Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cet échange et pour les réponses que vous nous avez apportées sur le projet de loi de finances pour 2021 et le plan de relance.
Il ne faudra pas oublier, comme vous l'ont dit un certain nombre de collègues, les territoires ruraux, qui doivent également être dotés de services de mobilités efficaces.
La proposition de loi relative à la gouvernance et la performance des ports maritimes a fait l'objet d'un travail particulièrement soutenu. Il est indispensable que cette dernière puisse être inscrite rapidement à l'Assemblée nationale.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 heures.
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Nous accueillons M. Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia, pour cette troisième audition plénière de nos commissions, consacrée au rapprochement entre Veolia et Suez.
Monsieur le PDG, nous sommes impatients de vous entendre, car les auditions précédentes et les nombreuses révélations par voie de presse qui ont rythmé ces dernières semaines ont suscité un grand nombre d'interrogations.
Les travaux de nos deux commissions ne relèvent pas du simple suivi de l'actualité économique, ni d'une simple curiosité pour la vie de nos grandes entreprises : notre intérêt est plus profond et plus sérieux. Maintes fois, les Français - et la représentation nationale avec eux - ont constaté, quelques années plus tard, les lourdes conséquences de cessions conclues à la hâte, ou décidées à l'occasion de crises économiques soudaines. Après que ces opérations ont révélé leurs conséquences, les pouvoirs publics ont dû chaque fois en gérer les conséquences économiques et sociales, parfois reconstruire la capacité économique du pays, voire financer la relocalisation...
La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte a consacré le rôle du Parlement en matière de protection des intérêts économiques de la Nation - c'est là un symbole fort, et nous entendons bien nous saisir pleinement de cette compétence.
L'opération d'acquisition que vous avez dévoilée fin août concerne deux groupes français qui sont déjà, séparément, regardés comme des champions mondiaux des services à l'environnement. Ils totalisent plus de 80 000 salariés en France, 45 milliards d'euros de chiffre d'affaires, et ils consacrent, dans une lutte concurrentielle acharnée, environ 170 millions d'euros chaque année à la recherche et développement (R&D) dans des technologies qui seront cruciales pour notre transition écologique. Vous serez d'accord pour considérer que l'avenir de votre groupe, Monsieur le PDG, et celui de Suez, relèvent de la protection des intérêts économiques de notre nation... Ce n'est d'ailleurs pas étranger à votre projet puisque vous ne visez rien de moins que de créer un champion mondial de la transformation écologique.
Il est donc de notre responsabilité de vous entendre et de vous interroger aujourd'hui, pour comprendre l'ensemble des implications de votre projet. En auditionnant les dirigeants de Suez, nous avons constaté que ce projet fait l'objet d'une franche opposition du groupe Suez ; vos intentions déclarées « amicales » n'ont pas su convaincre à ce jour. Le Gouvernement non plus n'a pas souhaité soutenir votre offre - du moins officiellement - et s'y est opposé au sein du conseil d'administration d'Engie, sans succès.
Nos commissions viennent de créer un comité de suivi, qui étudie les circonstances dans lesquelles votre offre d'acquisition s'est construite et se réalisera peut-être : nous recherchons à en évaluer les conséquences pour l'économie française et pour les collectivités territoriales que nous représentons.
Votre opération a pour mot d'ordre la constitution d'un « champion français ». Comment un groupe fusionné, mais délesté de près de 70 % des activités de Suez conformément aux obligations du droit de la concurrence, donc un groupe bien moins divers sur le plan technologique que ne le sont les deux entreprises actuelles - comment un tel groupe serait-il un champion plus efficace et prometteur, plus innovant que nos deux champions d'aujourd'hui ? Cette constitution d'un « champion » ne ressemble-t-elle pas plutôt à un démantèlement de votre principal concurrent, au moment où un grand nombre de contrats de délégation de service public doivent être renouvelés ?
Notre commission sait défendre, lorsque les circonstances sont réunies, la création de champions français ou européens à la force de frappe supérieure, si l'intensité concurrentielle du marché le justifie - je pense à la pression chinoise dans le secteur ferroviaire, par exemple. Or, cette pression concurrentielle n'existe pas sur votre marché, vos deux groupes occupant une large part des segments de l'eau et des déchets en France. Quelle est alors la menace qui justifierait la fusion des deux principaux acteurs mondiaux ? Quels autres opérateurs seraient-ils à même de concurrencer la nouvelle entité fusionnée ? Que devons-nous penser d'une opération dans laquelle un acteur choisit l'identité, la force de frappe financière et l'expérience de son futur concurrent direct ?
Vous vous défendez de vouloir augmenter les prix acquittés par vos clients - notamment les collectivités territoriales - dans les années à venir. Comment allez-vous alors faire mentir la théorie économique, qui nous dicte qu'un marché plus concentré conduit à des prix supérieurs et réduit le pouvoir de marché des clients ?
Monsieur le PDG, je pense que ces questions directes mais centrales pour les intérêts économiques de notre Nation méritent une réponse franche et précise, à la mesure des enjeux.
Le projet de fusion entre Veolia et Suez pose beaucoup de questions, tant sur la manière dont le processus de rachat se déroule que sur les conséquences économiques, sociales et environnementales qu'il pourrait avoir.
Sur la forme, nous sommes nombreux à avoir le sentiment que ce projet de rachat de Suez est mené « tambour battant » et que le rôle des parties prenantes est opaque, à commencer par celui de l'État. M. Jean-Pierre Clamadieu, le président du conseil d'administration d'Engie, a évoqué lors de son audition la semaine dernière la rapidité avec laquelle celui-ci avait dû se prononcer sur l'offre de Veolia, par crainte de ne pas pouvoir bénéficier d'une proposition aussi favorable si celle-ci venait à être retirée. Vous avez tiré parti d'un « effet de surprise », puisqu'à peine plus d'un mois s'est écoulé entre votre offre d'achat sur le bloc de 29,9 % d'actions de Suez et le vote du conseil d'administration d'Engie approuvant cette vente, ce qui n'a pas permis à des offres alternatives de voir le jour.
Cette impression de précipitation, pour ne pas dire de « passage en force », est renforcée par les propos que vous avez tenus dans la presse la semaine dernière, qui appellent les autres actionnaires de Suez à débarquer l'actuel conseil d'administration, lequel empêcherait, selon vous, la conclusion d'un accord amiable.
Les dirigeants de Suez nous ont indiqué qu'ils n'avaient toujours pas reçu d'offre formalisée de la part de Veolia présentant de manière détaillée votre projet industriel - vous nous donnerez tout à l'heure votre version des faits.
Les questions sont nombreuses, également, sur les conséquences de ce projet de rachat. Nous comprenons que son impact soit incertain et difficile à évaluer, mais comment se fait-il que vos déclarations et celles des dirigeants de Suez soient aussi opposées ? Vous vous êtes engagé à garantir les emplois et les avantages sociaux de l'ensemble des salariés de Suez en France ; est-ce à dire que l'absorption des activités de Suez ne créera aucune synergie, ni aucun doublon ?
Nous sommes également très inquiets pour la viabilité des activités Eau de Suez en France en cas de rachat par le fonds Meridiam. Comment un acteur qui n'a pas d'expérience dans le domaine de l'eau pourra-t-il assurer la continuité et le développement de cette activité, et continuer à innover alors qu'il agira sur un marché de taille réduite ? Les collectivités territoriales ne risquent-elles pas d'être confrontées à une baisse de la qualité des offres lors du renouvellement de leurs délégations de service public ?
Que deviendront les autres actifs qui devront être cédés dans le secteur des déchets, et qui seront leurs repreneurs ?
Vous l'aurez compris, Monsieur le Président, ce projet de rachat nous préoccupe, compte tenu de l'importance stratégique des services qu'exploitent Veolia et Suez.
merci de me donner l'occasion de vous présenter ce projet de rapprochement.
Quelle est son origine ? Elle est dans l'annonce faite par Engie de son intention de vendre sa participation dans Suez, qui s'élève à 32 %. Cela impliquait donc nécessairement que Suez allait changer d'actionnaire principal. À une telle hauteur de participation, vous pensez bien que tout acquéreur doit avancer un projet précis et d'envergure. Cette annonce faite, fin juillet, la question a donc été de savoir qui allait acheter et pour faire quoi - et, en conséquence, de savoir si Suez allait rester française. Ces questions ne sont pas anodines, ni pour Suez ni pour Veolia. Il s'entend que Veolia ne peut se désintéresser de l'avenir de son principal concurrent. Ces questions concernent aussi le pays tout entier. C'est la raison pour laquelle lorsque j'ai présenté mon projet, fin août, je l'ai présenté globalement, et j'ai d'emblée posé l'objectif, en toute transparence, de constituer un champion français. Ce n'est pas un simple rachat des actions d'Engie, mais bien un rapprochement complet de Veolia et Suez.
Une autre société française était-elle en mesure de proposer ce rachat ? Aucune, à part Veolia. Beaucoup se sont interrogées, mais une seule avait un projet industriel : c'est Veolia. En revanche, je vous confirme que des sociétés étrangères avaient déjà déclaré leur intérêt au cours des mois précédents, je pense à notre grand concurrent chinois, Beijing Capital Group, qui s'était manifesté auprès d'Engie, ou encore à des fonds d'investissement. Vous connaissez le métier de ces fonds : ils achètent pour optimiser dans le cadre de montages financiers, puis revendre. C'est alors qu'un démantèlement aurait eu lieu. Après dix ans tout au plus, Suez aurait été à nouveau vendue, et la question se serait alors à nouveau posée de savoir si ses unités resteraient françaises ou pas. Le seul projet pour que Suez reste française - y compris les actifs qu'il faudrait céder au titre du droit de la concurrence - c'est celui de Veolia.
Je ne suis donc pas d'accord avec l'idée que notre offre serait précipitée ou opaque : nous avons répondu à une sollicitation, dès lors qu'Engie vendait et nous avons proposé la seule solution industrielle franco-française pour Suez, les autres propositions venant de l'étranger ou répondant à une logique financière. Lorsque notre principal concurrent est en vente et qu'il risque de passer entre les mains de l'un de nos principaux concurrents de demain, à l'étranger, et alors que notre secteur, la transformation écologique, est en plein développement, la question posée est bien celle de notre maîtrise industrielle, en France, des compétences dont nous aurons besoin pour réussir cette transformation. Le marché se développe très rapidement, la demande sociale est forte, nos métiers se transforment, nous sommes des champions et nous entendons le rester, avec des compétences sur notre territoire national - ceci alors que la concentration du secteur a commencé et que les choses évoluent très vite.
Vous avez cité le transport ferroviaire : savez-vous qu'il y a 25 ans, le principal constructeur ferroviaire chinois était cinq fois plus petit qu'Alstom et qu'aujourd'hui, il est cinq fois plus gros ? C'est pourquoi l'on recherche une alliance pour Alstom, d'abord avec Siemens et maintenant avec Bombardier. Il en ira de même pour la transformation écologique et l'environnement : les Chinois l'ont identifié comme facteur limitant de leur développement économique et investissent fortement, c'est d'ailleurs pourquoi nous travaillons beaucoup en Chine. Ils disposent d'un marché et de ressources financières très importantes - savez-vous que les numéros deux des déchets en Allemagne et en Espagne sont détenus par des Chinois ? C'est du reste ce numéro deux espagnol qui a remporté, il y a quelques mois, contre Veolia et Suez, l'appel d'offres pour l'exploitation de l'usine d'incinération d'Issy-les-Moulineaux...
La vente de Suez par Engie offre donc l'occasion de rapprocher nos deux champions nationaux du secteur, plutôt que l'un soit racheté par un concurrent étranger qui en sera renforcé. Je suis persuadé que si nous ne le faisons pas, nous le regretterons amèrement et que dans quelques années ni Veolia ni Suez ne pourront tenir leurs places de champions et que nous n'aurons plus les moyens de nous défendre. Il en va de notre autonomie économique dans le monde de demain, c'est là le véritable enjeu : c'est pourquoi je n'ai pas voulu laisser passer cette occasion de rapprochement. Je ne vois pas d'autre projet pour que Suez reste durablement française.
Notre projet est donc de construire le grand champion français de la transformation écologique. Ceci dans nos métiers traditionnels : les métiers de l'eau, l'assainissement, la collecte, le traitement et le recyclage des déchets ; mais aussi de nouveaux métiers, qui sont essentiels pour tenir notre rang. On ne sait pas bien recycler les plastiques, par exemple : nous devons inventer des techniques pour les recycler tous, de même que les batteries électriques, les déchets électroniques, ou les panneaux solaires en fin de vie. Nous connaissons déjà des solutions, par exemple pour les déchets toxiques ou le PET, qui ont été mises au point chez Suez et chez Veolia. Certaines techniques doivent être généralisées : cela suppose des investissements importants. Le rassemblement de nos forces, de nos capacités d'investissement permettra d'aller plus loin, plus vite et plus fort dans cette direction.
Mais il faudra aussi inventer l'autre moitié des solutions nécessaires à la transition écologique. En nous regroupant, nous avons plus de chance de trouver des solutions avant nos concurrents, et ce sera décisif - si nous ne le faisons pas, nul doute que d'autres le feront à notre place. Quelques exemples : nous ne savons pas recycler le polypropylène, les plastiques thermodurcissables ou bromés, les batteries de véhicules électriques, qui sont des déchets dangereux, avec des métaux rares comme le lithium ou le cobalt. Ceux qui arriveront les premiers à les recycler, maîtriseront ces métaux rares. Alors qu'on a perdu la bataille de la fabrication des batteries électriques, nous pouvons, en mettant nos forces en commun, placer Veolia et Suez en position de devenir le champion du recyclage des batteries électriques pour l'ensemble du continent européen. Cela vaut aussi pour la qualité de l'air, domaine essentiel, en particulier pour le lien entre l'environnement et la santé. Comment traiter l'air des bâtiments recevant du public ? Veolia a fait des expériences dans une école en Île-de-France, Suez expérimente une solution dans les cours de récréation : ensemble, nous parviendrions plus vite à proposer une solution, nous serions les premiers et nous ferions la course en tête. Autre innovation : la capture du carbone, qui me paraît indispensable pour tenir nos engagements pour le climat. Nous avons les techniques pour capturer le carbone, mais c'est encore trop coûteux et nous devons en diviser le prix par trois ou quatre. Des entreprises étrangères y travaillent, je suis convaincu que nous irons plus vite qu'elles si nous groupons nos forces et que nous saurons alors conserver notre avance. Je pourrais multiplier les exemples de solutions essentielles pour l'avenir, où nous avons commencé à travailler et où nous irons plus vite et plus loin si nous coordonnons nos efforts. Nos concurrents seront toujours là, mais nous aurons plus de chance d'être encore un leader dans vingt ans.
Nos deux entreprises sont en très bonne position et ont chacune des points forts. Veolia est un pionnier du traitement et du recyclage des déchets toxiques, et nous pourrions proposer nos solutions aux clients de Suez - de même que nous pourrions proposer aux clients de Veolia les solutions de Suez pour la méthanisation des déchets domestiques, un domaine où cette entreprise est championne : nous gagnerions ainsi des parts de marché. Même chose pour la digitalisation de nos métiers : Veolia a développé, dans 33 pays, des centres de pilotages automatisés de toutes ses installations. En acquérant l'entreprise australienne Optimatics, Suez a mis au point des logiciels à base d'intelligence artificielle, qui rendraient plus performants nos propres centres de pilotage. Voilà des synergies concrètes, qui créent de nouvelles solutions et élargissent nos clientèles, que nous n'aurions pas séparément.
Qu'est-ce que cela apportera à nos territoires ? Les territoires français bénéficieront en premier de ces innovations. Quand Veolia invente, l'an passé, la première usine de recyclage des panneaux photovoltaïques usagés au monde, c'est à Rousset, en Provence, que nous la construisons ; quand Veolia invente la première usine de recyclage de batteries électriques, c'est à Dieuze, en Moselle, que nous l'installons ; quand nous allons tripler sa taille l'an prochain, c'est sur le même site que nous allons le faire. Nous connaissons bien le territoire français, c'est pourquoi nous y implantons nos innovations, avant de les exporter, même s'il y a des exceptions. Les territoires français seront aux premières loges, parce que nos entreprises sont françaises et qu'elles le resteront. Si Suez allait ailleurs, ce ne serait plus le cas, au moins pour les projets engagés par cette entreprise.
Le regroupement est donc, en réalité, le contraire du démantèlement : il est plus prometteur, plus innovant et plus efficace que de laisser partir Suez dans d'autres mains. Nous accélérons même le projet de faire de notre entreprise la référence de la transformation écologique. Nous avions ce projet à Veolia avant la vente de Suez, le regroupement nous fera aller plus vite et plus loin dans cette direction, et nous embarquerons Suez dans ce projet. Suez et Veolia sont les deux premières entreprises au monde dans leur secteur, nous pouvons le rester longtemps à condition de ne pas nous disperser et que l'une des deux entreprises ne tombe pas entre de mauvaises mains.
Ce projet a néanmoins des contraintes, notamment en matière de concurrence, surtout en France - à l'étranger, nos deux entreprises se chevauchent peu, mis à part en Australie et en Grande-Bretagne, et ces problèmes peuvent facilement être résolus. Les chevauchements concernent surtout l'activité eau, c'est donc là qu'il nous faut trouver des solutions de désinvestissement, conformément à ce que nous demandera l'Autorité de la concurrence et dans l'intérêt des clients, les collectivités territoriales - c'est-à-dire de sorte à constituer un acteur véritablement concurrentiel, avec une vraie capacité de développement.
Nous avons proposé la solution Meridiam. C'est une entreprise française qui s'engage à long terme - elle s'est engagée à conserver cette activité pendant 25 ans. Comment évaluer cet engagement ? En regardant ce que cette société fait déjà : en une quinzaine d'années d'existence, elle a déjà réalisé une centaine d'investissements et n'en a pas revendu un seul. C'est atypique mais cela correspond au profil de ses investissements, qui sont tous à long terme. Ensuite, Meridiam est spécialisée dans les projets auprès des collectivités publiques, notamment en matière d'infrastructures, en France et à l'étranger, y compris dans des services d'eau aux États-Unis. Elle a donc l'habitude de travailler avec les collectivités au niveau régional et local. L'entreprise affirme vouloir consacrer deux fois plus d'investissements annuels à l'activité eau en France que ne le fait Suez aujourd'hui, s'engage à maintenir l'emploi et à créer 1 000 postes d'apprentis dès la première année. Je pense donc que Meridiam est capable de donner un avenir solide à Suez Eau en France et à l'étranger, de développer ses activités, et de lui apporter davantage de moyens. Les salariés de Suez Eau France, la direction, l'ingénierie, l'opérationnel, les centres de recherche, tous rejoindront Meridiam : ce seront les mêmes, avec un actionnaire qui leur donnera plus de moyens.
Est-ce que nous choisissons notre concurrent ? Non, nous faisons une proposition : l'Autorité de la concurrence disposera, elle nous dira si nous remplissons les conditions ou bien s'il faut corriger notre proposition. Lorsque j'ai proposé mon projet aux équipes de Veolia, leur première réaction a été de me dire qu'on allait créer une concurrence plus sévère que celle d'aujourd'hui. Il y aura donc autant d'acteurs, avec les mêmes capacités d'innovation et les mêmes personnels, avec davantage de moyens : la concurrence sera au moins de même niveau.
Nous avons également des chevauchements dans le domaine de la propreté et des déchets, mais moins importants car Suez et Veolia pèsent moins dans ce secteur et on y trouve d'autres acteurs français importants. L'Autorité de la concurrence exigera les remèdes qu'elle jugera utiles au maintien des conditions de concurrence, notamment des désinvestissements par paquets pour renforcer des concurrents français, dont certains ont déjà exprimé leur intérêt.
Une autre interrogation est l'emploi, car les rapprochements se traduisent souvent par des suppressions d'emploi. Il en ira différemment dans notre cas, d'abord parce que nos métiers ne sont pas industriels mais de service et territoriaux. Le personnel opérationnel et son encadrement seront nécessairement maintenus sur les territoires. D'ailleurs, chaque année, lorsque nous perdons ou gagnons des contrats, les personnels restent les mêmes que le contrat bénéfice à Veolia ou à Suez, sans qu'il y ait le moindre problème social. Les conditions de travail sont très proches. Si nous pouvions faire des progrès de productivité sur la gestion d'une station d'épuration, cela se saurait et ce serait déjà fait. Il n'y aura donc pas de réduction de personnel opérationnel. Ce sera le cas pour ceux qui rejoindront Veolia, je l'ai garanti et je vous remettrai aujourd'hui les engagements que j'ai signés pour le maintien de tous les emplois en France et de tous les avantages sociaux. Je vous ai apporté également les engagements de Meridiam, car Engie nous a demandé des engagements écrits quand elle nous a cédé ses actions. Nous demanderons les mêmes engagements aux repreneurs de nos activités dans le secteur des déchets.
Pour aller plus loin, je vais vous faire une proposition, puisqu'il y a tant d'exemples d'engagements non tenus en matière d'emplois. Regardons d'abord ce que Veolia a fait dans le passé : en juillet, Suez a vendu l'entreprise Osis, 3 000 salariés, spécialisée dans la maintenance et l'entretien des réseaux d'assainissement ; Veolia l'a achetée, notamment pour éviter qu'elle ne soit rachetée par un acteur étranger. Les salariés d'Osis ont demandé une garantie de l'emploi et des avantages sociaux : nous les avons donnés. À deux reprises, les salariés d'Osis, voyant Suez devenir hésitant à réaliser la cession, ont demandé à être cédés à Veolia, parce qu'ils savaient que l'engagement social serait tenu. La gestion sociale chez Veolia est reconnue comme étant de qualité. Je vous propose donc que le Parlement mette en place un dispositif de suivi, de contrôle et de sanction - y compris financière - des engagements sociaux pris, et ce sur plusieurs années. Cela n'existe pas, pourquoi ne pas l'imaginer ? Je propose que le rapprochement Veolia-Suez soit le premier « cobaye » d'un tel dispositif.
Les prix de l'eau vont-ils monter ? Il y aura toujours autant d'acteurs sur le marché de l'eau, et la concurrence sera tout aussi musclée. Les collectivités continueront de choisir entre ces entreprises ou la régie - et continueront à fixer le prix de l'eau, dont il n'y a aucune raison qu'il augmente. Les équipes dirigeantes, la recherche, les opérationnels resteront les mêmes : il n'y a aucune raison que l'offre perde en qualité, il est même vraisemblable qu'elle augmente, puisque les investissements seront plus importants. Il en ira de même dans le domaine des déchets, car la concurrence sera ravivée par les cessions que nous ferons à nos concurrents.
En ce qui concerne votre suggestion de suivre le regroupement entre Suez et Veolia, c'est précisément l'objet de notre comité de suivi, que nous avons bien l'intention de faire perdurer au moins pour les trois années qui viennent.
Vous vous engagez à garantir l'emploi et les avantages sociaux, mais jusqu'en 2023 - c'est demain, juste après les élections présidentielles. Irez-vous plus loin ? Quelle est l'opposabilité juridique de tels engagements ? Qu'en est-il des engagements de Meridiam ?
Nombre de regroupements d'entreprises ont échoué par le passé, alors qu'ils étaient prometteurs, car les cultures et les managements des entreprises rapprochées étaient différents. Comment développer une culture d'entreprise commune qui valorise le capital humain ?
Vous indiquez que l'Autorité de la concurrence vous obligera à céder une partie de l'activité eau de Suez. Suez estime que les cessions représenteront les trois-quarts de ses activités en France et la moitié à l'international : est-ce le cas ? Quelle part des activités de Veolia devrait-être cédée en France et en Europe ? La logique des concentrations dans le secteur ferroviaire repose sur des économies d'échelles : est-ce le cas dans votre secteur ? N'allez-vous pas, en fait, vers un recentrage sur l'un de vos métiers ?
Je vous prie d'excuser M. Alain Cadec, qui m'a chargée de vous poser ces questions. Avant l'annonce à la presse faite par Engie, avez-vous rencontré les dirigeants de Suez pour leur présenter votre projet ? À quelle date ? Avez-vous informé l'Élysée, Matignon, l'administration de votre projet ? Quelles ont été les réactions ?
Pourquoi avoir fixé un délai si court à Engie pour sa réponse ? Est-ce pour écarter la possibilité d'une offre alternative ?
Enfin, M. Philippe Varin nous a dit que le conseil d'administration de Suez n'avait pas reçu d'offre formelle et complète de Veolia, pourquoi ?
Quel est le calendrier envisagé pour la suite de l'opération, quelles en seront les procédures et quelles consultations allez-vous mener ? Pourquoi avoir limité à six mois la période pré-OPA ? Avez-vous informé les autorités européennes ?
Pourquoi faire confiance à Meridiam, sachant que cette entreprise ne connait pas bien le secteur ?
Vous engagez-vous à poursuivre la R&D sur les mêmes solutions technologiques que Suez, sachant que Veolia a fait d'autre choix de R&D ?
En première instance, le juge a donné raison aux comités sociaux et économiques (CSE) de Suez qui contestaient le fait de ne pas avoir été informés ni consultés sur le projet de Veolia : comprenez-vous cette décision ? Pourquoi ne pas avoir procédé à l'information des salariés sur un sujet aussi important pour leur avenir ?
Quels sont vos projets pour les autres activités que l'eau, notamment dans le secteur des déchets : avez-vous connaissance de candidats au rachat de ces activités ? Avez-vous eu des contacts à ce sujet avec des sociétés telles que Paprec ou Derichebourg ? Envisagez-vous de vendre ces activités séparément ou existe-t-il un acteur à même d'éviter une telle vente séparée des actifs de Suez ? Quelles sont les garanties que ces repreneurs disposent d'un ancrage français ?
Au lieu de constituer un champion, n'êtes-vous pas en train de faire disparaître votre principal concurrent en France, alors que près d'un tiers des concessions d'eau potable française, représentant 1,6 milliard d'euros de chiffre d'affaires d'ici 2024, seront prochainement renouvelées ? Qui pourra concurrencer le nouveau Veolia lors de ces renouvellements ?
Je suis quelque peu sceptique sur la méthode : le 30 septembre, vous annonciez votre souhait d'une OPA amicale, mais la semaine dernière, vous appeliez les actionnaires à « débarquer » le conseil d'administration qui, d'après vous, refuserait tout dialogue : est-ce là votre définition de l'amicalité ? Pensez-vous que Veolia puisse obtenir l'accord du conseil d'administration de Suez ?
Pourquoi avoir retenu Meridiam comme acquéreur de Suez Eau, alors que ce fonds n'a guère d'expérience dans ce secteur, étant plutôt spécialisé dans celui de la mobilité et des autoroutes ? Cette entreprise a-t-elle les capacités financières et opérationnelles à très long terme ?
Veolia ayant engagé quatre plans sociaux depuis 2013 dans sa branche Eau, concernant quelques 3 000 emplois, pensez-vous que, dans son périmètre actuel, votre entreprise soit préservée de suppressions d'emplois ? Seriez-vous prêt à prolonger votre engagement à ne pas supprimer d'emplois au-delà de 2023, échéance particulièrement proche si la fusion des deux groupes n'était effective qu'en 2022 ? Meridiam et les entreprises qui reprendront des activités de Suez sont-elles prêtes à s'engager aussi dans ce sens ?
Les métiers de la transformation écologique sont créateurs d'emplois. Chaque solution nouvelle est créatrice d'emplois. Je vous ai parlé de la première entreprise de recyclage de batteries électriques en Moselle, c'est une petite usine, avec trente emplois, nous les doublerons l'an prochain : les emplois seront locaux. Les métiers du déchet et du recyclage créent de l'emploi, notre difficulté est même plutôt de recruter les sujets : il y a 1 097 postes non pourvus au sein du groupe Veolia, sur des profils très divers, du peu au très qualifié. Nous recherchons du personnel dans les territoires, nous ne parvenons pas toujours à recruter - n'hésitez pas à faire connaitre nos métiers. En regroupant nos forces, nous allons donc vers plus d'emploi, et nous rencontrerons plutôt des problèmes de formation : Veolia a construit des centres de formation, en France, nous allons les multiplier. Il y a quarante ans, la France a créé l'école française de l'eau : nous voulons créer l'école française de la transformation écologique, avec de nouvelles compétences. Quant aux métiers traditionnels, le nombre d'emplois ne peut pas y diminuer : la collecte des poubelles ne peut se passer de salariés sur les territoires, comme une concentration industrielle peut le faire - il en va de même pour les stations d'épuration d'eau ou de traitement. Cet épouvantail de la destruction d'emploi ne tient pas debout : il n'y a pas de risque sur l'emploi.
Est-il vrai que nous aurons à désinvestir la moitié de l'activité de Suez à l'international et les trois quarts en France ? Si c'était le cas, je n'achèterais pas Suez, cela n'aurait pas de sens, sauf si mon projet était financier et consistait à vendre à la découpe. Or mon projet, c'est d'additionner nos forces. À l'international, il y aura très peu de raisons de désinvestir et en France, seules les règles de la concurrence guideront nos désinvestissements - ils porteront sur l'activité Eau de Suez et sur une partie de l'activité Déchets, l'Autorité de la concurrence nous le dira.
Comment réalisera-t-on des synergies sans supprimer d'emplois ? Notre projet prévoit 500 millions d'euros par an de synergies, dont 200 millions sur les achats, soit 1 % de notre capacité d'achat, qui sera comprise entre 20 et 25 milliards d'euros. Le fait de grouper nos achats - de véhicules, de canalisations... - peut faire effet d'échelle. Nous calculons 1 % sur quatre ans, c'est peu. Nous économiserons aussi 300 millions d'euros sur l'opérationnel, par l'application des meilleures pratiques. Par exemple, Veolia a développé une technique permettant d'optimiser la maintenance des incinérateurs de déchets, nous atteignons un taux de disponibilité de 94 % en Grande-Bretagne, contre 87 % en France car ces savoir-faire n'y sont pas encore diffusés. Dans les économies d'énergie des stations d'épuration, c'est Suez qui est en avance, on gagnera sur la consommation d'énergie de celles de Veolia. En réalité, 300 millions sur 35 milliards d'euros de dépenses, c'est peu. Nous voyons que 500 millions d'euros d'économies sont possibles sans toucher à l'emploi, je pense même que nous ferons mieux.
Pourrait-on se recentrer sur un seul métier ? Non, c'est exclu, nous souhaitons combiner les trois métiers Eau, Déchets, Services à l'énergie, car l'interface entre les trois sera décisive pour la transformation écologique.
Quand j'ai conçu mon projet, ai-je rencontré les responsables de Suez, d'Engie ou encore des membres de l'exécutif ? Vous avez appris que les dirigeants de Suez étaient au courant plusieurs mois avant l'annonce officielle du projet d'Engie de vendre. Je n'en ai été informé pour ma part que fin juillet - avant, il y avait bien sûr la rumeur, mais seulement la rumeur, dès lors qu'Isabelle Kocher, qui souhaitait conserver ces participations, avait quitté Engie. Je n'ai pas eu de discussion avec le président d'Engie avant l'annonce officielle à la fin du mois de juillet. Je lui ai parlé quelques jours plus tard, début août, et je l'ai revu fin août, pour lui remettre mon offre. J'avais eu l'occasion de rencontrer les dirigeants de Suez par le passé, car des projets de rapprochement avaient déjà été étudiés, l'idée ne venait en effet pas de nulle part. J'ai eu des conversations avec M. Bertrand Camus au cours des mois précédents, afin de savoir s'il serait intéressé par un rapprochement, puis j'ai eu connaissance de l'annonce d'Engie. La réponse a été claire et franche : il n'était pas intéressé. Par la suite, j'ai construit mon offre et n'ai pas échangé avec M. Camus jusqu'au jour du dépôt de celle-ci. J'en ai informé les pouvoirs publics, sans rencontrer le personnel de l'Élysée. Je n'ai pas reçu de leur part de retour sur mon offre.
Pourquoi ce délai laissé à Engie, que vous estimez court ? Il n'est pas si court : Engie a fait part de son désir de vendre fin juillet. Mon offre courait jusqu'à fin septembre, soit deux mois - dans le monde des entreprises, c'est raisonnable, en tout cas suffisant pour savoir si l'offre est intéressante. Mon projet n'étant pas seulement d'acquérir 29,9 % mais l'intégralité de Suez via une OPA, sous condition de l'accord des autorités de la concurrence, cela demande du temps : toute prolongation pour la première partie prolongerait l'ensemble de l'opération, ce n'était pas satisfaisant.
M. Varin dit ne pas avoir reçu d'offre formelle ni de proposition sur l'emploi ; il considère pourtant notre offre irrecevable, hostile, avec des conséquences dramatiques sur l'emploi et la concurrence. Soit il connaît notre offre, et peut juger de ses conséquences, soit il ne la connaît pas - mais pas les deux... La direction de Suez a bien évidemment reçu les engagements que j'ai pris sur l'emploi, que je vous remettrai.
Concernant le calendrier de l'opération : une fois la première partie des actions achetée à Engie, j'ai annoncé notre intention de faire une OPA sur le reste du capital, sous condition des autorisations nécessaires. Les autorités de concurrence ont été saisies, nous avons engagé les travaux et les échanges d'information. Une vingtaine d'autorités dans le monde doivent être consultées. L'autorité européenne a commencé des travaux d'étude - des « market tests » - pour interroger les clients et les concurrents et mesurer les conséquences du rapprochement. Ces travaux vont se prolonger durant plusieurs mois. Nous avons l'intention de pré-notifier l'opération à l'autorité européenne d'ici la fin du mois de novembre. Les travaux dureront entre douze et dix-huit mois, nous ferons les efforts nécessaires pour qu'ils soient le plus court possible.
Est-ce que je m'engage à poursuivre l'innovation ? Vous me le demandez parce que les gens de Suez affirment suivre une stratégie technologique, sous-entendant que Veolia n'en aurait pas. Or nous en avons depuis longtemps, regardez la progression des chiffres d'affaires des deux entreprises : sans innovation, Veolia n'aurait pas pu augmenter son chiffre d'affaires, et ce beaucoup plus rapidement que celui de Suez. Les deux entreprises ont des centres de recherche, des stratégies technologiques, sinon elles n'en seraient pas là où elles sont. Donc oui, je veux poursuivre et même accélérer l'innovation technique, sociétale, institutionnelle, commerciale, académique, une innovation « tous azimuts » ! La transformation écologique passera par l'innovation, ou elle ne sera pas. La moitié des solutions que nous utiliserons dans vingt ans ne sont pas encore disponibles.
Quelle est notre position par rapport à la décision judiciaire du 9 octobre, qui nous a reproché que le CSE de Suez n'ait pas été saisi du projet par Veolia ? Cette décision nous a surpris, car nous pensions que c'était à Suez de saisir son propre CSE. Nous avons contesté cette décision, surtout qu'elle porte sur l'acquisition de 29,9 % du capital, qui n'est pas une prise de contrôle de l'entreprise. Nous attendons la position de la justice en appel. Nous avons envoyé à la direction de Suez le même ensemble de documents que nous avons utilisés pour conduire la consultation chez Veolia, et nous souhaitons que Suez consulte sur cette base les instances représentatives de son personnel.
Vous parlez de notre projet de cession de Suez Eau France à Meridiam, je rappelle que c'est seulement une proposition que nous présentons à l'Autorité de la concurrence. Si elle considère que c'est une bonne solution, nous la mettrons en oeuvre, sinon nous la reverrons. Dans le domaine des déchets, l'autorité nous demandera, je suppose, des cessions sur des bases régionales, car le marché est régional, pour renforcer les autres acteurs français face à la concurrence. Ce qui est sûr, c'est que nous vendrons ces actifs à des sociétés qui s'engagent sur les aspects sociaux, comme nous l'avons fait.
La motivation de ce projet est-elle de faire disparaître mon premier concurrent ? Non, je veux m'associer, additionner les deux forces, pour que nous soyons plus forts demain, pour continuer à tenir le haut du pavé dans vingt ans. Si nous conservions deux champions français - dont l'un est à vendre aujourd'hui - il y a toutes les chances que, dans vingt ans, nous n'en n'ayons plus aucun, tant les marchés et les concurrents se développent vite, souvent à coups de moyens très importants. Ce qui s'est passé dans le monde industriel, nous le connaîtrons dans le monde du service : d'autres professions seront en concurrence avec de très grandes entreprises non européennes. La compétition économique entre les nations ne va pas se dissiper, l'appétence des peuples pour la prospérité non plus car l'exemple des dernières décennies montre que le développement est possible. Nous devons nous organiser pour faire face à cette compétition accrue, et dans notre secteur, nous en avons les moyens. Je ne veux donc pas faire disparaître mon concurrent, mais construire une grande entreprise mondiale.
Quelle est notre méthode et notre définition d'une OPA amicale ? La notion est définie en droit boursier : l'OPA est amicale lorsque l'entreprise cible voit son conseil d'administration recommander l'offre. C'est ce que j'ai souhaité ; je constate que le conseil d'administration de Suez, malgré mes nombreuses propositions - je vous ai apporté les courriers, puisque j'ai entendu dire que je ne voudrais pas dialoguer - m'a opposé une porte close. Cela m'a fait dire, la semaine dernière, que si le dialogue ne pouvait pas s'engager avec les dirigeants de Suez, je demanderais aux actionnaires de Suez de se prononcer, en faisant pression sur ce conseil administratif ou éventuellement, en le remplaçant.
Quelles sont mes raisons pour proposer Meridiam ? Je pense que c'est un opérateur de très long terme, qui connaît bien les collectivités locales, les investissements d'infrastructures, et qui est prêt à investir significativement.
Nos métiers créent de l'emploi, nous cherchons déjà des salariés, et plus nous développerons nos activités, plus nous créerons de l'emploi. Peut-on prolonger nos engagements au-delà de fin 2023, date qui viendra bien après l'élection présidentielle de 2022 ? Je suis certain que fin 2023, nous aurons créé de nouveaux emplois. Meridiam a pris le même engagement, à la demande d'Engie, et je demanderai aux repreneurs des activités dans le secteur des déchets de faire de même. Je renouvelle en outre ma suggestion : il n'est pas impossible que le Parlement puisse suivre, contrôler et sanctionner des engagements sur l'emploi. La sanction financière peut être dissuasive.
Monsieur le Président-directeur général, je vous ai écouté avec attention, je ne suis pas convaincu par vos propos car beaucoup d'éléments me semblent contradictoires. À Rennes, nous avions le plus vieux contrat de délégation d'eau, qui courait depuis 120 ans ; en 2015, nous avons mis en place une société publique locale (SPL), qui a montré depuis sa très grande efficacité. Cependant, lorsque nous avons mis en place cette SPL, les débats ont été très vifs avec Veolia, qui mettait en avant tout l'intérêt de la concurrence, en particulier avec Suez, son principal concurrent. Je vois donc mal les raisons de ce revirement et j'ai du mal à comprendre comment, en rachetant ce concurrent, vous prétendez conforter la concurrence. Vous nous dites que la concurrence véritable se situe en Chine, mais, en ce cas, allez-vous parvenir à conserver l'emploi sur notre territoire ?
Vous voulez créer un champion mondial de la transformation écologique - vaste programme, aurait dit le général de Gaulle -, je voudrais vous parler du secteur de l'eau, stratégique à l'heure du changement climatique. L'accès à une eau de qualité à un prix abordable est un sujet qui préoccupe particulièrement les Français quand les épisodes de sécheresse se multiplient : en quoi votre projet répond-il à cette préoccupation ?
Les Assises de l'eau ont démontré la nécessité de renouveler davantage le réseau : comment le faire en encourageant l'utilisation de produits français ? Il est choquant de voir installer des canalisations en acier turc, alors que Pont-à-Mousson en propose en fonte de très bonne qualité : en quoi votre projet soutiendra-t-il l'industrie française ?
Monsieur le Président-directeur général, je dis « chiche ! » à votre suggestion de suivi par le Parlement de vos engagements en matière d'emploi, qui serait doté de pouvoirs de sanctions : il faut y réfléchir, c'est intéressant.
Quand on vous parle de risque de casse sociale, vous êtes habile en nous citant l'exemple des éboueurs car oui, là où il y a aujourd'hui dix éboueurs, il en faudra encore dix demain, encore que vous trouverez bien un moyen qu'il n'y en ait plus que huit, puis sept, puis six... Mais les synergies, nous en connaissons la musique : vous allez commencer par piocher dans les postes d'ingénieurs, de chercheurs, puis vous prendrez chez les ouvriers - on l'a vu à chaque fois, il n'y a pas un seul exemple au monde où la fusion ne se soit pas traduite par des pertes d'emplois. C'est bien pourquoi vous ne vous engagez pas après 2023...
Ensuite, nous n'avons pas les pouvoirs d'une commission d'enquête, aussi vous nous direz ce que vous voudrez bien nous dire, mais nous lisons aussi la presse et, pour ma part, je ne crois pas qu'Engie puisse envisager de vendre autant de parts de Suez à Veolia, sans que l'État ait son mot à dire - ou alors c'est très grave, car cela signifie qu'il n'y a plus de régulation, contrairement à ce que dit M. Bruno Le Maire et à la loi « Pacte ». Je n'accuse personne, mais je vois aussi, en lisant la presse, que M. Ismaël Emelien, qui a été conseiller à l'Élysée, vous conseille à travers la société qu'il a créée - et je n'oublie pas que vous avez conseillé M. Emmanuel Macron quand il était à Bercy - donc je ne crois pas que l'État n'ait pas son mot à dire alors même qu'il est actionnaire d'Engie. Nous avons besoin de transparence et c'est à vous de la faire : vous pouvez me dire que tout ce que raconte la presse est faux, mais la question est là et elle entache cette opération.
Vous avez partagé votre souhait de créer des synergies, en particulier pour l'innovation. Veolia et Suez assurent des services essentiels à nos collectivités territoriales et à l'ensemble des Français. Cependant, dans ce contexte difficile de crise sanitaire, ne pensez-vous pas qu'une opération de rapprochement - j'utilise votre sémantique - avec Suez risque de déstabiliser tous les opérateurs et les collectivités, alors que la régularité de ces services essentiels doit être assurée ?
Après l'audition, la semaine dernière, des dirigeants de Suez, j'ai aujourd'hui mieux compris quel était votre propre positionnement, face au risque que des groupes étrangers rachètent Suez, risque qui n'est pas négligeable et surtout pas acceptable. Vous contestez les dires des dirigeants de Suez lorsqu'ils affirment que le rachat par Veolia ferait disparaître 10 000 emplois, dont la moitié en France : votre engagement de conserver l'intégralité des emplois concerne-t-il aussi les emplois à l'étranger ? Si la fusion se réalise, quelle est votre vision sur le développement à l'international, des activités de Veolia et de Suez, et notamment sur les synergies qu'il est possible d'envisager ?
Monsieur le Président-directeur général, vous nous inondez de chiffres et vous êtes certain de votre fait ; mais cette opération financière ne concerne pas seulement les actionnaires et la démocratie actionnariale, comme vous le dites, il concerne aussi les nombreux salariés des deux groupes qui s'inquiètent pour leur avenir. Votre communication est offensive, vous présentez votre projet d'acquisition comme protecteur pour les salariés, mais vous ne parlez pas de la disparition d'un siège social, ni de la réduction de certaines branches, ni encore des doublons. Comment envisagez-vous concrètement la gestion des salariés si cette fusion devait aboutir ? Nous garantissez-vous que la recherche d'économies ne se fera pas au détriment des salariés et de leurs droits ?
Comment voyez-vous la période de transition pour vos clients que sont les collectivités territoriales ? Des appels d'offres sont en cours, on nous demande ce qu'il va en devenir, car Suez est en position d'incertitude, difficile pour s'engager à long terme.
Vous nous dites ne pas avoir eu de contact avec l'Élysée mais avec les « pouvoirs publics » : de qui s'agit-il ? Si c'est avec le ministre de l'économie, des finances et de la relance, ce qui ferait sens, comment expliquez-vous la position pour le moins réservée de M. Bruno Le Maire et le vote de l'État actionnaire d'Engie lors de la vente des 29,9 % de Suez ? Enfin, vous avez déjà engagé beaucoup d'argent pour acheter les 29,9 % de Suez, vous allez continuer avec l'OPA : quel en est l'impact sur la dette de Veolia ?
Je n'ai pas eu de conversation avec l'Élysée ni les pouvoirs publics, mais j'ai informé les pouvoirs publics, c'est-à-dire Matignon et Bercy, avant de rendre public notre projet le 30 août. L'État a-t-il été prévenu qu'Engie voulait vendre ? Vous avez interrogé M. Clamadieu, Engie a voté la cession de Suez, je ne sais pas quelle a été alors la position de l'État ; en revanche, une fois cette décision rendue publique, elle signifiait qu'une grande entreprise française était en vente - quelqu'un allait donc l'acheter. Je persiste : le meilleur projet, pour les salariés, pour les actionnaires, les clients, les fournisseurs des deux groupes, et la France, c'est notre projet.
Concernant les synergies et l'avenir des sièges, d'abord, il n'y aura pas de suppression de postes opérationnels à cause du rapprochement. Au siège de Suez, ensuite, il y a 750 personnes : 150 dirigent l'activité eau en France, elles rejoindront Meridiam ; la moitié des quelque 600 autres salariés est affectée à la recherche, l'innovation, la construction de projet et la direction juridique : j'en ai besoin pour le rapprochement, pour développer des projets de transformation écologique, je vais même embaucher. Restent les autres fonctions « supports » - la finance, les ressources humaines, achat, comptabilité -, une partie, je dirais les deux-tiers, donc 200 salariés, pourront continuer d'exercer leurs fonctions, je peux en prendre l'engagement au nom d'un groupe qui fera 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires et qui est présent dans le monde entier - je pourrai revenir chaque année devant vous pour en rendre compte. J'ajoute que Veolia a l'habitude d'acquérir des sociétés et de gérer des engagements sociaux sans difficulté, je vous ai parlé d'Osis et ses 3 000 salariés.
Il n'y a guère de revirement, Monsieur Salmon, entre ce que vous avez vécu à Rennes et ce que je propose aujourd'hui. En créant une SPL, vous avez décidé de revenir à une forme de régie, donc à moins de concurrence, je maintiens mon point de vue : vous avez eu tort de vous passer de concurrence ; et mon projet, c'est bien de maintenir la concurrence, probablement davantage encore demain qu'aujourd'hui, pour que cette concurrence serve d'émulation dans la gestion déléguée.
La gestion de l'eau, ressource rare, l'accès à une eau de qualité sont des enjeux croissants : ce thème fait partie intégrante de la transformation écologique, au sens large, en particulier la question de nourrir plus d'êtres humains en utilisant moins d'eau, moins d'énergie et moins de sol. La réutilisation des eaux usées est une solution clé, encore faut-il en avoir la technique : nous savons garantir l'innocuité de l'eau, il faut aussi stocker l'eau l'hiver pour son utilisation l'été sans polluer les nappes. De même, pour utiliser moins d'eau dans l'agriculture, dans l'extraction minière, dans l'aquaculture, nous avons des problèmes à résoudre et nous le ferons mieux en étant regroupés.
Quel financement pour renouveler nos réseaux ? Je crois que les prélèvements des agences de l'eau pourraient être davantage utilisés pour investir qu'ils ne le sont aujourd'hui - c'est une première piste. Sur le choix des canalisations, ensuite, vous faites référence aux difficultés de Pont-à-Mousson, l'entreprise française qui fabrique les meilleures canalisations du monde. Veolia achète pour 40 millions d'euros de produits par an, et si Pont-à-Mousson a des difficultés, ce n'est pas le fait des entreprises françaises. Le problème, c'est qu'en dehors de l'Europe, la situation est beaucoup plus difficile car des fabricants asiatiques ont pris la place, avec des produits moins bons, mais moins chers. Une entreprise rassemblant Veolia et Suez sera plus forte pour diffuser plus largement les canalisations en fonte que fabrique Pont-à-Mousson et qui sont les meilleures du monde. Un champion français pourrait renforcer sa solidarité vis-à-vis des autres entreprises françaises.
Comment envisageons-nous la période de transition ? Tant que l'OPA n'est pas conclue, les deux entreprises sont concurrentes, il n'y aura donc aucun changement. Elles resteront concurrentes puisqu'elles conserveront chacune son portefeuille de clients, elles auront à coeur d'accroitre ce portefeuille, pour l'eau comme pour les déchets.
La dette de Veolia est soutenable, notre entreprise a suffisamment éprouvé les problèmes d'une dette trop importante, que j'ai réglés il y a dix ans, pour que je sois tenté de recommencer, et nous avons conçu le projet de rachat pour que la dette soit soutenable. Nos activités sont de long terme, nous pouvons supporter une dette représentant peu ou prou le triple du cash flow. À fin 2019, nous n'atteignons pas ce chiffre. Nous ferons une augmentation de capital, nous l'avons annoncée à deux reprises, et nous nous emploierons à rester à ce niveau d'endettement pour conserver notre notation sur les marchés.
En conclusion, je reviens à mon propos initial : l'entreprise Suez est à vendre, notre projet est le meilleur pour nos deux grandes entreprises, pour tous leurs salariés, pour leurs créatifs, parce que nous innoverons et que nous resterons français. Les salariés des deux groupes seront traités avec équité, chacun participera de manière équitable à cette formidable aventure consistant à créer ce grand champion français, utile d'abord aux territoires français, et capable de tenir son rang dans vingt ans, dans un secteur en pleine expansion et dans lequel nous devons encore inventer la moitié des solutions techniques que nous utiliserons alors - des solutions que nous pourrons proposer en premier aux territoires français parce que nous les aurons trouvées en premier.
Merci pour ces précisions, nous aurons d'autres occasions de vous interroger, après avoir avancé dans nos travaux.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17h45.