J'ai aujourd'hui le plaisir d'accueillir trois personnalités très au fait d'un sujet d'actualité essentiel pour notre avenir à tous, celui de la stratégie européenne de l'hydrogène. Cette audition sera commune avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), présidé par Cédric Villani. Je crois que c'est une première et je m'en félicite.
J'ai aussi le plaisir d'accueillir notre collègue Michel Delpon, président du groupe d'études sur l'hydrogène, très actif sur ce sujet.
Avant de vous présenter nos intervenants, je vous signale qu'en application des décisions de la Conférence des présidents, notre réunion se tient en format mixte, en salle et en visioconférence, car nous allons ensuite examiner un rapport d'information portant observations sur le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice spécialisée, qui est un sujet législatif.
Permettez-moi de vous présenter nos intervenants, que je remercie d'être parmi nous. Monsieur Nicolas Bardi, vous présidez Sylfen, une société qui développe des solutions intégrées de stockage et de production d'énergie par cogénération, à destination des bâtiments et éco-quartiers souhaitant couvrir leurs besoins à partir de sources d'énergie locales et renouvelables. Vous avez travaillé auparavant au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), où vous avez notamment été chef de laboratoire et responsable des projets de recherche sur les piles à combustible.
Monsieur Philippe Boucly, vous présidez l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible, qui a pris il y a quelques semaines le nom de « France Hydrogène ». Votre association fédère les acteurs de la filière française de l'hydrogène et des piles à combustible. En son sein, vous représentez GRT Gaz, le principal opérateur français de réseau de transport de gaz naturel à haute pression en France, où vous avez fait toute votre carrière.
Madame Laura Buffet, vous êtes directrice du pôle Énergie de l'organisation non gouvernementale (ONG) Transport et environnement. Votre organisation est très active sur le sujet de l'hydrogène et sur la stratégie européenne visant à le promouvoir, comme en témoignent notamment les prises de position et courriers adressés à la Commission européenne que vous nous avez transmis.
Comme vous le savez, la Commission européenne a présenté le 8 juillet dernier une stratégie de promotion de l'hydrogène « vert », afin de permettre la décarbonation des secteurs économiques difficiles à décarboner, comme les transports collectifs et individuels où les alternatives aux énergies fossiles sont inexistantes, la production d'électricité, le bâtiment ou certaines industries très polluantes, comme la pétrochimie ou la sidérurgie. Elle préconise à cette fin une approche par étapes, dans l'objectif de la neutralité carbone d'ici 2050.
Nous allons d'abord vous laisser exposer, en cinq à dix minutes chacun, votre point de vue sur les enjeux du développement de l'hydrogène vert et sur cette stratégie présentée par la Commission, qui a déjà mis à l'étude plusieurs axes de réflexion. Des textes législatifs sont ainsi en cours d'élaboration.
Ce sujet est d'actualité dans ma circonscription, puisqu'il existe un comité de pilotage pour le déploiement de la filière hydrogène en Touraine. Cela avance plutôt bien, mais nous nous posons quand même encore beaucoup de questions, d'autant que nous ne connaissons pas véritablement les processus technologiques. A priori, quand nous entendons le mot hydrogène, nous vient à l'esprit l'idée de quelque chose qui explose, si je peux être un peu familière. Est-ce que cela explose effectivement, non au sens propre, mais dans le sens que nous souhaitons tous, à savoir celui de la transition énergétique ? On parle aussi de problèmes de stockage. Aujourd'hui, la production d'hydrogène de masse reste assez coûteuse.
Je pense que vous avez tous des réponses à nous apporter, mais avant de vous entendre je laisse la parole à Cédric Villani, président de l'Office, pour un propos liminaire.
Nous sommes ici rassemblés dans une configuration inédite, réunissant pour la première fois la Commission des affaires européennes et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. C'est très bien, parce que le sujet est à la fois pleinement scientifique, technologique, d'innovation, de R&D, et pleinement européen. J'ai eu l'occasion d'aborder le sujet de l'hydrogène, dans l'enceinte du Parlement, une première fois dans le cadre de la préparation d'un avis de la Commission des affaires économiques sur le budget de la recherche, et une seconde fois dans le cadre d'une audition conjointe organisée avec le Bundestag par Michel Delpon et des députés allemands intéressés à l'hydrogène.
Cela m'a permis de constater, d'abord, que nous avions des progrès à faire pour une bonne communication entre l'Assemblée nationale et le Bundestag : il faut organiser des réunions bilatérales fréquentes pour que nos moyens de communication, notamment la traduction, soient efficaces. J'ai vu ensuite combien il était important de confronter les idées. Il est apparu que les piliers, les orientations de la stratégie française et de la stratégie allemande n'étaient pas exactement les mêmes, qu'il y avait un volet nucléaire du côté français qui n'existait pas du côté allemand, que du côté allemand la stratégie était orientée vers l'hydrogène 100 % vert, mais sur la base d'une production en grande partie externalisée, là où le projet français insiste sur une production internalisée.
Dans ce contexte, nous nous sommes dit qu'il était important de confronter les idées, de témoigner d'une prise de conscience, de vérifier qu'une vision commune, ou en tout cas coordonnée, se dégage, une vision dans laquelle il est question non seulement d'émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de gains en termes d'empreinte carbone ; dans laquelle nous nous intéressons à toute la chaîne, de la production de l'hydrogène jusqu'à son utilisation, en passant par son transport, et aux innovations que cela implique, y compris en termes d'usages.
Nous voyons à quel point l'hydrogène fait intervenir une multiplicité d'acteurs et une multiplicité de problématiques, et combien il est important de se saisir de ce sujet. L'enjeu est bien sûr européen, tout à la fois en termes de souveraineté énergétique et de transition écologique, pour laquelle il est urgent d'agir. La période est propice, puisque du côté français le plan hydrogène, cette fois, est à la hauteur des enjeux. Comme je l'ai écrit dans l'avis la Commission des affaires économiques, nous pouvons dire : « hydrogène, année zéro pour la France », au sens où le plan hydrogène a vraiment changé de dimension cette année.
C'est pourquoi l'audition d'aujourd'hui prend tout son sens.
Je suis président de la start-up française de l'hydrogène Sylfen et je suis très heureux de pouvoir témoigner aujourd'hui en tenant un propos qui sera peut-être un peu décalé, mais dont l'objectif est de contribuer à la réflexion sur les stratégies et les politiques européennes de l'hydrogène.
L'entreprise a été créée il y a cinq ans à Grenoble. C'est une start-up de dix-huit personnes et nous développons l'utilisation de l'hydrogène pour le secteur des bâtiments et des éco-quartiers, dans un second temps peut-être pour des usages industriels. Pourquoi cette cible, qui n'est pas forcément celle qui est la plus mise en avant aujourd'hui ? Quand on regarde à l'échelle européenne, la consommation d'énergie des bâtiments représente, avec l'électricité, la chaleur, la climatisation, etc., 36 % des émissions de CO2. C'est, par exemple, beaucoup plus que le transport aérien. Et si l'on considère ce sujet avec un prisme français, où l'électricité est relativement bon marché par rapport à d'autres pays européens et où sa production émet peu de gaz à effet de serre, grâce à l'hydraulique et au nucléaire, on peut avoir tendance à considérer qu'alimenter les bâtiments en électricité est une bonne solution. Dans la plupart des pays européens où l'essentiel de l'électricité est produit à partir de gaz naturel ou de charbon, et de plus en plus à partir d'énergies renouvelables, ce n'est pas une solution, parce qu'alimenter ces bâtiments en électricité, produite à partir de gaz par exemple, émet beaucoup plus de gaz à effet de serre qu'en alimentant directement les chaudières avec du gaz naturel, puisqu'on évite la perte de rendement résultant du passage du gaz à l'électricité, puis de l'électricité au chauffage.
Nous avons en France des raisonnements un peu différents de ceux des autres pays européens. Que pouvons-nous faire avec l'hydrogène en matière de bâtiments ? Aujourd'hui, nous savons produire localement de l'énergie renouvelable avec de l'énergie solaire. Si nous décidons de transformer localement l'énergie solaire en hydrogène par électrolyse de l'eau quand nous n'en avons pas besoin, par exemple un week-end dans un bâtiment de bureaux, quand il fait vraiment très beau et que le bâtiment ne consomme quasiment rien, nous allons générer des stocks d'énergie renouvelable sous forme d'hydrogène. Nous pourrons ensuite l'utiliser de façon différée, pour produire de l'électricité et de la chaleur dans les bâtiments.
C'est ce que Sylfen développe. Plutôt que chercher à alimenter un bâtiment à hauteur de 30 ou 35 % de ses besoins énergétiques, ce qui est l'ordre de grandeur de l'autoconsommation solaire pouvant être atteinte sans stockage, nous sommes capables de l'alimenter à 60 ou 70 %, voire jusqu'à 100 %, avec de l'énergie renouvelable produite localement. Celle-ci est stockée grâce à une technologie réversible, qui par moments produit de l'hydrogène par électrolyse de l'eau à partir de l'électricité verte disponible sur place, et par moments fonctionne comme une pile à combustible, en générant de l'électricité et de la chaleur pour le bâtiment.
Nous avons développé une première preuve de concept. Nos démonstrateurs sont financés à hauteur de 3,7 millions d'euros, pour deux tiers par des projets européens - nous sommes très impliqués dans la recherche européenne - et pour un tiers par des financements français. Nous venons de signer deux commandes commerciales pour les premiers produits qui seront déployés sur le territoire l'année prochaine.
Quand on regarde aujourd'hui la politique de l'hydrogène, on constate qu'il y a une très forte inflexion, à la fois au niveau de la politique européenne et des politiques des États-membres. Cette évolution extrêmement favorable est indispensable, puisque les autres zones de développement économique que sont l'Asie et les États-Unis sont également extrêmement ambitieuses et dynamiques en matière d'hydrogène.
On constate ensuite que les plans sont très orientés vers la production massive d'hydrogène, puis sa distribution à l'échelle du territoire pour alimenter un certain nombre d'usages. Cette vision est une sorte de reproduction du modèle centralisé électrique, ou de la façon dont l'infrastructure pétrolière ou gazière s'est développée, avec de grandes unités de production et de gros tuyaux qui permettent de distribuer l'hydrogène vers des usages. L'allocation des ressources pour le développement de l'industrie de l'hydrogène est donc un sujet de débat : quel doit être l'équilibre entre la production centralisée et la production décentralisée ?
L'intérêt de l'hydrogène est que c'est un gaz, un vecteur énergétique que l'on peut produire où l'on veut. Il suffit pour cela d'avoir un électrolyseur et de l'électricité. On peut aussi le faire, localement, à partir de biogaz ou d'autres ressources de biomasse. La question est : va-t-on répartir des unités de production d'hydrogène de petite puissance partout sur le territoire, ou va-t-on développer des unités de production d'hydrogène de très forte puissance, puis un maillage de distribution ?
Il faut trouver un équilibre. Regardons, par exemple, comment se déploie l'énergie solaire : il y a à la fois de très grandes centrales et des productions décentralisées, à l'échelle des bâtiments, par exemple sur des ombrières de parkings, sur des toits d'entrepôts, etc. Ces deux filières solaires coexistent, aucune n'est ridicule par rapport à l'autre, et les deux visions, centralisée et décentralisée, sont aussi légitimes.
Or la dernière communication de la Commission européenne sur la stratégie européenne de l'hydrogène montre un très grand déséquilibre au seul bénéfice d'une vision centralisée. Il y a juste, en page 6, un petit paragraphe présentant une sorte de seconde étape du développement de l'hydrogène en Europe, où des clusters locaux se développeraient en s'appuyant sur une production locale, basée sur une énergie renouvelable produite de façon locale, éventuellement transportée sur de courtes distances. Ce paragraphe indique que l'infrastructure locale de l'hydrogène pourra non seulement servir des usages de transport ou d'industrie, mais également générer de l'électricité et de la chaleur pour les bâtiments.
Or il s'agit de ce que fait Sylfen. Cette action-là est certes évoquée dans la stratégie européenne, mais rien n'est expliqué sur la façon dont ces clusters vont se développer et vont être soutenus en parallèle du développement des usages centralisés de l'hydrogène.
Voilà ce sur quoi je suis vigilant. Il faut savoir que les coûts diffèrent d'un facteur à peu près 5, entre la partie centralisée de notre système énergétique et les usages. En ordre de grandeur, le coût de production de l'électricité est 40 euros le mégawattheure. De grandes centrales solaires, dans des pays très ensoleillés, produisent aujourd'hui à moins de 20 euros le mégawattheure. Quand vous regardez votre facture électrique, on démarre en France pour certaines entreprises aux alentours de 70 euros le mégawattheure, pour les particuliers c'est plutôt 110. Les particuliers allemands payent 300 euros le mégawattheure. L'écart est très important.
Pour l'hydrogène, c'est assez similaire. On parle d'un coût de production par des moyens centralisés allant de 1,5 à 2,5 euros par kilogramme, avec de gros électrolyseurs et de l'électricité peu chère. Si cette électricité est d'origine nucléaire, on peut garantir qu'elle ne sera pas chère et pas carbonée toute l'année, 24 heures sur 24. Si elle est d'origine renouvelable, forcément, ce ne sera pas 24 heures sur 24, 365 jours par an. Et puis, les usages de l'hydrogène verront un « prix à la pompe » plutôt de l'ordre de 6 à 10 euros du kilogramme.
À ce prix en usage final, la production décentralisée parvient à être compétitive, de la même façon que le solaire décentralisé est beaucoup plus cher que le solaire centralisé, mais reste moins cher que le prix de l'électricité payé par les particuliers. Les productions locales d'hydrogène vont être plus chères que les productions centralisées, de l'ordre de 5 à 6 euros du kilogramme, et néanmoins compétitives par rapport au prix de vente de l'hydrogène aux utilisateurs finaux.
Je vous remercie beaucoup de votre invitation : cela me permet de souligner le besoin de réfléchir aux modalités particulières de soutien aux productions décentralisées d'hydrogène, connectées aux énergies renouvelables qui, à mon sens, sont aujourd'hui l'un des moteurs forts de la transition énergétique. Les collectivités locales et les citoyens cherchent des solutions pour entrer dans des logiques de circuits courts : traçabilité, production et utilisation locale de l'énergie renouvelable ; ils ne souhaitent pas rester dans des modèles d'injection de grosses capacités produites sur des territoires, que les habitants verraient juste passer au-dessus de leurs têtes. Il faudra donc trouver un équilibre entre l'aspect centralisé et l'aspect local de la filière hydrogène.
Je suis président de France Hydrogène, qui est le nouveau nom de l'association d'abord dénommée AFH2, puis APHYPAC. Récemment, nous avons pris ce nom, pour bien signifier que nous voulons développer une filière française compétitive de l'hydrogène. L'association connaît une forte dynamique : nous étions 120 en janvier 2019 et nous approchons le cap des 240 membres, que nous atteindrons probablement en début 2021. Elle est composée d'une quarantaine de grands groupes, d'une centaine de PME-PMI, de l'ensemble des centres de recherche français sur l'hydrogène au CEA et au CNRS et, ce qui fait probablement notre spécificité, de 70 associations, collectivités territoriales, syndicats d'énergie ou de transport et pôles de compétitivité. L'ensemble des régions françaises sont membres de l'association. Le rôle d'une association telle que France Hydrogène est de promouvoir l'hydrogène et de développer une filière française compétitive. Au plan européen, nous sommes membres d'Hydrogène Europe, association regroupant l'ensemble des industriels européens engagés dans l'hydrogène, l'ensemble des laboratoires européens qui travaillent sur l'hydrogène et les associations nationales telles que la nôtre qui ont bien voulu adhérer à cette association européenne. Nous déployons actuellement des démarches pour être actifs dans la Clean Hydrogen Alliance, l'Alliance pour l'hydrogène. Il y aura six tables rondes, nous sommes candidats pour au moins l'une d'entre elles - la production ou éventuellement l'industrie. Il y a d'autres tables rondes sur le transport et la distribution de l'hydrogène, mais également sur l'hydrogène - énergie, l'hydrogène pour les bâtiments et l'hydrogène pour la mobilité.
Le dynamisme que l'on observe actuellement est le résultat d'une montée en puissance. Je situe le fait générateur - je ne dis pas cela parce que nous sommes aujourd'hui devant l'OPECST - au rapport de l'Office « L'hydrogène : vecteur de la transition énergétique » de janvier 2014, qui donnait au Gouvernement des recommandations pour développer l'hydrogène en France. Un appel à projets a ensuite été lancé sous l'égide d'Emmanuel Macron, à l'époque ministre de l'Économie, et Ségolène Royal, ministre de l'Écologie, qui a connu un grand succès. La plupart des régions de France ont proposé des projets dans ce cadre. Le 1er juin 2018, le plan Hulot a donné une impulsion majeure au développement de l'hydrogène, mais il faut bien reconnaître qu'il manquait d'une vraie visibilité financière. Le ministre avait dit à l'époque : « nous allons mettre 100 millions d'euros dès 2019 ». Nous avons vu ces 100 millions, mais il n'y avait pas de visibilité plus lointaine. Cependant, les objectifs du plan Hulot ont été repris dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), et un objectif majeur de ce plan, atteindre 20 à 40 % d'hydrogène décarboné à l'horizon 2030, a été repris dans la loi Énergie et Climat. Nous nous en félicitons, bien évidemment.
Nous en arrivons donc à la stratégie nationale, présentée le 8 septembre 2020 par les deux ministres concernés. Ce qui fait la différence avec le plan Hulot, c'est qu'il y a, cette fois, un lien très étroit entre l'écologie et l'économie, chacune s'appuyant sur l'autre pour présenter une vision qui correspond en tout point à celle que l'association avait développée dans le manifeste Pour un plan national hydrogène ambitieux et cohérent, que nous avons publié en juillet de cette année.
Je vais dire quelques mots sur l'articulation entre la stratégie européenne et la stratégie française. Les deux mettent l'accent sur l'hydrogène renouvelable mais aussi sur l'hydrogène bas carbone, au moins pour une période de transition, s'agissant de l'Europe. La voie privilégiée est l'électrolyse de l'eau, c'est-à-dire la décomposition de l'eau par un courant électrique, avec pour la France un objectif de 6,5 gigawatts d'électrolyseurs à l'horizon 2030 et, au niveau européen, une initiative portant sur 40 gigawatts sur le sol européen et 40 gigawatts dans les pays limitrophes. L'Ukraine est citée, les pays d'Afrique du Nord le sont aussi.
La stratégie française et la stratégie européenne partagent également les mêmes cibles, à savoir l'industrie et le transport lourd, c'est-à-dire les bus, les bennes à ordures, les camions, le train, le bateau et, dans un avenir plus lointain, l'avion. Les objectifs côté français sont fixés par l'article premier de la loi Énergie et Climat à 20 à 40 % d'hydrogène décarboné. Pour donner un ordre de grandeur - qui ne figure pas dans le dossier de presse du Gouvernement -, nous avons évalué la production nécessaire à environ 700 000 tonnes d'hydrogène, à comparer à environ 900 000 tonnes de production actuelle. Au niveau européen, les objectifs sont d'un million de tonnes à l'horizon 2024 et 10 millions à l'horizon 2030.
Le dossier de presse gouvernemental ne fait pas le distinguo, il parle d'hydrogène vert ou renouvelable, ce qui peut vouloir dire renouvelable ou bas carbone. Pour développer ces tonnages d'hydrogène renouvelable ou bas carbone, nous disposons en France d'une électricité décarbonée issue du parc nucléaire, mais également du parc hydraulique, qui permet de produire de l'hydrogène en émettant beaucoup moins de gaz carbonique que la production traditionnelle par vaporeformage.
La directive européenne Énergies renouvelables, que nous appelons RED II puisqu'elle vient d'être révisée, propose un levier puissant qui va permettre d'utiliser de l'hydrogène renouvelable dans les raffineries. Je pense qu'on y reviendra dans la suite de l'audition.
Dans ces deux stratégies, européenne et française, les enjeux de compétitivité sont bien cernés. Il s'agit de réduire d'un facteur trois ou quatre le coût de l'hydrogène, qui est encore trop élevé, pour arriver dans certains cas à une parité avec le gaz naturel, c'est-à-dire à peu près à 1,5 euro par kilogramme. Il s'agit donc de changer d'échelle, et dans la situation actuelle la nécessité d'un soutien public est avérée, qu'il soit européen, national, voire régional, puisque quasiment toutes les régions ont maintenant des feuilles de route et des stratégies hydrogène.
En termes de soutien, les choses se précisent en France au travers de l'ordonnance prise au titre de l'article 52 de la loi Énergie-Climat, qui est déjà passée devant le Conseil supérieur de l'énergie et la Commission de régulation de l'énergie (CRE), et qui doit repasser au Conseil d'État avant d'être notifiée à Bruxelles. On pense donc à une mise en oeuvre au deuxième semestre 2021. Les modalités précises ne sont pas encore bien définies. La Commission européenne penche pour un Carbone contract for difference, consistant à compenser l'écart entre le coût de la tonne de carbone évitée par le projet promu et le coût du carbone dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission (en anglais Emission Trading Scheme). Notre souhait est de nous placer dans le cadre d'un IPCEI (Important Project of Common European Interest ou « projet important d'intérêt européen commun »), de façon à pouvoir faire émerger des champions nationaux et développer une véritable industrie de l'hydrogène en France.
Des moyens de financement sont également identifiés. Pour la France, nous les avons évalués à 24 milliards d'euros. C'est le montant des investissements que les acteurs économiques doivent réaliser pour atteindre l'objectif de 20 à 40 % d'hydrogène décarboné à l'horizon 2030.
Au niveau européen, les estimations sont de l'ordre de 100 à 120 milliards d'euros. Nous avons le sentiment que les investissements des collectivités ne sont pas inclus dans ce montant, alors que dans notre estimation ils le sont. Ils consistent notamment dans le renouvellement des flottes de bus, de camions ou de bennes à ordures, ou le renouvellement ou l'achat de véhicules utilitaires légers.
Au niveau français, le soutien est de 7,2 milliards d'euros sur la décennie qui vient. Au niveau allemand, il est de 9 milliards d'euros, se décomposant en 7 milliards pour développer une activité, une économie, une industrie de l'hydrogène sur le territoire allemand, et 2 milliards pour développer des coopérations, permettre la production et l'acheminement d'hydrogène dans des pays adjacents, notamment en Afrique du nord. L'Espagne met 8,9 milliards, l'Italie 4 milliards, l'Autriche 2 milliards et le Portugal 1 milliard.
Je termine mon propos liminaire par quatre points de vigilance.
Le premier m'apparaît le plus important, car il concerne la neutralité technologique. Actuellement, au niveau européen, une préférence, pour ne pas dire une exclusivité, est donnée à l'hydrogène d'origine renouvelable - nous identifions un certain nombre de signaux en ce sens. C'est un point sur lequel il faut être particulièrement vigilant, dans la mesure où il risque d'écarter, ou du moins de ne pas favoriser, le recours à l'électricité nucléaire tel qu'il existe dans le mix énergétique français, qui permettrait d'obtenir de l'hydrogène rapidement et dans de bonnes conditions. Il faut savoir quelle est la priorité : décarboner l'économie ou favoriser les énergies renouvelables. Évidemment, notre préférence va à la décarbonation de l'économie.
La stratégie européenne envisage et admet, dans une période transitoire, le vaporeformage, processus qui casse la molécule de méthane et donne de l'hydrogène et du gaz carbonique, dès lors qu'il serait couplé à ce que l'on appelle le CCS (carbone capture and storage) ou le CCU (carbon capture and utilization). Il s'agit de capter le gaz carbonique, soit pour l'utiliser, comme le fait Air Liquide dans la raffinerie de Port-Jérôme en Normandie, soit pour le transporter sur des bateaux, puis l'enterrer dans des gisements en mer du Nord, comme cela se pratique de plus en plus. Cette solution est admise de manière transitoire au plan européen mais ignorée en France. Les autorités françaises doivent être vigilantes, car il ne faudrait pas que cela se développe ailleurs et que la France soit également en retard sur ce point. France Hydrogène a pris contact avec plusieurs parlementaires européens, dont certains sont « autour de la table » et nous avons sensibilisé les services de la Commission européenne, notamment la DG Énergie. Je crois que les choses vont se nouer au moment où nous allons travailler sur l'amendement à la directive RED II, au deuxième trimestre 2021.
Parallèlement, en partenariat avec RTE, ou en prolongement de l'étude approfondie qu'il mène actuellement, et dans le cadre d'une concertation avec tous les acteurs, nous allons regarder comment se présente l'équilibre des différentes énergies en France, sachant qu'il y a des interactions très fortes entre elles, pour déterminer s'il y aura assez d'énergies renouvelables pour alimenter le marché jusqu'en 2050. Nous regarderons aussi certaines variantes, par exemple si l'efficacité énergétique n'est pas au rendez-vous, si le l'éolien offshore ne décolle pas assez vite, ou si l'éolien onshore est bloqué...
Le deuxième point de vigilance porte sur la nécessité de faire baisser les coûts. Le seul moyen est de continuer à innover et à faire de la recherche et du développement. Mais il faut aussi appliquer les mêmes méthodes que pour d'autres technologies émergentes : il faut changer d'échelle, à la fois dans la production d'hydrogène et dans la production de technologies pour produire l'hydrogène, le distribuer et l'utiliser. Le corollaire est que la production de ces technologies soit faite en France ou au minimum en Europe, pour contribuer à la réindustrialisation.
Pour ce faire, nous comptons sur la mise en place de l'IPCEI, que j'ai déjà mentionné. Nous avons bien conscience que cela n'apporte pas de financement européen, mais il s'agit d'appliquer à l'hydrogène ce qui a été fait sur les batteries. Dès à présent, l'hydrogène est reconnu comme une chaîne de valeur stratégique. L'étape suivante est de faire reconnaître que celle-ci doit faire partie d'un projet important d'intérêt européen commun. Ceci permettra de faire émerger des champions nationaux qui construiront notamment des gigafactories, ces grandes usines qui permettront de mettre en oeuvre les technologies à moindre coût.
Nous sommes relativement confiants sur ce plan. Il suffit de lire le communiqué de presse publié par l'Élysée le 13 octobre 2020, à la suite de la rencontre entre le président de la République et la chancelière allemande : il dit clairement que les deux pays souhaitent qu'il soit décidé d'un IPCEI avant la fin de cette année. Il faudra évidemment, au-delà de la France et de l'Allemagne, rallier un maximum de pays européens.
Là encore, cela va demander une révision des textes, notamment des lignes directrices sur les aides d'État pour l'énergie et l'environnement, pour que celles-ci soient étendues à l'hydrogène. Cela devrait être fait en 2021.
Je dois malheureusement vous arrêter car Mme Laura Buffet doit aussi intervenir et nous avons déjà beaucoup de questions. Nous pourrons revenir sur ce point dans la suite de la discussion.
Je vais commencer par dire quelques mots sur Transport et environnement. C'est une fédération d'ONG basée à Bruxelles, qui réunit environ soixante membres à travers l'Europe, dont quatre en France, par exemple le Réseau action climat ou France nature environnement. Nous avons six bureaux nationaux à travers l'Europe, dont un vient d'ouvrir à Paris. Notre rôle, au niveau européen et international, est de s'assurer que les politiques de transport permettent de réduire les émissions de CO2 du secteur, et plus généralement l'impact environnemental de ce dernier.
En guise d'introduction, je voulais mentionner que notre priorité est de mettre en place des mesures pour réduire la demande en énergie du secteur. Cela passe, par exemple, par le transfert modal, le soutien aux mobilités douces, etc. En ce qui concerne l'hydrogène, le sujet d'aujourd'hui, nous pensons vraiment que cette technologie zéro émission aura un rôle à jouer dans ce secteur.
Pendant ma présentation, je vais regarder plus en détail trois questions principales : le mode de production d'hydrogène, mentionné précédemment, la question de l'efficacité énergétique et la disponibilité d'autres technologies zéro émission dans les différents segments du transport, pour voir in fine quel rôle l'hydrogène aura à jouer dans ceux-ci.
En ce qui concerne le mode de production, la majorité de l'hydrogène est actuellement produit à partir de ressources fossiles, de gaz naturel plus précisément. Le graphique que je vous présente précise le niveau des émissions de CO2 selon différents modes de production d'hydrogène. Vous y voyezla première option, qui est celle de la production à partir de gaz fossile, la plus émettrice. La deuxième option est l'utilisation du gaz combinée à la technologie de capture et de séquestration du CO2. La troisième option, avec des émissions de CO2 qui restent significatives, est l'électrolyse utilisant le mix électrique européen moyen qui n'est pas encore totalement décarboné. La dernière option est la production à partir d'électricité renouvelable additionnelle. C'est clairement l'option qui permet de réduire les émissions de CO2 de la manière la plus nette.
Il y a beaucoup de discussions au niveau européen sur l'hydrogène dit bleu - c'est-à-dire la deuxième option. Mais nous voyons qu'elle ne réduit pas autant les émissions de CO2 que l'option électricité renouvelable. Or sur le long terme, l'objectif est bien de réduire la dépendance aux ressources fossiles. En continuant à soutenir le gaz fossile à travers l'hydrogène, nous irions clairement dans la direction opposée.
La stratégie de l'Union européenne laisse la porte ouverte à différents modes de production d'hydrogène, mais je pense qu'il est important de rappeler que sa priorité est de développer l'hydrogène renouvelable. Tous les objectifs chiffrés sont en fait des objectifs liés à l'hydrogène renouvelable seulement.
Sur la base de ces constats, notre ONG recommande de soutenir uniquement la filière renouvelable. Au niveau européen, nous travaillons aussi afin de nous assurer qu'il y ait des critères de durabilité, pour que l'hydrogène renouvelable soit le plus propre possible, qu'il soit produit dans l'Union européenne ou importé.
La question de l'efficacité énergétique est très importante quand on parle de l'hydrogène. Il faut deux fois plus d'électricité pour produire l'hydrogène à travers l'électrolyse puis l'utiliser dans un véhicule à piles à combustible qu'avec un véhicule électrique. À gauche dans cet autre graphique, les deux premières colonnes représentent différents scénarios, selon que l'on considère une décarbonation complète du secteur des camions avec l'électrification ou avec l'hydrogène. Vous voyez qu'il y a un doublement de la quantité d'électricité nécessaire dans le scénario hydrogène, de par des rendements plus faibles, à cause de toutes les étapes de conversion supplémentaires par rapport à l'utilisation directe d'électricité.
Ce qui est intéressant, c'est que la stratégie hydrogène a été publiée en juillet, en parallèle d'une stratégie sur l'intégration des systèmes énergétiques. Cette stratégie préconise l'électrification directe accrue des secteurs et mentionne que les carburants renouvelables comme l'hydrogène devraient être utilisés seulement là où l'électrification n'est pas efficace, pas possible ou trop coûteuse.
Sur la base de ces constats, nous recommandons vraiment à l'Union européenne et aux États membres de favoriser l'électrification directe, partout où cela est possible dans le secteur du transport.
Ces éléments étant posés, regardons les différents types de transport et voyons quelles alternatives existent et quel est le rôle de l'hydrogène dans tous ces segments.
Pour les voitures individuelles, les vans et les bus urbains, le véhicule électrique est déjà le choix le plus efficace énergétiquement, comme je viens de le montrer, mais aussi le plus rentable économiquement. Il y a d'ailleurs, à l'heure actuelle, beaucoup plus de modèles électriques que de modèles à hydrogène pour toutes ces catégories de véhicules. En ce qui concerne les camions de 16 tonnes et moins, nous faisons le même constat, surtout pour les livraisons locales. Pour les camions de plus de 16 tonnes, la question reste ouverte. Un camion à hydrogène a un coût de propriété total, c'est-à-dire un coût d'achat et d'utilisation, plus élevé que celui d'un véhicule électrique, parce que le carburant hydrogène est plus cher. En revanche, les temps de recharge sont plus rapides pour un camion à hydrogène, ce qui permet une plus grande autonomie. Sur le segment des camions de plus de 16 tonnes, il faudra laisser l'industrie décider quelle est l'option la plus favorable pour le marché.
Le règlement de l'Union européenne sur les émissions de CO2 des camions va être revu dans les prochaines années. Il est vraiment essentiel que soit fixé un objectif zéro émission pour les camions d'ici à 2030, afin d'avoir à la fois des camions électriques et des camions à hydrogène. Nous verrons in fine quel est le choix favorisé par le marché.
Pour le secteur aérien, il n'y a pas encore de solution technologique zéro émission disponible aujourd'hui sur le marché. Il faut donc réfléchir à la façon de changer les carburants utilisés par les avions actuels. Il y a de nombreuses discussions au niveau européen sur l'utilisation de biocarburants, notamment produits à partir de déchets et de résidus. Nous nous sommes penchés sur la question : il est clair qu'il n'y a pas assez de biocarburants pour assurer que le secteur aérien puisse réduire ses émissions de CO2. Cela crée une opportunité pour l'hydrogène, à travers la production de ce qu'on appelle des carburants synthétiques. Ce sont des carburants produits à partir d'hydrogène renouvelable auquel on associe du CO2, ce qui donne un carburant synthétique qui peut être utilisé dans les avions actuels. Sur ce point, l'Union européenne va développer une initiative qui va être publiée en début d'année prochaine. Nous demandons à ce qu'il y ait un vrai signal, un objectif incitatif, pour que le secteur aérien commence à utiliser ces carburants synthétiques et que l'hydrogène puisse jouer un rôle par ce biais-là.
En matière de transport fluvial ou maritime, il faut rappeler que des mesures d'efficacité énergétique permettraient de réduire de 30 % les émissions de gaz à effet de serre. C'est vraiment une priorité au niveau européen.
Pour les courtes distances, l'électrique a beaucoup à offrir. On voit déjà beaucoup d'initiatives autour de ferries électriques, de barges électriques, de navettes fluviales. En revanche, pour le transport à plus longue distance, l'hydrogène renouvelable et l'ammoniac produit à partir d'hydrogène renouvelable auront un rôle à jouer. Ce sont les seules solutions pour arriver à zéro émission dans le transport de marchandises par la mer. Une réglementation de l'Union européenne est en discussion, avec une proposition attendue en début d'année prochaine. Nous espérons vraiment qu'il y aura des outils incitatifs pour faire en sorte que le secteur non seulement mette en oeuvre des mesures d'efficacité énergétique, mais aussi se prépare à adopter beaucoup plus d'hydrogène et d'ammoniac.
Les trois principales recommandations sont donc de : soutenir uniquement l'hydrogène renouvelable au niveau européen et par les pays membres, favoriser l'électrification directe partout où c'est possible, puisque c'est l'option la plus efficace, et s'assurer que l'aviation et le transport maritime deviennent des marchés clés pour l'hydrogène. C'est au niveau européen que des initiatives doivent être prises pour s'assurer d'une demande de ces secteurs.
Merci beaucoup, Mme Buffet. Je vais passer sans tarder la parole aux orateurs de groupe. Pour La République en marche, Caroline Janvier.
Merci à vous trois pour ces présentations à la fois succinctes et complètes.
C'est aujourd'hui un fait, l'Europe se trouve, comme le reste de la planète, à un tournant énergétique majeur de son histoire industrielle, un tournant nécessaire, je dirais même impératif, que la France comme l'Union européenne ont cependant fait le pari d'aborder comme un défi positif à l'égard de nos capacités d'innovation. Comme vous le savez, l'hydrogène possède des avantages incontournables. Il peut être utilisé comme solution de transport, carburant, stockage d'énergie ou encore matière première. Plus que tout, l'usage de l'hydrogène est neutre en émission carbone.
Le temps est venu de verdir nos sources d'énergie et l'Union européenne l'a bien compris. C'est le sens du Pacte vert pour l'Europe, le Green Deal, qui souligne le besoin d'être pionnier en matière énergétique, pour être le premier continent à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. En 2018, la stratégie européenne bas carbone évoquait elle aussi l'hydrogène dans le mix énergétique de l'Union, dont la part devrait passer de moins de 2 % aujourd'hui à près de 14 % en 2050.
Entre-temps, la crise sanitaire a déstabilisé les économies européennes, conduisant Paris comme Bruxelles à construire un plan de relance ambitieux. Ce plan de relance vise, entre autres, à renforcer les investissements dans des technologies propres, au sein desquelles l'hydrogène figure en bonne place.
L'hydrogène c'est bien, mais l'hydrogène propre c'est mieux. Outre le développement de l'usage de l'hydrogène à travers l'Europe, c'est en particulier la part d'hydrogène propre qu'il faudra accroître. C'est un défi, car, nous le savons, il n'est pas encore compétitif face à l'hydrogène d'origine fossile, bien que le prix de l'hydrogène d'origine renouvelable diminue année après année. Mais le défi est là aussi relevé, puisque le programme de recherche Horizon Europe aura notamment pour but de permettre le développement de nouvelles technologies destinées à renforcer l'hydrogène propre. C'est dans cette dynamique que s'inscrit également le Gouvernement, aux côtés du Président Macron, avec l'appui de notre majorité parlementaire. Ainsi, pionnière parmi les pays du monde, la France a présenté à la mi-2018 son plan de déploiement de l'hydrogène. Cette ambition s'est encore affirmée en septembre, avec la publication d'une stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en France. Axe prioritaire d'investissement pour notre pays, cette stratégie tient compte des questions environnementales, notamment dans les transports, des questions économiques, afin de nourrir un écosystème industriel porteur et durable et enfin, des questions de souveraineté technologique et énergétique, plus que jamais d'actualité. Les moyens accordés sont de 7 milliards d'euros de soutien public jusqu'en 2030, dont 2 milliards au sein du plan de relance.
L'objectif est d'économiser plus de 6 mégatonnes de CO2 en 2030, soit l'équivalent des émissions annuelles de CO2 de la ville de Paris, tout en générant entre 50 et 150 000 emplois en France. Force est de constater que le gouvernement français, comme l'Union européenne, comptent bien être au rendez-vous du tournant de l'hydrogène, pour mettre à profit ses caractéristiques environnementales, renforcer la production d'hydrogène propre et en faire bénéficier un nombre croissant de secteurs. C'est pour cela que le groupe parlementaire La République en marche est ravi de cette table ronde permettant de bénéficier de vos expertises respectives sur le sujet.
Pour démarrer nos échanges, j'ai une question sur les liens de l'hydrogène avec l'énergie nucléaire. En effet, il semble difficile d'imaginer que la production d'hydrogène par les énergies renouvelables solaire et éolienne suffise à remplacer son équivalent d'origine fossile. Il s'agit alors d'investir fortement dans la recherche et développement, afin de développer des électrolyseurs verts, ce qui semble nécessairement passer par un recours au nucléaire, comme l'a récemment souligné le professeur Gérard Bonhomme. Quelle est votre position sur le sujet ? Considérez-vous le nucléaire comme un concurrent ou un allié du développement de l'hydrogène ?
Merci. La parole est à Patrick Loiseau, pour le Mouvement démocrate et démocrates apparentés.
Merci aux intervenants pour leur présentation sur ce sujet passionnant qu'est l'hydrogène.
Le développement de la filière d'hydrogène renouvelable résulte en effet d'une forte impulsion de la Commission européenne à travers sa stratégie présentée en juillet dernier, au croisement des objectifs du plan de relance et du pacte vert. Cette filière doit permettre d'atteindre le but d'une Europe neutre en émissions de carbone en 2050.
La France a pris le pas en investissant massivement pour le développement de la filière, à travers son plan de relance, à hauteur de 7 milliards d'euros. Filière porteuse d'emplois, contribuant à diversifier notre mix énergétique, comportant des avantages économiques et en termes de compétitivité, l'hydrogène vert semble présenter de nombreux atouts.
Mon département de Vendée est d'ailleurs l'illustration de l'excellence industrielle française en ce domaine. L'entreprise Life, que vous devez connaître, développe un site de production d'hydrogène fabriqué sans énergie fossile ni nucléaire, grâce à l'énergie issue d'un site d'éoliennes. L'objectif, à terme, est bien de pouvoir stocker et acheminer cette énergie, qui bénéficiera notamment aux entreprises et collectivités vendéennes.
Ce genre de projet témoigne de grandes avancées réalisées en matière de R&D sur cette technologie. La recherche reste cependant à encourager, et doit être plus largement déployée. Le cadre législatif européen doit aussi accompagner cette impulsion. Ainsi, la Commission a présenté un fonds d'innovation de 10 milliards d'euros pour l'hydrogène vert. En parallèle, elle souhaite établir un cadre législatif pour la recherche et l'innovation sur ces technologies.
Savez-vous comment ces deux aspects vont s'articuler ? De plus, comment s'assurer de la provenance de l'hydrogène ? Comment distinguer, pour la bonne information des consommateurs, l'hydrogène issu de l'énergie nucléaire et celui issu de l'énergie renouvelable ?
Certains États européens souhaitaient ainsi un système de certification pour une meilleure traçabilité de l'hydrogène vert. Connaît-on déjà les contours d'un tel dispositif ? Quels seraient les critères pris en compte pour une telle certification ? Enfin, la consommation de l'énergie issue de l'hydrogène est actuellement de 2 % en Europe. La Commission fixe un objectif de 12 à 14 % d'ici 2050. Les investissements en la matière vous semblent-ils à la hauteur de cet objectif très ambitieux ?
La parole est à Chantal Jourdan pour le groupe Socialistes et apparentés.
Merci à l'ensemble des intervenants.
L'objectif de neutralité climatique d'ici 2050 impose que nous développions et mettions en place les technologies répondant à cet objectif le plus rapidement possible. L'hydrogène participe de ces nouveaux procédés, bien qu'aujourd'hui il soit loin de remplir l'objectif d'une énergie neutre en termes d'émissions de gaz à effet de serre. En effet, une très importante partie de l'hydrogène produit est d'origine fossile, car résultant de divers procédés qui utilisent des combustibles fossiles comme matière première.
Le but est donc de décarboner cette ressource. Le plan de relance national consacre 2 milliards d'euros à cette technologie de l'hydrogène renouvelable et bas carbone. L'hydrogène vert ou renouvelable produit par électrolyse dépend de ressources électriques qui, pour garantir la neutralité carbone, doivent émaner d'énergies vertes, notamment l'éolien et le solaire. Le développement de cette énergie, au-delà de l'aspect technologique, va dépendre en grande partie de la capacité de production d'électricité renouvelable.
Dans la stratégie européenne, le déploiement à grande échelle de l'hydrogène renouvelable ne sera donc possible que dans un second temps, entre 2030 et 2050. La réalisation de cet objectif dépend donc en grande partie du déploiement des technologies de production d'électricité verte.
L'objectif européen vous semble-t-il raisonnable et quelles décisions doivent intervenir pour l'atteindre ?
Enfin, l'hydrogène bas carbone, c'est-à-dire d'origine fossile avec captage du CO2 ou produit par électrolyse à partir d'une source électrique carbonée, va disposer d'une part des financements européens et nationaux dans les années à venir. Cependant, ce qui nous semble essentiel, c'est bien que nous investissions dans l'hydrogène renouvelable, au risque de prendre du retard et de ne pas orienter suffisamment de fonds sur la technologie réellement verte où les efforts doivent être plus conséquents. Dispose-t-on d'une idée du fléchage qui va s'opérer entre les différentes technologies ?
Merci. André Chassaigne pour la Gauche démocrate et républicaine.
L'hydrogène n'est pas seulement l'élément le plus abondant de l'univers, il est le plus espéré et le plus attendu par ceux qui, comme nous, désirent mettre en oeuvre la reconstruction écologique. Les intervenants l'ont dit : pour décarboner l'économie mondiale, le recours à l'hydrogène apparaît aujourd'hui incontournable. Les industries chimiques et sidérurgiques, le raffinage, le transport maritime, l'aviation notamment, n'auront pas d'avenir sans son assistance. On ne peut donc que se féliciter des velléités européennes visant à développer l'hydrogène vert comme nouvelle source d'énergie pour les décennies à venir. C'est un choix politique heureux puisque, comme le soulignait Nicolas Hulot dans sa présentation du plan hydrogène : « l'hydrogène est aujourd'hui la seule technologie qui permet de stocker massivement et sur de longues périodes l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables intermittentes. C'est donc un élément clé de la stabilité du mix électrique de demain. »
Source d'enthousiasme, le développement de l'hydrogène n'est cependant pas sans poser de nombreuses questions scientifiques, environnementales et politiques, comme nos intervenants l'ont d'ailleurs souligné.
La première question concerne la façon dont est recueilli cet élément. En dépit de son abondance, l'hydrogène est difficilement accessible, puisqu'il se trouve toujours cramponné à d'autres atomes. Nous savons que dans l'immense majorité des cas, l'hydrogène est actuellement produit, contrairement à ce qui a pu être dit par certains, à 95 % à partir d'énergies fossiles, consommant 6 % du gaz naturel et 2 % du charbon dans le monde. Les émissions associées dépassent 800 millions de tonnes de CO2 par an, soit 2,3 % des émissions totales, autant que l'aviation et autant que le transport maritime. Aujourd'hui, les plus optimistes, dont vous êtes, aiment à parler du développement d'hydrogène vert, celui-ci n'émettant pas de CO2 lors de sa combustion et durant sa production, puisque le processus utilise des énergies renouvelables, notamment les énergies solaire et éolienne, ainsi que des intrants neutres en carbone.
Fort bien, mais un tel renversement des proportions et des pratiques nous oblige collectivement à placer cette question - cela a d'ailleurs été dit par M. Boucly - au coeur du débat public français, notamment en abordant la place du nucléaire dans notre stratégie hydrogène. Il serait en effet inconcevable que l'hydrogène gris ou l'hydrogène bleu, plus émetteurs de CO2, viennent se substituer à un hydrogène censé nous tirer de l'impasse écologique dans laquelle l'humanité se trouve.
Ce point m'amène à évoquer la deuxième question, liée au développement de l'hydrogène sur le continent européen. Vous n'êtes pas sans savoir que je suis député communiste, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Nous ne cessons de répéter que sans l'intervention de la puissance publique, il n'y aura pas de transition énergétique à la hauteur des enjeux climatiques. L'hydrogène n'échappe pas à la règle puisque, comme le rappelle fort justement l'ADEME : « le déploiement d'une filière hydrogène nécessite des investissements relativement lourds, tant pour la production, la distribution que le stockage de l'hydrogène. Ceci suppose un engagement d'acteurs industriels et une maîtrise du risque économique par le soutien des pouvoirs publics. »
En d'autres termes, si nous voulons que l'hydrogène soit la porte de notre salut, il faudra que les puissances publiques jouent les premiers rôles et s'affranchissent des restrictions budgétaires et concurrentielles imposées actuellement par le cadre européen. Si nous pensons, par exemple, que les véhicules à hydrogène sont notre avenir, alors nous devons mettre en oeuvre une politique publique visant à l'installation d'un réseau de stations-service à hydrogène sur tout le territoire, et pas uniquement dans les métropoles où les opérateurs privés iront tout naturellement pour répondre à la demande, en laissant les territoires ruraux à l'abandon. Il en va de même pour notre stratégie industrielle. Si nous voulons constituer des champions européens de l'hydrogène, en particulier dans l'automobile, alors nous devons aller contre la philosophie politique qui anime le traité et le marché unique pour qu'enfin les États puissent jouer le rôle qui leur revient dans cet instant de notre histoire.
Je voudrais citer les propos tenus il y a quarante ans par Ronald Reagan, mais pour les contourner ensuite. Le 20 janvier 1981, Ronald Reagan tenait ces propos : « Dans cette crise actuelle, l'État n'est pas la solution à notre problème, il est le problème ». Moi, je dirais que dans la crise actuelle, sans l'État, sans les financements publics, l'hydrogène ne pourra pas être la solution à notre problème. Mais vous comprendrez que dans ma bouche, cela pose aussi la question de la maîtrise publique de l'hydrogène.
Merci beaucoup pour cette table ronde et surtout l'approche combinée de la Commission des affaires européennes et de l'OPECST.
J'ai une question en lien avec une mission de l'OPECST que je conduis en ce moment avec le sénateur Stéphane Piednoir, qui suivait l'audition mais a dû s'absenter, portant sur les réacteurs nucléaires de quatrième génération. Cette question concerne un sujet qui a déjà été abordé : l'hydrogène d'origine nucléaire. Effectivement, il ne faut pas se tromper de combat entre énergie renouvelable et énergie décarbonée. La priorité me semble être absolument de produire l'hydrogène de manière décarbonée, alors que la plus grande part est aujourd'hui produite de manière fossile. J'aimerais attirer votre attention sur un point : pour assurer l'adéquation de la production et de la consommation d'électricité au cours de la journée, la France se trouve dans un cas très singulier, car avec 75 % d'électricité d'origine nucléaire, EDF doit « piloter » la production des centrales nucléaires. Nous les utilisons moins, d'une certaine manière, la nuit, contrairement à d'autres pays, par exemple les États-Unis, qui n'ont que 20 % d'électricité d'origine nucléaire et utilisent toujours leurs centrales nucléaires à leur puissance nominale.
Nous avons donc un potentiel important, avec une meilleure valorisation possible de notre parc nucléaire, d'autant que cette énergie nucléaire est à coût fixe et que le coût marginal du mégawattheure, quand on a déjà la centrale et la gestion du cycle, n'est plus d'une cinquantaine d'euros mais plutôt de quelques euros.
Que pensez-vous de la classification en hydrogène, gris ou vert, de l'hydrogène d'origine nucléaire ? Je pense vraiment qu'il faut qu'on arrive à le qualifier d'hydrogène vert. Que pensez-vous de l'idée d'associer à chaque centrale nucléaire un électrolyseur, afin de mieux valoriser leur potentiel de production et d'atteindre l'objectif de décarboner le plus possible la production de notre hydrogène ?
Merci. Pour finir avec cette première vague de questions, Michel Delpon, président du groupe d'études sur l'hydrogène.
Je m'intéresse à l'hydrogène depuis trois ans et j'ai beaucoup oeuvré pour créer ce groupe d'études sur l'hydrogène qui a été accepté le 11 mars 2019. Depuis, beaucoup de chemin a été franchi, notamment avec l'annonce du plan Hulot de 100 millions d'euros, le 1er juin 2018. Le travail que nous avons fait auprès des ministères pour obtenir un budget pour la massification a commencé il y a un an. L'épidémie de Covid-19 a démultiplié le budget, qui est devenu un fer de lance du plan de relance, avec les fameux 7,2 milliards d'euros d'ici 2030, voire 2 milliards dans les deux années qui viennent.
L'objectif est effectivement de faire un plan de production française, il faut y insister. Nous n'avons pas tout à fait les mêmes objectifs que l'Allemagne puisque celle-ci n'a pas les moyens de produire autant d'électricité verte que nous. Elle envisage de l'importer du Maghreb, depuis des parcs de capteurs solaires qui pourraient être créés sur ce territoire, comme vont d'ailleurs le faire l'Australie et le Japon.
Pour en revenir à l'Europe, je dirais que le match se joue avec la Chine. C'est la Chine, encore une fois, qui est notre principal concurrent. L'Europe doit s'organiser pour ne pas subir le même phénomène qu'avec l'énergie solaire, c'est-à-dire se faire piller son système industriel.
Il est essentiel de construire pour nous, pour l'Europe. L'objectif de ce plan en France, en Allemagne et plus largement en Europe, parce que nous avons le même budget de 7 milliards d'euros, est d'arriver à la neutralité carbone en 2050, mais surtout d'arriver à une souveraineté énergétique et économique de l'Europe. Cela bouleverserait la balance commerciale. Il est donc important de réussir ce challenge, qui touche trois secteurs. Effectivement, on ne parle pas souvent du bâtiment, mais il ne faut pas l'oublier. Les deux secteurs dont on parle beaucoup sont la mobilité et l'industrie. Ce plan prévoit de commencer par la mobilité lourde, en l'occurrence les camions, les bus et les trains, où Alstom intervient déjà. Il ne faut pas l'oublier : cela fonctionne déjà. Les voitures à hydrogène aussi fonctionnent, comme des taxis à Paris des taxis. N'oublions pas le plan Airbus à horizon 2035 : un milliard et demi d'euros sont consacrés à cette recherche, et un premier avion hybride de cinq à dix places a déjà volé récemment. L'aviation va évoluer dans ce sens, il n'y aura plus de gros porteurs, comme nous en avons connu : nous allons venir à une aviation propre, avec de plus petites jauges, avec des avions de dix, vingt, trente places maximum.
Voilà un peu le schéma. Je terminerai mon propos sur la certification. Ce serait bien qu'il y ait une certification européenne, pour les différents types d'hydrogène. Nous avons bien compris que l'hydrogène vert est renouvelable. Cela va permettre de tirer vers le haut les énergies renouvelables, de produire beaucoup plus, de faire baisser les prix. Vous le savez, il y a cinq sources d'énergies renouvelables : le solaire, l'éolien, la méthanisation, l'hydroélectrique qu'on oublie souvent, et la géothermie.
L'hydrogène bleu, produit à partir du nucléaire, sera une phase transitoire, qui permettra à la France d'avoir de l'hydrogène bas carbone. Il faudra en finir avec l'hydrogène « gris », fabriqué à partir d'énergie fossile. Entre les deux, on évoque désormais l'hydrogène turquoise produit par pyrolyse du méthane, ce qui ne dégage pas de CO2 et génère du carbone solide que l'on peut utiliser. C'est une technologie qu'il ne faut pas négliger. Les Américains l'ont achetée et industrialisée dans le Nebraska. Je ne pense pas que ce soit une solution pour nous, mais je la cite quand même. Voilà les quatre catégories, et je pense qu'il faudrait une véritable certification de l'hydrogène vert.
Le groupe d'études en a parlé avec l'Aphypac et Philippe Boucly, ici présent. Ils l'avaient appelé CertifHy. Il faut aller dans ce sens pour inciter les utilisateurs, que ce soient des pays, des industries ou des collectivités, à avoir une signature, un label de l'hydrogène vert, dit renouvelable.
Merci beaucoup. Je passe la parole aux intervenants. Qui souhaite répondre en premier ?
Je vais répondre à la question nucléaire, à la question sur le système de certification et donnerai peut-être un dernier éclairage sur l'aviation.
Ma présentation soulignait que le mot nucléaire n'apparaît pas dans la stratégie européenne et que tous les objectifs européens en termes de production chiffrée sont des objectifs pour l'hydrogène renouvelable. Cela montre que la France est un cas particulier en termes de mix énergétique par rapport à d'autres pays européens. Par exemple, l'Espagne, le Danemark et l'Allemagne ont vraiment l'hydrogène renouvelable comme priorité. Pour se replacer dans le contexte européen, la France a une perspective très particulière, du fait de la place du nucléaire dans le mix électrique.
En ce qui concerne les coûts, il est intéressant de rappeler qu'il y a eu de très fortes réductions de coûts pour l'électricité renouvelable. Le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie sur les énergies renouvelables montre que le coût de l'énergie solaire a diminué de 80 % entre 2010 et maintenant. Ce processus va s'accélérer. C'est aussi pour cela que l'on considère que c'est l'énergie d'avenir et que c'est là-dessus que l'Europe et les pays doivent se baser pour la production d'hydrogène.
S'agissant des transports, il est important de rappeler que c'est la directive Énergies renouvelables qui gouverne les carburants alternatifs. Cela explique pourquoi on se focalise sur le sujet des renouvelables. C'est dans ce cadre que sont créés des outils incitatifs pour le secteur du transport. Le nucléaire n'y a pas sa place, puisque ce n'est que l'électricité d'origine renouvelable qui sera prise en compte pour l'utilisation dans les transports.
Pour avoir une position plus générale sur le nucléaire, il faudrait se reporter aux positions de nos membres français, comme le Réseau action climat ou France nature environnement. Ils ne considèrent pas que l'électricité nucléaire soit une électricité d'avenir pour des raisons de risques industriels, de coûts de la filière et de problèmes liés à la gestion des déchets. Ce sont ces ONG nationales qui ont l'expertise sur ces questions.
Il n'existe pas encore de système de certification complètement développé au niveau européen pour l'utilisation de l'hydrogène dans le transport. En revanche, des discussions sont en cours. Il est très important d'arriver à un système qui permette d'établir clairement que pour qu'un hydrogène soit considéré comme renouvelable et bénéficie d'un label, il faudra prouver qu'une capacité renouvelable additionnelle a été placée sur le réseau. L'idée n'est pas d'utiliser le renouvelable pour l'hydrogène et plus de fossiles pour d'autres secteurs de l'économie. L'association Transport et environnement travaille au niveau européen, notamment auprès de la Commission européenne, qui pour le moment est leader sur ces questions. Je pourrais vous envoyer plus de détails sur ces questions de certification en matière de transports.
Il est important de mentionner aussi le sujet des importations. Un système de certification européen doit prendre en compte la complexité des importations. Nous l'avons vu dans le domaine des agro-carburants, sur lequel nous avons beaucoup travaillé. Dès qu'on regarde les importations, les critères de durabilité sont beaucoup plus difficiles à vérifier et il y a beaucoup plus de risques de fraude. Nous espérons qu'au niveau européen, des critères spécifiques seront pris en compte si l'on importe de l'hydrogène.
Par ailleurs, à nos yeux, l'importation d'hydrogène renouvelable de pays extérieurs à l'Union européenne est possible. Mais cela ne doit pas conduire à ralentir la décarbonation de ces pays du fait de la demande européenne. Il faut s'assurer que ces pays vont pouvoir décarboner leurs économies en priorité, et que la demande européenne ne va pas mettre en péril leurs efforts visant à réduire par exemple l'impact carbone de leur système électrique.
Il y a eu récemment des annonces sur l'avion à hydrogène à l'horizon 2035, ce qui est une perspective très prometteuse. Cette énergie n'est pas adaptée aux long-courriers. C'est pour cela qu'on essaie de regarder quelles peuvent être les solutions pour les avions actuellement en exploitation. C'est aussi pour cela que nous espérons que les carburants alternatifs produits à partir d'hydrogène seront peut-être le premier « pilier » dans le secteur aérien. L'horizon 2035 est encore lointain et il faut aussi des solutions à plus court terme pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre du secteur, même si toutes les technologies zéro émission ne sont pas encore sur le marché.
Vos questions montrent que le coeur du sujet, c'est « nucléaire ou pas nucléaire ». D'autres pays européens sont équipés en nucléaire et n'ont pas prévu de l'arrêter. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'à long terme, ce serait formidable si l'hydrogène était produit à partir d'énergies renouvelables. L'important, c'est de réussir la transition et d'être encore là à l'arrivée.
Or je constate le retard de développement des énergies renouvelables en France, pour le renouvelable onshore et a fortiori pour l'offshore, pour lequel je crois qu'à ce jour nous avons une éolienne alors que d'autres parlent déjà en gigawatts de parcs offshore. Nos centrales nucléaires tournent et sont en parfait état de fonctionnement. Le mix électrique français donne entre 50 et 70 grammes de gaz carbonique par kilowattheure, il faut à peu près 55 kilowattheures pour faire un kilogramme d'hydrogène, ce qui nous représente à peu près à 3,8 à 4 kilogrammes de gaz carbonique par kilogramme d'hydrogène produit. Vous en conviendrez, c'est beaucoup mieux qu'à partir d'hydrocarbures, même le gaz naturel, où nous sommes à 9 ou 10 kilogrammes de gaz carbonique par kilogramme d'hydrogène.
Sur le point d'arrivée, j'ai le sentiment que nous sommes tous d'accord : nous militons pour la neutralité technologique. Laissons leur chance à tous ceux qui ont les moyens de faire de l'hydrogène bas carbone et arrêtons donc de sortir des seuils de plus en plus bas dans les taxonomies qui fleurissent ici ou là. Une taxonomie verte est en train d'être mise au point à Bruxelles, où l'on parle maintenant de 2,256 kilos de CO2 par kilo d'hydrogène. Si je retiens le taux d'émission carbone de la base carbone de l'ADEME, le photovoltaïque ne passe même pas la barre avec ce seuil.
Michel Delpon a cité le projet CertifHy. Cette démarche globale a recueilli un large consensus chez les acteurs européens et à Bruxelles, qui tend à qualifier justement l'hydrogène de « bas carbone » lorsque son empreinte en CO2 est inférieure de 60 % à celle des meilleures technologies disponibles, ce qui équivaut à environ 4 kilos de gaz carbonique par kilo d'hydrogène. Rien n'empêche, dans cette catégorie d'hydrogène bas carbone, de définir un hydrogène renouvelable et de lui donner éventuellement une prime.
Laissons exister cette électricité et cet hydrogène bas carbone. Le combat essentiel est le changement climatique et non la promotion du renouvelable à tout va. M. Chassaigne et M. Loiseau se demandaient si les ambitions d'investissement de l'Europe étaient à la hauteur. La filière est parfaitement satisfaite par la stratégie annoncée en matière de soutien gouvernemental, surtout avec la présentation commune des ministres de l'écologie et de l'économie.
La marche à franchir est considérable. En matière d'électrolyse, McPhy, qui est en bonne position pour devenir le champion français, a produit depuis dix ans 40 mégawatts. Leur capacité de production est entre 100 et 300 mégawatts. Leur objectif est de créer une première gigafactory de 1 000 mégawatts à l'horizon 2024. Une autre gigafactory serait construite trois ans plus tard, en 2027. Si l'on cumule ces capacités de production jusqu'en 2030, cela ne fait pourtant que 10 gigawatts. Je rappelle que l'ambition européenne est de deux fois 40 gigawatts, c'est-à-dire qu'il faut que d'autres producteurs européens se mettent également à bâtir des gigafactories, de façon à produire au moins 40 gigawatts, si ce n'est 80, puisque pour les 40 qui sont implantés dans des pays limitrophes, nous pouvons admettre qu'il s'agira d'électrolyseurs chinois, mais aussi espérer qu'ils soient européens.
On retrouve le taux de 12 à 14 % évoqué pour la part de l'hydrogène dans la consommation finale d'énergie à l'horizon 2050, dans beaucoup de scénarios imaginés par certaines associations environnementales, certains industriels, certains pétroliers ou certains électriciens. Nous allons vers plus d'électrification : la part de l'électricité, qui est actuellement de l'ordre de 20 à 25 % de la consommation finale, devrait passer à 50 ou 60 %. Le reste devra être couvert par du renouvelable et l'hydrogène devrait occuper une part qui, selon les scénarios, se situe entre 10 et 20 %. Un niveau de 15 % semble être raisonnable.
Sur l'avion, je n'ai pas d'avis particulier. Les dirigeants d'Airbus et autres se donnent cinq ans pour mieux définir l'avion et savoir s'il volera à l'hydrogène ou au kérosène. Je laisse donc les spécialistes parler de l'avion. Je conviens qu'au vu de la place de l'aéronautique en Europe en général, en France en particulier, il serait bon que les avions soient propres. Encore une fois, attendons que les spécialistes se prononcent sur le type de carburant qui sera utilisé.
Je rappelle qu'un électrolyseur est une machine. Imaginez un aspirateur qui consomme de l'électricité et va produire de l'hydrogène à partir de l'eau. Si vous passez l'aspirateur en milieu de journée et que vous avez des panneaux solaires chez vous, c'est un aspirateur solaire ; si vous passez l'aspirateur à 22 heures, quand la nuit est tombée, c'est un aspirateur qui va consommer le mix électrique de l'endroit où vous habitez. Vous pouvez très bien imaginer un électrolyseur qui, pendant une partie de la journée, va produire de l'hydrogène renouvelable, et une autre partie de la journée utiliser une électricité provenant de sources non renouvelables, ou du nucléaire, etc. On ne peut pas distinguer une technologie d'hydrogène renouvelable et une technologie d'hydrogène nucléaire. La technologie de production de l'hydrogène est neutre, la machine à électrolyse est ce qu'elle est, elle ne reconnaît pas les électrons qui l'alimentent. Du point de vue du développement technologique, développons donc des électrolyseurs efficaces. La question est ensuite : sur quel fil sont-ils branchés et est-on capable de regarder d'où vient l'électricité au moment où on va produire de l'hydrogène ?
On va inéluctablement vers une certification en temps réel de l'électricité consommée. Tous les moyens numériques existent pour ce faire, et il serait extrêmement important d'accélérer dans cette direction, afin qu'on sache si notre mix électrique temps réel est solaire, éolien, nucléaire, etc. et pour quelle part, si le contrat d'énergie l'indique. Aujourd'hui, parce qu'on déverse sur le réseau x mégawattheures d'énergie renouvelable à un moment donné, on est capable, par un jeu de labels et de certificats, de vendre ces mêmes x mégawattheures d'électricité renouvelable à des machines qui vont consommer toute la journée, toute la nuit, y compris à des moments où le renouvelable ne produit pas. Ces mécanismes de certification ont été nécessaires pour favoriser le déploiement des énergies renouvelables. Mais on doit désormais revenir à la physique et développer des solutions pour certifier en temps réel qu'on a du renouvelable ou pas. Cela a un impact sur le coût de production, car le coût de l'hydrogène produit par un électrolyseur dépend du prix de l'électricité achetée et du coût de l'électrolyseur lui-même, son amortissement, sa maintenance. Évidemment, si un même électrolyseur fonctionne 3 000 heures par an, branché uniquement sur du solaire, et que vous l'éteignez quand il n'y a pas de soleil, ou que vous le faites fonctionner 8 760 heures par an, c'est-à-dire 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, à l'arrivée vous n'avez pas le même coût de production.
Dans ce débat sur l'origine de l'hydrogène, on va avoir une problématique de coûts différents et de certifications différentes. Cela ne me gêne pas que le consommateur, à la fin, sache à quel prix il achète son hydrogène et d'où vient cet hydrogène : est-il 100 % renouvelable, ou à moitié renouvelable et à moitié nucléaire pour le mix électrique français ? Finalement, le consommateur peut faire son choix.
Un point est indiscutable dans les stratégies française et européenne : comme l'ont rappelé MM. André Chassaigne et Philippe Boucly, 95 % de l'hydrogène produit repose aujourd'hui sur une source fossile. Cet hydrogène est consommé pour quelques usages : des usines sidérurgiques, des fabriques d'engrais, des raffineries de pétrole, etc. Ces consommations peuvent être satisfaites par l'hydrogène produit par électrolyse de l'eau. De toute façon, c'est positif pour le changement climatique. Il n'y a pas débat, il faut le faire. Je ne critique absolument pas la priorité donnée, dans les plans nationaux et européens, à la construction de gros électrolyseurs qui permettront déjà de décarboner cet hydrogène qui n'est aujourd'hui pas vertueux d'un point de vue environnemental.
La question porte sur l'étape suivante. Comment développer les usages ? Qu'est-ce qu'on en tire ? L'idée n'est pas de consommer de l'hydrogène pour consommer de l'hydrogène, mais d'avoir des véhicules, des maisons, des usages de l'énergie plus vertueux que ceux d'aujourd'hui. L'hydrogène peut être un outil pour décarboner. C'est comme cela qu'il faudrait arriver à prendre le déploiement de la filière, d'autant qu'il va falloir du temps pour que se développent les différents usages qui permettront de consommer cet hydrogène décarboné.
Pour finir, deux points me semblent importants pour le développement de l'hydrogène. André Chassaigne l'a rappelé en citant Nicolas Hulot : l'hydrogène permet de stocker l'énergie renouvelable. Encore faut-il le produire à partir d'énergie renouvelable. Quand on a trop de renouvelable, on stocke, et quand on n'a pas assez de renouvelable, on arrête de produire l'hydrogène. Cette fonction de stockage sera forcément un peu plus chère qu'un hydrogène produit 24 heures sur 24 avec le mix électrique existant. Essayons de différencier ces usages, soutenons le rôle de l'hydrogène comme vecteur de stockage des énergies renouvelables, parce que cela va permettre d'accélérer et d'amplifier l'intégration des renouvelables dans les réseaux. À un moment donné, il faudra du stockage. L'hydrogène est une très bonne façon de le faire, et si on ne le fait pas ainsi on va devoir le faire peut-être à partir de batteries, ce qui, d'un point de vue du cycle de vie et du coût, n'est pas optimal pour un stockage de longue durée. Le soutien au déploiement de l'hydrogène comme vecteur de stockage des énergies renouvelables, comme réserve locale d'énergie dans des écosystèmes durables, est un enjeu très fort, qui ne correspond pas à des logiques de tarifs d'achat d'hydrogène. Il répond plutôt à des logiques de soutien à l'investissement local, d'intégration des énergies renouvelables dans les usages, pour les bâtiments, les éco-quartiers, les véhicules, des logiques de soutien à la production locale d'énergie. Il restera les grandes agglomérations qui, de toute façon, ne peuvent pas produire suffisamment d'énergie pour subvenir à leurs besoins, et pour lesquelles il faudra des systèmes centralisés. Mais en tirant sur les deux bouts de la chaîne, on arrivera à utiliser au mieux l'hydrogène comme vecteur de la transition énergétique.
Merci beaucoup. Il y a encore des collègues qui ont des questions.
Je voulais remercier les intervenants pour la richesse de leurs interventions. J'aurais voulu avoir quelques éclaircissements sur ce qu'on appellerait les clusters locaux d'hydrogène. En particulier, en comparaison avec les actions engagées aux États-Unis et en Chine, sommes-nous compétitifs pour attirer les talents de cette nouvelle industrie renouvelable ?
Merci à tous les intervenants qui ont déjà répondu à beaucoup de questions et ont contribué à nous éclairer. Je voudrais évoquer le sujet du financement. Il faut veiller à ce que les financements ne soient pas de simples sommes annoncées et qu'ils ne soient pas des soustractions mais qu'ils puissent s'ajouter aux crédits déjà prévus. Pour cela, la relance vers l'écologie prévue sur deux ans, jusqu'en 2022, devra se poursuive au-delà. C'est quelque chose qui peut réunir tout le monde sur une position commune.
Ma question porte sur la filière. Sept milliards d'euros seront consacrés à l'énergie. Sur ces 7 milliards, 2 milliards seraient consacrés à l'émergence de la filière hydrogène, et je note que la chaîne à hydrogène reste ce que beaucoup de techniciens appellent une chaîne inefficiente. Un rapport d'EDF et d'autres entreprises appelait à investir 800 millions d'euros par an jusqu'en 2028. Que pensez-vous de cette proposition, qui n'est pas aujourd'hui reprise dans les financements décidés ?
Certains ingénieurs font remarquer que l'hydrogène sera principalement produit par électrolyse avec l'électricité des centrales nucléaires. Cela peut également poser des questions par rapport à tous ceux qui souhaitent voir un équilibre entre les centrales nucléaires et d'autres productions. Mais nous avons aussi vu qu'il y aura toujours l'emploi du reformage du gaz à 900 degrés.
J'aimerais avoir votre point de vue sur les modalités possibles de rééquilibrage du mix français. Certains disent qu'au lieu de diminuer la production nucléaire, on pourrait faire en sorte que la part du nucléaire baisse mécaniquement du fait de l'augmentation de la production issue d'autres sources.
En France, l'éolien et le solaire sont des filières très modestes comparativement à d'autres pays de l'Union européenne et à nos voisins. Comment pourrait-on développer cette partie renouvelable ?
En lien avec la question nucléaire, le fait de développer l'hydrogène sans donner une priorité aux énergies renouvelables, comme l'éolien et le solaire, pourrait nous amener à emprunter une mauvaise route pour l'avenir. Il faudrait donc tirer au clair l'évolution de ces différentes filières.
Nous avons eu la chance d'entendre trois exposés qui présentent des points de vue différents et, parfois, des divergences. La dialectique est toujours intéressante. Nous avons bien noté les sujets « nucléaire ou non nucléaire » et « renouvelable versus décarboné ». La réponse à la question sur la stratégie dépend des objectifs qu'on se fixe : décarbonation ? Optimisation ? À quelle échéance ? J'ai bien entendu la remarque de Mme Buffet, disant que nous pouvons considérer que le nucléaire n'est pas une technologie d'avenir. Mais, pour encore quelques années au moins, les centrales nucléaires en activité vont continuer à produire. Dès lors, comme disait Thomas Gassilloud, qu'est-ce qui empêche de les coupler à des électrolyseurs et d'optimiser la production d'énergie décarbonée ?
Je vais rajouter deux oppositions sur lesquelles j'aimerais avoir vos commentaires.
La première, c'est « émission versus empreinte de gaz à effet de serre ». On sait que ce débat vaut pour les véhicules électriques car une grande partie de leur empreinte carbone vient de la fabrication des batteries. Selon que l'on regarde l'émission ou l'empreinte, l'impact écologique est complètement différent. Pour diverses raisons et selon certaines mesures, le caractère écologique de la voiture électrique est ainsi fortement remis en cause. Comment cela entre-t-il en compte dans l'analyse ?
La deuxième opposition est « système centralisé versus système décentralisé ». Je reviens sur ce que disait M. Bardi au début : selon que l'on considère des modèles centralisés autour de gros moyens de production ou des modèles décentralisés, les analyses sont différentes et les coûts sont différents. Les autres exposés donnaient l'impression de fonder leurs analyses sur le modèle centralisé - M. Boucly nous a parlé de gigafactories, de moyens lourds.
Si je comprends bien, l'analyse économique des usages change de façon importante selon que l'on considère un système centralisé ou décentralisé. J'aimerais entendre M. Bardi sur la question.
Intervient aussi la différenciation des usages. Lorsqu'on compare la voiture à hydrogène et la voiture électrique, il y a des différences par rapport à l'usage de la batterie, par rapport à l'autonomie. Au-delà des questions d'efficacité, les deux outils ne couvrent pas forcément les mêmes cas d'usage. Nous voyons sur cet exemple que, dans le choix des mix à faire, beaucoup de paramètres entrent en compte.
Je voudrais poser une dernière question : est-ce que les moyens de recherche que vous avez à disposition, venant des États ou du budget européen, sont à niveau ? Le budget de la recherche européenne pour les années à venir a été très critiqué pour son manque d'ambition. Êtes-vous satisfaits ou rassurés par rapport à ce qui va venir ? Ma collègue de l'OPECST, Huguette Tiegna, avait aussi une question à poser dans cette veine. Peut-être, pouvons-nous, Madame la Présidente, lui passer la parole une minute ?
Nous lui passons la parole une minute sachant que nous devons terminer vers 19 heures.
Je remercie les différents intervenants qui ont évoqué le sujet de l'hydrogène avec beaucoup de diversité. Au sein de l'OPECST, j'ai réalisé avec mon collègue Stéphane Piednoir un rapport sur les scénarios technologiques permettant d'atteindre l'objectif d'un arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2040. Ce rapport donne des objectifs de décarbonation à l'horizon 2040, notamment via trois scénarios, dont un scénario hydrogène. Aujourd'hui, la question de l'hydrogène a beaucoup évolué dans le débat public, et les financements et la diversité sont aussi à l'ordre du jour. Les industriels accélèrent.
Le sujet concerne l'idée même de produire de l'hydrogène. Vous avez évoqué l'opposition entre « centralisé et décentralisé ». Quand on décentralise la production de l'hydrogène, il faut aussi penser que le citoyen lambda, le particulier ou les collectivités ont besoin, ou en tout cas envie, de l'hydrogène. J'aimerais savoir si vous pouvez nous donner l'état d'avancement des technologies de production de l'hydrogène décarboné, notamment par électrolyse ?
M. Villani citait un certain nombre d'oppositions : émission ou empreinte, centralisé ou décentralisé, et s'interrogeait sur la recherche. Je redis que le combat principal est la lutte contre le changement climatique, donc l'émission de gaz carbonique, plus généralement de gaz à effet de serre, dans l'atmosphère. Pour nous, l'analyse doit être posée en termes de cycle de vie. Les émissions, c'est bien, notamment pour éviter la pollution liée à la mobilité dans les villes. Mais il faut évidemment considérer des analyses en cycle de vie.
À ce propos, il sera d'ailleurs très important de suivre la façon dont le carbone est taxé aux frontières de l'Europe. Taxer les produits importés serait de nature à favoriser toutes les techniques favorables à l'environnement qui produisent peu de CO2, au détriment de ce qui est produit ailleurs dans des conditions souvent douteuses.
Le sujet du modèle centralisé ou décentralisé est revenu plusieurs fois. Le maître mot est changer d'échelle, mutualiser les usages, rassembler les besoins au niveau d'un territoire, de façon à maximiser la demande et de bénéficier de l'effet de taille ou d'échelle pour les coûts. Nous pensons que des écosystèmes territoriaux d'envergure vont se développer. Un appel à projets, doté de 275 millions d'euros, a d'ailleurs été lancé par l'ADEME le 18 octobre dernier. Il va appuyer l'émergence des écosystèmes territoriaux. Nous verrons probablement, chez le plus gros consommateur du territoire, un électrolyseur surdimensionné, qui permettra de produire de l'hydrogène pour des stations de recharge satellites pour des bus, des véhicules de collectivités, des bennes à ordures, des flottes d'entreprises ou captives, éventuellement aussi pour des industriels de taille relativement modeste sur ce territoire.
À côté de cela, on verra également apparaître des productions très centralisées d'hydrogène pour alimenter les grands centres de l'industrie lourde. L'industrie lourde qui reste en France est très localisée. Une fois que vous avez compté les ports : Dunkerque, Rouen, Le Havre, Saint-Nazaire et Fos, plus quelques plaques du type Ambès, la vallée de la chimie près de Lyon ou le sud de l'Alsace, vous avez à peu près fait le tour de la question. Ces centres vont consommer des quantités considérables d'hydrogène. Si l'on veut, par exemple, décarboner la sidérurgie, il faut 700 000 tonnes d'hydrogène, ce qui nécessite plusieurs dizaines de gigawatts. Pour une raffinerie, il faut de l'ordre de 1 000 mégawatts. Ce seront donc des installations très centralisées.
Nous n'avons pas évoqué le transport et la logistique de l'hydrogène. Après une phase transitoire où de petites quantités seront transportées par camion, en espérant que ces camions soient aussi à hydrogène, on verra apparaître des canalisations, des capillaires, desservant les écosystèmes territoriaux, parallèlement à de grandes artères qui les relieront aux différents pôles de consommation. C'est un schéma semblable à ce que l'on a vécu pour le gaz naturel : dans le temps, chaque ville avait son usine à gaz et, petit à petit, on a relié les villes par un réseau.
Je vais aborder un dernier point sur la recherche. Il n'y a pas de priorité établie entre les trois axes de la stratégie annoncée le 8 septembre dernier par les deux ministres. Le troisième axe consiste à maintenir l'excellence en matière de recherche, développement et innovation en France, avec un programme de recherche qui sera géré par l'Agence nationale de la recherche (ANR), à hauteur de 65 millions d'euros. Cela paraît peu, mais les chercheurs que j'ai rencontrés paraissent très satisfaits : ils m'ont dit que cela décuplait les moyens qu'ils avaient jusque-là.
Cela rejoint l'une des remarques qui a été faite. Pour l'instant, les montants sont affichés. L'association France Hydrogène aura à coeur de suivre si les montants affichés sont effectivement dépensés dans les temps, et si les budgets publics sont bien là. Pour l'instant, nous n'avons pas de crainte.
Merci beaucoup. Avant de redonner la parole à M. Bardi et à Mme Buffet, il y a deux dernières questions. Nous allons ensuite passer à la conclusion. C'est un sujet passionnant et je crois que nous allons vous réinviter parce que nous aurons à peine fait le tour de tous les sujets.
Après avoir lu plusieurs comptes rendus et présentations de la stratégie européenne de l'hydrogène, je m'interroge sur l'absence d'une prise en compte de l'ensemble de la chaîne de valeur. Pourtant l'Union européenne n'a eu de cesse ces dernières années de s'alarmer des risques de dépendance du continent pour son approvisionnement en métaux stratégiques, en particulier pour les batteries : lithium, cobalt, etc. J'ai l'impression que cette donnée, pourtant fondamentale, n'entre que bien peu en ligne de compte dans cette nouvelle stratégie européenne. Or, la filière de l'hydrogène pourrait se trouver confrontée au même risque dans la production, avec les électrodes pour l'électrolyse de l'eau ou le transport via les alliages spéciaux pour des pipelines spécialisés. Partagez-vous ce sentiment ?
Merci pour vos interventions très éclairantes. La proposition européenne pour le développement de l'hydrogène vert est ambitieuse. En parallèle, plusieurs États européens, dont la France, ont intégré le développement de la filière de l'hydrogène vert dans le volet environnemental de leur plan de relance. Je souhaitais ici préciser que ce point est également développé dans les propositions de la Convention citoyenne pour le climat.
Ma question porte sur la compétitivité au regard du coût de l'hydrogène, qui a été largement évoqué. Comment les acteurs nationaux de l'énergie, qui sont pénalisés par ce coût, devraient-ils être accompagnés dans la transition vers un hydrogène vert ? Je viens d'entendre qu'il y aurait des fonds pour la recherche et développement, mais je voulais savoir s'il y avait d'autres accompagnements, notamment financiers et techniques.
Je suis désolée, M. Bardi, Mme Buffet, vous avez chacun deux ou trois minutes pour répondre.
Il est vrai qu'il faut être vigilant sur la différence entre empreinte et émission. Cela concerne non seulement les batteries pour véhicules électriques, mais aussi l'hydrogène.
La stratégie de l'Union européenne mentionne qu'elle sera dépendante de 19 des 29 matériaux nécessaires à la filière hydrogène, en termes d'électrolyseur et de piles à combustible. C'est une question importante, sur laquelle il va falloir se pencher plus en détail.
L'Union européenne a déjà lancé une initiative sur les conditions de recyclage des batteries et la réutilisation des matériaux rares, ainsi que sur leur mode de production, pour une labellisation verte. Les discussions sont en cours. Nous avons des documents de positionnement spécifiques sur ce sujet, qui prônent une approche en termes de cycle de vie intégrant ces aspects. Pour l'hydrogène, les mêmes questions vont se poser. Il faut avancer dans la recherche de mécanismes de réutilisation et de recyclage beaucoup plus poussés pour cette filière.
En matière de production centralisée ou décentralisée, comme cela a été dit, les ports auront un rôle majeur à jouer, notamment si l'on considère que le secteur maritime va être très demandeur en hydrogène. Je pense qu'il faut encore plus de recherche pour comprendre mieux quel sera le maillage permettant d'interconnecter de façon optimale le secteur du transport pour les poids lourds, les bateaux et les avions.
Enfin, pour la recherche, il faut déterminer quel hub privilégier pour la production d'hydrogène. Un aspect très peu étudié pour le moment au niveau européen est celui des coûts d'infrastructure et d'exploitation. Des études sont disponibles, mais les estimations vont du simple au double. Je pense que pour le secteur français, il pourrait être intéressant de regarder cette question plus en détail.
Nous avons parlé des 65 millions d'euros de l'ANR. Il faut continuer à faire beaucoup d'efforts dans la recherche technologique et le développement des produits. Deux voies permettent de baisser les coûts : améliorer la conception des produits et produire en grands volumes ; c'est l'industrialisation et pour cela, il faut des débouchés.
Je réponds à la question sur le concept de gigafactory. Baisser les coûts s'obtient en multipliant la quantité d'objets fabriqués. Quand Tesla parle de gigafactory, il ne construit pas des gigas voiture, mais il fabrique beaucoup des voitures de taille tout à fait normale. On peut faire beaucoup de petits électrolyseurs et leur coût baissera. On peut faire des gigafactories de gros électrolyseurs, on aura en plus un effet de taille qui permettra d'avoir un coût encore plus bas pour les productions centralisées. Après, quand on ne consomme pas l'hydrogène à l'endroit où on le fabrique, il faut le distribuer. Le coût de l'infrastructure de distribution de l'hydrogène crée un coût additionnel, dont Laura Buffet vient de parler.
C'est pour cela que dans le débat centralisé ou décentralisé, il faut soutenir les déploiements du marché pour être capable de faire des volumes, de produire en grands volumes les électrolyseurs qui ne sont que des machines. Cela crée des usines sur nos territoires, avec des emplois.
La deuxième chose va être le coût final de l'hydrogène. Je pense que le modèle centralisé et le modèle décentralisé sont relativement équivalents en matière de coût pour le consommateur final. Évidemment, de gros moyens centralisés pour des grosses usines donneront des coûts réduits ; mais si vous voulez recharger un bus à hydrogène dans une petite ville de province, il vous faudra probablement produire l'hydrogène sur place, à partir des ressources renouvelables du territoire, plutôt que développer - en tout cas à court terme - une lourde infrastructure de transport et de distribution.
Dernière remarque : aujourd'hui, l'électricité ne représente qu'une toute petite partie de nos usages de l'énergie. Si on électrifie tous les transports, si l'on augmente encore la part de l'électricité dans le chauffage et si on utilise en plus de l'électricité pour fabriquer de l'hydrogène, il va falloir produire beaucoup, beaucoup, beaucoup plus d'électricité. C'est une absolue nécessité. Savoir avec quels moyens est un autre débat, mais justement, le développement de l'hydrogène est une opportunité incroyable pour que ces nouvelles capacités de production reposent très majoritairement sur les énergies renouvelables.
Merci beaucoup à vous trois. Je suis désolée de devoir arrêter les débats ici, mais je proposerais bien à M. le Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de donner une suite à ce que nous avons fait aujourd'hui, pour voir à quel point nous développons ou non l'hydrogène, et de quelle manière. Est-ce que l'on veut décarboner ou promouvoir les énergies renouvelables ? Comme l'a dit M. Boucly, ce sont des questions essentielles, et nous serons prêts à continuer à suivre cela avec l'Office.
Dans l'échange et dans la dialectique entre les trois intervenants et les nombreuses questions, nous avons vu qu'il y avait de nombreux axes de lecture : l'axe carbone, l'axe de l'efficacité énergétique, l'axe de la façon dont on dessert le territoire, l'axe de la façon dont les mix sont calibrés, etc. Il y a aussi des questions géopolitiques, et nous avons à peine effleuré les sujets liés à la dépendance. Différentes échelles d'analyse sont possibles : est-ce qu'on parle de développement à 10 ans, 20 ans ou 100 ans ? Nous avons vu toute la richesse du sujet dont nous nous sommes entretenus cet après-midi. Il sera important de l'aborder par tous les angles possibles. C'est ainsi que nous aurons la vision la plus complète possible. Merci, Madame la Présidente. L'Office parlementaire scientifique se réjouit de cet événement commun et appelle de ses voeux le renouvellement de cette expérience.
Merci encore à nos intervenants et à très bientôt.
La réunion est close à 19 h 05.