Nous avons le plaisir d'accueillir, pour cette audition de la DG Connect, Monsieur Khalil Rouhana qui en est le directeur général adjoint, Mme Fabrizia Benini, chef d'Unité Économie & compétences numériques, Mme Rehana Schwinninger-Ladak, chef d'Unité Technologies interactives, digitalisation de la culture et de l'éducation, et Mme Gudrun Stock, chef d'unité Accessibilité, multilinguisme et internet sécurisé.
Monsieur le Directeur général adjoint, Mesdames et mes chers collègues, je vous remercie d'avoir accepté cette audition, organisée en visioconférence, en raison des circonstances sanitaires exceptionnelles. La DG Connect ou Direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies, a en charge la politique de l'Union Européenne concernant le marché unique numérique, la sécurité des réseaux, la science et l'innovation numérique.
Le soutien à une économie numérique inclusive est un des piliers de la stratégie Europe 2020 définie en 2010. Or en France, comme dans tous les pays de l'Union, la question de l'inclusion numérique se pose de plus en plus fortement. La numérisation de l'économie et de la société s'accélère avec le développement du télétravail ou de l'enseignement à distance en raison du confinement. La lutte contre la fracture numérique est beaucoup moins rapide. L'illectronisme ne permet pas aux citoyens européens comme aux entreprises de profiter des opportunités du marché unique numérique. Comment faire mieux, plus vite et plus fort ?
Après une présentation liminaire des actions de l'Union Européenne en faveur de l'inclusion numérique, mon collègue le rapporteur Raymond Vall, puis mes collègues Sénateurs vous poseront des questions complémentaires.
Je vais vous présenter les grandes lignes de notre politique pour le numérique et les actions que nous menons sur les sujets qui concernent votre mission.
Le numérique ainsi que le défi climatique sont les deux grandes priorités fixées par la nouvelle Commission et approuvées par les États membres et le Parlement Européen pour la relance de l'économie et pour que l'Europe puisse faire face aux défis sociétaux qui sont devant elle.
En ce qui concerne le numérique, les axes de développement vont de pair avec les actions liées au défi climatique et visent en particulier à faire de l'Europe un exemple de transformation numérique réussie, en ligne avec les aspirations de nos citoyens, nos valeurs démocratiques, nos intérêts économiques et la prospérité de nos régions.
La nouvelle Commission a annoncé, au mois de février, les grandes lignes de la stratégie et en particulier une initiative importante sur les données, l'objectif étant que l'Europe puisse saisir les opportunités que nous offre aujourd'hui la capacité de collecter des données, de les traiter et d'en faire des applications qui vont des domaines de la santé vers l'environnement, la production industrielle et les nouveaux services. Un axe réglementaire vise à rendre ces données accessibles autant que possible aux innovateurs, mais aussi au secteur public dans le but d'améliorer les services aux citoyens. Enfin, un dernier axe vise l'innovation, le développement technologique, la recherche et le développement industriel autour des données.
Nous avons également annoncé, au mois de février, un « papier blanc » pour l'intelligence artificielle, un des domaines qui tire le développement du numérique, avec des applications qui touchent l'ensemble de la société et de l'économie. Trois axes de développement ont été définis :
- un axe réglementaire qui vise à définir, d'ici à la fin de l'année, un cadre pour le développement de l'intelligence artificielle respectueux de l'éthique et en ligne avec nos valeurs fondamentales ;
- un axe lié au développement technologique, à la recherche et à l'innovation, au développement industriel autour de l'intelligence artificielle ;
- et, enfin, un axe très important pour la DG Connect, est lié à l'adaptation de nos talents, de nos formations et du monde du travail à l'arrivée de l'intelligence artificielle et à la transformation numérique.
Ces deux annonces vont dans le sens de l'adaptation de notre économie et de notre société pour que nous puissions profiter de cette transformation numérique. Nous avons également annoncé un certain nombre de mesures qui visent à moderniser notre cadre réglementaire avec, pour la fin de l'année, une révision des cadres réglementaires autour du commerce en ligne d'une part et de la cybersécurité, d'autre part.
Je voudrais enfin préciser les actions liées à la formation, à l'éducation et à l'inclusion. Nous avons proposé, au titre du prochain cadre financier, un programme sur l'Europe numérique avec un investissement de 9,2 milliards d'euros reposant sur 5 piliers :
- le calcul avancé, le calcul à haute performance et ses applications ;
- l'intelligence artificielle ;
- la cybersécurité et la sécurité de la transformation numérique ;
- l'adaptation du système de formation à la transformation numérique ;
- la diffusion des technologies à travers la société.
L'axe lié à la formation comporte trois actions qui viennent en complément des programmes éducatifs comme Erasmus. Elles visent en particulier les technologies les plus avancées dans le domaine du numérique. Il s'agit notamment d'investir dans la formation supérieure d'experts dans les domaines qui vont de l'intelligence artificielle jusqu'au calcul avancé, le traitement des données et l'analyse des données. Un autre axe vise la formation continue des techniciens et des ingénieurs ou d'autres experts. Enfin, un dernier axe vise le placement de travailleurs experts dans le domaine du numérique au sein des entreprises.
L'investissement que nous proposons sur ces différents aspects avoisine 100 millions d'euros, en visant un effet de levier important pour encourager les États membres à co-investir.
Nous travaillons également avec nos collègues de la DG IAC à l'établissement d'un plan pour l'éducation numérique visant à accélérer la transformation numérique de l'éducation dans l'ensemble de l'Union Européenne.
Nous avons proposé aux États membres des investissements visant à connecter les écoles au très haut débit et fourni des exemples pour assurer l'utilisation de cette infrastructure. Nous attendons les conclusions des discussions budgétaires en cours au niveau de l'Union Européenne pour commencer à mettre en oeuvre ces investissements.
Je souhaite juste ajouter un complément en ce qui concerne la révision, fin septembre, du plan Éducation adopté par la Commission Européenne en janvier 2018. Le nouveau plan sera plus ambitieux en termes de durée et de financement, mais également au regard des enjeux actuels auxquels nous devons faire face. Il prendra en compte les leçons tirées de la crise. Ses ambitions sont d'encourager les pays de l'Union à collaborer et à échanger de bonnes pratiques pour adapter leurs systèmes éducatifs et de formation et d'exploiter le potentiel d'Internet afin de rendre l'apprentissage en ligne accessible à tous. Je vous invite à répondre à la consultation publique lancée il y a deux semaines et à la diffuser le plus largement possible.
Merci pour ces premiers éléments qui répondent en partie à nos interrogations. En effet, vous avez détaillé les perspectives de financement de la lutte contre l'illectronisme et du développement du numérique. Pouvez-vous nous dire quelle est la situation actuelle en Europe et comment se positionne notre pays par rapport à cette campagne lancée en 2010 ? Enfin, quelles sont les ambitions de l'Europe en matière d'indépendance de collecte, de stockage et de protection des données ?
S'agissant de la position de la France, la Commission Européenne publie chaque année, sur la base des données collectées par les instituts statistiques nationaux et de consultations ciblées des États, l'indice relatif à l'économie et à la société numérique (DESI). Ce rapport fournit des éléments détaillés sur la pénétration digitale dans la société et dans l'économie de chaque pays, mais aussi de l'Europe dans son ensemble. Un chapitre du DESI est dédié à ce qu'on appelle « le capital humain ». Une série d'indicateurs sont examinés en détail ce qui permet d'estimer le nombre de personnes ayant des compétences numériques élémentaires et celles ayant des compétences avancées ; le nombre de personnes ayant des compétences logicielles élémentaires et celles expertes en télécommunication. La France est positionnée à la 17e place, au milieu du tableau et proche de la moyenne européenne. Le seul indicateur en retrait par rapport à la moyenne européenne concerne les personnes ayant des compétences avancées dans le domaine du numérique. En tête du peloton se placent les pays nordiques et en queue, la Roumanie, la Hongrie, mais aussi l'Italie. Les économies les plus importantes, c'est-à-dire la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne se trouvent en milieu du peloton, l'Italie ayant une position un peu plus reculée. Le rapport, disponible en français, fournit également des éléments intéressants sur les actions mises en oeuvre par les États pendant la pandémie afin de faire face aux nouveaux challenges tels que, par exemple, l'enseignement à distance mis en place en France dans le cadre de la classe à la maison.
L'autonomie de l'Union Européenne en matière de collecte, de stockage et de protection des données est une des priorités fixées par notre Commissaire, Thierry Breton. En effet, l'Europe est aujourd'hui dans une situation délicate. 90 % de l'infrastructure du cloud en Europe sont détenus par des entreprises qui ne sont pas basées en Europe. En outre, une grande partie des données collectées en Europe est traitée en dehors de l'Europe. Pour autant, cette situation présente également des opportunités. Dans 5 ans, nous avons l'ambition de multiplier par 5 voire par 10 le volume des données traitées en Europe. Notre défi est par conséquent de saisir les opportunités qui se présentent. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé une stratégie pour l'Europe qui repose sur une évolution du cadre réglementaire afin d'assurer un accès plus facile aux données et de limiter l'exclusion des innovateurs aux opportunités qui s'ouvrent dans ce domaine. Une proposition sera faite dans les semaines à venir sur la gouvernance des données en Europe. Elle vise en particulier les données tombées dans le domaine public et qui peuvent constituer un bien commun pour l'ensemble des acteurs économiques, PME comprises, au sein de l'Union Européenne.
Début 2021, nous allons travailler à clarifier le cadre réglementaire régissant les données en termes de concurrence et d'accès partagé. Dans les deux cas, il s'agit de favoriser l'exploitation des données en Europe et de créer un cadre clair qui permet le partage des données au niveau de l'Union. Enfin, nous avons annoncé un plan d'investissement dans les technologies, dans la recherche industrielle et dans les infrastructures de données en Europe via une initiative en partie cofinancée par l'Union Européenne. Nous avons proposé d'investir 2 milliards d'euros sur les cinq prochaines années dans l'infrastructure des données et dans la création d'espaces communs de données, dans des domaines tels que la santé, l'environnement, l'éducation, l'agriculture, la protection industrielle ou l'administration. Nous allons également investir dans l'infrastructure cloud. À ce titre, nous avons proposé que notre investissement soit complété par 4 à 6 milliards d'euros via des partenariats public/privé. Nous travaillons à la mise en place de ce programme avec les États membres eux-mêmes. Un partenariat franco/allemand a d'ores et déjà été mis en place autour d'une plateforme qui permet de fédérer les infrastructures et d'agréger la demande en améliorant les capacités de stockage des données. Nous annoncerons d'ici à la fin de l'année des actions plus concrètes autour de ce projet qui vient accompagner nos actions autour du cadre réglementaire. Thierry Breton souhaite faire de l'Europe un leader dans le domaine de l'infrastructure des données, les espaces communs de données et l'exploitation des données dans tous les domaines qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé.
En France, les acteurs de la lutte contre l'illectronisme sont nombreux. La situation est-elle comparable dans les autres pays européens ? Par ailleurs, les Français consomment-ils les crédits dédiés par l'Europe à la lutte contre l'illectronisme ? A-t-on constaté un lien entre la capacité à consommer et les résultats obtenus au titre du classement DESI ?
Je peux donner quelques indications sur l'utilisation par la France des crédits dévolus par l'Union Européenne dans le domaine du numérique. Depuis quelques années, nous observons une régression d'environ 30 % de la participation des acteurs français, privés ou publics, dans les programmes de recherche et d'innovation européens liés à la partie numérique du programme cadre. Il y a dix ans, la participation de la France dans les programmes numériques de recherche et d'innovation était de 15 à 16 % ; aujourd'hui elle n'est plus que de 10 %. À contrario, la participation de l'Allemagne est restée stable autour de 20 %. Pour autant, si la participation des acteurs français a diminué, le taux de réussite des acteurs français reste parmi les plus élevés. En outre, les participations de la France se concentrent autour d'une ou deux régions : la région parisienne et les pôles de Grenoble et Toulouse. La situation est différente dans les autres pays avec une concentration géographique moindre. Nous allons travailler avec le gouvernement français et avec les différents acteurs à identifier les moyens de rétablir la participation française dans les programmes européens et à la déconcentrer. À mon sens, il y a une mobilisation à impulser au niveau de l'hexagone pour que la transformation numérique soit une réussite.
À la question de savoir quel est le modèle gagnant, le DESI nous enseigne que les acteurs sont toujours issus de divers horizons ? En effet, l'éducation, l'inclusion numérique et les compétences digitales constituent une chaîne qui commence à l'école et se termine à la retraite en passant par l'éducation primaire, secondaire, universitaire, le monde du travail, la recherche. Le plus important est de garantir une cohérence d'ensemble de ces acteurs autour d'un objectif national consistant à atteindre des résultats prédéterminés. Or, nous observons parfois une certaine difficulté à aligner les financements et les actions, soit en termes de programme, soit d'un point de vue géographique. La Finlande et les pays nordiques ont des stratégies ciblées, mises en réseaux et rendues cohérentes au niveau national. Dans cette optique, l'Union Européenne a lancé la coalition en faveur des compétences et des emplois dans le secteur du numérique qui consiste en un regroupement volontaire au sein des États membres qui s'engagent à combler les lacunes en matière de compétences à tous les niveaux, que ce soit les compétences des experts de haut niveau en TIC ou les compétences dont tous les Européens ont besoin pour vivre, travailler et participer à une économie et une société numériques. Le challenge est de faire en sorte que chacune des composantes connaisse son rôle et que l'ensemble des actions soit cohérent au plan national. Les fiches par pays du DESI vous donneront des idées précises des actions mises en place au sein des différents États.
J'ajouterai que notre approche de soutien passe également par la volonté de rassembler les divers acteurs. Nous privilégions une approche holistique qui rassemble divers acteurs qui ont chacun leur rôle à jouer pour faciliter la transition numérique.
Vous nous aviez également soumis des questions relatives à la Directive sur l'accessibilité des sites Web et des applications mobiles du secteur public. Il me semble important de souligner, comme élément positif, qu'en France le Conseil Numérique National a adopté un rapport sur l'accessibilité numérique pour accompagner la mise en oeuvre de la Directive. La France est le seul pays à avoir formulé des recommandations, notamment en matière de lutte contre l'illectronisme en direction des personnes en situation de handicap ou des personnes âgées. Nous allons regarder avec beaucoup d'attention la façon dont le suivi de ces recommandations va être organisé.
Je voudrais remercier nos interlocuteurs pour ces interventions qui sont importantes et nous rassurent quant à la prise de conscience européenne de l'importance d'engager la lutte contre l'illectronisme. Je suis ravi que notre modeste mission puisse déboucher sur des préconisations que nous vous ferons bien-entendu parvenir. Nous prendrons en outre en compte le problème que vous avez soulevé de concentration des acteurs autour de la région parisienne. Nous notons enfin des efforts à faire quant à la formation de techniciens informatiques d'un niveau expert. Ce sont autant d'éléments qui seront précieux pour la rédaction de notre rapport.
Je vous remercie de votre disponibilité et de votre concours à la rédaction de notre rapport.
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