Le 22 octobre dernier, nous avons entamé nos travaux avec l'audition de M. Éric Schnur, président-directeur général du groupe Lubrizol. Nous achevons nos travaux pour l'année 2019 avec l'audition de Mme Isabelle Striga, directrice générale de Lubrizol France et de MM. Laurent Bonvallet, directeur du site Lubrizol de Rouen, et Christophe Piérard, docteur en chimie analytique et environnement, manager-conseil sécurité sûreté environnement de Lubrizol France.
L'incendie de l'usine de Lubrizol de Rouen a créé de nombreuses inquiétudes par l'ampleur du panache de fumée, mais aussi par l'opacité sur les causes de l'incendie, sur les produits incendiés, sur les effets de cet incendie, sur l'effet cocktail des substances brûlées et sur le devenir de l'amiante qui avait brûlé. Alors que l'usine est désormais partiellement rouverte, les inquiétudes demeurent. Quelles mesures avez-vous prises en amont de cette réouverture, en matière notamment de sécurité et d'information ? Quelles adaptations préconisez-vous pour les sites Seveso en matière de formation du personnel, de sous-traitance et de sécurité incendie ? Il semblerait également que tous les dommages subis, notamment par les particuliers, ne seraient pas indemnisés : qu'en est-il ?
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Isabelle Striga et MM. Laurent Bonvallet et Christophe Piérard, prêtent serment.
Je suis directeur général de Lubrizol France et directeur manufacturing de Lubrizol pour les zones Europe, Afrique, Moyen-Orient et Inde. Je vous remercie de nous recevoir. Je me joins aux propos qu'Éric Schnur a tenus devant vous, afin d'adresser nos plus sincères excuses aux personnes qui ont été touchées par l'incendie du 26 septembre. Nous sommes profondément désolés pour l'émotion suscitée dans le territoire. Les centaines d'employés de Lubrizol à Rouen, dont nous faisons partie, ainsi que nos familles, appartiennent également à ce territoire.
De nombreuses questions relatives à la santé et à l'environnement ont été soulevées : nous le comprenons parfaitement et nous nous attachons à y répondre. Nous disposons aujourd'hui de plus de 124 000 résultats d'analyses en données chiffrées, tous rassurants, et nous poursuivons la surveillance. Depuis le 26 septembre, Lubrizol a veillé à maintenir le dialogue en invitant de nombreux interlocuteurs sur le site de l'usine : c'est ainsi que nous avons reçu les membres du comité de riverains ainsi que, à deux reprises, 200 maires de la métropole rouennaise et de Seine-Maritime. Nous avons également rencontré de nombreuses associations socioprofessionnelles et consulaires. Cette communication continuera en 2020, car la poursuite des échanges est essentielle pour nous, alors que les causes de l'incendie n'ont pas encore été déterminées et que nous continuons de penser que l'incendie s'est déclenché à l'extérieur de nos installations.
Nous avons répondu aux préoccupations des agriculteurs, des entreprises et des collectivités touchées par cet incident. Il y a plusieurs semaines, Éric Schnur est venu exprimer sa solidarité. Depuis, Lubrizol a mis en place, proactivement, des fonds d'aide d'urgence : c'est probablement la première fois en France qu'une entreprise apporte des aides aussi rapidement, sans même y avoir été contrainte.
Le 26 septembre restera à jamais gravé dans nos mémoires : en une nuit, les entrepôts ont brûlé et la réputation de l'entreprise a été balayée. Nos équipes, aux côtés des sapeurs-pompiers, se sont battues avec courage pour éteindre l'incendie. Grâce à elles, aucun blessé n'est à déplorer et nos installations de production sont intactes. Dès l'alerte donnée, nous avons enclenché notre processus de maîtrise des situations d'urgence, en lien avec l'administration. Depuis le 26 septembre, j'assiste quotidiennement à une mobilisation sans faille de nos salariés, de nos fournisseurs, de nos sous-traitants, de nos clients et de la société civile afin de construire le Lubrizol de demain. Dans les moments les plus difficiles, je pense à cette mobilisation et à tous nos soutiens qui nous donnent du courage : c'est parce que Lubrizol restera debout que nous pourrons préserver les emplois, aider notre territoire et, progressivement, restaurer la confiance. Je vous remercie pour le temps que vous nous accordez et nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions dans le respect des procédures en cours.
Je me présente à vous : je suis présent sur le site de Rouen depuis le 1er juin 2015 et dirige ce site depuis le 1er juin 2018.
Je suis docteur en chimie analytique et environnement. Je suis également sapeur-pompier volontaire et expert en risques chimiques pour le département de l'Eure. Enfin, je suis conseiller sécurité transport marchandises dangereuses déclaré pour Lubrizol France ainsi que conseiller sécurité sûreté environnement pour Lubrizol Europe, Moyen-Orient et Afrique. Je suis chez Lubrizol depuis mars 2011.
Vous avez tout d'abord parlé d'opacité, mais Lubrizol n'a pas pour habitude de travailler dans l'opacité. Ceux qui nous connaissent depuis de nombreuses années ont pu le constater, que ce soit les services de l'État ou nos riverains. Dans le cas d'un incendie comme celui que nous avons vécu, la principale difficulté réside dans la complexité des informations, qui incorporent ce qu'on peut appeler du « jargon métier » : cette technicité se manifeste en particulier à travers la publication de 479 fiches de données de sécurité dont certaines faisaient plusieurs dizaines de pages. C'est la raison pour laquelle, dès le premier jour, nous avons cherché à produire des données plus consolidées permettant de comprendre ce qui était en train de brûler. Nous avons notamment fourni une analyse des produits faisant apparaître leur composition en carbone, oxygène, hydrogène et soufre. Je précise que les produits comprenaient en moyenne 7 % de soufre : c'est un taux élevé qui explique les odeurs lors de l'incendie. Nous avons un système de gestion d'entrepôts qui nous permet de savoir très précisément quel produit est stocké et à quel endroit. Cela a facilité la transmission de la liste des produits.
L'un des deux bâtiments qui ont brûlé sur le site de Lubrizol datait des années 90 et avait un toit en fibrociment. Du fait de l'incendie et des températures élevées atteintes dans le foyer de l'incendie, le toit s'est effondré sur la zone incendiée. Certains morceaux de fibrociment subsistent dans les décombres et d'autres se sont envolés avec les fumées : on en a retrouvé à plusieurs centaines de mètres, emportés dans le panache. Nous avons donc, très rapidement, avec les services de l'État, mis en place un numéro vert et mandaté une entreprise agréée en désamiantage pour ramasser ces débris de fibrociment. Au départ, nous avons eu de nombreux appels, puis de moins en moins, et il reste deux ramassages programmés.
Le ramassage a été réalisé sous votre responsabilité et à votre demande, mais qu'a-t-il été fait des débris ainsi collectés ?
Ces débris collectés ont été ensachés et conservés pendant 80 jours avant d'être mis en décharge.
Il subsiste des morceaux de fibrociment sur le lieu de l'incendie. Nous allons établir un protocole avec la direction régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi (Direccte) pour les déblayer. Très rapidement, juste après l'incendie, nous avons procédé à des mesures - à 300 mètres, 800 mètres et jusqu'à 12 kilomètres du site - afin de vérifier qu'il n'y avait pas de fibres d'amiante dans l'air : les résultats n'en ont pas mis en évidence.
Monsieur Piérard, qui est docteur en chimie, peut-il donc confirmer, sous serment, qu'il n'y a pas de risque amiante en dehors du site aujourd'hui ?
Je peux confirmer que les résultats des analyses montrent que, sur le site, au plus proche de l'incendie, il n'y avait pas de fibres d'amiante dans l'air. Et les mesures que nous avons faites jusqu'à douze kilomètres, ce qui excédait la demande des autorités, montrent qu'il n'y a pas de risque amiante.
À l'issue du quatrième comité de transparence qui s'est tenu vendredi matin à Rouen, nous avons obtenu le feu vert du préfet pour reprendre une activité partielle sur le site. Nos équipes ont travaillé d'arrache-pied depuis le 26 septembre, et plus encore dans les trois dernières semaines, pour augmenter, au-delà des exigences réglementaires, la sécurité sur le site en ajoutant des moyens de détection et d'extinction là où il n'y en avait pas et en posant des murs de rétention. Cela nous met en capacité de reprendre les activités de mélange, qui ne s'accompagnent pas de réactions chimiques, et qui nous permettent à la fois de maintenir de l'emploi ainsi que de répondre a minima aux besoins de nos clients.
En amont de cette réouverture, nous avons reçu les riverains et les élus pour expliquer ce qui s'était passé et pourquoi nous étions en mesure de redémarrer une partie des activités. Nous voulions en effet tenir compte de l'inquiétude que nous sentions toujours présente. De nombreuses personnes auraient préféré que nous consacrions plus de temps au dialogue et aux améliorations ; c'est aussi ce que nous aurions souhaité, mais chaque jour, à partir de la mi-novembre, la viabilité du site diminuait. C'est pourquoi nous avons souhaité donner des garanties de sécurité renforcées pour pouvoir reprendre progressivement une activité.
Les circonstances de l'incendie et ses prolongements nous ont semblé d'autant plus injustes que nous avons toujours fait de la sécurité l'une de nos priorités. Nous consacrons près de 10 000 heures chaque année à la formation sur le site, dont 4 000 heures sur la maîtrise des situations d'urgence, avec des entretiens et des exercices réguliers avec les pompiers. Tout notre personnel est mobilisé pour aller très au-delà de ce qui nous est demandé : les fosses de rétention ont été très largement dimensionnées, les systèmes de détection été doublés voire triplés dans certains cas et les systèmes d'extinction ont tous été renforcés. Nous avons également repris toutes les formations avec nos opérateurs pour bien leur expliquer la mise à jour du plan d'opération interne (POI). Nous avons donc fait un effort tout particulier pour nous réformer.
La formation à la sécurité incendie est particulièrement importante pour les équipes de l'usine et notamment pour les équipes postées 24 heures sur 24. Lorsque l'incendie a été signalé, l'équipe était présente et elle a montré qu'elle était bien formée : elle a su, aux côtés du service départemental d'incendie et de secours (SDIS), lutter contre l'incendie et prendre les mesures de protection appropriées.
Je précise également que Lubrizol a recours à la sous-traitance depuis très longtemps, en particulier pour des métiers qui ne sont pas les nôtres - notre métier c'est la fabrication d'additifs pour huile moteur et boîte de vitesses -, comme la maintenance. Cela nous permet d'avoir des gens formés et de faire appel à des techniques dont nous ne disposons pas dans l'entreprise. Dans l'industrie chimique, nous faisons appel à des entreprises qui répondent au référentiel du manuel d'amélioration sécurité des entreprises (MASE) pour répondre aux exigences de la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, dite loi Bachelot : ces entreprises sont certifiées et leurs personnels sont habilités N1 ou N2. Ces formations doivent être régulièrement recyclées et nous enregistrons leurs dates de fin de validité. Nous dispensons également des formations spécifiques à notre entreprise pour le personnel des sous-traitants.
En ce qui concerne l'indemnisation des particuliers, il n'y a pas de fonds spécifiquement prévu. Nous avons mis en place un fonds pour les agriculteurs ainsi que les maraîchers et un autre pour les activités économiques et les collectivités, mais s'agissant des particuliers, ceux-ci doivent nous envoyer directement leurs demandes. Nous en avons reçu beaucoup après l'incendie, nous en recevons moins ces jours-ci. Notre service juridique traite chacune d'entre elles avec beaucoup d'attention.
Quelles sont vos relations avec Normandie Logistique ? Pourquoi des substances appartenant à Lubrizol étaient-elles stockées sur le site de Normandie Logistique ? Cette situation avait-elle été signalée aux services de l'État, avec le détail des substances et des quantités ? Quel contrôle Lubrizol effectuait-il sur ses stocks auprès de Normandie Logistique ?
Autre question : comment les entreprises de votre secteur distinguent-elles les produits combustibles des produits inflammables ? Lors de l'audition des dirigeants de Normandie Logistique, nous avons appris que leur stock était uniquement composé de produits combustibles. Par ailleurs, France Chimie nous a confirmé que vous deviez appliquer le principe de REACH (Registration, evaluation, authorisation and restriction of chemicals) qui vous oblige à prouver l'innocuité des substances. Êtes-vous en mesure de fournir à la commission d'enquête un dossier détaillé des garanties apportées par Lubrizol concernant les risques, substance par substance, conformément à l'application du principe de REACH ? J'imagine que vous avez déjà fourni un tel dossier détaillé à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) dans le cadre de votre demande de réouverture du site.
Normandie Logistique est un fournisseur de Lubrizol et nous faisons appel à cette entreprise pour stocker certains de nos produits conditionnés, matières premières ou produits finis. Tous les industriels peuvent stocker des produits chez des logisticiens et Normandie Logistique ne stockait pas uniquement des produits pour le compte de Lubrizol. Grâce à notre système de gestion d'entrepôt, nous étions attentifs à n'envoyer chez Normandie Logistique que des produits qui pouvaient y être stockés, c'est-à-dire des produits non couverts par la réglementation Seveso. En 2017, nous avons organisé une visite des installations de Normandie Logistique conjointement avec les services de l'État : les services de l'État étaient donc parfaitement au courant que Normandie Logistique était un fournisseur de Lubrizol.
Quel contrôle Lubrizol effectue-t-il sur ses fournisseurs ? Nous avons un processus de sélection de nos fournisseurs et nous les évaluons régulièrement via des audits ou des évaluations opérationnelles. En cas de dysfonctionnement ou d'améliorations à apporter, nous leur demandons des actions correctives. Par ailleurs, au moins une fois par an, nous réalisions un inventaire conjoint avec Normandie Logistique : nous avions donc accès à leurs locaux.
Je précise que le « point d'éclair », qui mesure la capacité d'un produit à s'enflammer, permet de distinguer les combustibles des inflammables.
Un combustible est une matière qui brûle en libérant de l'énergie : cette table, nos vêtements ou nous-mêmes, sommes des combustibles. Dans le règlement relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage, dit CLP (Classification, labelling and packaging), qui date de 2008, on met dans la « catégorie 4 » les produits liquides qui ont un point d'éclair entre 60° et 93° : ils sont considérés comme combustibles. Les produits que nous stockions chez Normandie Logistique avaient tous un point d'éclair supérieur à 60°.
Je souligne que plus le point d'éclair est élevé, et moins le produit brûle facilement car il lui faut atteindre de hautes températures.
Comment gère-t-on les produits combustibles, qui ont plus de mal à brûler, et les produits inflammables, qui s'enflamment plus facilement ? Cela correspond à différentes rubriques des installations classées pour la protection de l'environnement, avec des conditions de stockage différentes : les normes de détection, de rétention, etc. sont plus exigeantes pour les inflammables que pour les combustibles.
Concernant « Reach », il s'agit d'une réglementation européenne que nous avons appliquée de bout en bout en plusieurs années en préparant un listing de toutes les substances et un dossier que nous avons finalisé mi-2018.
Cette réglementation incite les industriels à mieux comprendre les risques attachés aux différents produits, sur lesquels des fiches de données de sécurité sont préparées, qui contiennent plus d'informations qu'auparavant. Reach se focalise surtout sur la santé et la sécurité au travail, avec des scénarios d'exposition, ainsi que sur l'environnement, avec des risques chroniques et des rejets qui pourraient être réguliers. Dans le cas de cet incendie, cette procédure a eu l'intérêt de nous apporter des fiches de données de sécurité étendues, comprenant une annexe sur la santé et la sécurité au travail ainsi que sur l'environnement. La Dreal en possède une copie et les fiches concernant le stock de produits bloqués ont été également publiées sur le site de la préfecture.
Le groupe américain a travaillé sur la totalité des fiches de données de sécurité des produits que nous manipulons et que nous produisons : l'ensemble a été mis en ligne et chaque salarié peut donc avoir accès à la fiche préparée par le fournisseur comme à celle de Lubrizol.
Je m'étonne que vous ayez bénéficié d'un accès libre au site de Normandie Logistique. Est-ce usuel ? Il nous a de surcroît été indiqué que les méthodes de comptabilisation divergeaient entre vos deux entreprises.
Nous n'entrions pas sur leur site librement, mais sur rendez-vous ; des camions - et non pas des chariots élévateurs - faisaient la navette d'un site à l'autre pour stocker ou rapatrier des matières.
Ce qui diffère entre les entreprises, en matière de recensement des stocks, c'est que nous disposons de notre progiciel d'entreprise qui gère un système de codes-barres permettant de tenir les inventaires à jour à chaque utilisation de produit dans un mélange ou dans une fabrication. Nous savions ce que nous stockions chez Normandie Logistique, mais pas précisément dans quel bâtiment ou dans quel emplacement, puisque nous ne géront pas nous-mêmes l'entrepôt.
La sûreté impose qu'il n'y ait pas d'accès libre : c'est un élément essentiel de notre stratégie. S'agissant d'un site Seveso, il n'y a pas d'accès incontrôlé ni chez nous ni chez qui que ce soit. Si nous allions chez notre voisin pour faire un inventaire ou vérifier un stock, c'était en toute transparence, après sollicitation de celui-ci.
Lorsque l'incendie s'est déclaré, des failles dans le dispositif anti-incendie ont été constatées, ainsi qu'une sous-évaluation du risque.
Lorsque cet « accident majeur » - et non pas cet « incident », comme vous le qualifiez - se déclenche, ce n'est pas un salarié de Lubrizol, mais de Triadis qui donne l'alerte. Le gardien de Lubrizol semble n'avoir pas pris la mesure du sinistre qui commençait ; les pompiers qui arrivent sur place sont pourtant étonnés par l'ampleur du feu.
Nous avons interrogé le colonel Lagalle sur la pertinence du système de sprinklers c'est-à-dire les installations fixes d'extinction automatique à eau - pour cet entrepôt contenant des substances cancérigènes, mutagènes, etc., il nous a répondu que c'était à Lubrizol de répondre. Qu'en est-il ?
Sans entrer dans tous les détails, la chronologie détaillée indique que plusieurs alertes ont été lancées de façon concomitante et pendant une durée très restreinte. Les pompiers ont été en effet étonnés par l'importance du feu, tout comme nos salariés qui sont venus faire une « levée de doute » : quand il a été identifié, le feu était déjà puissant.
Il nous manque toujours le relevé précis du fonctionnement des alarmes sur le site de Normandie Logistique pour reconstituer entièrement la chronologie : nous avons besoin, en particulier, de savoir si des alarmes signalant des intrusions ou un incendie se sont déclenchées chez eux. Nous disposons en revanche de notre propre listing de la totalité des alarmes qui se sont déclenchées chez nous dans la nuit du 26 septembre, qui a été fourni aux enquêteurs.
Les sprinklers avaient été installés dans le bâtiment A5, c'est-à-dire le plus grand des deux qui a brûlé. J'étais sur place à quatre heures quinze, alors que M. Bonvalet était déjà sur le site avec toute notre structure d'astreinte. Le bâtiment A5 était alors toujours sur pied et a été protégé pendant environ deux heures après le déclenchement des sprinklers. Le système est donc bien adapté à la protection du bâtiment, mais il se trouve que le feu se situait à l'extérieur et que les sprinklers ont été déclenchés à l'intérieur en raison de la hausse de la température. Le fait que les produits stockés aient des caractéristiques et des étiquetages différents ne nuit pas à la pertinence d'un système dimensionné pour éteindre un feu qui se déclarerait à l'intérieur du bâtiment.
Quelles conséquences allez-vous tirer de cette expérience pour la prévention des risques, pour vous-mêmes et vos prestataires ? Vous indiquez que le feu serait venu de l'extérieur, cela peut donc recommencer, comment vous protégez-vous ?
Par ailleurs, je suis élue de l'Aisne, dans les Hauts-de-France, et nos agriculteurs ont été très touchés par les conséquences de l'incendie. Ont-ils accès aux aides d'urgence que vous proposez ? Ils ont en effet subi un préjudice financier, moral et d'image. S'agissant de ce fonds d'aide exceptionnelle, pouvez-vous en communiquer le montant ?
Sur la prévention des risques et les enseignements que nous tirons de ce sinistre, nous avons mis en oeuvre un certain nombre d'éléments avant de reprendre partiellement l'activité. Nous nous sommes également engagés à ne pas reconstruire les bâtiments A4 et A5 qui ont été détruits. L'inventaire sur site est donc réduit de façon importante : cela n'a pas d'incidence sur la probabilité de dysfonctionnement mais cela réduit considérablement le risque potentiel à la source.
Nous avons mis en place des systèmes de détection supplémentaires en allant au-delà de la réglementation afin de déceler immédiatement un départ de feu et nous avons renforcé les systèmes d'extinction, y compris par le pré-positionnement de systèmes automatiques avec une possibilité d'action manuelle, afin de faciliter leur mise en service en cas de nécessité. De même, nous avons créé des rétentions, car plus la surface en feu est limitée, moins l'incendie est difficile à éteindre. Nous avons donc encore plus partitionné le site afin de créer des surfaces plus petites.
Nous n'avons pas encore tout compris de l'incendie, mais nous avons dialogué et échangé des données avec France Chimie et je suis intervenue auprès de l'association Mase, qui évalue les sous-traitants, afin que ceux-ci tirent également des enseignements de cet incendie. Le partage d'expérience a donc commencé et je suis certaine qu'il sera renforcé et formalisé.
S'agissant des agriculteurs et les maraîchers des Hauts-de-France, nous prenons en considération toutes les zones où la mise sur le marché des produits a été mise en restriction par les cinq arrêtés préfectoraux. Les agriculteurs et les maraîchers qui s'y trouvent peuvent soumettre leur demande pour les aides que nous avons mises en place. Ces fonds ont été ouverts de manière proactive par l'entreprise et nous traitons chaque jour des dossiers avec notre prestataire Exetech. Des règlements sont effectués au fur et à mesure et il est trop tôt pour évoquer un montant.
Que va-t-il advenir des activités qui ne se déroulent plus sur le site de Rouen ?
Il s'agit du conditionnement et du stockage de produits finis, qui seront effectués par d'autres entreprises. Nous avons conclu des accords en ce sens avec trois d'entre elles qui sont des fournisseurs et non pas des sous-traitants puisqu'ils n'interviennent pas sur notre site. Par le passé, les fabrications du site de Rouen partaient en vrac par camions-citernes ou - après conditionnement - en fût ou en conteneurs de mille litres vers les clients. Aujourd'hui, le vrac continue à partir chez les clients, mais des entreprises des environs - fournisseurs et non sous-traitants - s'occupent de la mise en bidon et du stockage du reste avant expédition.
Tout d'abord, je me souviens que les pompiers ont déploré la rupture en eau de votre réseau interne. Pourquoi cela s'est-il produit ?
Ensuite, je voudrais être certaine d'avoir bien compris : vous nous avez indiqué que la gestion de votre entrepôt vous permettait de savoir ce que vous stockiez, mais qu'il était difficile de porter à la connaissance de tiers ces informations qui ne sont intelligibles que pour des spécialistes. Quand les avez-vous fournies ?
Qu'en est-il du suivi de la santé de vos salariés, notamment de ceux qui ont été exposés aux fumées et aux suies ?
Enfin, les dirigeants de Lubrizol ont été très affirmatifs sur le fait que l'incendie ne serait pas parti de l'enceinte de Lubrizol. Pouvez-vous nous donner les éléments dont vous disposez à ce sujet ?
S'agissant du réseau d'eau, nous disposons d'un stockage d'eau incendie de 2 000 mètres cubes, ce qui correspondait aux besoins du site, et plus encore aujourd'hui puisque les volumes de produits ont été fortement réduits et représentent moins de 20 % des volumes antérieurs. Ces 2 000 mètres cubes d'eau ont permis de faire face au début de l'incendie mais nous luttions contre un sinistre qui touchait les entrepôts de deux entreprises. En tant que site Seveso seuil haut, nous avons un plan d'opération interne, un plan de lutte contre les incendies ainsi que des moyens en eau et des équipements, mais ce n'est pas le cas des entreprises de plus petite taille ou des logisticiens.
Les pompiers ont, bien sûr, traité ce sinistre comme un seul incendie en utilisant tous les moyens à leur disposition et la réserve en eau a fini par se tarir : nous le savions puisque nous suivions l'évolution de son niveau. Je travaillais alors en préfecture avec les services de l'État et les pompiers et nous avons vite compris que, compte tenu de l'ampleur du feu, cette réserve ne suffirait pas. Le débit des bornes publiques étant également insuffisant, les pompiers ont fait venir un remorqueur pour pomper l'eau dans la Seine. Ils ont ensuite décidé de ne pas injecter l'eau dans le système d'extinction de l'entreprise, craignant que celui-ci soit endommagé et ont reconstitué le système en utilisant plus de quinze kilomètres de manches à incendie.
S'agissant de notre connaissance du contenu des entrepôts, j'étais en préfecture le 26 septembre et j'ai obtenu l'aide de deux personnes, dont l'une était en capacité de communiquer très vite aux services de la Dreal la liste des produits stockés dans les bâtiments A4 et A5, qui étaient en feu, ainsi que les fiches de données de sécurité des dix produits que nous stockions en plus gros volumes. Ces fiches sont très longues et il fallait les imprimer. Nous avons complété ces informations, dès le 27 septembre avec les emplacements en stockage à l'air libre, dont la liste n'avait pas été communiquée. On nous a demandé plus tard ce qui était stocké chez Normandie Logistique : nous avons fourni les informations dont nous disposions sans toutefois pouvoir indiquer quels produits se trouvaient dans les entrepôts qui avaient brûlé.
Les salariés qui sont intervenus au feu, comme les prestataires qui nous ont aidés, par exemple à pomper et à stocker l'eau destinée à lutter contre l'incendie, ont tous fait l'objet d'un protocole de santé, qui a été proposé par notre médecin du travail après des échanges avec le médecin du travail des pompiers, ceux-ci étant plus expérimentés que nous sur cette question. Ce protocole comprend des analyses de sang et d'urine, y compris six mois après l'événement, afin d'en déceler d'éventuelles conséquences à plus long terme. Une quarantaine de salariés présents dans la lutte contre l'incendie se sont vus offrir cette possibilité ainsi que d'autres, qui étaient à distance ou dans le PC de crise. Au total, 130 salariés sont concernés et nous disposons des premiers résultats.
Nous avons appris que vous envisagiez de racheter les bâtiments de Normandie Logistique, qu'une étude était en cours, mais que cela ne s'était finalement pas fait. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Vous avez indiqué que vous connaissiez Normandie Logistique, notamment grâce à une visite conjointe effectuée en 2017, mais organisiez-vous des exercices communs avec cette entreprise ? On nous a informés que Normandie Logistique n'avait jamais été intégré aux exercices que vous-mêmes organisiez, ce qui aurait pourtant permis d'optimiser le stockage en eau, dont vous avez convenu qu'il était insuffisant en raison du fait que l'incendie a touché deux entreprises.
Enfin, s'agissant des indemnisations, vous avez fait des annonces, mais nous voudrions que vous précisiez quel calendrier vous avez établi, pour quels montants, avec quelle méthode d'évaluation et pour quels bénéficiaires. Envisagez-vous de régler tout ou partie de ces préjudices par voie amiable ?
Je n'ai pas répondu sur les raisons qui nous permettent de penser que l'incendie s'est déclaré à l'extérieur de notre site. Nous stockons des produits conditionnés dans des fûts ou des conteneurs et il n'y a pas d'activité sur ces lieux de stockage. La probabilité d'un départ de feu en l'absence d'activité a été évaluée par l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) à une fois tous les 100 000 ans. Il nous manque, en outre, les éléments relatifs au site voisin pour reconstruire la chronologie, mais beaucoup d'éléments nous amènent donc à penser que le feu a très probablement pris à l'extérieur de notre site.
Des discussions avaient été conduites avec Normandie Logistique en vue d'un potentiel rachat du site, mais elles n'avaient pas abouti, car cette transaction n'était pas véritablement prioritaire pour nous, ni, semble-t-il, pour eux. Les pourparlers étaient en cours et nous comptions, à terme, y revenir.
On ne nous a pas présenté cela comme une négociation au fil de l'eau ! Normandie Logistique nous a indiqué que les discussions n'avaient pas abouti.
C'était ouvert, il était possible d'y revenir, elles n'étaient pas closes.
Des discussions étaient en cours à propos d'un rachat potentiel du site, sans urgence spécifique, depuis deux ans.
Sur les exercices de prévention des risques, en effet, nous n'avions pas organisé d'exercices en commun avec Normandie Logistique. Cela se fait plus facilement sur des plateformes, ce qui n'est pas le type d'organisation que nous avons à Rouen. On peut y penser maintenant, mais cela n'avait pas été proposé auparavant.
S'agissant de la ressource en eau, nous devons en disposer pour nos installations, mais nous ne sommes pas responsables des ressources des voisins.
Certes, mais des exercices communs auraient pu vous permettre de vous rendre compte, l'un comme l'autre, qu'il manquait de l'eau.
Il est vrai que ce sujet n'avait pas été étudié. Nous mettons en oeuvre ce type d'exercices sur nos sites du Havre et de Pau, dans le cadre de plateformes ou d'associations d'industriels. Lors de la dernière étude quinquennale complète des dangers, les risques des sociétés voisines avaient été évalués, mais Normandie Logistique n'avait pas été retenue pour cela, compte tenu de la faible probabilité d'un incendie ou d'un autre risque dans un entrepôt de ce type.
En ce qui concerne les fonds d'aide mis en place avec le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental (FMSE) ainsi que la Caisse des dépôts et consignations, les mécanismes d'indemnisation ont été définis et fonctionnent, de sorte que chaque jour, des agriculteurs, des activités économiques ou des collectivités reçoivent des paiements. S'agissant d'un dispositif qui a été mis en oeuvre, de manière proactive et sans obligation, par notre numéro un mondial, je vous propose de respecter le fait que l'entreprise ne souhaite pas communiquer plus d'informations à ce sujet, qui ne me semble pas entrer dans le champ de l'explication de cet incendie et des leçons que l'on peut en tirer.
Je ne partage pas ce point de vue : le préjudice doit être réparé. Au-delà de la responsabilité civile, des engagements ont été pris et il entre dans nos compétences de savoir comment vous comptez les réaliser. Nous avons eu des retours selon lesquels les indemnisations ne satisfaisaient pas tout le monde. L'argument selon lequel, s'agissant d'un geste philanthropique, son détail ne nous regarderait pas ne saurait être entendu.
Je souhaite que soit respectée la volonté de discrétion de notre numéro un mondial. Je vous propose une réponse par écrit.
Cela ne me semble pas recevable. Vous pourriez nous opposer la discrétion si je vous demandais la liste des personnes indemnisées, mais ce n'est pas le cas.
Le processus est entre les mains d'Exetech avec le FMSE pour ce qui concerne les agriculteurs et la Caisse des dépôts et consignations pour les activités économiques et les collectivités. Nous avons reçu des centaines de dossiers et d'appels de particuliers, notamment dans les jours qui ont suivi l'incendie. Toutes les demandes sont instruites par notre service juridique, mais il est trop tôt pour connaître l'ensemble des dommages, qui recouvrent plusieurs thématiques. Par exemple, le chantier de la dépollution du Bassin aux Bois est en train de se terminer dans les meilleures conditions. Je vous propose de vous adresser une réponse plus détaillée par écrit.
Je prends note de cet engagement.
J'ai une dernière question : le préfet de région nous a confirmé par un courrier du 17 décembre que certaines non-conformités relevées dans le rapport d'inspection du 28 octobre dataient d'avant l'incendie et avaient été signalées à plusieurs reprises, sans que les mesures nécessaires aient été prises pour y mettre fin. Il en va ainsi du plan de défense incendie, en particulier en ce qui concerne la prise en compte du nombre important de récipients mobiles, de même en ce qui concerne le plan d'opération interne (POI), s'agissant spécifiquement des actions à mettre en oeuvre pour effectuer des prélèvements d'air en cas d'émissions accidentelles. Qu'en est-il ?
Après l'incendie, la Dreal a diligenté une inspection post-accidentelle, comme cela relève de ses prérogatives. Dans ce cadre, elle nous a demandé de mettre en place des actions prioritaires, parmi lesquelles la mise à jour du plan de défense incendie, au vu de ce qui s'était passé. Nous avons ainsi retravaillé avec les services de l'État sur des bâtiments ressemblant à ceux qui ont brûlé et qui servaient au stockage de matières premières conditionnées. Nous en avons vidé un et l'autre ne contient plus que des produits non combustibles. Nous avons également développé une supply chain « juste à temps » (qui consiste à attendre la commande du client pour s'approvisionner) pour réceptionner les matières au fur et à mesure que nous les utilisons, ce qui a été complexe, car auparavant, nous stockions sur place les substances dont nous avions besoin. Le plan de défense incendie a donc été revu, ainsi que les modalités de fonctionnement du site. Ce point a été levé avant la reprise partielle des activités et les services de l'État ont attesté que les nouvelles modalités étaient satisfaisantes.
Ce n'est pas ma question : je fais référence à deux points de non-conformité signalés, mais pas traités, avant l'incendie.
Je n'ai pas connaissance de non-conformité avant l'incendie, mais d'un échéancier contenant des projets d'amélioration attaché à l'arrêté d'autorisation d'exploitation de la totalité du site de juillet 2019. Cet échéancier a été resserré pour les activités qui ont repris, mais, à ce jour, le plan de défense incendie, qui a été soumis au SDIS 76, lequel a d'ailleurs passé une journée entière la semaine dernière sur notre site avec la Dreal et notre propre service Hygiène, sécurité et environnement (HSE), a été validé à la fois par le SDIS et par la Dreal. Cet élément figurait dans l'arrêté de mise en demeure du 8 novembre 2019.
S'agissant du POI et des actions de prélèvement d'air, nous avions des obligations et nous y avons répondu avec Atmo Normandie et le SDIS 76 ; ces points ont été intégrés dans le POI. Nous avons un accord avec Atmo Normandie qui conserve des canisters (absorbeur de gaz) ainsi que des sacs Tedlar et est en mesure de les mettre à disposition du SDIS, ce qui a été parfaitement fait le 26 septembre. Ces éléments n'étaient pas copiés-collés dans le POI ; ils le sont désormais.
Encore une fois, ce n'est pas la réponse que j'attends. Sur la question des récipients mobiles, par exemple, vous aviez reçu une lettre de rappel en avril 2018, il y a plus d'un an et demi.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat
La réunion est close à 17 h 50.