Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête avec une table ronde consacrée aux annonceurs.
Je rappelle que cette commission d'enquête a été demandée par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et qu'elle a pour rapporteur David Assouline.
Cette audition est dédiée aux agences médias : l'Union des entreprises de conseil et d'achat média (Udecam), représentée par son président, Gautier Picquet ; l'Association des agences-conseils en communication (AACC), représentée par son coprésident, David Leclabart ; et l'Union des marques, représentée par Jean-Luc Chetrit, son directeur général.
Messieurs, vous incarnez dans vos différentes spécificités le secteur de la publicité. Pour nous, il était important de vous entendre dans le cadre de ces travaux.
Je commencerai par quelques données, que vous compléterez sans doute. En 2006, le montant total des ressources publicitaires s'établissait à 9,1 milliards d'euros. En 2021, il a augmenté de près de 50 %, à 13,4 milliards d'euros. Cette hausse s'est cependant faite au bénéfice exclusif - ou presque - d'internet, marché qui n'existait que sous forme embryonnaire en 2006 et qui représente aujourd'hui 57 % des recettes totales. De leur côté, les médias traditionnels ne représentent plus que 5,8 milliards d'euros : le marché de la télévision est en baisse de 8 %, celui de la radio de 12,5 %. La presse est l'acteur le plus touché : ses revenus ont été divisés par trois.
La publicité est, de loin, le premier financeur des médias audiovisuels linéaires gratuits, qui représentent encore la voie privilégiée d'accès à l'information et à la culture pour les Français. Elle est essentielle, mais menacée - notamment pour ce qui concerne la presse écrite.
Dès lors, M. le rapporteur et moi-même avons souhaité vous entendre pour bien appréhender l'évolution de votre secteur, notamment sur le plan économique. Comment concilier la recherche bien naturelle d'efficacité des campagnes de communication, qui semble se faire au bénéfice exclusif d'internet, avec les valeurs soutenues par les médias ? Faut-il des contraintes et des objectifs pour permettre à notre écosystème de survivre ?
Je laisserai à chacun de vous huit minutes de temps de parole pour un exposé liminaire avant que nous passions aux questions.
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêt ou conflits d'intérêt en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Gautier Picquet, M. David Leclabart et M. Jean-Luc Chetrit prêtent serment.
L'Union des marques, anciennement Union des annonceurs (UDA), remonte à 1916. Elle représente des entreprises communiquant pour promouvoir leurs produits, leurs services, leur notoriété et leur image. Nous comptons 6 800 membres, 240 entreprises adhérentes de toutes tailles, de tous les secteurs d'activité et de tous statuts. En particulier, nous rassemblons 42 des 100 premiers annonceurs français, tous médias confondus.
Notre structure est un lieu d'échanges pour les marques, que nous représentons et accompagnons sur l'ensemble des sujets liés à la communication en suivant deux axes de travail prioritaires : la poursuite de la transition écologique du marché de la communication et la réussite de la transition numérique.
Nous nous attachons particulièrement aux sujets d'efficacité, ô combien complexes dans un monde où les canaux de communication ne cessent de se multiplier. L'ensemble de nos actions a pour objet d'aider les marques à développer une communication responsable pour la construction de marques durables ; et, à l'échelle internationale, nous représentons la France au sein de la World Federation of Advertisers (WFA), fédération mondiale des annonceurs, qui regroupe les grandes marques et 60 associations nationales, avec lesquelles nous entretenons des relations permanentes.
La publicité est un levier essentiel de développement, pour les marques comme pour l'ensemble de l'économie. Selon une étude de 2017 menée par Deloitte, 1 euro investi en publicité crée 7,85 euros de produit intérieur brut (PIB). Les ordres de grandeur sont tout à fait similaires à travers le monde.
Les dépenses de communication participent donc à la croissance économique d'un pays : à ce titre, elles actionnent trois leviers majeurs, à savoir la consommation des ménages, la concurrence et l'innovation. Les investissements publicitaires des marques, qui sont des clients du marché de la publicité, servent avant tout à faire connaître leurs produits, leurs services, leurs activités et leurs innovations auprès de leurs consommateurs pour établir un dialogue avec eux.
Bien entendu, les marques ont identifié l'accélération du développement de nouvelles solutions digitales sur le marché, lesquelles permettent une interaction et une conversation plus personnalisée avec leur public. Au regard de ses publics prioritaires, chaque marque détermine un plan média combinant différents types de médias ayant chacun sa spécificité. Au sein de ces derniers, différents supports sont choisis selon les profils, les niveaux d'audience et les offres.
Les marques sont très attachées à la vitalité des acteurs médias français ainsi qu'à l'existence d'une concurrence libre et non faussée sur les différents marchés de la publicité. Il faut que les médias puissent jouer leur rôle et se développer sur un marché concurrentiel : aussi les marques suivent-elles les sujets de concentration entre les médias sous l'angle de la concurrence.
Ce n'est pas le rôle des marques, en tant qu'acteurs économiques, d'entrer dans les débats liés aux enjeux de pluralisme, qui sont bien entendu très importants. Les investissements publicitaires sont fonction des entreprises des marques. Ils ont pour objectif le développement de ces dernières, même s'ils participent au financement des médias et à leur modèle économique. En ce sens, les marques sont attentives à leurs univers de diffusion.
Nous comprenons la volonté d'acteurs économiques de se rapprocher dans le cadre de la consolidation d'un marché. Néanmoins, nous restons vigilants quant aux conséquences de ces actions sur le marché de la publicité.
Avec Mme Bertille Toledano, je copréside l'AACC, syndicat professionnel représentatif des agences-conseils en communication, parfois appelées agences créatives. Au total, nous regroupons 150 entreprises aux profils extrêmement variés - filiales de grands groupes français, comme Publicis ou Havas, ou étrangers, comme Omnicom, et agences indépendantes ; sociétés de plus de 1 000 salariés et très petites entreprises (TPE) de moins de 10 personnes ; agences spécialisées, par exemple en santé ou en communication digitale ; et agences généralistes.
Notre rôle est de défendre et de promouvoir nos métiers. Au-delà, nous souhaitons être une force de progrès économique et social, car la communication a un rôle important à jouer dans les transformations que notre époque exige.
À ce titre, avec mes partenaires ici présents, nous participons activement aux États généraux de la communication. Dans ce cadre, au printemps prochain, nous devons aborder le sujet de l'avenir des médias : nous n'en sommes que plus attentifs à vos travaux. Deux autres thèmes ont été traités : les moyens d'accompagner la transition écologique via la communication, en 2020, et la défense de la valeur de nos métiers, en 2021. Nous ne sommes pas le centre de coûts que certains peuvent décrire, mais un levier d'investissement pour l'économie.
Nous avons évoqué l'audition d'aujourd'hui lors de notre dernière assemblée générale. Compte tenu du grand nombre d'entreprises que nous regroupons, des points de vue très différents se sont exprimés quant à la concentration des médias et quant à l'impact démocratique des transformations actuelles du monde médiatique français : nous avons donc décidé collectivement de rester tout à fait neutres, en gardant un point de vue purement professionnel.
En tant qu'agences créatives, nous disposons d'un mandat très particulier par rapport aux médias. Notre rôle est de développer des stratégies de communication pour les annonceurs, de concevoir les campagnes créatives et de produire les contenus qui vont être diffusés dans les médias. Nous sommes donc agnostiques face aux médias : nous avons besoin de différents types de supports pour parler à différents types de publics et faire passer différents types de messages. Pour bien faire notre travail, nous avons besoin de la variété des médias.
Pour autant, nous sommes extrêmement vigilants à la qualité des supports médias qui nous sont donnés pour créer un lien entre, d'une part, les entreprises et les institutions et, de l'autre, le public. Cette qualité est essentielle et un certain nombre de critères nous semblent très importants.
Premièrement, comment les supports médias nous permettent-ils de réduire l'empreinte carbone de notre filière ?
Deuxièmement, quel est le contexte d'écoute dans lequel nos messages sont diffusés ? C'est ce que les Anglo-saxons appellent la brand safety.
Troisièmement, comment mesurer l'audience ? Nous avons besoin de mesures fiables et précises pour piloter au mieux nos démarches.
Quatrièmement et enfin - ce critère nous tient particulièrement à coeur -, quelles sont les qualités narratives des supports proposés pour parler au public ? Les Français n'ont jamais demandé à être dérangés par de la publicité ou par un message commercial. Si nous interrompons leur lecture, leur visionnage ou leur parcours quel qu'il soit pour déployer nos idées créatives, nous devons le faire avec respect, comme on interromprait une conversation.
Notre métier a accompagné la croissance de l'après-guerre ; on lui reproche d'ailleurs souvent d'avoir été l'un des vecteurs forts de la société de consommation, à juste titre. Les slogans ont marqué l'imaginaire de nos aînés, au point d'entrer dans notre inconscient collectif. Certaines campagnes publicitaires sont même au musée d'art moderne de Paris, preuve qu'elles appartiennent à notre culture commune.
Charge à nous aujourd'hui d'utiliser notre intelligence et notre créativité pour promouvoir un nouveau mode de consommation et de nouveaux modes de vie ; de développer de nouvelles stratégies, de trouver les messages inspirants pour une consommation plus vertueuse et plus épanouissante.
Telle est la démarche dans laquelle nos équipes sont engagées. C'est notamment ce qui intéresse la nouvelle génération. Pour y parvenir, nous avons besoin de supports permettant de développer des récits, pour les institutions ou pour les marques, et de donner l'envie de ce changement.
Nous serons donc vigilants à la qualité des médias mis à notre disposition. Notre seule priorité, c'est le public, qui est intelligent et sensible.
L'Udecam est une association de mise en relation des différents acteurs des médias et de la communication.
Les agences médias accompagnent les annonceurs et les marques dans la conception et la mise en oeuvre de leur stratégie de communication. Nous sommes donc l'acteur technique du marché. En cette qualité, nous orchestrons et défendons les investissements des marques.
Notre travail consiste à optimiser la mise en relation entre les marques et les publics auxquelles elles s'adressent par l'utilisation des médias, audiences et contenus, et des technologies présentes sur le marché français.
Notre première mission est la stratégie média, à savoir la répartition stratégique des investissements par grandes familles médias, afin de répondre à des objectifs marketing précis et de définir quel investissement convient à la télévision, au digital, au cinéma, à la radio, etc.
Puis vient le média planning, ou choix d'investissement par acteur dans les médias pour optimiser la performance attendue par les marques - ainsi est-on conduit à choisir pour un investissement entre TF1, M6, France Télévisions ou Canal+, pour ne parler que de la télévision.
Le coeur de notre métier, c'est l'achat d'espace. Il s'agit d'optimiser l'investissement publicitaire des marques pour assurer aux annonceurs la meilleure performance et garantir l'efficacité des plans.
En dehors de ce métier, nous utilisons une palette technique très complète et assez sophistiquée de communication et de moyens de communication.
Le rôle des agences médias est donc de défendre les intérêts des annonceurs - c'est notre priorité - et de développer un maximum d'outils et de compétences pour naviguer dans le monde des médias, qui devient de plus en plus complexe et risqué pour ceux qui ne savent pas s'y mouvoir. Avec l'AACC, nous sommes un repère technique à la fois responsable et engagé.
Par définition, nous sommes aussi le partenaire des médias et des agences de communication : sans les campagnes, nous n'existerions pas non plus. Nous sommes là pour faire rayonner l'expression des marques par les campagnes publicitaires.
À elle seule, l'Udecam représente environ 90 % des flux financiers évoqués. En 2021, nos investissements publicitaires nets tous canaux se sont élevés à 15 milliards d'euros, contre 35 milliards d'euros au Royaume-Uni et 26 milliards d'euros en Allemagne.
Comme l'Union des marques et l'AACC, l'Udecam juge indispensable de préserver un paysage médias culturel pluriel, composé d'acteurs forts et de qualité.
La fragilité de l'écosystème est un fait, reconnaissons-le. La migration des audiences vers le digital est un phénomène d'usage. S'y ajoute la fragmentation publicitaire, qui renforce certains acteurs digitaux mondiaux, forts de leur technologie et de leurs moyens.
Nous avons tous besoin de contenus de qualité et d'audiences fortes, mesurables de manière transparente, pour protéger l'écosystème publicitaire français.
Nous devons garantir aux marques et à nos concitoyens un écosystème sain et propice à la communication : c'est tout le sens de notre engagement dans la lutte contre les fake news et en matière de brand safety.
Nous devons aussi trouver un équilibre de marché, fondé sur une concurrence saine et équilibrée. Les positions dominantes sont risquées et doivent être encadrées. Les protocoles de référence appliqués en France sont sans équivalent dans le monde, qu'il s'agisse de la mesure des formats ou des key performance indicators (KPI). Ils ne sauraient être dictés par quelques acteurs ou par un seul d'entre eux. Ils doivent toujours être issus de concertations de marchés, dont nous sommes parties prenantes en tant qu'utilisateurs.
Dans quelle mesure le phénomène de consolidation peut-il affecter la libre concurrence sur les marchés où les acteurs des médias sont actifs ? C'est une question économique. Dans quelle mesure d'éventuels mouvements de concentration peuvent-ils affecter le pluralisme et la diversité des médias ? C'est une question essentiellement politique.
En tant que citoyen, ce second enjeu me semble essentiel et, chaque jour, en tant que dirigeants de l'industrie de la communication, nous faisons notre maximum pour préserver les équilibres, tant économiques que démocratiques, entre tous les acteurs en présence. Toutefois, en tant que président de l'Udecam, je joue un rôle essentiellement économique, auprès de nos clients.
Nous pourrons évidemment proposer nos compétences techniques, qu'il s'agisse de l'évolution des audiences, de la fragilité du modèle publicitaire ou de la fragilité des contenus. Je suis moins créatif que M. Leclabart et vous apporterai donc surtout des réponses chiffrées, quant à l'organisation des plans.
Les liens entre la publicité et la concentration des médias sont multiples. Certes, là n'est pas le sujet central de notre commission d'enquête ; mais, qu'il s'agisse des contenus ou des enjeux économiques, nous avons un certain nombre d'interrogations.
Nous avons déjà abordé ce sujet par le biais de la confusion entre l'information et la communication : entre ces deux notions, la frontière doit être très étanche. Je vous renvoie au débat sur les contenus publi-rédactionnels.
En outre, le modèle intégré de médias vendant de la publicité et possédant eux-mêmes une agence de publicité très puissante peut poser problème. De tels acteurs maîtrisent en effet la chaîne dans sa globalité. Un propriétaire présent sur les marchés de l'information, du livre et du cinéma possède ainsi l'agence de publicité la plus puissante au monde, à savoir l'agence Havas.
La libre concurrence est un sujet en tant que tel et, à cet égard, votre avis de professionnels a tout son intérêt. Quel est le marché pertinent aujourd'hui ? Le marché de la télévision ou, plus largement, de l'audiovisuel doit-il rester distinct de celui du numérique, ou faut-il au contraire les fondre ? D'importantes décisions dépendent de la réponse à cette question.
Monsieur Chetrit, certaines de vos déclarations, publiées dans la presse, se révèlent moins prudentes que votre propos liminaire d'aujourd'hui. Vous avez ainsi affirmé : « La publicité télévisée est unique et les marques ont besoin que ce marché demeure concurrentiel. » J'en déduis que, pour vous, il ne serait pas pertinent de fondre les marchés télévisuel et numérique : pourriez-vous préciser votre position à cet égard ?
Enfin, pourriez-vous nous éclairer quant à la stratégie des grandes plateformes, qui, elles, dominent presque totalement le marché du numérique ? Quelles seraient les conséquences d'une fusion de ces deux marchés ? Les plateformes y sont-elles favorables ou non ?
Sauf exception, les partisans de cette fusion affirment qu'elle les aidera face à la concurrence des plateformes. C'est ainsi que l'on peut justifier la fusion de TF1 et de M6. Quant aux plateformes, elles appelleraient également cette fusion de leurs voeux : elles échapperaient ainsi aux accusations d'abus de concurrence sur le marché.
Vous citez les propos que j'ai tenus au Figaro il y a quelques jours, en réponse à des questions sur l'étude menée par l'Autorité de la concurrence qui a mobilisé près de 1 000 annonceurs.
Il n'est évidemment pas de mon ressort de définir le marché pertinent. Je me faisais l'écho du point de vue des marques qui considèrent unique le marché de la publicité à la télévision, en raison de la puissance instantanée de ce média, de sa large couverture auprès de la population et du haut niveau d'acceptation de la publicité télévisée par les consommateurs. Le contrat est connu : l'accès à un contenu gratuit en échange de la publicité. Les Français préfèrent d'ailleurs majoritairement la publicité télévisée à la publicité digitale.
Les mesures d'efficacité réalisées sur la notoriété des marques et le niveau des ventes confirment cette analyse. De fait, les acteurs de la nouvelle économie, soucieux du rendement de leurs investissements publicitaires, y viennent aussi.
Le marché de la publicité à la télévision bénéficie également d'outils de mesure précis et de qualité avec Médiamétrie, utiles aux annonceurs qui ne disposent pas du même service dans l'univers numérique.
Pour autant, les comportements des consommateurs évoluent avec l'usage de nouveaux outils. Sur les smartphones, ils ont ainsi accès à une information personnalisée et à des publicités ciblées. Nous nous adaptons donc pour utiliser les différents médias de manière complémentaire.
Pourriez-vous nous transmettre l'analyse détaillée que vous avez fournie à l'Autorité de la concurrence dans le cadre de son étude ?
Je le ferai. Notre analyse s'appuie majoritairement sur les données des chaînes de télévision.
Vous estimez la publicité télévisée inégalable pour faire passer un message aux consommateurs. Pourtant, les budgets des annonceurs ont largement été transférés vers le numérique, entraînant un recul des recettes publicitaires de la télévision. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
En réalité, les budgets consacrés à la publicité à la télévision sont demeurés stables au cours des dix dernières années, exception faite de l'année 2020 en raison de la crise sanitaire. De fait, il s'agit d'un marché régulé au niveau du contenu comme du nombre de chaînes et qu'il n'est pas possible de développer davantage.
En revanche, les chaînes de télévision ont aussi investi le support digital, qui représente désormais 5 % de leurs revenus et un véritable levier de croissance.
La publicité télévisée recule donc en proportion, mais pas en valeur. Du reste, l'année 2021 s'est avérée excellente pour les chaînes.
Vous analysez les médias, mais il faut également étudier les audiences. La porosité entre médias reste limitée, sauf pour la cible des jeunes.
Nous observons, en revanche, une migration des audiences qui pourrait, à terme, entraîner une porosité plus importante entre médias. Le marché de la publicité à la télévision représente 3,7 milliards d'euros en France, mais il apparaît difficile de prédire ce qu'il sera dans deux ans ou dans cinq ans. Aussi, nous travaillons avec les instances de régulation sur l'impact que pourrait avoir la migration des audiences sur la structuration du marché.
Notre enjeu est d'accompagner les marques pour diffuser un message. Nous suivons à cet effet les audiences, qui montrent l'efficacité de la télévision, média de masse et peu coûteux. En responsabilité, nous sommes attentifs à ne pas confondre la publicité et les autres contenus.
Nous répondons aux attentes des marques et des annonceurs, qui décident seuls de leurs investissements publicitaires.
Je ne puis répondre à la place des plateformes sur le périmètre du marché pertinent.
Pour notre part, nous sommes seulement préoccupés par le suivi des usages et des audiences, qui dépendent des contenus.
Le changement de marché pertinent et les fusions entre médias peuvent-ils avoir un impact sur le prix des annonces ?
Le prix brut des annonces augmente chaque année. Le prix net dépend, pour sa part, de la corrélation entre l'audience réelle et la capacité des marques à acquérir des espaces publicitaires.
Le marché de la publicité est inflationniste sur tous les médias, à l'exception de la presse. Son évolution vers le digital laisse toutefois espérer une amélioration du niveau de ses recettes publicitaires.
Vous assurez que la question politique vous intéresse moins que l'aspect économique du sujet, mais vous évoquez la qualité narrative des contenus et la nécessaire protection d'un paysage pluriel des médias.
La fragilité des contenus peut-elle, selon vous, être accentuée par un rétrécissement du marché des espaces publicitaires ?
Vous dites adapter votre stratégie aux audiences, mais celles-ci se construisent et se formatent. On observe une évolution vers des contenus plus simples, voire simplistes. Aussi, la neutralité ne me semble pas aisée.
Observez-vous une concurrence technologique qui favoriserait les rédacteurs de contenus, qui fabriquent de l'audience, au détriment des journalistes ?
Quelle est enfin votre opinion sur le projet de règlement européen sur la publicité politique ?
La qualité narrative que j'évoquais concerne les messages publicitaires, pas les contenus. Notre objectif est d'assurer un haut niveau de qualité en la matière.
Émile de Girardin avait pu doubler ses ventes grâce aux annonceurs : le lien entre médias et annonceurs existe depuis longtemps au bénéfice des deux parties. Plus récemment, il se développe sur de nouveaux supports.
Il est vrai que, du fait des algorithmes, les contenus des plateformes dépendent davantage des ingénieurs que des créatifs. Il n'en reste pas moins qu'il faut créer une interaction qualitative avec le public.
J'estime, pour ma part, que le contrat avec le public n'est pas si clair quant au fait que les annonceurs financent une partie des contenus, même si les chaînes de France Télévisions le signalent parfois. En outre, les jeunes générations sont habituées à payer pour obtenir des contenus, comme sur Netflix. À la télévision, la publicité est encadrée par des écrans ad hoc, ce qui offre davantage de transparence.
Avez-vous déjà eu connaissance de publicitaires qui seraient intervenus pour obtenir d'un média ou d'un journaliste qu'un contenu soit diffusé ?
Certaines marques ont-elles déjà menacé de supprimer ou supprimé un budget publicitaire à un média en raison de la diffusion d'un reportage ou d'une information ?
Nous mettons en valeur un travail créatif, mais n'influençons pas les rédactions.
Pour autant, la qualité de l'information peut être affectée par la diminution des recettes publicitaires. Grâce à la publicité, en effet, les médias ont pu se développer dans la diversité. La fragilisation de l'audience peut également avoir des conséquences négatives sur le pluralisme.
Nous avons fait des propositions concrètes pour préserver un environnement informatif de qualité pour les marques.
Je ne peux répondre au nom de toutes les marques, mais je n'ai pas eu connaissance de tels faits. Nous sommes soucieux de la préservation de l'indépendance éditoriale.
Pour autant, les marques choisissent librement le contexte de leur communication et peuvent se retirer ponctuellement de certains médias pour ensuite revenir. Il peut arriver que les marques se demandent compte tenu de l'actualité s'il s'agit du bon contexte et s'il est pertinent d'investir publicitairement.
Nous sommes souvent questionnés sur le rôle des marques dans les contenus : elles ne sont pas les censeurs des contenus éditoriaux. Ces contenus sont portés par des éditeurs responsables devant les différentes autorités.
Le débat sur le rôle des annonceurs fait rage entre les « Sleeping Giants » et les « Corsaires », mais les annonceurs ne sont responsables que du contenu des publicités auquel veille l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité.
Comment se répartissent les commandes publicitaires entre les plateformes et les médias traditionnels ? Au sein de ces derniers, quelle part revient à la presse, à la radio et à la télévision ?
Quels sont à vos yeux les avantages et les inconvénients de la concentration des médias ?
Pensez-vous que l'on puisse instaurer à l'avenir des plafonds de commande publicitaire pour les différents types de médias ?
Enfin, pourriez-vous nous dire quelques mots des relations entre annonceurs publicitaires et médias à l'étranger ?
S'agissant des marchés publicitaires, en France, en 2021, le digital arrive en tête avec 8 milliards d'euros, suivi par la télévision avec 3,7 milliards d'euros. La presse pèse environ 1,2 milliard d'euros, tout comme la communication extérieure, et la radio 800 millions d'euros.
Les tendances sont en revanche très différentes d'un marché à l'autre : le digital affiche une croissance de 21 % cette année, quand d'autres stagnent ou décroissent.
Quant à la répartition au sein du marché du digital, nous ne disposons que d'estimations pour les plateformes. On considère que Google est la première régie publicitaire de France, avec 2,7 milliards d'euros, et Facebook la troisième, avec 1,4 milliard d'euros.
La concentration permet à un écosystème pluriel de perdurer, en assurant la survie de médias fragilisés par des baisses d'audience ou par la fragmentation de la publicité. Or c'est un enjeu crucial pour la culture comme pour la démocratie. Et les marques ont également intérêt à conserver un écosystème publicitaire varié.
Nous croyons à la défense de notre culture et de notre démocratie, et nous souhaitons garantir un paysage de médias français. Si l'on ne renforce pas nos médias nationaux, ils vont inévitablement se mondialiser.
En revanche, au-delà d'un certain niveau de concentration, les autorités de régulation pourraient perdre la main, avec un risque de diktat sur les prix, la mesure des audiences et les contenus. L'équilibre de marché, qui se crée grâce à une saine concurrence et qui répond aux besoins des marques, pourrait alors se rompre.
La question des plafonds est fort débattue, mais il serait dommage d'opposer régulation et intérêts économiques. Toutes les entreprises ont une responsabilité citoyenne, je l'entends, mais n'oublions pas que l'investissement publicitaire contribue aussi au développement économique du pays.
Les paysages publicitaires sont très différents d'un pays à l'autre. Le Royaume-Uni ou les États-Unis se caractérisent par une prépondérance du marché digital. Nous avons la chance en France de conserver un marché télévisuel fort et un paysage de presse très riche, avec plus de 4 000 éditeurs. Nous avons aussi un acteur économique dans le top 30 mondial de la communication extérieure, le groupe JCDecaux.
La France connaît elle aussi un phénomène de migration publicitaire vers le digital et de fragmentation, mais les marques et les agences de communication ont vraiment pris conscience qu'il était nécessaire de trouver un bon équilibre de marché à un horizon de cinq ans.
Monsieur Chetrit, vous avez dit dans la presse que l'Union des marques redoutait, en cas de fusion entre TF1 et M6, une augmentation des tarifs, une exclusion des plus petits annonceurs et un appauvrissement des contenus. Monsieur Picquet, vous semblez établir une corrélation entre baisse de la publicité et qualité éditoriale, et vous estimez que la fragilisation du paysage publicitaire pourrait fragiliser la démocratie.
Pourriez-vous tous deux préciser votre pensée ?
Lorsqu'un marché, quel qu'il soit, se concentre, et que le nombre d'acteurs diminue, les effets sur les prix sont connus : c'est un mécanisme économique classique.
Le marché de la télévision est en effet constitué d'annonceurs de différentes tailles, grands groupes comme PME. Si les prix augmentent très sensiblement, certaines marques n'auront plus accès à ce média, ou plus difficilement. C'est pourquoi nous sommes très vigilants.
Si l'opération de fusion se réalise, il faudra trouver des solutions pour éviter que certaines marques ne soient contraintes de chercher des alternatives, alors même qu'elles considèrent la télévision comme un média très efficace. Tel est le sens des propos que j'ai tenus au Figaro.
La qualité de l'information est en effet affectée par la diminution des ressources des médias traditionnels. Faire reconnaître l'utilité de la publicité dans un écosystème de médias constituera d'ailleurs l'un des points structurants des états généraux de la filière de la communication et de l'Union des marques, qui se tiendront le 8 juillet prochain.
La publicité assure une part extrêmement importante du financement des médias privés, en particulier la radio et la télévision - la presse pouvant compter également sur la diffusion. Or nous assistons aujourd'hui à une nette diminution de l'investissement publicitaire, ce qui pourrait à terme fragiliser les métiers du journalisme et de la production de contenus.
Nous pensons souvent aux grands groupes, mais les technologies actuelles permettent à quiconque ou presque de se décréter média du jour au lendemain. C'est tout l'enjeu de la propagation des fake news, pointé dans le rapport Bronner.
Nous cherchons donc, dans l'intérêt de la démocratie, mais aussi des marques, à préserver un écosystème de qualité. C'est pourquoi nous soutenons le Digital Ad Trust, un label de qualité permettant de vérifier le contenu des sites digitaux. Nous nous engageons également, en lien avec les plateformes, à éviter autant que possible les investissements publicitaires sur des sites propageant des fake news.
Un décret d'août 2020 autorise désormais la publicité ciblée à la télévision, le contenu des spots dépendant du lieu d'habitation des consommateurs, de la composition de leur foyer, de leur catégorie socioprofessionnelle ou de leur âge.
Cette publicité ciblée est toutefois réservée aux ménages équipés d'une box ou d'une télévision connectée et qui ont donné leur consentement. En 2021, 376 campagnes ciblées ont été diffusées sur les chaînes de télévision.
Que pensez-vous de cette technologie de ciblage en termes de coût et de performance ?
Vous pointez le doigt sur une tendance profonde de transformation du paysage des médias. Sur le marché américain, la publicité ciblée représente déjà plusieurs milliards de dollars. En France, on en est encore au stade du test. Les acteurs de la télévision sont en train de créer des protocoles et des références en la matière.
Le marché est encore trop limité pour que nous puissions vraiment évaluer l'efficacité de ces pratiques, mais elles peuvent ouvrir la voie à une reprise de valeur sur le marché de la télévision. En effet, plus il sera possible de cibler certains consommateurs en fonction de différents critères, plus le coût de la diffusion sera élevé.
L'Union des marques a toujours soutenu le développement de la publicité ciblée, et nous nous réjouissons que la France suive les pas d'autres pays en la matière. Le ciblage permettra aussi à de petits annonceurs locaux d'utiliser plus facilement le média télé.
Le chiffre d'affaires est encore très faible : 5,5 millions d'euros l'an dernier, et potentiellement 40 millions d'euros cette année selon le Syndicat national de la publicité télévisée (SNPTV). Il faut dire que le nombre de foyers qui peuvent accéder à cette publicité segmentée reste limité : 5 millions pour l'instant, 9 millions en 2023, c'est-à-dire environ un tiers du parc.
Nous verrons dans les années à venir si cette publicité segmentée peut devenir un moteur de développement.
Mais il y a aussi d'autres pistes pour lutter contre la stagnation du marché, en particulier l'assouplissement des règles qui interdisent à certains secteurs de réaliser des investissements publicitaires en télévision.
Nous allons également promouvoir l'idée d'un crédit d'impôt permettant aux PME et TPE d'investir dans des médias locaux.
Comment voyez-vous l'avenir de la consommation publicitaire, notamment chez les jeunes, et l'évolution du marché d'ici à une quinzaine d'années ? Quelle pourrait être la place des univers parallèles, dont on parle de plus en plus ?
Les tendances chez les jeunes de moins de 30 ans pourraient inquiéter : une consommation plus réduite de médias de qualité, moins d'usages traditionnels, plus de snacking... Heureusement, il y a un très grand « cependant » : la nécessité de se rassembler ! Les jeunes, comme les moins jeunes d'ailleurs, ont besoin de se retrouver autour de grands événements sportifs ou culturels. Nous assisterons donc sans doute à une grande recomposition du paysage des médias, en lien avec la tendance Atawad - Anytime, Anywhere, Any Device -, mais nous continuerons aussi à avoir de grands événements que nous aurons envie de vivre à l'instant présent.
En matière de publicité, on ne se risque guère à faire des prévisions au-delà de cinq ans, mais je pense réellement que le vivre ensemble et la recherche d'une information de qualité resteront des éléments importants à l'avenir. On le voit d'ailleurs dans les indices de confiance : les jeunes générations aussi font la différence entre une information gratuite et une information vérifiée de qualité.
Depuis cinquante ans, les nouveaux médias se sont développés en complément des médias préexistants. On a souvent annoncé la mort des anciens médias ; pour l'instant, ce n'est pas le cas. Mais, bien évidemment, le régulateur doit s'assurer que l'irruption dans le paysage de plateformes extrêmement puissantes ne vienne pas interrompre brutalement cette tendance.
Quant à la consommation des jeunes, le sujet n'est pas nouveau. On sait très bien, et depuis longtemps, avant de fonder une famille les jeunes regardent moins la télévision, ce média étant davantage associé au foyer et à ses contraintes.
Je rejoins Gautier Picquet sur l'idée d'une écoute familiale convergeant autour de grands temps forts dans les domaines de l'information, du sport et du divertissement. Nulle part dans le monde la télévision linéaire n'est morte.
Pour ceux qui s'en souviennent, le lancement de Netflix aux États-Unis s'est fait sur une promesse : pas de publicité, des contenus de qualité. Nous sommes tous convaincus qu'un volume publicitaire trop important nuit à l'audience et à la qualité du média. Il faut trouver un équilibre, et c'est pourquoi nous ne sommes pas défavorables aux régulations, bien au contraire. C'est en sécurisant la qualité de l'expérience pour le téléspectateur que l'on préservera ces médias.
En effet, l'ultra-ciblage est une dynamique forte depuis maintenant plusieurs décennies, et les nouveaux acteurs ont cette chance de pouvoir traquer au mieux nos comportements et nos profils.
Mais n'oublions pas non plus que notre métier consiste à rendre publique une information au plus grand nombre, ce que permet encore aujourd'hui en France la télévision ou l'affichage. Pour développer un produit ou mettre en garde contre une pandémie, la diffusion de masse reste déterminante.
C'est pourquoi il est important pour nous de conserver toute une palette de supports.
Vous n'avez pas complètement répondu à nos interrogations sur la notion de marché pertinent.
Vous avez évoqué l'impact des audiences sur la structuration du marché publicitaire. Mais sur le marché du digital, qui s'appuie davantage sur le ciblage, ce sont les données, personnelles ou économiques, qui ont le plus de valeur. Les plateformes l'ont bien compris.
Vous avez par ailleurs dressé une liste de conditions importantes pour les annonceurs : variété des médias, contexte d'écoute, mesures d'audience... L'image d'un média, la représentation que l'on peut avoir de sa qualité, fait-elle aussi partie de cette liste ?
Il est entendu que la concentration peut avoir un impact inflationniste. Existe-t-il des contrats d'exclusivité et, si oui, quelle est leur importance dans le paysage de la publicité aujourd'hui ?
Enfin, vous avez tous les trois insisté sur la transition écologique. Quelle place occupe-t-elle dans les négociations avec les régies publicitaires ? Peut-elle détrôner la règle du plus offrant ?
Vous l'avez compris, nous allons beaucoup travailler sur la notion de marché pertinent au cours des prochaines semaines...
La question des données personnelles est au coeur de nos réflexions stratégiques. La data, c'est le coeur nucléaire de la communication et la priorité stratégique de l'ensemble de notre écosystème, qu'il s'agisse des marques, des annonceurs ou des métiers créatifs. Toutefois, comme l'a dit David Leclabart, nous n'opposons pas personnalisation et capacité de diffusion à grande échelle. La mass personnalisation existe également, c'est-à-dire la capacité à identifier des groupes de personnes en masse, parce que les stratégies de niche ne sont pas intéressantes pour les annonceurs au plan économique.
L'image des médias fait aussi partie de nos préoccupations, car la marque sera forcément associée au média qui en fait la promotion. Or notre travail, c'est précisément de défendre les marques.
Sur les contrats, je ne parlerai pas d'exclusivité, mais plutôt de choix stratégiques. Aujourd'hui, assez peu d'annonceurs utilisent un seul média ou un seul acteur en médias. Il arrive en revanche que certains acteurs choisissent de n'utiliser que quelques supports, ce qui va influer sur le nombre de personnes touchées et la fréquence des diffusions durant la campagne publicitaire.
La transition écologique est notre priorité à tous. La filière communication a pris des engagements avec l'Union des marques. Nous travaillons sur ces enjeux avec le ministère de la transition écologique et le Commissaire général au développement durable, M. Lesueur.
Quel intérêt prime aujourd'hui, l'intérêt économique ou l'intérêt écologique ? Les interprofessions de l'ensemble des médias se sont réunies lundi dernier pour faire un point sur les enjeux et sur les engagements volontaires, comme les appelle le ministère de la transition écologique. Pour l'instant, nous ne souhaitons pas avoir un outil qui privilégierait l'écologie. Rappelons que les marques investissent d'abord pour assurer leur développement économique.
Nanmoins, des engagements écologiques sont une priorité pour l'ensemble des marques et des médias. Nous faisons ainsi des plans médias aussi bien sur la performance que sur la trace carbone, les gaz à effet de serre, etc.
Le choix d'un média se fait à deux niveaux.
D'abord, de manière défensive : la brand safety permet de protéger le message en le diffusant dans un bon contexte d'écoute, en évitant notamment qu'il soit mêlé à des fake news.
Ensuite, de manière plus proactive et créative : un média est choisi parce qu'il existe une affinité entre son lectorat et la marque, par exemple. On peut aller plus loin, et proposer un message spécifique à un média.
En ce qui concerne la transition écologique et l'arbitrage entre économie et écologie, nous avons doté toutes nos agences d'un calculateur développé avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) pour faire baisser l'empreinte carbone de notre industrie.
Nous réfléchissons aussi aux moyens de rapatrier la production de nos contenus en France. La publicité est une industrie créative : ramenons un maximum de photos et de tournages dans notre pays ! La question des coûts se pose bien évidemment. Nous essayons de proposer à chaque fois une alternative française, en maîtrisant les coûts. Il revient au consommateur de choisir s'il veut acheter du made in France : si le delta est de 50 %, il est possible que l'aspect économique prenne le pas et que le citoyen recule à la caisse ; s'il est de 15 %, il sera plus facile de rapatrier une partie de la production en France.
Nous voulons tous atteindre cet objectif, mais il s'agit d'une question d'équilibre économique. La transition écologique n'a pour l'instant jamais été prise en compte dans les budgets, or elle a un coût.
Nous devons réussir à trouver des imaginaires nouveaux qui donnent envie d'aller vers un style de vie différent. Nous avons réussi à donner envie aux gens de conduire un 4x4 en ville. Comment nos métiers vont-ils parvenir à promouvoir un autre type de locomotion, comme le vélo ? Comment inciter à consommer local ? Il y a là une part de libre arbitre et un enjeu économique, qui est le pouvoir d'achat. Mais nous devons aussi créer des messages nouveaux, intéressants et convaincants. Les jeunes générations qui travaillent dans les agences sont très motivées, et travaillent au quotidien sur cette question. Nous pensons que la communication peut accompagner la transformation. Les arguments rationnels, qui sont bien connus, ne suffisent pas. Cela ne signifie pas qu'il faut arrêter de faire de la pédagogie, mais le changement passe par le « je sais », le « je peux » - en ai-je les moyens ? - et le « je veux ». Nous sommes du côté du « je veux » : nous essayons d'oeuvrer à la transformation en mettant à disposition nos cerveaux et notre créativité.
Vous avez raison de poser la question de l'importance de la donnée. La donnée personnelle mérite une attention particulière - le RGPD sert à cela. Les régulations qui sont mises en place vont conduire à une évolution significative de l'usage de la donnée par les marques. Google est, par exemple, en train de développer des solutions pour sortir du cookie publicitaire et se tourner vers le contexte, un élément qui va prendre une très grande importance.
Nous sommes très attentifs à ce que la donnée, qui est une monnaie d'échange sur le marché, ne soit pas utilisée de façon inappropriée par les acteurs et les intermédiaires. D'où l'importance de la transparence de l'impression publicitaire. L'Udecam et l'Union des marques soutiennent un certain nombre d'initiatives en ce sens. J'ai été entendu par le député Bothorel il y a plus d'un an sur la création d'un identifiant pour tracer les campagnes publicitaires - et non les personnes -, afin de s'assurer que les marques ne se retrouvent pas dans des contenus inappropriés. Ces outils sont en développement : les plateformes peuvent les soutenir, et Google en l'occurrence ne le fait pas assez.
Les marques, les publicitaires et les agences ont souvent été considérés comme les causes de la surconsommation. Si l'on est la cause du problème, on peut aussi être la solution. On doit aider à aller vers une consommation responsable et raisonnée. La communication doit être un levier de la transition écologique. Nous y croyons fortement, et nous avons construit des plateformes d'engagements volontaires pour les marques.
Qui a le plus fort impact, le contenu du message ou le diffuseur du message ? Le contenu du message a, me semble-t-il, un impact extrêmement important sur la consommation. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas créer des outils de mesure du bilan carbone pour réduire progressivement l'impact des diffuseurs, des agences. Mais il faut travailler sur le contenu et encourager une consommation plus responsable. Les marques ont évidemment un rôle à jouer. Nous avons à l'Union des marques plusieurs programmes sur ce sujet notamment sur la diffusion maîtrisée des communications : le volume publicitaire a un impact sur l'environnement. À nous d'être sobres dans l'utilisation des moyens nous permettant de nous adresser au public.
Je n'oppose pas l'écologie et l'économie. Il suffit de regarder les marques qui se développent actuellement : lorsque l'on est plus écologique, plus inclusif et plus divers on crée davantage de chiffre d'affaires et de profits, et ce de manière durable.
Monsieur Picquet, vous avez évoqué, s'agissant de la répartition du marché publicitaire, le montant de 8 milliards d'euros pour le digital, dont 2,7 milliards pour Google et 1,4 milliard pour Facebook, soit un peu plus de 50 %. Il me semblait que ces deux diffuseurs représentaient une part plus importante.
Vous avez tout à fait raison, le chiffre de 8 milliards d'euros, annoncé il y a une semaine, porte sur l'année 2021. Les montants que je vous ai donnés pour Google et Facebook correspondent, eux, au marché de 2020. Je n'ai pas encore les chiffres pour 2021.
La concentration était forte !
C'est à peu près cela.
Les chiffres de Google et de Facebook que vous nous avez indiqués ont donc fortement augmenté entre 2020 et 2021 ?
Tout à fait. Je tiens à votre disposition le rapport relatif aux investissements publicitaires sur le marché digital français.
S'agissant de Google et Facebook, comme sur Amazon d'ailleurs, nous parlons bien d'estimations, et non de chiffres officiels. Vous recevez cet après-midi le directeur général de Facebook France : vous pourrez lui demander quel est son chiffre d'affaires. Amazon n'a pas déclaré non plus son chiffre d'affaires pour 2020 et 2021.
Ces chiffres sont issus du rapport d'Anne Perrot, paru en novembre 2020, sur l'alignement des obligations auxquelles sont soumises la publicité digitale et la publicité dans les médias traditionnels. Elle évoquait notamment le contrôle préalable des spots publicitaires par l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité. Êtes-vous également favorables à un alignement des règles entre le digital et le reste des médias ?
L'Udecam soutient à 100 % cette demande. Les médias traditionnels et les médias digitaux doivent être soumis aux mêmes règles de régulation.
Les plateformes sont souvent soumises à des droits extranationaux et à des fiscalités avantageuses, même si je sais que des efforts sont faits pour rétablir l'équité entre les différents acteurs. Par ailleurs, elles ne sont pas soumises aux mêmes outils de régulation ni aux mêmes outils de mesure.
Cette asymétrie est un vrai problème. Nous allons devant toutes les autorités, en France et au niveau européen, pour réclamer une plus grande équité.
Vous avez indiqué précédemment que l'augmentation avait été de 21 % sur le digital en 2021.
Le marché de la publicité digitale a plus que doublé depuis 2016, d'après les chiffres du baromètre SRI (Syndicat des régies internet). Comme l'a dit M. Chetrit, il s'agit d'une estimation. Le marché français a fortement évolué : tous médias confondus, il a connu une croissance de 21 % en 2021, passant de 12,4 milliards d'euros en 2020 à 15 milliards en 2021.
D'après l'Udecam et le SRI, les recettes de publicité digitale sont en forte croissance, de 24 %, en 2021.
Le search est en croissance de 28 % en 2021. Un acteur est en position importante.
Je fais attention aux mots que j'emploie dans le cadre de cette commission d'enquête !
S'agissant de la publicité sur les réseaux sociaux, qu'on appelle le social, nous estimons l'augmentation du marché à 22 % par rapport à 2020. En social, la croissance était déjà de 15 % l'année dernière, dans un marché en retrait.
Enfin, en ce qui concerne le display, la publicité graphique, la hausse est estimée à 31 %.
Je tiens à votre disposition l'ensemble des chiffres. Nos estimations ne remplacent évidemment pas ce que pourront vous dire les représentants de Google ou Facebook.
Je souhaite compléter ma réponse sur l'asymétrie réglementaire : on peut considérer que plus un média est ancien, plus il est réglementé et plus l'autorégulation est forte. Les anciens médias sont réglementés parce que des lois ont été adoptées, notamment dans le domaine de la santé publique, ce qui a conduit à la fermeture de certains secteurs ; les nouveaux médias ne le sont pas encore parce qu'ils ont émergé récemment.
L'ARPP est l'autorité de contrôle de la publicité : elle doit donner un avis favorable aux films publicitaires diffusés à la télévision. Nous respectons cette pratique depuis longtemps ; à vous de voir si elle doit être appliquée à d'autres supports.
Je vous remercie pour les informations que vous nous avez apportées.
En tant que législateurs, nous devons nous demander si, pour rétablir des conditions équitables de concurrence, il faut déréglementer ceux qui sont réglementés - les médias traditionnels - ou réglementer ceux qui ne le sont pas - les plateformes. Il faudra peut-être parfois emprunter une voie médiane. La question de l'asymétrie est fondamentale, car si elle perdure cela conduira forcément à la disparition d'un type de médias.
Nous faisons des efforts, notamment en réglementant les contenus publicitaires. Nous avons eu le débat s'agissant des émissions pour enfants. Quand nous exigeons le respect de certaines normes, les jeunes migrent sur YouTube, où il n'y a aucune règle.
Monsieur Chetrit, vous êtes attaché à ce qu'il ne soit pas fait de lien entre la publicité et le contenu de l'émission. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a pourtant lié les deux lorsqu'il a interdit la publicité avant l'émission TPMP de Cyril Hanouna pendant trois semaines en 2017 pour sanctionner la diffusion de certains contenus. Il a considéré que taper au portefeuille était la meilleure façon de faire respecter les règles.
Je reviens sur une question qui vous a déjà été posée et à laquelle j'aimerais que vous apportiez une réponse plus développée.
Mme Nathalie Sonnac a proposé, et Pierre Louette a trouvé l'idée ingénieuse, d'instaurer un pourcentage de publicité par support pour permettre aux grands médias traditionnels de résister. L'idée est d'éviter une domination totale du numérique.
Par ailleurs, je trouve inquiétant que la data soit, comme cela a été dit, le coeur nucléaire de la communication. Nous nous posons des questions sur le plan éthique. Il est déjà difficile de voir la somme d'informations qu'il est possible de récolter ! La data vous permet certes d'être plus efficaces, mais, comme vous l'avez dit, vous êtes aussi concernés par la réflexion sur le type de société dans lequel nous souhaitons vivre et sur le respect des libertés individuelles.
Je voudrais préciser un point : l'univers du numérique n'est pas totalement dérégulé. On parle d'asymétrie réglementaire, mais le numérique n'est pas une jungle ! Outre le RGPD, nous contribuons aux travaux sur le Digital Markets Act et sur le Digital Services Act qui visent à assurer une régulation plus forte.
Je l'ai dit en propos liminaire, je suis membre du board de la fédération mondiale des annonceurs. Nous avons confronté les plateformes à la question des propos haineux et obtenu qu'elles rejoignent le GARM (Global Alliance for Responsible Media). Les plateformes utilisent désormais les mêmes outils et les mêmes standards de mesure des propos haineux.
L'Autorité de régulation professionnelle de la publicité, dont je suis le trésorier, ne ferme pas les yeux sur le monde du numérique, loin de là. Elle développe des outils particuliers - le volume publicitaire n'étant pas le même, il n'est pas possible de dupliquer les outils existants.
Le modèle numérique fonctionne autour de la donnée, puisqu'il repose sur la personnalisation. À nous de trouver les moyens de rétablir la confiance sur la manière dont la donnée est utilisée et sur la valeur qu'elle apporte pour les marques.
Enfin, peut-on orienter les investissements publicitaires par médias ? On l'a rappelé à de nombreuses reprises, toutes les marques essaient de se développer ; la communication est un levier de ce développement. Les petits comme les grands annonceurs choisissent les médias en fonction de l'efficacité de ces derniers : c'est le critère numéro 1. Nous sommes dans une économie de marché, dans laquelle les acteurs opèrent de façon ouverte. La libre concurrence doit s'exercer partout, y compris sur des marchés dans lesquels des positions dominantes ont été construites, ce qui n'est pas totalement assuré.
En revanche, la mesure telle qu'elle est envisagée va décourager certains investissements publicitaires et porter atteinte, d'une certaine façon, à la liberté du commerce et au secret des affaires. L'idée qui est derrière cette proposition est que les plateformes ne doivent pas capter toute la valeur. Comme vous l'évoquiez, monsieur le rapporteur, il faut, d'un côté, une plus grande régulation des plateformes dans certains domaines, notamment économiques, pour éviter les effets des abus de position dominante et, de l'autre, une adaptation de la régulation aux réalités actuelles. Certaines législations datent de 1986, avant même le développement d'internet.
Les mentions sont, par exemple, un sujet important. La loi climat suscite en particulier des discussions. L'excès de mentions dans un message rend difficile la communication publicitaire dans certains médias, comme la presse, qui souffre déjà de cette situation.
Selon vous, cette proposition est donc, en quelque sorte, une fausse bonne idée. Votre métier est de suivre l'audience. La diminution de l'audience de la presse écrite, en particulier papier, qui vit de la publicité et pas seulement des ventes, revient à une condamnation à mort si rien n'est fait.
La presse n'a jamais eu autant de lecteurs que ces dix dernières années. Les éditeurs de presse ont réalisé mené une incroyable transformation digitale . Nous tenons à votre disposition les chiffres - des rapports sortent tous les six mois -, mais, j'insiste, l'audience de la presse en France est extrêmement forte. L'enjeu, c'est la monétisation.
Vous avez commencé à tirer le fil d'une pelote... Ce débat dépasse nos métiers. Nous vivons dans un monde qui, depuis longtemps, permet à nos concitoyens d'avoir de l'information, du divertissement, de l'investigation, de la culture plus ou moins gratuitement : tout cela est largement payé par les annonceurs. De nouveaux acteurs sont arrivés. Contrairement aux anciens médias, qui demandaient de l'attention du public, ils demandent eux de l'attention et de la donnée.
Ce qui compte maintenant, c'est le public : que préfère-t-il ? Qu'est-il prêt à payer ? En a-t-il les moyens ? Nos industries s'adapteront et mettront de l'huile dans les rouages du nouveau système. Mais, je le redis, le débat dépasse largement notre cadre industriel. La donnée semble être la nouvelle monnaie mondiale. De très grands acteurs jouent quasiment un rôle de banque centrale. Or, comme le disait, me semble-t-il, Pierre Louette, il faut réguler les banques centrales. Cette question ne relève pas du tout de notre compétence.
Nous pouvons apporter des réponses techniques sur ce que nous connaissons d'un point de vue économique. Mais la pelote que vous commencez à dévider soulève un débat qui nous passionne : qu'y a-t-il de mieux pour le public ? Dans quel type d'écosystème médiatique souhaitons-nous vivre demain pour que l'information, le divertissement et la culture soient disponibles au plus grand nombre ? La communication, qu'elle soit commerciale, informative, ou de l'ordre du divertissement, fait partie intégrante de la démarche de faire société.
Je vous remercie pour cet échange, qui a été long mais très intéressant pour notre commission d'enquête.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 40.