « Copernicus space component segment 4 » et « Future EO », ce dernier préparant les futurs programmes météorologiques et Copernicus de nouvelle génération.
Dans le domaine de l'exploration, des appels d'offres sont en cours, ce qui oblige à une certaine réserve. Toutefois, Airbus est très attaché à l'obtention d'une maîtrise d'oeuvre française, avec des activités nobles, sur le programme futur de retour d'échantillons martiens. La mission, qui sera menée en coopération avec la NASA, est très ambitieuse, avec des lancements prévus en 2026 et l'arrivée des échantillons sur Terre en 2031.
Enfin, l'Europe devrait se doter de capacités logistiques autonomes de desserte de la Lune, avec un véhicule de transfert lunaire et un module atterrisseur (lander), ce qui lui permettrait de réaliser des missions européennes sur la Lune et/ou de fournir des prestations de services logistiques aux puissances spatiales qui vont s'y installer. Ces missions seront bien sûr lancées par Ariane 6.4. Airbus est très intéressé au développement et à la réalisation des récurrents de ces véhicules logistiques.
Pour conclure, je voudrais, au nom d'Airbus, saluer l'action déterminante de Mme la ministre Frédérique Vidal, qui a fait travailler ensemble les industriels et le CNES, afin d'établir les enjeux et les conséquences de plusieurs scénarii et préparer au mieux cette réunion ministérielle ESA. Je note qu'un très gros effort budgétaire a été consenti, ce dont nous la remercions. La filière est consciente qu'elle va devoir faire des efforts, dans un contexte budgétaire très contraint ; mais qu'il soit ici bien clair que, sans accès à l'espace autonome et efficient, il n'y aurait pas de systèmes orbitaux, et pas d'accès à l'espace sans satellites européens. Toute la filière sera par conséquent solidaire dans les efforts à accomplir.
Merci. Je donne maintenant la parole à M. Benoît Hancart, qui va, à partir de son expérience au sein de Thales Alenia Space, répondre à la question : pourquoi investir dans les satellites ?
Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, merci pour l'organisation de cette audition.
Je vous demande en préambule d'excuser le président de Thales Alenia Space (TAS), Jean-Loïc Galle, retenu par d'autres obligations.
Mon intervention s'articulera autour de trois points. Le premier prendra la forme d'un rappel de ce qu'apportent les satellites à nos concitoyens. J'essaierai ensuite de répondre à la question de savoir pourquoi les États investissent dans les satellites, avant d'envisager les raisons pour lesquelles la France doit investir au sein de l'Agence spatiale européenne, en particulier lors de son prochain conseil ministériel.
Les satellites sont à l'évidence des outils d'accès et de diffusion de l'information, au bénéfice des citoyens. La première idée qui me vient à l'esprit concerne par conséquent la réduction de la fracture numérique et l'accès à internet dans les zones blanches, qui ne verront jamais la fibre optique, trop chère et non rentable. Je pense dans ce contexte au satellite KONNECT VHTS, que nous sommes en train de développer pour le compte d'Eutelsat, en coordination avec Orange, et qui sera mis en orbite en 2021 afin d'apporter l'internet à ces zones blanches.
Le deuxième élément concerne la météorologie : les images de nuages en mouvement que nous voyons tous les soirs à la télévision dans les bulletins météorologiques proviennent de satellites de deuxième et troisième générations fabriqués à Cannes, pour le compte de l'agence européenne de météorologie Eumetsat.
Les satellites permettent également une gestion optimisée de tous nos déplacements. Nous avons tous un GPS ou un Galileo sur nos portables ou dans nos voitures. Ceci permet aussi l'atterrissage des avions ; je pense par exemple au système EGNOS développé par Thales Alenia Space (TAS) et opérationnel depuis 2011 pour l'aviation civile et commerciale.
Les satellites sont par ailleurs des outils permettant une connaissance approfondie de la santé de notre planète, des sources de pollution et de déforestation. Ceci est la mission des satellites Sentinel du programme Copernicus de la Commission européenne, auquel Thales contribue largement.
Il faut enfin citer le rôle joué par les satellites de renseignement ou de télécommunications sécurisées tels que CSO ou Syracuse dans l'efficacité de nos opérations militaires.
Je pourrais ainsi multiplier à l'envi les exemples très concrets d'apport des satellites pour nos concitoyens.
Pourquoi les États investissent-ils dans les satellites ?
La réponse tient tout d'abord au fait que les satellites sont des infrastructures de souveraineté répondant à des enjeux sociétaux clés, à commencer par la sécurité et la défense, avec le renseignement et les communications sécurisées.
Le deuxième aspect est une question de rayonnement des pays, sur des enjeux tels que le changement climatique : il est par exemple important de savoir vérifier de manière autonome le respect des traités et engagements des États en matière de limitation des émissions de gaz à effet de serre. L'enjeu est également, pour chaque État, de mobiliser sa communauté scientifique et de faire rêver sa population, d'où la nécessité d'être un acteur de la conquête spatiale.
Pourquoi, dans ce contexte, la France doit-elle investir à l'ESA, et en particulier au conseil ministériel ?
Au-delà du développement d'infrastructures spatiales d'exploration, de science, d'observation ou de télécommunication, l'investissement de la France à l'ESA lui permet de maintenir dans la durée et sur le territoire national un savoir-faire humain et industriel de haut niveau, compétitif et ne dépendant pas de pays tiers. Ce savoir-faire est indispensable à la France pour développer en toute autonomie, au niveau de performance demandé et à un prix acceptable, ses propres systèmes stratégiques, en particulier ceux du ministère des armées pour le renseignement, qu'il soit d'écoute, d'images ou de sécurité.
Je crois que la France peut aujourd'hui être fière de disposer d'une industrie du satellite compétitive au niveau mondial. J'en veux pour preuve l'exemple du domaine très compétitif des télécommunications, et ce en dépit d'un investissement britannique supérieur de 80 % à celui de la France lors des trois dernières conférences ministérielles de l'ESA dans ce domaine, d'un marché atone dans ce secteur avec une baisse drastique du marché des satellites géostationnaires, passant de 25 appels d'offres en 2014 à 8 en 2018, et bien que l'Europe soit une véritable passoire pour les satellites importés des États-Unis. Ainsi, selon la dernière étude d'Eurospace, les États-Unis sont le principal exportateur mondial de satellites de télécommunication, l'Europe en étant la principale destination. Cette même étude estime le déficit commercial européen avec les États-Unis à plus de 2 milliards de dollars sur la dernière décennie. Sur vingt ans, ce déficit a plus que décuplé. La situation va donc de mal en pis.
Malgré cela, la filière française fabriquant les satellites de télécommunications résiste. Sur les cinq dernières années, la part de marché d'Airbus et de Thales Alenia Space est restée supérieure à 30 % en termes de prises de commandes et dépasse même 50 % sur les neuf premiers mois de 2019. Globalement, deux des trois premiers maîtres d'oeuvre mondiaux en matière de satellites de télécom sont européens. Cette réussite est le fruit de deux facteurs, dont le premier est le fort autofinancement de l'industrie dans ce domaine : TAS a ainsi multiplié par quatre son auto-investissement au cours des cinq dernières années et je pense que la tendance est similaire chez Airbus. La seconde raison de la réussite de la filière télécom est l'investissement de la France dans le programme de télécommunications ARTES de l'ESA, qui a permis de financer notamment les plateformes électriques et les charges utiles placées sur ces satellites de très haut débit, contribuant en particulier à la réduction de la fracture numérique. Depuis 2014, Airbus et Thales ont ainsi vendu une vingtaine de plateformes électriques et TAS a remporté 6 des 7 compétitions ouvertes au niveau mondial ces dernières années sur le marché des satellites à très haut débit. L'ensemble de ces contrats représente une prise de commandes cumulée de plus de 4 milliards d'euros, ainsi que la préservation et le développement de plusieurs milliers d'emplois.
D'une manière générale, le maintien de la compétitivité de l'industrie du satellite repose sur deux piliers. Le premier est le soutien à l'innovation et à la R&D. Ceci est important car nous vivons une période au cours de laquelle les ruptures technologiques se succèdent, à cause notamment du déploiement généralisé des technologies digitales. Le second aspect concerne l'existence d'un marché institutionnel européen captif : je pense notamment ici à l'existence de grands programmes d'infrastructures spatiales au niveau européen, tels que les projets Galileo et Copernicus, les missions d'exploration martienne ou lunaire, ou encore les missions scientifiques dans le système solaire et au-delà. Si la France ne participe pas à l'ESA et ne contribue pas à ces programmes, alors l'industrie française du satellite ne pourra pas assurer de leadership dans ce domaine : ceci est mathématique.
Je dirai pour conclure que l'investissement dans l'industrie du satellite rapporte : la dernière étude Eurospace montre ainsi que la balance commerciale européenne en matière de satellites est positive et se monte à quelque 300 millions d'euros par an, soit 2 % du surplus de la balance commerciale européenne. Notons que ces 2 % ont été créés par moins de 0,01 % de l'emploi manufacturier en Europe, ce qui montre l'effet de levier de l'industrie satellitaire en matière de création de richesse.
Cet effort de compétitivité de la filière satellitaire européenne doit être renforcé, dans un contexte où le soutien apporté à ses principaux concurrents mondiaux, notamment américains, est très fort.
J'évoquerai enfin l'idée de renforcer la préférence européenne dans le domaine des satellites, en particulier pour répondre aux besoins institutionnels des États européens.
Merci à vous pour la clarté de votre propos et sa tonalité positive et engageante.
M. Yohann Leroy, directeur général délégué et directeur technique d'Eutelsat, va à présent évoquer les évolutions des télécommunications par satellite.
Mesdames et messieurs les parlementaires, monsieur le président du CNES, mesdames et messieurs les directeurs généraux, mesdames, messieurs. Eutelsat est l'opérateur français de télécommunications par satellite, le troisième au niveau mondial et de loin le premier client commercial de l'industrie spatiale européenne. Je vous remercie de l'opportunité qui nous est donnée d'intervenir au cours de cette audition publique pour partager nos vues sur les enjeux du prochain conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA) et plus largement sur l'avenir de la filière.
Le spatial, et en particulier les télécommunications spatiales, sont l'une des rares industries de pointe dans lesquelles l'Europe, et notamment la France, occupe une position de leader mondial. Toutefois, du fait de la transformation en cours du secteur, ce leadership est aujourd'hui menacé. La bonne nouvelle est que, de notre point de vue, l'Europe et la France disposent de tous les atouts, en termes d'acteurs et de compétences, pour préserver, voire renforcer leur position, à condition d'effectuer les bons choix.
La transformation en cours du marché est le résultat de deux ruptures, l'une technologique, l'autre du côté des clients. En matière de technologie, trois évolutions majeures sont à l'oeuvre. La première concerne les progrès rapides, notamment au niveau des processeurs numériques, qui offrent désormais la perspective d'une résorption complète et définitive de la fracture numérique dans le monde, ce qui constitue un enjeu majeur de développement. Selon la Commission européenne, pas moins de 17 % des foyers européens n'étaient pas couverts par internet à 30 mégabits par seconde en 2018, ce pourcentage montant à 47 % en zone rurale. Grâce à KONNECT VHTS, le satellite commandé par Eutelsat à Thales Alenia Space (TAS) en juin 2018, les quelques pourcents des foyers européens qui resteront durablement à l'écart des réseaux de télécommunications de nouvelle génération pourront, conformément aux objectifs présidentiels pour ce qui concerne la France, disposer dès 2022 d'une connectivité à internet avec une qualité de service et un prix comparables à ceux de la fibre optique. Autre point à signaler : le coût de la couverture par satellite sera au moins dix fois plus faible que celui que devrait supporter pour l'essentiel la puissance publique sous forme de subventions pour que les populations concernées soient couvertes par une solution terrestre, ce qui est plus que bienvenu dans un contexte de nécessaire maîtrise de nos dépenses publiques.
Les progrès réalisés au niveau des antennes actives permettent par ailleurs d'envisager, avant le milieu de la prochaine décennie, la digitalisation complète des charges utiles des satellites de télécommunications. Ceci permettra de reconfigurer de manière dynamique la performance et la zone de couverture des satellites en fonction des besoins des utilisateurs et de leur évolution au cours du temps. Sur le plan industriel, ceci ouvre la voie à la fabrication en série des satellites de télécommunications géostationnaires, alors qu'aujourd'hui chaque satellite est conçu et optimisé spécifiquement pour la position orbitale où il sera placé, en fonction des droits orbitaux dont dispose l'opérateur et des marchés visés. Ce passage du cousu main au prêt-à-porter s'apparente à une révolution industrielle qui s'amorce pour le secteur spatial. Les économies d'échelle qui en résulteront renforceront la compétitivité de l'infrastructure spatiale pour ceux qui les maîtriseront et sont susceptibles de rebattre les cartes du jeu concurrentiel. Eutelsat dispose dans ce domaine d'une longueur d'avance, grâce au satellite Eutelsat Quantum commandé à Airbus en 2015, qui sera lancé l'été prochain depuis la Guyane française.
Les progrès effectués en matière de miniaturisation rendent en outre des projets de constellations de petits satellites opérés depuis l'orbite basse, les fameux CubeSat, économiquement viables au moins à court terme, pour fournir des solutions de connectivité bas débit. Ceci renvoie à ce que l'on qualifie d'« internet des objets », pour lequel l'ubiquité des satellites est un atout essentiel, en complément de la connectivité fournie par les réseaux terrestres. Ceci est précisément l'objet du projet de constellation de satellites en orbite basse ELO, que nous avons annoncé en septembre et du partenariat scellé entre Eutelsat et Sigfox.
Du côté du marché, deux évolutions sont particulièrement remarquables. Dans la vidéo tout d'abord, dont les besoins de diffusion sont à l'origine de l'essor qu'a connu l'industrie des télécommunications spatiales ces trente dernières années, les modes de consommation évoluent, avec le développement, parallèlement à la télévision linéaire, de la consommation de contenus à la demande. Avec cette évolution des usages, apparaissent de nouveaux acteurs, qui entrent en concurrence avec nos clients historiques que sont les chaînes et plateformes de télévision payantes. Ce mouvement s'accompagne également d'une modification des besoins que doit pouvoir supporter l'infrastructure de télécommunications transportant ces contenus, avec une augmentation très forte des besoins de connectivité à internet à haut et très haut débit, ce qui crée des opportunités pour l'industrie des télécommunications par satellite, qu'il s'agisse de l'usage fixe à la maison ou en mobilité.
D'autre part, apparaissent dans la chaîne de valeur de nouveaux acteurs, qui jouent avec d'autres règles que celles actuellement en vigueur. Les moyens financiers dont certains disposent sont sans commune mesure avec ceux des acteurs existants, notamment européens, et leur permettent d'adopter des approches très agressives, dans une logique de retours sur investissements potentiels sur le long, voire le très long terme. Certains GAFA pourraient par ailleurs être disposés à financer éventuellement à perte des projets d'infrastructures, pour peu que ceci soit compensé par les bénéfices indirects qu'ils seraient susceptibles d'en retirer.
Dans ce contexte mouvant, l'Europe dispose de toute l'expertise nécessaire pour rester précurseur des ruptures technologiques à venir dans le domaine des télécommunications spatiales. Eutelsat a d'ailleurs joué ces dernières années, et continue à jouer le rôle de vecteur privilégié permettant aux technologies européennes d'accéder au marché commercial. Ainsi, c'est Eutelsat qui a commandé à Airbus en 2014 le premier satellite à propulsion tout électrique européen. Initialement prise de vitesse par les États-Unis, l'Europe a su contre-attaquer et proposer une technologie répondant mieux aux besoins du marché que sa concurrente américaine. C'est également Eutelsat qui a fait le pari ambitieux de commander aux deux manufacturiers franco-européens leurs premières plateformes NeoSat de nouvelle génération. La première, Spacebus Neo, plateforme optimisée et tout électrique de Thales Alenia Space (TAS), partira depuis Kourou en janvier prochain pour permettre au satellite KONNECT d'Eutelsat de répondre aux enjeux de lutte contre la fracture numérique en Afrique et en Europe, en attendant l'arrivée de KONNECT VHTS. C'est enfin Eutelsat qui le premier s'est engagé à utiliser Ariane 6 pour lancer dès 2020 ses futurs satellites.
Thales peut aujourd'hui être considéré comme le leader dans la conception et la réalisation de satellites destinés à l'accès à internet. La commande du satellite KONNECT VHTS par Eutelsat n'est ainsi certainement pas étrangère au succès remporté récemment par Thales dans l'appel d'offres lancé par le gouvernement indonésien en vue de la fourniture d'un satellite pour un tel usage.
Aujourd'hui, Airbus et Thales travaillent également d'arrache-pied sur leur concept de satellite tout numérique et entièrement flexible. Airbus a par ailleurs convaincu Inmarsat, l'opérateur britannique de communications mobiles par satellite, de faire ce pari.
Enfin, les équipes d'ArianeGroup et Arianespace sont dans les temps pour le vol inaugural du nouveau lanceur lourd européen, plus compétitif que le précédent et dont l'étage supérieur permettra de répondre aux nouveaux besoins liés aux satellites à propulsion électrique.
Que faut-il faire ? Nos recommandations sont de deux types. Il convient tout d'abord de ne pas faire des télécoms spatiales le parent pauvre lors du prochain conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA). L'effort de R&D à consentir dans les télécommunications spatiales est significatif et il est important que le soutien de l'Europe, et notamment de la France, ne soit pas exclusivement ou quasiment exclusivement tourné vers Ariane 6 et l'accès indépendant de l'Europe à l'espace. Dans le cas contraire, le lanceur européen risquerait à terme de lancer essentiellement des satellites fabriqués par des industriels non européens. Il convient de noter à ce sujet qu'Eutelsat, premier client de l'industrie spatiale européenne, a historiquement commandé plus de 90 % de ses satellites à l'industrie européenne et plus de 50 % de ses lancements à Arianespace. Comme vous l'avez peut-être remarqué, la dernière commande en date d'un satellite par Eutelsat pour adresser le marché de la mobilité aérienne maritime a été révélée aujourd'hui et se fait au bénéfice de Thales Alenia Space (TAS) et de ses sites de Toulouse et Cannes. Aucun autre opérateur européen n'affiche de telles statistiques.
La pérennité d'ArianeGroup et de nos deux manufacturiers Airbus et Thales repose majoritairement sur le marché commercial, en particulier celui des télécommunications spatiales. En ce sens, ils se trouvent, tant au niveau des lanceurs que de la fabrication de satellites, dans une situation très différente de celle de leurs concurrents américains ou chinois dont le carnet de commandes, en volume et bien plus encore en valeur, est rempli pour l'essentiel des besoins institutionnels.
Au-delà même des questions relatives au budget de l'ESA, il y aurait lieu pour l'Europe de s'interroger sur l'opportunité de lancer un programme ambitieux dans le domaine des télécoms spatiales, une sorte de « Galileo des télécoms » répondant aux enjeux d'indépendance et de souveraineté européennes, utilisant les infrastructures européennes disponibles et impliquant l'ensemble des acteurs de la chaîne de valeur. Ceci permettrait de corriger ce que d'aucuns considèrent aujourd'hui comme une anomalie, à savoir le fait que bien que les télécommunications représentent 85 % du marché commercial de l'industrie spatiale européenne, elles ne comptent en direct que pour 6,8 % du budget de l'ESA, si l'on considère les chiffres de 2019.
La deuxième recommandation est de s'interroger sur la recomposition de la chaîne de valeur, côté européen. En effet, avec une chaîne de valeur morcelée, tant horizontalement que verticalement, les efforts sont largement dissous. La somme des optima locaux conduit en outre rarement à l'optimum global. Pour espérer jouer à armes égales, il est sans doute nécessaire d'unir les forces des industriels du spatial européen, de manière plus structurelle et plus systématique que ce qui est effectué au cas par cas aujourd'hui. À titre de comparaison, les acteurs américains et chinois qui vont compter demain sont largement verticalisés : c'est le cas par exemple de SpaceX, qui prévoit non seulement de fabriquer ses propres satellites, mais aussi de les lancer, de les opérer et de les commercialiser lui-même. La situation est similaire en Chine, où la CASC (China Aerospace Science and Technology Corporation) regroupe les activités de fabrication de satellites, de lancement et d'opérateur.
En conclusion, l'industrie spatiale est une industrie de pointe. L'Europe y occupe aujourd'hui un rôle de leader et dispose des acteurs et des compétences pour conserver cette position, malgré un environnement en profonde mutation. Ceci suppose que l'Europe et la France soient parfaitement conscientes des enjeux de compétitivité de leur industrie dans le domaine des télécommunications et qu'elles s'assurent que leurs champions, via la commande publique et en unissant leurs forces, peuvent jouer à armes égales avec la concurrence accrue qui s'annonce.
Merci. Votre intervention présente le mérite de soulever des questions assez directes qui, j'en suis persuadé, susciteront nombre d'interrogations et de remarques.
Avant de passer au débat, nous allons entendre Mme Virginie Lafon, directrice générale de i-Sea, PME spécialisée dans la surveillance des milieux aquatiques et littoraux, créée voici cinq ans.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, mesdames et messieurs, je voudrais tout d'abord vous remercier, en mon nom propre et en celui de l'ensemble de mes collaborateurs, de nous recevoir et d'avoir souhaité entendre la voix d'une PME, pour ne pas dire d'une TPE, qui a fondé sa création et son développement sur la volonté, assez originale, de commercialiser des services basés pour l'essentiel sur des données d'observation de la Terre, dans un domaine particulièrement important qui nous tient tous à coeur ici je suppose, puisqu'il concerne la surveillance de l'environnement dans les domaines de la biodiversité, de l'eau et du littoral.
Implantée à Bordeaux, la société i-Sea a cinq ans et compte aujourd'hui neuf collaborateurs, dont trois associés fondateurs majoritaires. Nous avons, au cours de ces cinq années, achevé cinq projets de recherche et développement, ce qui me permet de revenir sur les propos de M. Wagner, qui a évoqué la question de la prise de risque : pour une petite structure, mener de tels projets de R&D est très lourd, d'autant que ces initiatives ne sont bien souvent subventionnées qu'en partie. Malgré tout, notre chiffre d'affaires a connu cette année une progression satisfaisante et s'approche du million d'euros. Nous avons en outre réalisé une partie de notre rêve, puisque les deux tiers de notre activité sont liés au domaine spatial : nous développons ainsi quatre lignes de services dans ce secteur et une faisant plutôt appel à la mesure traditionnelle.
Nos cibles de marché sont les gestionnaires de l'environnement, de l'eau, du littoral, mais aussi le domaine portuaire et celui des énergies marines.
i-Sea est née dans un laboratoire universitaire, au sein d'une cellule de transfert de technologies de l'université de Bordeaux. Les trois associés fondateurs sont tous océanographes et notre projet commun était de créer une société indépendante permettant de faire émerger une somme de projets de R&D d'applications spatiales, financés par le CNES lorsque nous étions à l'université, et d'implanter notre offre de services sur le marché de l'observation de la Terre appliquée à la surveillance des environnements naturels, avec l'objectif de devenir leaders sur ce marché.
Pour donner vie à cette belle ambition, il nous a fallu incuber l'idée, phase durant laquelle nous avons été accompagnés notamment par Bordeaux Technowest, le Business Incubation Centre (BIC) de l'ESA et la région Nouvelle-Aquitaine. En matière de R&D, nous avons été subventionnés notamment par Bpifrance, au travers des bourses French Tech, mais aussi par des fonds européens et plus récemment par Mercator Océan et l'ESA, qui financent en totalité le développement de pilotes de services. Nous avons par ailleurs la chance d'évoluer dans un écosystème très dynamique de pôles de compétitivité, de boosters, qui forment un beau réseau. Enfin, l'institut InSpace nous aide à porter notre offre de services vers les institutionnels en particulier.
Parmi les services que nous proposons, celui qui rencontre actuellement le plus de succès est BioCoast, service de cartographie de la biodiversité, qui est en train de s'élargir à la problématique de la conservation et de la préservation des milieux naturels, ce qui, dans le contexte du changement climatique, est fondamental. À l'heure actuelle, notre plus gros client est français : il s'agit de l'Agence française de la biodiversité. Mais ceci concerne en fait tous les gestionnaires de l'environnement.
Notez que les directives européennes ont elles aussi porté la commercialisation de notre service. Nous travaillons également sur la bathymétrie spatiale, en partenariat avec Telespazio, notamment pour le service hydrographique de la marine nationale. Nous avons en outre développé un service de surveillance du trait de côte, qui permet d'anticiper les phénomènes d'érosion et de planifier le territoire. Nous éprouvons quelques difficultés à trouver notre marché et l'ESA nous aide en ce moment à construire un pilote à l'échelle européenne, ce qui est formidable pour nous.
Notre dernière ligne de service concerne la qualité de l'eau. Nous nous approchons là davantage du domaine portuaire et des énergies marines renouvelables (EMR), qui peuvent constituer, lors des chantiers de construction des parcs notamment, une activité polluante. Notre travail consiste alors à prévenir et suivre l'effet de ces pollutions.
i-Sea a enfin réalisé l'année dernière, avec une toute jeune start-up basco-landaise, la surveillance des radeaux de Sargasses dans les Antilles. Cette année, la surveillance s'effectue en partenariat avec CLS (Collecte localisation satellites) pour Météo-France. Il s'agit là de surveillance en temps réel, ce qui supposerait de se doter de serveurs, d'une puissance de calcul et d'une équipe d'informaticiens chevronnés, ce qui n'est pas envisageable à l'échelle d'une petite entreprise. Or nous avons eu la bonne surprise de bénéficier des plateformes de la Commission européenne et de l'ESA, les DIAS de Copernicus (Data and Information Access Services), qui nous permettent d'héberger nos services, d'effectuer des calculs et de disposer des données spatiales. Il s'agit pour nous d'un point très important et d'un réel levier pour notre développement.
Je souhaiterais à présent vous parler des sources de données que nous utilisons. Il s'agit pour l'essentiel de données gratuites, puisque nous parlons essentiellement à des gestionnaires de l'environnement, qui ne disposent pas de grands moyens pour leur surveillance. Nous utilisons ainsi très largement les données Copernicus, ainsi que les données THEIA du CNES et Eumetsat. Nous ne nous privons pas par ailleurs de faire appel aux données américaines, également gratuites. En France, nous avons en outre la chance immense que la possibilité soit offerte aux institutionnels d'obtenir gratuitement des données au travers de l'EQUIPEX-GEOSUD. Ce dispositif, peu connu, permet de disposer d'images à haute résolution, ce qui est extrêmement important pour la surveillance de la biodiversité. Sans cet outil, nous ne pourrions effectuer des observations qu'à l'échelle macroscopique, ce qui est loin d'être suffisant lorsqu'il est question de la préservation des vers de terre ou des libellules. Nous avons donc vraiment besoin de ce genre de satellite. Lorsque nous sommes face à un besoin d'images de très haute précision à l'échelle européenne hors France, nous recourons aux données fournies par Copernicus ou Sentinel-2 ou achetons des données chez Airbus ou Maxar (ex-DigitalGlobe) par exemple. À quand un satellite européen à très haute résolution spatiale, qui nous permettra de travailler ailleurs qu'en France, à coût raisonnable ?
Que dire d'i-Sea demain ?
Nous souhaitons bien évidemment continuer à contribuer à la protection de l'environnement, mais aussi grandir, en complétant notre offre de services, avec par exemple la mesure de la vitesse des courants par satellite, et en diversifiant nos marchés vers d'autres cibles que les seuls gestionnaires de l'environnement. Ceci nécessite un effort considérable et une prise de risque importante pour une jeune entreprise de petite taille. Nous allons poursuivre nos investissements dans l'innovation, mais avons besoin pour cela d'être aidés. Or les subventions qui nous sont proposées sont bien souvent trop faibles, ce qui nous contraint parfois à refuser des partenariats, faute de pouvoir les financer, et à freiner nos innovations, ce qui est particulièrement frustrant. Nous envisageons enfin de franchir les frontières, en nous appuyant sur des partenariats avec Airbus et le réseau européen de PME EUGENIUS.
Merci pour cette intervention, que nous avons écoutée avec d'autant plus d'intérêt qu'elle nous a permis de bénéficier d'un témoignage très différent de ceux d'industriels confirmés, qui nous sont familiers depuis longtemps.
Je souhaiterais à présent, pour ouvrir le débat, donner la parole à Catherine Procaccia, qui a travaillé avec Bruno Sido sur la politique spatiale européenne et a produit récemment une note sur l'exploration de Mars.
Je vous prie tout d'abord d'excuser mon retard, mais le mardi est une journée traditionnellement très chargée en réunions.
Je me permettrai simplement d'intervenir dans le prolongement de l'exposé de M. Leroy sur les satellites. Lorsque mon collègue Bruno Sido et moi-même avions travaillé sur ce sujet en 2012, nous avions trouvé bizarre que l'on réfléchisse à des fusées sans se préoccuper de ce que seraient les satellites. À l'époque, il nous avait par exemple été indiqué que personne ne voudrait de satellites électriques, jugés trop lents. Or vous nous avez expliqué que la technique que vous développez depuis 2014 était meilleure que le procédé américain. Je pense que lanceurs et satellites sont liés et qu'il est important de considérer les deux aspects. La question est ainsi de savoir quelles seront les prochaines évolutions pour les satellites. M. Roussel a évoqué des évolutions possibles d'Ariane 6, voire la nécessité éventuelle de passer à un autre modèle, en 2021 ou 2022. Je me demande concomitamment quelles pourraient être, en 2027 ou 2028, les évolutions des satellites susceptibles d'avoir des incidences sur les lanceurs.
Le mode de propulsion privilégié pour les satellites du futur est effectivement la propulsion électrique, ce qui implique un changement du design au niveau des lanceurs, afin de pouvoir optimiser la trajectoire sur laquelle ces satellites sont placés et minimiser la durée de mise à poste. De ce point de vue, le fait que l'étage supérieur du lanceur Ariane 6 soit réallumable, contrairement à celui d'Ariane 5, est une très bonne nouvelle, car ceci permettra justement d'optimiser la trajectoire.
L'autre conséquence de la propulsion électrique est que, toutes choses égales par ailleurs, la masse des satellites va être fortement réduite. Jusqu'à une période récente, la moitié environ de la masse des satellites à propulsion chimique était constituée du carburant nécessaire essentiellement pour effectuer la mission de mise à poste ; étant donné l'efficacité beaucoup plus grande de la propulsion électrique, ceci va permettre de diviser quasiment par deux la masse d'un satellite pour la même mission. Les besoins en termes de capacité d'emport sont donc susceptibles de changer : un lanceur capable de lancer des satellites de 6 tonnes pourra, demain, avec une performance deux fois inférieure, lancer à peu près les mêmes satellites.
La troisième évolution sur laquelle il convient de s'interroger dans l'optique de la préparation du futur lanceur européen est le développement des constellations, qui peut changer potentiellement le besoin et le faire passer de la plus grande masse d'emport disponible au plus grand volume disponible sous la coiffe. Les satellites lancés en orbite basse le sont par grappe, et non par satellite unique, vers une trajectoire de transfert vers l'orbite géostationnaire. L'élément limitant dans la performance du lanceur est alors moins la masse des satellites que le volume disponible : il faut faire entrer le plus de satellites possible sous la coiffe.
À l'avenir, on envisage en effet dans le domaine des télécoms plusieurs méga-constellations, avec probablement des liaisons intersatellites laser. Se posera alors le problème du lancement par grappe, avec des stratégies très complexes. On essaie ainsi de remplir la constellation plan par plan, sans lancer trop de satellites pour des raisons assurantielles. Il y aura certainement bon nombre de satellites flexibles de la classe 3 tonnes, soit la moitié des gros satellites actuels. Je pense néanmoins qu'il y aura toujours une place pour de très gros satellites géostationnaires spécialisés, qui constituent la meilleure façon de distribuer du contenu sur un continent à un coût par unité d'information extrêmement faible.
Le corollaire dans le domaine de l'observation est aussi l'apparition de constellations d'observation de la Terre à très haute résolution, avec des fréquences de revisite très fortes, qui permettront de faire de la pseudo-vidéo ou d'avoir très rapidement accès à l'information dont on aura besoin, pas uniquement en matière de défense, mais aussi pour des applications de sécurité ou pour l'agriculture de précision. Je pense ainsi que les constellations optiques vont émerger très rapidement.
Il importe également de mentionner les satellites reprogrammables, tels qu'Eutelsat Quantum, qui peuvent être modifiés comme des caméléons en fonction des applications.
En ce qui concerne les constellations, une autre tâche sera dévolue aux lanceurs, dans la mesure où il faudra procéder à l'élimination des débris dans l'espace. On ne peut accepter l'idée d'avoir 10 000 satellites, dont des milliers qui ne fonctionnent pas, en orbite.
Le marché des satellites et des lanceurs va changer. Il y aura davantage de modèles, de différentes tailles, et il faudra disposer de lanceurs adaptés à ces différences.
J'interviens ici à la fois en tant que membre de l'Office et auteur des dernières notes produites par l'Office sur le spatial. Je copréside par ailleurs cette réunion, en remplacement de Cédric Villani. Bien évidemment, Cédric Villani est irremplaçable et je m'acquitterai de cette mission en toute humilité ; étant ancien chercheur de formation et ayant pratiqué le rugby pendant une quinzaine d'années, j'ai appris l'humilité dans des conditions parfois difficiles.
Plus sérieusement, je voudrais vous remercier pour la qualité de vos interventions, très riches et complètes, partant d'un exposé des grands enjeux pour terminer par des applications concrètes. La présence de l'ensemble de la chaîne dans ce débat est importante. Je tiens également à souligner le climat de confiance et de sérénité dans lequel se déroulent les échanges.
Je souhaiterais pour ma part revenir sur quatre points.
Le premier aspect que j'aimerais creuser avec vous concerne la question de savoir comment les différents acteurs que vous êtes envisagent le projet de création d'une armée de l'air et de l'espace présenté par le Président de la République le 13 juillet dernier, avec la notion d'un grand commandement de l'espace. Quelle est votre vision en la matière ?
Lors des travaux que j'ai conduits, j'ai par ailleurs pris conscience d'un point particulier relatif à l'impact environnemental des débris présents dans l'espace. Comment gérer cette situation dans le futur ? Avec quelles règles et quelle approche ? Cette question, qui concerne l'ensemble des acteurs au niveau mondial, me paraît être un sujet majeur.
Mon troisième point est relatif à l'impact du Brexit sur la question spatiale.
Je souhaiterais enfin en savoir un peu plus sur les relations au sein de l'écosystème entre les industriels traditionnels, en place depuis très longtemps, les start-up, les boosters, etc. J'ai par exemple été très intéressé par la présentation d'i-Sea, qui propose des services remarquables en termes d'applications, auxquels je suis particulièrement sensible en ma qualité de membre de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale et en tant que l'un des trois parlementaires siégeant au conseil national de la transition écologique. Cet échange sera par ailleurs certainement l'occasion de donner la parole à M. Julien Cantegreil, spécialiste des start-up dans le domaine de l'espace. Cette relation entre les différents acteurs m'interroge beaucoup, avec l'idée de savoir comment penser les applications satellitaires de demain et à quelle échéance. Dans le cadre de l'action publique quelle qu'elle soit, nous réfléchissons souvent à des horizons de plusieurs dizaines d'années. J'ai ainsi été rapporteur de la loi d'orientation des mobilités (LOM), dans laquelle nous avons défini des trajectoires jusqu'à 2040. Comment voyez-vous les choses dans votre domaine ?
La création d'une armée de l'air et de l'espace est plus qu'un projet : la ministre des armées est en effet venue au CNES le 7 septembre 2018 pour poser les grandes lignes de cette ambition, précisée par le Président de la République à l'hôtel de Brienne le 13 juillet dernier et dont les modalités ont été annoncées par la ministre des armées le 25 juillet suivant à Lyon. Dès le 1er septembre, le grand commandement de l'espace a été mis en place et est en train de se constituer sur le site toulousain du CNES.
Je pense qu'il s'agit d'une inflexion tout à fait remarquable dans notre politique spatiale. Partout dans le monde en effet, l'ambition d'avoir des satellites totalement dédiés aux questions militaires et bénéficiant des progrès de la technologie s'affirme. La France se trouve déjà dans une position remarquable en matière de spatial militaire, puisque nous disposons d'un programme spatial militaire doté de trois composantes principales, dont la composante « observation optique », qui a commencé avec le lancement du premier satellite Helios en juillet 1995. Quatre satellites Helios sont aujourd'hui en orbite, auxquels est venu s'ajouter CSO-1, lancé le 18 décembre 2018, véritable merveille technologique. Il représente ce que notre industrie spatiale sait faire de mieux et certainement le satellite d'observation militaire le plus performant au monde.
Au-delà, l'idée présidant à la constitution d'une armée de l'air et de l'espace est de rassembler sur un même site des compétences aujourd'hui dispersées et de développer des programmes qui vont utiliser en particulier les techniques de miniaturisation, pour couvrir de nouvelles missions. Comme vous le savez, un montant de 700 millions d'euros a été affecté à ces questions dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM). Ce programme est donc en train de démarrer, ce dont on peut vraiment se féliciter. En effet, des annonces similaires ont été effectuées par d'autres grandes puissances spatiales, sans que ceci ne se traduise encore dans les faits. La France est quant à elle allée extrêmement vite, puisque la ministre a lancé la réflexion en septembre 2018 et que, après neuf mois de travail acharné, le Président a pu définir et annoncer le 13 juillet 2019 une stratégie dont les modalités ont été précisées le 25 juillet, pour une mise en place du grand commandement de l'espace dès le 1er septembre. Le dispositif va monter en puissance et nous aurons, dans quelques années, un paysage du spatial militaire en France durablement modifié, grâce à cette remarquable initiative qui va permettre à notre industrie à la fois de développer des technologies qu'elle ne possédait pas et de valoriser les technologies mises au point par ailleurs. À cet égard, le fait que ce commandement soit installé au centre spatial de Toulouse du CNES montre bien que toutes les technologies que nous avons développées au cours des dernières décennies sont duales, ce qui fait probablement la force de notre secteur spatial, le civil profitant au militaire et inversement. Même si cet aspect dual n'est pas très souvent évoqué, dans la mesure où la communication porte généralement davantage sur les programmes civils que militaires, il est définitivement la signature de notre programme spatial.
Concernant la question des débris, il faut savoir que seuls 1 500 satellites sur les 4 000 actuellement en orbite fonctionnent. Cela signifie qu'il y a déjà 3 000 satellites en orbite qui sont des débris. Viennent s'ajouter 750 000 particules qui se promènent aussi dans l'espace. Par ailleurs, les constructeurs de mégaconstellations prédisent que leurs satellites seront fiables avec une probabilité de 70 % à 90 %. En d'autres termes, sur 10 000 satellites, jusqu'à 3 000 d'entre eux pourraient ne pas être fiables. Ceci n'est pas acceptable. La seule règle actuellement en vigueur est qu'un satellite ne peut rester plus de 25 ans sur son orbite après sa fin de vie. Ceci nous renvoie, pour les satellites lancés aujourd'hui, au moins en 2045, ce qui est beaucoup trop long et conduit à une multiplication des satellites dans l'espace. L'ESA est actuellement en discussion avec la Commission européenne pour l'instauration d'une nouvelle règle s'articulant autour de trois options :
- la première serait de disposer à bord d'un système automatique redondant qui, une fois la mission remplie, permettrait de désorbiter le satellite ;
- la deuxième consisterait, dans le cas d'une impossibilité de mettre en oeuvre la première alternative, en une nécessité pour l'entreprise d'avoir recours à un service tiers pour évacuer le satellite ;
- la troisième enfin serait que l'entreprise effectue un dépôt auprès d'une agence en laquelle on aurait confiance, afin que, dans le cas d'une impossibilité pour l'entreprise d'enlever le satellite de l'orbite, on trouve le moyen de le faire revenir sur Terre.
Il m'apparaît très important d'étudier cette question, afin de formuler des suggestions permettant d'éliminer à l'avenir les débris présents dans l'espace.
Sur cette question de la gestion de la fin de vie des satellites, je pense que l'on peut saluer l'action de la France, pionnière dans ce domaine avec la loi sur les opérations spatiales (LOS), qui impose, pour tous les satellites lancés à partir de 2020 ou 2021, des conditions drastiques de retour sur Terre ou de désorbitation.
Pour ce qui est de l'armée de l'air et de l'espace, je crois que nous, industriels, ne pouvons que saluer la décision courageuse de la ministre des armées et du Président de la République de reconnaître enfin que l'espace est un milieu de conflit. Nous avons en effet, dans ce domaine, vécu pendant très longtemps sur l'idée contraire, exprimée dans le traité sur l'espace de 1967. Or cette nouvelle vision permet de franchir un pas dans la reconnaissance d'une situation qui apparaît comme une évidence.
Du point de vue industriel, nous avons de nombreux éléments à proposer pour répondre à de nouveaux besoins, le premier d'entre eux, qui constitue la base même de l'activité, étant la surveillance de l'espace. Tout un travail reste à mener pour développer les bons outils. Thales a d'ailleurs déjà des choses à proposer dans ce domaine.
Le deuxième domaine à considérer est celui de l'action dans l'espace, consistant par exemple à s'approcher d'un satellite qui pose problème et éventuellement à le brouiller ou l'aveugler sans créer de débris supplémentaires, pour annihiler son action. Thales dispose là aussi d'éléments à proposer.
Enfin, au niveau terrestre, au-delà de la cybersécurité et de tous les moyens au sol gérant les satellites, il faudra installer, certainement à Toulouse, un centre de commandement et de contrôle ayant vocation à « ingurgiter » toutes les données venant des outils qui regardent l'espace, les accepter et les traduire pour l'opérateur militaire sous forme d'informations intelligibles, lui donnant une situation spatiale. Ceci doit s'effectuer dans le cadre d'un centre de commandement et de contrôle dédié, comme il en existe les prémices au commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) du Mont-Verdun, susceptible de transmettre à l'opérateur militaire des alertes concernant l'activité dans l'espace, l'informer par exemple qu'un engin se rapproche de l'un de ses satellites stratégiques.
Je suis entrepreneur et ai commencé ce projet aux États-Unis il y a près de quatre ans. SpaceAble est désormais une société française d'une vingtaine de personnes, entre Paris et Toulouse. Nous avons levé des fonds déjà deux fois et souhaitons rester en mode « confidentiel » encore quelques mois. Nous nous intéressons à l'environnement spatial et travaillons à fournir une réponse à la problématique précisée précédemment par M. Wörner concernant la fiabilité des constellations, car nous estimons que les constellations ne sont pas suffisamment fiables. En pratique, nous proposons une « disruption » de l'approche en matière de SSA (Space Situational Awareness, connaissance de la situation spatiale) pour donner une meilleure information aux acteurs de l'espace sur l'état de leurs objets spatiaux et de l'environnement. Nous rencontrons donc naturellement une thématique de surveillance rappelée par M. Hancart.
En tant que société, SpaceAble rencontre des enjeux représentatifs de ce que vivent beaucoup de start-up. Je souhaiterais donc formuler quelques remarques issues de notre expérience particulière pour souligner une évolution profonde des start-up spatiales. Il existe aujourd'hui, comme le mentionnait M. Roussel, des GAFA spatiaux, ce qui est extrêmement motivant au quotidien : ce n'est plus une ambition abstraite. Mais cela intervient dans un contexte très particulier et compliqué, caractérisé par l'émergence de services pour l'espace depuis l'espace, une verticalisation considérable de la concurrence, une thématique nouvelle sur les constellations d'orbite basse à plusieurs altitudes, et une forte dualité. Pour une start-up, la concurrence mondiale est donc forte, frontale et immédiate. Ceci est notre réalité quotidienne et constitue une nouveauté par rapport à la situation préexistante.
Le premier point est lié à la professionnalisation des équipes. Étant moi-même ancien cadre dirigeant d'une société du CAC40, je vous confirme que l'activité des start-up n'a rien à voir avec celle d'une société traditionnelle. Je pense par ailleurs que les bonnes start-up spatiales aujourd'hui n'ont pas grand-chose à voir avec celles d'il y a quelques années. À titre d'exemple, au-delà du travail de notre équipe d'ingénierie, basée à Toulouse, les deux tiers de notre activité passent par des technologies et des enjeux qui ne relèvent pas de l'ingénierie spatiale au sens traditionnel. Le niveau standard des profils dans la société beaucoup est plus « capé », beaucoup plus cher, que cela aurait probablement été le cas auparavant. L'assemblage des compétences est lui aussi assez nouveau pour une société spatiale. Ceci traduit une professionnalisation considérable des start-up aujourd'hui : on ne se situe absolument plus dans le cadre de l'industrialisation d'une fin de thèse ou d'une société issue de l'essaimage (spin-off), qui prend quelques années pour advenir.
Le deuxième point est lié au financement. Faire émerger une société comme SpaceAble m'a demandé quinze ans de travail. Ainsi, lorsque l'on arrive aux questions de financement externe, on a déjà une valorisation élevée, ce qui rend inutile l'emploi des modes traditionnels de financement d'amorçage. Pour le développement, nous ne pouvons pas aller vers des fonds français d'amorçage ou Séries A classiques, qui comprennent souvent mal comment financer du hardware, ni vers du capital-risque des grands groupes (Corporate venture capital), dans la mesure où les grands groupes français potentiellement intéressés seront plus tard, je l'espère, des partenaires, mais a priori sont, jusqu'à plus ample informé, des compétiteurs et ne peuvent donc ni connaître notre plan d'affaires (business plan) ni figurer au conseil d'administration (board). Nous attendons ardemment le fonds du CNES afin de pouvoir un jour utiliser ce mode de financement mais il n'est pas encore opérationnel. Nous n'entrons pas non plus encore dans le cadre des super-financements annoncés récemment, de plus de 100 millions d'euros. Donc que nous reste-t-il ? A priori, trois solutions. Il nous reste des investisseurs individuels riches, passionnés par l'espace, qui n'ont pas de limite dans le financement qu'ils peuvent nous octroyer. Le soutien de la BPI est également fondamental. Enfin les financements américains, dans la mesure où les clients sont essentiellement américains et où les bons fonds d'investissement ont un accès vers les GAFA et surtout une très grande compétence dans le spatial que nous recherchons pour perfectionner nos partenariats technologiques. Les conséquences de cette situation sont multiples. Nous sommes en quête de confidentialité ; nous n'avons aucun intérêt à présenter nos activités ici ou là. Nous rencontrons en France un problème considérable avec les pratiques de certains acteurs en matière de protection de la propriété intellectuelle. Nous travaillons, par définition, uniquement sur des stratégies exponentielles (scalable), sans quoi nous ne sommes pas financés - notre stratégie ne peut donc pas consister à vouloir être racheté à court terme. Enfin, nous avons comparativement, pour l'avoir déjà pratiqué, un niveau d'exigence extrêmement élevé en matière de reddition de compte (reporting) et de suivi.
Le troisième point est lié à nos attentes. Nous nous sommes installés en Europe, en particulier en France. Pourquoi ? Parce que l'Europe c'est le souci de l'environnement et des services dans l'espace. La France, c'est le souci des start-up, l'excellence académique en matière d'intelligence artificielle (IA) ou de cryptographie, un écosystème industriel très fort, avec un rôle majeur du CNES.
Nous attendons trois choses spécifiques. Lorsque l'on se lance dans une activité de services dans l'espace proche, on a tout d'abord besoin d'une assurance sur les règles de fonctionnement en orbite : aux États-Unis, l'Agence pour les projets de recherche avancée de défense (Defense Advanced Research Projects Agency - DARPA) prend son rôle très à coeur en matière de service en orbite (in-orbit servicing) et d'élaboration de standards internationaux. Il est très important que la France s'engage dans cette démarche et qu'elle puisse nous assurer fiabilité, défense de nos intérêts et prévisibilité dans ce domaine.
Le deuxième point majeur pour nous concerne les données (data). M. Roussel a parlé de « marché sectoriel » : nous souhaiterions ainsi avoir un accès privilégié aux data européennes, qui sont l'une des forces de l'ESA, comme l'a bien rappelé M. Wörner.
Le troisième point d'attention majeur renvoie aux modalités de traitement des dossiers, des aides et des subventions. Avec un acteur institutionnel, on a pu expérimenter dans un cas une attente de plus d'un an pour obtenir un résultat à peine concret, tout en ayant dû livrer au préalable un nombre considérable d'informations. Le temps et la confidentialité sont nos priorités.
En conclusion, la force du modèle américain réside dans le fait que les start-up font intégralement partie de l'écosystème. Elles ont des revenus faibles, mais un impact considérable sur l'industrie. Dans un écosystème, il faut des grands groupes, des agences, mais aussi des start-up dont le rôle est de travailler sur une prise de risque forte, de faire preuve d'une agilité inédite, de faire baisser les coûts standards et de tenter des marchés nouveaux. Cela suppose des autorisations, une confiance et une rapidité de l'aide. Il existe aujourd'hui plus de 850 start-up aux États-Unis, dont 200 environ vraiment intéressantes, et parfois leaders sur leur marché. En France, elles sont extrêmement peu nombreuses. L'idée serait donc de travailler sur ces différents paramètres pour qu'émerge une masse légèrement critique. Il existe, sur ce secteur de l'orbite basse et du service aux constellations, des choses qu'une start-up peut faire d'un point de vue monopolistique et complet. SpaceX montre que nous aurons des GAFA de l'espace. Son exemple rappelle qu'aider les start-up peut certes gêner les intérêts de tel ou tel au début mais qu'à terme, tout l'écosystème en bénéficie.
Nous avons créé ArianeWorks avec le CNES voici quelques mois, dans le but d'accélérer la démarche. Nos grands groupes se voient en effet souvent reprocher une certaine lenteur, une inertie bureaucratique susceptible de freiner l'innovation. Nous avons donc souhaité, avec ArianeWorks, aller plus vite et être capables d'impliquer des start-up, réputées pour leur agilité, leur rapidité dans l'apport de solutions. À titre d'exemple, lorsqu'ArianeGroup passe un contrat avec une société, ceci prend en général plusieurs mois. Or les start-up disposent de peu de temps pour contracter. Nous avons ainsi fait un effort dans ce domaine et sommes désormais en mesure de contracter en quelques semaines, avec la mise en place de processus adaptés à ce mode de collaboration.
L'une des difficultés que nous rencontrons dans le domaine des lanceurs tient au fait qu'il s'agit d'un marché de niche, même s'il est fondamental pour permettre à l'économie spatiale de se développer. Il n'est pas possible de faire vivre une start-up uniquement sur le business du lanceur. L'un des enjeux dans les start-up que nous sélectionnons pour travailler avec nous est de s'assurer qu'elles ne deviennent pas complètement dépendantes et puissent se développer dans des marchés connexes à celui des lanceurs, dans la mesure où nous ne saurons pas les nourrir à long terme.
Voici en quelques mots un témoignage de notre expérience relativement récente en matière de travail avec les start-up. Nous tâtonnons depuis des années et je pense que le petit modèle développé avec le CNES au travers d'ArianeWorks commence à démontrer ses bénéfices.
Lors de votre visite à Toulouse, Jean-Marc Nasr vous avait présenté des applications très diverses, dans le domaine de l'agriculture, de la défense, de la forêt, du cadastre. Les applications foisonnent dans absolument tous les domaines. Nous avons, pour créer un cadre dans lequel des start-up puissent se développer, inventé collectivement, dans le cadre du COSPACE, les boosters : il en existe sept en France, au sein desquels se rencontrent des acteurs du numérique, du spatial et de différents secteurs d'usage comme l'assurance, la mer ou la forêt. Ceci permet de générer des idées de nouvelles start-up, de nouvelles entreprises et les industriels fournissent des « goodies » (cadeaux), c'est-à-dire donnent accès à de l'imagerie, des outils en open source. Des fonds de Bpifrance peuvent en particulier être utilisés pour développer des preuves de concept des différents services.
Je n'oppose pas, pour ma part, les grands acteurs aux start-up. Quand Airbus exporte un satellite d'observation, le plus souvent notre client n'achète pas le satellite pour des raisons de prestige, mais pour développer des applications. Disposer d'un vivier de start-up est donc un atout lorsqu'il s'agit de trouver des acteurs pour coopérer avec des clients qui souhaitent acheter non seulement un satellite, mais aussi un certain nombre de services.
Nous avons eu la chance d'être labellisés pour un projet par un booster : ceci nous a demandé de faire l'exercice de définir notre marché, de savoir si nous avions de vrais clients et de commencer à travailler avec eux. Je pense que ce dispositif est certainement la méthode la plus performante si l'on veut développer un service utile et commercialisable. Les « goodies » nous ont en outre permis d'obtenir quelques images supplémentaires.
La manière dont je conçois globalement le développement de nos applications spatiales s'appuie sur un mode de coconstruction. Ceci peut paraître assez artisanal, mais nous savons faire énormément de choses en termes d'observation de la Terre. Il existe déjà des services européens qui produisent des cartes d'occupation du sol. Nous disposons d'un socle très important de données mises à disposition par l'ESA et le CNES. Il faut toutefois aller au-delà, ce qui nécessite de comprendre l'usage. En France et en Europe, lorsque l'on parle de biodiversité, on se réfère à des directives européennes, dans lesquelles un gestionnaire doit s'inscrire et qui doivent donner lieu à une reddition de compte (reporting) régulière. Nous travaillons ainsi vraiment dans un esprit de coconstruction, en nous intéressant au cas d'étude, à la question posée, et en y répondant en construisant le service avec le gestionnaire. Il faudrait pouvoir appliquer cette stratégie à l'échelle européenne. Or ce pas nécessite, pour être franchi, beaucoup d'investissements. Une telle démarche vaudrait toutefois la peine d'être menée, pour répondre à des problématiques générales comme l'érosion ; nous sommes en capacité de le faire, en tenant compte par ailleurs des éventuelles spécificités nationales. Des pilotes comme celui financé par le programme Coastal Erosion de l'ESA sont, de ce point de vue, très importants, car ils permettent de concevoir et de construire de telles démarches à l'échelle européenne.
Votre question concernait également les relations entre les grands groupes et les petites entreprises. Nous avons pu expérimenter ces liens, car nous sommes très ouverts sur la notion de partenariat, à condition bien évidemment d'y retrouver notre compte, c'est-à-dire de ne pas perdre notre identité et de pouvoir valoriser nos savoir-faire et notre expertise. Dans le cas de Telespazio, nous avons par exemple travaillé plutôt sur un partenariat scientifique, avec un partage de propriété intellectuelle pour aller vers un service ultra-performant. Peut-être prenons-nous ce faisant le risque de perdre un peu de notre savoir-faire, mais nous y gagnons l'avantage de pouvoir exporter ce service. Cette stratégie s'apparente à celle mise en place avec Airbus, dans le cadre d'un partenariat 100 % commercial qui va nous permettre de nous appuyer sur un réseau international pour vendre nos produits. Nous avons hâte d'activer ce partenariat, qui nous semble avoir un grand avenir dans la mesure où le marché des services de surveillance de l'environnement est mondial et où i-Sea y a assurément sa place. La plupart des start-up travaillant dans les domaines de l'environnement et de l'agriculture peuvent vraiment déployer très largement leurs services.
Permettez-moi d'ajouter un mot sur la question des start-up. Je pense qu'il est important d'avoir une chaîne très longue : il faut commencer l'information dès l'école, pour que les jeunes connaissent les possibilités de création d'entreprise. Ceci doit se poursuivre à l'université. L'ESA met en place des « ESA labs » dans les universités, dont HEC par exemple, pour créer des interactions entre les étudiants et le secteur spatial. L'étape suivante se déroule au niveau de nos incubateurs « ESA BIC » (Business Incubation Centers) qui ont déjà été mentionnés : il en existe plusieurs en France. 700 nouvelles entreprises ont ainsi été créées au total en Europe, avec un taux de succès de 80 %. Je considère que ce taux est bien trop élevé et révèle que nous ne prenons pas suffisamment de risques. Les entreprises que nous aidons au travers de ces incubateurs reçoivent peu d'aides financières, mais elles peuvent recevoir de l'aide de nos experts, un accès à nos connaissances et à des plateformes ouvertes d'innovation. Cela leur donne des sources d'inspiration pour des nouvelles applications satellitaires, telles que la mesure de la quantité de plastique présente dans la mer ou l'écoute des sons émis dans l'espace. Ces entreprises bénéficient également de l'image de marque des « ESA BIC ». Une autre étape est celle des PME : il faudrait que la chaîne ne s'arrête pas aux jeunes entrepreneurs, mais accorde aussi des traitements spéciaux aux PME, de manière à ce que tous ces acteurs coexistent. Ceci fait partie du programme des activités de base de l'ESA.
L'Europe spatiale est touchée par le Brexit de façon différenciée. Au niveau de la Commission européenne, le Royaume-Uni est en train de quitter les programmes. Nous avons ainsi mis en place un certain nombre de dispositions dont la plus visible est probablement le transfert en Espagne de l'un des deux centres de contrôle Galileo, qui se trouvait à Swanwick au Royaume-Uni. L'Agence spatiale européenne (ESA) est toutefois une organisation intergouvernementale, si bien que le Royaume-Uni va en rester membre. La situation aura bien évidemment un impact sur le positionnement de l'industrie britannique, mais il n'y aura de mon point de vue pas de spécificité liée à l'espace : l'industrie britannique va devoir fonctionner dans le cadre du Brexit. Pour ce qui est de la façon dont les contrats pourront être passés entre les agences, le Royaume-Uni sort donc des programmes de la Commission européenne, mais reste dans l'ESA. Pour certains programmes impliquant à la fois la Commission et l'ESA, la situation sera sans doute un peu compliquée. Les différents responsables me semblent toutefois avoir suffisamment d'imagination pour parvenir à trouver une solution.
En écoutant la présentation de M. le directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA), j'ai été particulièrement intéressé par l'étude concernant le consentement à payer les technologies spatiales, qui montre que les Français sont prêts à dépenser 172 euros par an, alors que les Européens envisageaient en moyenne d'investir 287 euros par an, soit un effort supplémentaire de 67 %. Cette frilosité des Français m'a interpellé et je voulais savoir si l'enquête d'opinion avait essayé de comprendre les raisons des écarts observés entre pays européens. Sont-ils dus par exemple à une méconnaissance de l'effet de levier généré par les technologies spatiales sur l'économie et l'emploi, à un manque de visibilité des bénéfices des applications que nos concitoyens utilisent pourtant au quotidien ou à des cultures scientifiques et technologiques différentes d'un pays européen à l'autre ? Si toutefois cette étude n'a pas examiné ces éléments, quelles sont selon vous les hypothèses possibles expliquant ces écarts ? Plus généralement, y a-t-il encore un effort à consentir en France pour communiquer davantage et mieux faire connaître et promouvoir les technologies spatiales ?
Ces résultats différents, sur les montants que les Européens estimeraient raisonnables de consacrer à la politique spatiale, m'ont également beaucoup intéressé. Je n'ai pas d'explication à apporter aux écarts constatés. J'observe seulement que tous les Européens ont une estimation très éloignée des 8 euros réellement dépensés par an et par citoyen. Ces résultats concernant la France peuvent être surprenants, compte tenu de la popularité de l'astronaute Thomas Pesquet.
L'an dernier, nous avons par ailleurs mené une enquête pour savoir combien les personnes interrogées pensaient avoir payé au titre des activités spatiales. Ce qui est intéressant, c'est que la réponse en France était cette fois-ci conforme à la moyenne des réponses.
Ces sondages ont été effectués sur un échantillon de plus de mille personnes par pays.
Si l'on en revient aux faits, on observe que notre pays est le deuxième au niveau mondial en termes de dépense par an et par habitant. Les États-Unis consacrent environ 50 euros par an et par habitant à l'espace, sachant que le pays compte quelque 320 millions d'habitants, tandis que la France dépense 37 euros par an et par habitant. L'année prochaine, cette somme passera à environ 40 euros si le Parlement vote le budget en cours, soit au total 2,7 milliards d'euros pour le CNES, ce qui est considérable, mais néanmoins très en deçà des prises de position spontanées enregistrées dans les sondages. Ceci dit, la plupart des enquêtes identiques montrent que la population vise toujours plus haut que la réalité, car elle a l'idée que la politique spatiale coûte très cher ; or les sommes réellement engagées sont beaucoup plus prosaïques.
Il est très difficile pour un citoyen d'effectuer de telles estimations. Il m'arrive moi-même parfois de découvrir certains chiffres avec surprise. Nous présentions par exemple cet après-midi à la commission des finances du Sénat le budget de l'enseignement scolaire jusqu'au baccalauréat, qui représente 1 200 euros par an et par Français, ce que tout le monde ignore.
Nous avons la chance d'avoir une salle riche en personnes expertes en enjeux spatiaux, et ceux qui souhaitent participer aux échanges seront les bienvenus.
La société Sodern, dont je suis directeur général adjoint, est une petite ETI (entreprise de taille intermédiaire) située dans le Val-de-Marne. Je souhaiterais apporter un éclairage complémentaire à ceux qui viennent d'être présentés et évoquer les équipementiers français. Sodern est l'un d'entre eux, aujourd'hui leader sur le marché mondial : nous équipons ainsi un tiers des satellites actuellement en orbite, quel que soit le pays à l'origine du lancement. Mon commentaire, en lien avec le conseil ministériel de l'ESA, concerne la difficulté pour les équipementiers français de bénéficier du retour géographique une fois que les maîtres d'oeuvre français, qui sont comme chacun sait les meilleurs en Europe, ont été servis. Il s'agit d'un point de vigilance particulier, d'autant que le budget de 2,5 milliards d'euros mentionné précédemment nécessite de procéder à des choix, des arbitrages par rapport aux niveaux identifiés par le CNES et les industriels en début d'année.
Je souhaite enfin revenir sur le lien avec les enjeux de défense, pour souligner qu'un certain nombre de programmes de l'Agence spatiale européenne (ESA) auxquels il a été fait référence ont des synergies avec des enjeux de défense pour la France : je pense par exemple à des caméras, des capteurs et autres équipements qui, développés dans le cadre de programmes comme Mars Sample Return ou relatifs à la désorbitation d'objets, peuvent également présenter un intérêt pour le ministère des armées. Il s'agit d'un sujet sur lequel les équipementiers sont attentifs et vigilants.
Mon témoignage, qui offre la vision d'une ETI, se veut complémentaire des précédents, tout comme les PME et ETI françaises sont peut-être le chaînon manquant entre les start-up et les grands groupes.
La France a en effet la chance de disposer de grands maîtres d'oeuvre et d'équipementiers qui se situent au meilleur niveau mondial, en quantité - M. Dedieu a rappelé la performance de Sodern à l'exportation -, mais aussi en qualité : le sismomètre SEIS déposé par la sonde Insight sur Mars a ainsi été développé par Sodern. Il s'agit là d'une compétence unique au monde, que de nombreux pays nous envient.
La question du retour géographique est très importante. Cette règle est inscrite dans notre convention constitutive, qui est un traité international signé en 1975. Sans cette règle, certains pays comme la France, l'Italie ou l'Allemagne seraient certainement gagnants. Mais certains pays comme l'Estonie n'auraient rien. Grâce à cette procédure, tous les pays peuvent obtenir quelque chose. L'ESA essaye au maximum de faire en sorte que le retour géographique soit aussi proche de 100 % que possible pour tous les pays. Ainsi, la France a un retour très proche de 1. Ceci constitue une base pour une compétitivité européenne. Grâce à ce régime, il existe en effet une véritable concurrence, ce qui est extrêmement positif. En tant qu'Européen, je considère que ce retour géographique est un bon instrument.
Concernant l'utilisation duale, l'ESA travaille avec des objectifs exclusivement pacifiques, selon les principes énoncés dans sa convention, ce qui n'empêche pas que les technologies développées dans ce cadre puissent être utilisées à d'autres fins par d'autres acteurs.
Les États-Unis sont parfois cités comme un exemple de pays plus performant que l'Europe, car on considère qu'il n'y a pas de retour géographique. Or il ne faut pas être naïf : il existe un retour géographique aux États-Unis aussi : le meilleur exemple est sans doute à trouver dans le fait que les États-Unis entretiennent le cosmodrome de Wallops Island en Virginie parce que, pendant des années, la sénatrice de Virginie, Barbara Mikulski, a été à la tête de la commission des appropriations du Congrès américain. Cette implantation ne fait pas écho à un impératif économique : les fusées pourraient être lancées à moindre coût depuis la base de Cap Canaveral. Ceci témoigne donc d'une forme de retour géographique.
Constater que nos challengers ont les mêmes défauts que nous est toujours un vrai bonheur.
Il a été beaucoup question aujourd'hui des maîtres d'oeuvre et un peu des PME. Nous avons envisagé, dans la contribution que nous avons apportée à votre brillante note scientifique sur « Les satellites et leurs applications », la nécessité d'aider les PME, de leur donner un petit avantage. Vous avez repris dans votre texte certains éléments, autour des notions de cloud souverain et de capacités de calcul. Nous avons toutefois le sentiment que vous n'êtes pas, dans votre conclusion, allé jusqu'au bout de la démarche, puisque vous n'y avez pas demandé aux acteurs qui peuvent travailler ensemble, c'est-à-dire la Commission européenne et l'ESA, d'aboutir à une définition d'un cadre juridique et règlementaire quelque peu protecteur. Qui possède par exemple les données ? Je pense que les contribuables européens qui interviennent financièrement via l'ESA et la Commission européenne aimeraient avoir un retour maximisé de ces investissements et qu'une démarche de protection pourrait sans doute aider les PME. Vous avez invité les divers acteurs à travailler ensemble, mais sans véritablement indiquer de direction forte. Pourquoi n'êtes-vous pas allé jusqu'à cette recommandation ?
La note à laquelle vous faites référence a été rédigée dans un esprit d'éclairage de la représentation nationale. Il ne s'agit clairement pas d'un document de décision. Votre remarque est intéressante car elle pose finalement la question plus globale du protectionnisme, qui peut bien évidemment être débattue. J'aborderai d'ailleurs ce sujet dans les échanges que je dois avoir avec la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation avant l'échéance du 27 novembre. Nous avons fait le choix dans cette note de ne pas être plus incisifs, dans la mesure où ce travail avait vocation à éclairer la situation, à favoriser la réflexion compte tenu de ce que nous avons pu percevoir et comprendre des nombreuses interactions que nous avons eues avec vous tous. L'idée est maintenant de partir de ce type de document pour pouvoir appréhender ces sujets au sein de la représentation nationale et avec les cabinets ministériels concernés.
Il faut comprendre que l'Office parlementaire est une instance commune à l'Assemblée nationale et au Sénat, ce qui rend les prises de position relativement difficiles. Autant nous sommes très libres, ouverts et disponibles pour présenter l'état d'une situation, autant nous nous contraignons à ne pas donner à tout prix d'orientation, sauf évidemment lorsque nous sommes face à une évidence scientifique. Il appartient en effet aux commissions respectives des deux Chambres de prendre position. L'exercice est parfois quelque peu frustrant pour nous et l'est sans doute plus encore pour nos invités, qui pensent, par leurs interventions, contribuer directement à la décision. En réalité, ils y participent, mais en préparant la maturité du public qui va prendre la décision. Nous refusons de décider à la place des institutions. Je suis un parlementaire confirmé, attaché au fonctionnement du Parlement, c'est-à-dire à la prise de décision par le vote. Le fait d'avoir un organisme commun nous permet de ne pas tenir de discours contradictoires, d'avoir une économie de structure et pour vous de ne pas être obligés d'expliquer deux fois la même chose. Nous échangeons ensuite avec nos mandants respectifs et pouvons, pour des raisons diverses et variées, ne pas avoir au final le même point de vue. Ceci explique que nous nous en tenions la plupart du temps à des descriptions, qui nous apparaissent comme le préalable indispensable à toute décision.
Je commencerai ces quelques propos conclusifs en soulignant qu'un compte rendu de cette table ronde va être rédigé et qu'une synthèse et des conclusions seront examinées par l'Office le 7 novembre prochain. Un rapport sera ensuite publié, en temps utile avant le conseil ministériel de l'ESA.
Je rappelle que nous avons travaillé cette année, dans la perspective notamment de cette réunion de novembre, sur les lanceurs, l'exploration de Mars ainsi que sur les satellites et leurs applications, afin de participer à l'éclairage de nos collègues.
Je tiens à vous remercier une fois encore pour la qualité des échanges qui ont émaillé cette audition. Nous avons pu sentir l'expression de points de convergence, ce qui me semble très important.
Je me permets, en notre nom à tous, de souhaiter bonne chance au prochain lanceur Ariane 6. Nous espérons que les derniers obstacles vont être franchis, afin de continuer à assurer de façon compétitive notre autonomie d'accès à l'espace.
Je me réjouis de la multiplication des applications utilisant des données spatiales, dans tous domaines, que ce soit pour les collectivités publiques, les entreprises ou les particuliers.
J'ai, vous l'aurez compris, une sensibilité particulière vis-à-vis des questions environnementales. La transition écologique et solidaire a aujourd'hui cessé d'être une option, pour devenir une obligation qui s'impose à chacune et chacun d'entre nous à titre individuel, mais aussi professionnel et collectif. Nous devons aller vers une réduction de l'impact environnemental de toutes nos activités. Or le spatial a un rôle important à jouer dans ce domaine. L'exemple d'i-Sea était, de ce point de vue, particulièrement remarquable, au point que je vais, en tant que membre du bureau de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, proposer votre audition devant cette instance, car je pense qu'il est intéressant que les collègues prennent connaissance des actions que vous menez. Ceci pourrait d'ailleurs donner lieu à l'organisation d'une table ronde réunissant d'autres acteurs travaillant sur ces mêmes sujets.
J'ai également été très intéressé par la mesure du dioxyde de carbone anthropique. Je me réjouis d'entendre les annonces d'une réduction de ces émissions de l'ordre de 20, 30 ou 40 % à des échéances données. J'ai moi-même contribué à renforcer la loi d'orientation sur les mobilités (LOM) par voie d'amendement sur de nombreux aspects en lien avec ces questions, puisque je suis l'auteur des amendements situant à 2040 la fin des énergies fossiles. Nous avons des objectifs et j'apprécie, en tant que scientifique, que les évolutions soient mesurées. J'espère par conséquent que nous parviendrons à disposer d'applications qui nous permettront de procéder chaque année à des mesures rigoureuses et précises relativement aux objectifs poursuivis, afin d'observer les évolutions. Ceci m'apparaît comme le meilleur moyen de sensibiliser, de rassurer et d'agir.
Je pense aussi, en tant notamment que président du conseil national de l'air, à la question des polluants de proximité. Il existe déjà des travaux sur ce sujet et je me réjouis que des applications soient en cours de développement dans ce domaine. Au niveau de l'accompagnement de notre agriculture, je crois que des applications sont déjà mises en oeuvre, même s'il reste encore beaucoup à imaginer et à faire. Il en va de même pour les mobilités : les représentants de la SNCF nous ont par exemple expliqué qu'il serait possible de faire circuler 20 % de trains en plus sur les lignes en améliorant le guidage des trains.
Dans ce monde de ruptures technologiques et de concurrence mondiale, il m'apparaît hautement nécessaire de maintenir un fort niveau d'investissement, afin de conserver le leadership scientifique et industriel de la France et de l'Europe. Au-delà des questions de compétitivité, j'attache beaucoup d'importance à la notion d'image. Je me permets ainsi d'attirer votre attention, en tant qu'ancien chercheur ayant occupé des fonctions politiques dans un établissement d'enseignement supérieur français, où je m'occupais entre autres des questions d'insertion professionnelle et de relations avec les entreprises, sur l'importance, grâce à une communication valorisant l'excellence de notre industrie spatiale, de donner envie à nos jeunes qui font des études scientifiques et s'intéressent par ailleurs au climat de travailler pour leur pays et pas nécessairement, une fois leur cursus terminé, de partir faire carrière à l'étranger. En tant que parlementaire qui vote le budget du pays, cette forme de « retour géographique », pour faire une analogie avec le domaine spatial, me semble là aussi importante. Il est essentiel, en communiquant autour de nos industries de pointe, de susciter chez nos jeunes l'envie de faire bénéficier l'ensemble de notre société de leurs connaissances et de leur matière grise.
Je trouve en outre important de soutenir la contribution forte de la France au budget triennal de l'ESA. J'échange régulièrement sur ce sujet avec la ministre et son cabinet. J'ai ainsi eu l'occasion de leur signifier que les 2,5 milliards d'euros dont il est question m'apparaissaient comme un plancher plutôt que comme un plafond.
Je considère également qu'il n'est pas interdit de s'interroger sur l'opportunité d'une éventuelle simplification de la gouvernance de la politique spatiale. Certaines évolutions sont à prévoir.
Il importera enfin de porter une attention particulière aux PME et aux start-up.
Je terminerai en évoquant l'investissement de l'OPECST dans cette réflexion. Il me semble nécessaire que l'Office parlementaire poursuive le travail entrepris ces dernières années sur les questions spatiales, qui apparaissent comme un enjeu majeur. M. Roussel a évoqué en début d'audition la notion d'« équipe de France du spatial » : ayant l'âme sportive, j'ai été particulièrement sensible à cette formule. Même si je crois que l'OPECST n'a pas vocation à intégrer cette équipe, il me semble qu'il peut en être un partenaire à la fois exigent et bienveillant. C'est la raison pour laquelle je me permets de suggérer, en accord avec le président, que ceci se traduise a minima par l'organisation chaque année d'une table ronde similaire à celle qui nous a réunis aujourd'hui, décorrélée de dates et enjeux particuliers et permettant de poser tous les sujets et de bénéficier des regards de l'ensemble de la chaîne, depuis le lanceur jusqu'aux applications. Un tel rendez-vous pourrait en outre contribuer à renforcer la cohésion de l'équipe, qui représente comme chacun sait un élément extrêmement important.
Merci à toutes et à tous de votre présence et de votre participation à notre audition publique.
La réunion est close à 19 h 30.