Nous avons le plaisir et l'honneur d'accueillir M. Josef Aschbacher, directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA), dans le cadre d'une réunion commune avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).
Monsieur le directeur général, nous allons évoquer un sujet essentiel pour la souveraineté stratégique de l'Europe. L'envoi de satellites en orbite basse ou géostationnaire joue un rôle crucial dans la vie quotidienne des Françaises et des Français. Sans satellites, nous ne pourrions utiliser nos téléphones, regarder la télévision, faire fonctionner nos réseaux bancaires ou nos places boursières, nous n'aurions ni GPS ni cartographie de nos territoires, sans oublier les aspects militaires qui ne relèvent pas de la compétence de l'Agence. L'Europe est un atout pour nos vies quotidiennes et l'ESA en est un exemple éclatant.
En matière spatiale, l'Europe a remporté des succès incontestables qui nous honorent et nous obligent. Galileo et Copernicus, financés par l'Union européenne et conçus au sein de votre Agence, sont des programmes hautement performants de géolocalisation par satellite, pour le premier, et d'observation de notre planète, pour le second. Ils sont techniquement sans équivalent dans le monde, preuve de l'excellence européenne.
Depuis le premier programme Ariane lancé en 1973, il y a cinquante ans, l'Europe est devenue un acteur majeur du marché mondial des lanceurs. Lors de leur réunion des 22 et 23 novembre derniers, les ministres des États membres de l'ESA ont confirmé la priorité accordée aux questions spatiales en augmentant de 17 % le budget de l'Agence que vous dirigez, pour le porter à 17 milliards d'euros, niveau considérable qui démontre notre ambition, en tant qu'Européens. Nous sommes évidemment derrière nos amis et alliés américains, mais cette montée en puissance montre notre ambition collective. Nous nous dotons ainsi des moyens de notre puissance.
À bien des égards, l'Europe spatiale contribue à la quête d'une Europe souveraine pour ne pas dépendre de puissances tierces dans la politique de lancement de satellites, mais jamais l'espace n'aura suscité autant de convoitises et de concurrences féroces, en particulier celle des lanceurs privés américains. Près de deux cents lancements devraient avoir lieu cette année, dont une bonne moitié par l'opérateur SpaceX du milliardaire Elon Musk.
Cela pose la question de notre efficacité : efficacité opérationnelle, malgré certaines déconvenues, et efficacité d'une gouvernance encore parfois tiraillée entre la logique intergouvernementale et la logique communautaire. L'Agence spatiale européenne est un organisme intergouvernemental dont les programmes fonctionnent selon la logique du retour géographique. Parallèlement, sous l'impulsion de Thierry Breton, la Commission européenne s'investit de plus en plus dans les questions spatiales, notamment par son projet de constellation de satellites, ce qui pose les questions de la coopération et de la coordination de nos actions afin que les différents acteurs européens agissent au bon niveau et de manière pertinente dans la course mondiale que nous devons affronter.
Monsieur le directeur général, je vous souhaite la bienvenue pour cette audition conjointe de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et de la commission des affaires européennes. Je remercie le président de celle-ci pour cette heureuse initiative.
L'intérêt porté de longue date par l'Office aux questions spatiales est illustré par la rédaction de nombreux rapports et l'organisation d'auditions. En 2012, Catherine Procaccia et Bruno Sido avaient présenté un rapport relatif aux enjeux et aux perspectives de la politique spatiale européenne. En 2019, l'Office a organisé une audition publique en amont du conseil ministériel de l'ESA tenu à Séville. Il en a organisé une autre peu avant le conseil ministériel de novembre 2022, afin d'examiner les enjeux français et européens pour les années à venir. Le rapporteur de l'OPESCT, Jean-Luc Fugit, y reviendra.
À cette occasion, nous avons abordé notamment le vol habité, les constellations de satellites et l'observation de la Terre. À l'issue de débats très riches, l'Office a formulé dix recommandations pour une Europe spatiale souveraine et agile, dont trois me paraissent particulièrement structurantes pour l'avenir de l'Europe spatiale : premièrement, envoyer un message politique fort en prenant une décision de principe claire sur le futur du vol et de l'exploration habités ; deuxièmement, définir, à l'occasion du projet de constellation européen Iris 2, des règles globales de gestion durable de l'espace ; troisièmement, maintenir un socle pérenne de commandes publiques européennes pour permettre à nos acteurs industriels de rivaliser avec les concurrents américains et chinois. Ceux-ci sont en effet soutenus par des financements substantiels, à des échelles parfois astronomiques, et des politiques de suprématie. Je suis convaincu que ces recommandations peuvent nourrir utilement nos échanges d'aujourd'hui.
Je redis enfin au président Anglade combien l'Office est heureux d'être associé à cette audition de nature à éclairer la représentation nationale sur les décisions prises lors du dernier conseil ministériel et sur les perspectives ainsi ouvertes.
Monsieur le président de la commission, Monsieur le président de l'Office, directeur général de l'ESA depuis deux ans, j'ai reçu mandat des États membres pour engager davantage l'Europe dans le domaine spatial. Compte tenu de la situation internationale et de la vive concurrence à laquelle se livrent les États-Unis, la Chine et d'autres pays qui développent rapidement leur activité spatiale, il convient de définir le rôle de l'Europe, de l'ESA, de la Commission européenne, des agences spatiales nationales et de tout ce qui structure le paysage européen dans ce domaine.
L'espace est d'une grande importance économique. Vous avez vu le succès de certains concurrents qui se sont enrichis en investissant dans ce secteur. La valeur totale de cette économie est estimée à 350 milliards de dollars et elle devrait atteindre le trillion de dollars à la fin de la décennie. La filière spatiale se développe plus rapidement que d'autres. Un indice Standard & Poor's publié récemment révèle que les entreprises qui investissent dans ce domaine affichent d'excellents résultats boursiers. Au-delà de son intérêt stratégique, ce secteur en croissance rapide revêt donc pour l'Europe une grande importance économique.
On ne peut parler de l'Europe de l'espace sans mentionner le rôle de la France. La France a joué un rôle très important dans le développement spatial. Le Centre national d'études spatiales (CNES) est très actif. J'ai rencontré hier son nouveau directeur ainsi que le commandant de l'espace. La France a pour atout particulier le port spatial de Guyane, qui est très important pour tous, Européens et autres, pour lancer nos satellites. Vous devez en être fiers. En tant que directeur général de l'ESA, je remercie la France de son excellente coopération et du soutien que nous avons obtenu de la part du Gouvernement français. Le développement de ce port spatial facilite notre accès à l'espace, lequel est indispensable à tous. Sans cet accès, nombre d'activités touchant tous les secteurs de l'économie n'existeraient pas.
J'évoquerai quelques programmes spatiaux où la France se porte particulièrement bien. Vous connaissez les satellites d'observation de la Terre et le programme Copernicus. Il s'agit d'un investissement majeur dont l'Europe devrait être fière. C'est le meilleur programme d'observation au monde, dont la Nasa est parfois partenaire, parce qu'en ce domaine, l'Europe réalise des progrès importants.
Nous avons développé d'autres programmes d'observation de qualité. En matière de géolocalisation, la constellation Galileo est le système de positionnement le plus précis et le plus fiable. Nous l'avons développé en presque une décennie. Après avoir recouru au signal GPS, l'Europe a investi dans ce programme afin de se doter d'une autonomie stratégique.
Concernant l'exploration des planètes et de l'univers distant, les sondes Ariel et Juice sont destinées à remplir des missions scientifiques. Un lancement de Juice par Ariane 5 est prévu au mois d'avril pour étudier les lunes glacées de la planète Jupiter. Il s'agit de savoir s'il ne se trouve pas des traces de vie sous leur chape de glace et d'océans glacés. Un satellite ira voir si ces lunes glacées sont habitables et si la vie existe dans cette partie du système solaire. Savoir s'il y a quelqu'un là-bas, dans cet espace lointain, nous concerne tous. Grâce à ces satellites, nous cherchons à déterminer l'habitabilité de ces lunes.
La Conférence européenne interparlementaire sur l'espace (EISC), réunie au Sénat français, il y a quelques mois, a abordé avec des représentants politiques les priorités spatiales, le rôle de l'Europe, l'autonomie européenne, les liens entre les institutions européennes et notre rôle par rapport à d'autres pays. Il s'agissait d'un dialogue de haut niveau.
Quelques mots et quelques chiffres au sujet de l'Agence spatiale européenne.
L'ESA, composée de vingt-deux États membres, est une organisation intergouvernementale. De nombreux pays de l'Union européenne en sont membres, auxquels s'ajoutent la Suisse, la Norvège et le Royaume-Uni. D'autres pays, comme la Croatie ou Malte, prévoient d'y adhérer.
Notre budget s'élève à 7 milliards d'euros. Nous avons quelque 6 000 agents au siège, à Paris, et des centres dans d'autres pays. Environ 60 % du financement public du secteur spatial européen passent par l'ESA, ce qui nous permet, par le biais de nos activités et de nos programmes, d'avoir une influence sur l'écosystème spatial.
Je citerai quelques résultats dont nous sommes particulièrement fiers. Aux programmes Copernicus et Galileo s'ajoute la mission remarquable du télescope James Webb, lancé le jour de Noël 2021 par Ariane 5 depuis la Guyane française. Il est de loin le satellite le plus lourd à avoir été lancé. Son développement a demandé vingt ans et a coûté 10 milliards de dollars. La Nasa, qui en est le responsable principal, a donné à l'Europe le droit de lancer ce télescope par une fusée Ariane 5. L'injection en orbite de ce satellite visant le point de Lagrange était si précise que la durée de vie du télescope a été multipliée par deux. Cette précision a permis de réaliser des économies d'ergol. L'Europe a donc aidé la Nasa à réussir ce lancement.
L'Europe a fortement contribué au développement de ce télescope, puisque, sur quatre instruments installés à bord, un est entièrement européen et un autre l'est à moitié. Nous y avons activement contribué et il est exploité par de nombreux scientifiques européens.
Certains se souviennent de la sonde Rosetta, qui a réussi l'exploit d'atterrir sur une comète. Ce fut une réussite exceptionnelle - dont on a peut-être davantage parlé aux États-Unis qu'en Europe.
Nous avons choisi le nouveau groupe d'astronautes de la classe 2022 de l'ESA, qui a été présenté lors de la conférence ministérielle du mois de novembre. Il fait suite au premier groupe, composé en 2009, il y a treize ans, et compte deux astronautes français. Neuf sont des astronautes de carrière, dont la Française Sophie Adenot, qui va commencer sa formation, et d'autres sont des astronautes de réserve. Un « parrain », qui a perdu les jambes dans un accident, reçoit la même formation afin de montrer que l'espace est ouvert à tous, y compris aux personnes handicapées.
Ceci confirme l'importance du rôle de l'Europe dans l'exploration humaine et par des robots. Nous voulons renforcer ce groupe d'astronautes. Six sont déjà là. Vous connaissez Thomas Pesquet, mais il y a aussi des Allemands, des Italiens, un Danois, un Britannique. Ils sont très importants pour nous, non seulement pour le travail qu'ils réalisent dans la station spatiale internationale ou les expériences pratiquées sur eux-mêmes pour des instituts de recherche, mais également en tant qu'ambassadeurs de l'espace.
J'évoque maintenant la stratégie de l'ESA intitulée Agenda 2025. Plusieurs défis connus se profilent à l'horizon européen. D'abord, d'importants investissements pour l'espace sont engagés par d'autres pays, comme la Chine et les États-Unis. La Chine a déclaré que l'espace était une priorité politique, qu'elle souhaitait devenir la première puissance spatiale en 2050 et utiliser l'espace pour renforcer sa position géopolitique. Qu'on le veuille ou non, c'est la situation actuelle. La Chine a réalisé des progrès impressionnants dans le domaine spatial et montré l'importance des capacités qu'elle a développées. L'Europe doit intensifier ses efforts. Elle dispose des capacités techniques et géopolitiques nécessaires pour renforcer sa présence dans l'espace, mais aussi tirer parti des possibilités économiques et sociales que recèle l'espace.
L'Agenda 2025 énumère les cinq priorités qui doivent être celles de l'Europe pour qu'elle progresse et s'épanouisse à cette échelle.
L'une d'elles est que la Commission européenne, les institutions européennes et l'ESA travaillent main dans la main. Pour avoir travaillé durant plusieurs années au sein de la Commission européenne, j'ai compris qu'il était de la plus haute importance que nos institutions agissent bien de concert. L'Union européenne doit mobiliser ses forces politiques. Fournisseur de technologies, nous nous concentrons sur le développement d'infrastructures de technologie spatiale et la mise en oeuvre de l'ingénierie spatiale. Cette collaboration main dans la main doit contribuer à renforcer l'Europe.
La commercialisation s'est rapidement développée ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, grâce à l'apport massif de capitaux privés comme ceux de la Silicon Valley, et l'Europe doit rattraper le terrain perdu. L'Europe n'est pas aussi performante en ce domaine que les États-Unis, où de nombreuses entreprises sont parties prenantes du secteur. En Europe, nous devons intensifier les efforts et créer un écosystème où les petites et les grandes entreprises privées auront accès à des financements dans le secteur spatial.
Dans le nouveau domaine spatial - le New Space -, il faut trois éléments : des idées, autrement dit agir au moyen du capital humain ; l'accès à des fonds et au capital risque - celui-ci est plus accessible aux États-Unis ; de la rapidité - nous devons être beaucoup plus rapides qu'aujourd'hui. Aux États-Unis, la rapidité est une qualité déterminante et l'on est bien plus capable de prendre des risques. En Europe, alors que nous avons du talent, un capital humain et des secteurs d'excellence, nous pouvons prendre des risques. Je ne me réjouis pas de voir des Européens se tourner vers les États-Unis pour trouver des débouchés, ni de voir les Américains recruter des talents européens. J'aimerais que soit mis au point un écosystème européen permettant l'épanouissement de ces activités.
L'accès au financement est un problème en Europe. On voit des signes de développement, mais pas au rythme des États-Unis. La Silicon Valley est connue pour être un vivier de fonds accessibles bien plus rapidement que sur les plateformes européennes. Certes, en tant que directeur général de l'ESA, j'ai signé, au cours des dix-huit derniers mois, dix-huit accords de capital risque pour permettre à des acteurs du domaine spatial européen d'accéder à des fonds, mais nous accusons des retards sur le rythme des investissements engagés ailleurs dans le monde. La rapidité et la prise de risque font partie de la culture américaine. L'ESA doit agir sur ce modèle et être plus réactive pour offrir des débouchés.
Les défis des programmes sont nombreux. Le secteur des lanceurs se trouve dans une situation difficile, pour ne pas parler de crise. Avec le directeur du transport spatial, nous aurons très prochainement une réunion avec les représentants des États membres et nous examinerons comment garantir, à moyen et long terme, l'accès à l'espace, qui figure parmi les premières priorités.
Enfin, l'ESA doit devenir plus rapide, plus réactive et tirer meilleur parti de ses ressources.
L'espace, la sécurité et la défense sont de plus en plus étroitement liés. C'est le cas en Russie, en Inde, en Chine et aux États-Unis. En Europe, la défense se déploie essentiellement au niveau national et très peu au niveau européen. Par conséquent, cela donnera lieu à d'intenses discussions. Nous avons la boussole stratégique et la stratégie européenne de défense mais, dans la conjoncture actuelle et face aux menaces à l'encontre de la sécurité de nos peuples, les actifs spatiaux sont très importants. L'accès à des technologies de télécommunication terrestres mais aussi à des instruments de navigation et d'observation est indispensable pour la sécurité en Ukraine.
En outre, l'espace et la sécurité ont de plus en plus une nature duale. Nombre de technologies développées dans le premier domaine ont de solides applications dans le second. C'est un travail engagé depuis plusieurs années, à l'exemple du développement de Galileo, d'instruments de connectivité et de moyens de cybersécurité. Lors de la dernière réunion ministérielle, la plupart des États membres ont adhéré à l'idée d'assurer la sécurité civile depuis l'espace. Nous combinons les technologies d'observation de la Terre avec celles de télécommunication et de navigation spatiales pour fournir des services en appui de la sécurité civile sur le terrain.
Le sommet spatial européen 2022 organisé à Toulouse, le 16 février dernier, événement important, a réuni des États membres de l'Union européenne et des États membres de l'ESA pour discuter d'importants sujets liés au domaine spatial en Europe. Le Président Macron a prononcé une allocution percutante, soulignant pourquoi l'Europe devait se lancer plus fortement dans le domaine spatial, notamment à des fins d'exploration humaine. À la fin de la réunion, il m'a demandé de constituer un groupe consultatif de haut niveau sur l'exploration spatiale humaine. Ce groupe est composé de personnalités issues non du domaine spatial mais d'autres secteurs de la société, tels que des économistes, l'ancien secrétaire général de l'Otan, des ministres, d'anciens responsables politiques, comme Cédric O, Erling Kagge, un explorateur qui est allé à pied sur le mont Everest, au pôle Nord, au pôle Sud, etc. Ces personnes se sont réunies pendant quelques mois, la dernière fois à Kourou, il y a quelques semaines. Ils sont en train de finaliser leur rapport, qui vise à décrire comment, du point de vue sociétal, amorcer l'exploration spatiale humaine.
L'Europe envoie ses astronautes avec des partenaires américains mais pas seulement. Par le passé, les astronautes américains allaient dans l'espace avec des Russes mais, pour des raisons évidentes, ce n'est plus le cas. Toutefois, contrairement à la Chine, aux États-Unis, à la Russie et, bientôt, à l'Inde, l'Europe ne dispose pas de ses propres capacités pour envoyer des astronautes dans l'espace. Pourquoi ? Aux responsables politiques qui m'ont posé la question lors du sommet de 2022, j'ai répondu que je reviendrai vers eux pour leur exposer les tenants et aboutissants en matière de coûts et de mise en oeuvre de programmes. Ne voulant pas mettre la charrue avant les boeufs, j'attendrai le rapport final. La discussion aura lieu dans les prochaines semaines, car l'espace est une question stratégique liée à la géopolitique. À l'instar de la Nasa, l'Amérique latine ou l'Inde, l'Europe doit envoyer ses astronautes dans l'espace. C'est un rêve. Il y va de la possibilité d'unifier l'Europe et d'attirer un vivier de talents extérieurs.
Je remercie de nouveau la France d'avoir été l'hôte de la conférence ministérielle et d'être un partenaire fort. Le budget de l'ESA est en augmentation de 17 % par rapport à la précédente conférence, il y a trois ans. Nous ignorons quel sera le niveau d'inflation cette année, l'année prochaine et la suivante, mais en intégrant cette donnée, ce chiffre devrait augmenter d'environ 30 %. C'est une façon, pour la France et les autres États membres, de montrer l'importance primordiale de l'espace.
La contribution de la France porte principalement sur le transport dans l'espace, les lanceurs, la navigation, les télécommunications, l'observation de la Terre, l'exploration. Elle est en hausse de près de 20 % par rapport à 2019 et égale à 18 % de la contribution totale. La France est le deuxième contributeur, après l'Allemagne, et nous lui en sommes très reconnaissants. Nous remercions l'administration française et la France pour son fort soutien apporté lors de la conférence ministérielle.
Concernant notre feuille de route, comme je l'ai indiqué, nous devons accélérer l'utilisation de l'espace. Lors du sommet spatial qui se tiendra en novembre sous la présidence espagnole et sous la houlette de l'Allemagne, nous aborderons l'utilisation de l'espace dans sa dimension écologique, élément important pour l'Allemagne, et pour l'exploration spatiale.
Monsieur le directeur général, merci pour cette présentation détaillée. Nous en arrivons aux questions des représentants des groupes.
Monsieur le directeur général, votre présence parmi nous montre l'importance et la reconnaissance que vous accordez au rôle de la France depuis l'origine dans l'aventure de l'Agence spatiale européenne. Par-delà le montant de sa contribution, la France est très investie dans l'aventure spatiale. La concurrence internationale est de plus en plus rude et le défi pour l'Europe est de devenir une puissance spatiale compétitive, autonome et souveraine. Sans maîtrise de l'espace, pas de réelle souveraineté technologique, pas de réelle souveraineté industrielle et économique, pas de réelle souveraineté militaire et stratégique. L'Europe a fait preuve de son excellence industrielle. Elle continue à produire des résultats remarquables, dont le télescope James Webb bien connu du grand public, mais elle n'a pas su prendre à temps des virages stratégiques dans les domaines des lanceurs, des constellations de satellites de télécoms, ce qui doit être corrigé le plus rapidement possible.
Vous avez évoqué l'irruption de nouveaux acteurs privés américains, comme SpaceX. Quel peut être le rôle des industriels privés en Europe ? Celle-ci peut-elle offrir un terrain de développement à l'émergence de tels acteurs ? Comment réduire la pollution spatiale et les très nombreux débris qui encombrent l'espace et qui peuvent perturber l'activité des satellites ?
Le programme Galileo surclasse le GPS américain et, malgré presque dix années de retard, l'Europe peut s'enorgueillir de cette réussite basée sur la coopération des États membres. Toutefois, si Galileo est capable de géolocaliser un appareil avec une précision de vingt centimètres, cette technologie n'est pas encore disponible sur les smartphones, aux dépens des potentialités économiques et de la compétitivité européennes. L'accès aux solutions offertes par Galileo va-t-il se démocratiser ?
Quels sont les capacités européennes et le rôle de l'ESA dans les moyens dont nous disposons pour garantir notre indépendance dans la conquête spatiale ? Je pointe du doigt notre retard en matière de lanceurs spatiaux, la fin de Soyouz à Kourou, l'arrêt d'Ariane 5, les retards d'Ariane 6 et l'échec de Vega-C. Cette série de déboires pulvérise nos volontés d'indépendance européenne en matière d'accès à l'espace. Dans la course face aux Chinois, aux Américains, avec SpaceX dont les lanceurs révolutionnaires permettent d'énormes économies de conception, et aux Russes dont les lanceurs Soyouz ont une fiabilité éprouvée depuis soixante-dix ans, où en est l'Europe ? Avez-vous un plan pour stopper cette spirale qui ressemble à un échec ?
Depuis plusieurs années, l'Union européenne ambitionne de se doter de son propre programme spatial, matérialisé par la transformation de l'Agence du GNSS (global navigation satellite system) européen en Agence de l'Union européenne pour le programme spatial (EUSPA). Comment va s'imbriquer cette nouvelle agence avec l'Agence spatiale européenne, dans la mesure où vos périmètres et missions diffèrent sensiblement ? Depuis l'adoption du programme spatial de l'Union européenne pour la période 2021-2027, quel premier bilan tirez-vous de la structure de gouvernance adoptée ? Permet-elle le respect plein et entier de la mission exclusivement pacifique de l'ESA, prévue par la convention de 1975 ? Le budget alloué et sa répartition entre les programmes Galileo, Copernicus et GOVSATCOM est-il satisfaisant ? Quel regard portez-vous sur la future stratégie spatiale pour la sécurité et la défense, annoncée par la présidente von der Leyen, en septembre 2022 ? Quel sera le rôle de l'Agence spatiale européenne dans cette stratégie ? Quel est l'état de vos discussions avec la Commission européenne à ce sujet ?
Enfin, il y a deux ans, en février 2021, trois missions spatiales sont arrivées à destination de Mars, une mission chinoise, une mission des Émirats arabes unis et la mission américaine Perseverance. La mission européenne ExoMars n'a pas pu s'y joindre du fait de difficultés techniques. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a été un nouveau coup dur en raison de l'annonce, en juillet 2022, de l'arrêt de la coopération sur ce projet entre l'ESA et son homologue russe. Cette annonce a entraîné un nouveau report du lancement d'ExoMars qui aurait dû intervenir durant l'automne 2022. Quel est votre nouveau calendrier ?
Le budget public européen consacré au domaine spatial était de 8,1 milliards d'euros, l'année dernière, contre 40 milliards de dollars pour le budget américain. Par conséquent, la modestie de notre budget peut susciter un doute quant à son efficacité. Comment convaincre les États européens de l'augmenter considérablement ?
Les programmes spatiaux américains ou français ont été développés selon le principe de dualité des technologies, à la fois pour l'usage civil et pour l'usage militaire. Comment faire en sorte que ce principe puisse aussi bien fonctionner au niveau européen qu'au niveau américain ?
Plusieurs pays ont pu lancer des fusées grâce à la réduction de la taille des satellites. Je pense au Japon ou, en Suède, à la nouvelle base spatiale de Kiruna. Notre base de Kourou risque-t-elle d'être affectée par cette évolution ? Dans ce contexte, comment maintenir l'excellence et l'avance de notre base de Kourou ?
Si la découverte de l'espace est l'un des plus grands défis de l'humanité, à même de fédérer les peuples, à l'inverse, la priorité donnée par les grandes puissances à la maîtrise de l'espace et de ses opportunités technologiques et stratégiques entraîne des rivalités. Bien que proscrite par le traité de l'espace du 10 octobre 1967, la militarisation de l'espace extra-atmosphérique a débuté. Ainsi le GPS, formidable outil de positionnement géographique mis en place en 1995 à des fins militaires, a longtemps donné aux États-Unis un avantage stratégique considérable. L'Europe a dû attendre 2016 pour se doter du système civil Galileo, vingt ans durant lesquels les pays européens ont été dépendants du système américain, avec les conséquences stratégiques qui en découlent.
Se pose également la question des débris spatiaux. La destruction d'un de leurs propres satellites par les Russes, en 2021, a contraint la station spatiale internationale à changer de cap. L'ESA doit donc non seulement trouver une solution pour gérer ses propres débris spatiaux mais aussi agir pour sa sécurité face aux débris des autres.
Avons-nous rattrapé notre retard technologique en termes de maîtrise de l'espace ? Devons-nous nous atteler au développement de géants européens à même de concurrencer SpaceX ou devons-nous utiliser les ressources proposées par ces entreprises étrangères, de même que nous avons utilisé le GPS pendant vingt ans ?
Monsieur le directeur général, pourriez-vous rappeler le montant du budget de l'ESA, voté en augmentation ? Quelles sont les lignes de crédits consacrées à la connaissance et à la prévention des risques climatiques ? L'indépendance stratégique est une doctrine nouvelle en Europe, renforcée par la crise sanitaire, la guerre et les enjeux énergétiques. Comment l'Agence la décline-t-elle dans ses relations avec ses partenaires hors de l'Union européenne ? Qu'en est-il de la compétition intra-européenne à laquelle se livrent la France, l'Allemagne et l'Italie pour les petits lanceurs ?
Monsieur le directeur général, vous avez la responsabilité d'un domaine essentiel pour la consolidation de la souveraineté de l'Europe. La conquête spatiale est au coeur de nos priorités depuis le début de la construction européenne et elle doit le rester. Face à de nouveaux enjeux toujours plus complexes, face à une concurrence internationale toujours plus féroce et face à l'arrivée de nouveaux acteurs toujours plus infatigables, nous ne devons pas perdre la boussole de nos ambitions.
La concurrence internationale est féroce. Dans de nouveaux pays, des acteurs économiques s'intéressent de plus en plus au domaine spatial, certes pour des raisons différentes mais, depuis plusieurs années, les ambitions militaires sont de plus en plus assumées. La Chine, devenue un acteur majeur, envisage d'envoyer en orbite sa station spatiale, avec l'aide de la Russie. L'Inde poursuit le développement de ses capacités.
La question de la privatisation de l'espace doit nous mobiliser. Depuis plusieurs années, de nouveaux acteurs privés ont fait de la conquête spatiale leur priorité, telles l'entreprise SpaceX, qui nous est utile, et d'autres détenues par de grandes fortunes. Face à cela, nous plaçons beaucoup d'espoir dans le programme Artemis, auquel nous participons aux côtés des États-Unis, du Canada, du Japon et d'autres partenaires commerciaux. Quelle place entend y occuper l'ESA dans les années à venir ? Quelle stratégie compte-t-elle mettre en oeuvre pour consolider des coopérations entre des pays membres de l'Union européenne ?
Enfin, je vous pose une question que beaucoup de nos compatriotes se posent : Thomas Pesquet marchera-t-il prochainement sur la Lune ?
L'OPECST suit les sujets spatiaux avec régularité et acuité. Nous travaillons sur les lanceurs, les satellites et les applications satellitaires. Nous suivons de près les conférences européennes. Nous allons conduire une étude sur le devenir des débris spatiaux qui fera l'objet d'un rapport de l'Office au printemps, que j'établirai avec ma collègue sénatrice Catherine Procaccia. Nous pourrons échanger avec votre commission sur ce sujet, si elle le souhaite.
Monsieur le directeur général, pouvez-vous décrire la répartition des compétences et des prises de décision entre l'ESA et la Commission européenne, en particulier s'agissant du projet de constellation Iris 2, qui va monter en puissance dans les mois et les années qui viennent ? Le maintien du principe de retour géographique est-il un sujet de débat entre l'ESA et la Commission européenne ? Quels sont les projets de l'ESA, à court et long terme, sur le vol habité, sujet dont l'Office a débattu récemment ? Je ne sais pas où ira marcher Thomas Pesquet mais nous aimerions en savoir un peu plus sur les vols habités. Quelles seraient les conséquences géopolitiques, économiques et environnementales pour l'Europe si elle s'engageait dans ce secteur ? Enfin, l'ESA peut-elle devenir la véritable agence spatiale de la Commission européenne ?
Concernant la commercialisation et l'accélération de nos activités spatiales, je l'ai dit dans ma présentation, l'Europe doit rattraper son retard. Vous avez cité Galileo et d'autres programmes. L'Europe affiche les meilleurs résultats en matière de navigation et d'observation de la Terre, de sciences de l'espace et de satellites de télécommunication, dépassant ou égalant les autres pays. Nous rattrapons le retard dans plusieurs programmes. Après la mise en oeuvre du système GPS par les États-Unis, l'Europe s'est engagée dans le domaine de la navigation en développant le programme Galileo, qui est à même de lui assurer une autonomie stratégique. De même, après quelques décennies de retard et la domination du programme américain Landsat d'observation de la Terre, l'Europe s'est engagée dans cette voie avec le programme Copernicus et d'autres, et elle a non seulement rattrapé son retard mais dépassé d'autres pays. Ceci montre qu'en le voulant, l'Europe peut disposer de systèmes très forts. C'est également le cas pour le programme Iris. Nous n'avons pas l'équivalent de Starlink, mais nous nous employons à renforcer ce secteur. Nos industries nous aident à avancer dans cette voie.
Dans le domaine des lanceurs, la situation est très difficile, au point qu'on peut parler de crise. Le programme Ariane 6 a pris du retard, les prochains lancements d'Ariane 5 auront lieu en avril. En décembre, Véga a connu un échec, sans parler de l'arrêt du programme Soyouz dû à la guerre en Ukraine. La situation est donc très grave. Ma priorité est de rétablir un accès à l'espace. C'est indispensable pour des raisons d'ordre stratégique, économique et autres. Nous avons déjà pris des mesures sur lesquelles le directeur du transport spatial fournira des précisions. Avec les États membres et les acteurs industriels, nous nous attelons à résoudre cette crise tout en révisant nos méthodes de travail. Cela prendra du temps mais nous allons développer un système offrant une autonomie d'accès à l'espace, si importante pour l'Europe.
Depuis plus de dix ans, nous développions avec la Russie le programme ExoMars, composé de quatre parties. Une partie concernait la Russie, d'autres l'Europe et certaines faisaient l'objet d'une coopération entre les deux. Depuis l'intervention russe en Ukraine, en février dernier, nous avons engagé des consultations avec les États membres et décidé immédiatement d'interrompre toute coopération et de prendre des sanctions. Nous avons trouvé une solution principalement européenne, à laquelle s'ajoutent quelques éléments américains, afin de poursuivre le programme et de remplacer les pièces et les parties russes. Le lancement est prévu en 2028.
La petite base spatiale qui vient d'ouvrir à Kiruna ne peut être comparée à la nôtre. Kourou est un port spatial pour des lanceurs de toutes portées, y compris des lanceurs lourds capables d'envoyer des satellites en orbite géostationnaire. Kourou peut aussi lancer des petites missions composées de petits groupes de satellites. La base de Kiruna ne peut envoyer que des micro-lanceurs destinés à placer quelques satellites en orbite polaire. Elle n'est d'ailleurs pas la seule en projet mais elle est la seule à être devenue opérationnelle. Mais on ne saurait comparer cette petite entité avec une grande.
Vous avez comparé les 8,1 milliards d'euros d'investissement en Europe avec les 40 milliards de dollars aux Etats-Unis. En tant que directeur général, ma mission est de passer au niveau supérieur. La conférence ministérielle du mois de novembre a été une étape importante et nous allons continuer à accroître les contributions européennes.
Nous devons résoudre le problème des débris spatiaux avec tous nos partenaires, car cela ne concerne pas uniquement l'Europe. Je souhaite que l'Europe joue un rôle de champion pour la propreté de nos orbites et de notre espace, à l'instar de son action en faveur de la durabilité et de la protection de l'environnement terrestre.
D'autres pays, comme les États-Unis, la Chine et l'Inde entretiennent la dualité entre activités militaires et civiles. En Europe, nous établissons une distinction mais la discussion ne fait que commencer.
Qui marchera sur la Lune ? On me pose souvent la question. Permettez-moi de ne pas y répondre puisque la décision n'est pas encore prise. Grâce aux États-Unis, deux créneaux sont prévus dans le cadre du programme Artemis et j'essaie aussi d'en obtenir un pour permettre à l'un de nos astronautes d'aller sur la Lune. Je ne peux encore dire lequel. Nous le saurons sans doute environ deux ans avant la mission. Je sais que Thomas Pesquet suscite un grand intérêt.
Trois conditions sont nécessaires à la restauration durable de l'accès à l'espace. D'abord, dans les mois qui viennent, nous devrons suivre avec rigueur la préparation du vol inaugural d'Ariane 6, opération sine qua non pour l'Europe, dans la situation actuelle, et surtout la montée en puissance du programme de production, en vue de lancer des missions de souveraineté européenne. Ensuite, il faut assurer le retour en vol de Vega-C et, au-delà de la solution technique, en assurer une exploitation robuste par la révision de l'industrialisation du produit. Enfin, il convient de créer une vraie compétition pour le lancement de missions performantes de l'ESA dans la gamme des micro-lanceurs, voire des mini-lanceurs.
Nous travaillons aussi avec la Commission européenne sur un « ticket de vol européen » pour de petites missions technologiques. Dans ce domaine, le secteur public, Commission et ESA main dans la main, peut favoriser les jeunes pousses.
À moyen terme, c'est-à-dire à l'horizon 2025, il conviendra de soutenir l'industrie dans les technologies clés. Le rattrapage en matière de réutilisation des lanceurs est clairement un must have. En 2016, l'ESA a engagé le développement du moteur-fusée Prometheus. Lancé à l'initiative de la France, c'est un élément clé de la réussite de la réutilisation. Nous disposons d'un certain nombre de briques mais le rattrapage est long et nécessite des investissements. Nous travaillons sur la réutilisation d'un premier étage et nous avons un projet de réutilisation de deuxième étage, beaucoup plus complexe, mais ce sont des étapes que nous devons franchir.
À l'horizon 2025, Ariane 6 devra monter en puissance, ce qui posera la question du partage du risque d'exploitation entre secteur public et secteur privé. Ce sera un autre facteur clé de succès. Le secteur public ayant déjà pris des engagements jusqu'au modèle de vol 15, nous avons un peu de temps, mais il importe de fixer une perspective à l'industrie pour une exploitation stabilisée.
À plus long terme, à l'horizon 2030, il faudra revoir le modèle européen d'accès à l'espace, basé sur des sources multiples, menant à des capacités compétitives sur le marché accessible.
Comment garder l'avance du Centre spatial guyanais (CSG) ? Le segment n'est pas remis en question, mais le CSG doit être politiquement pérennisé comme port spatial de souveraineté pour l'Europe. Ensuite, il faut l'ouvrir pour en faire une base multi-applications incluant des projets commerciaux, pour y ajouter des navettes. La navette du projet Space Rider devrait atterrir en Guyane. Enfin, il faut moderniser significativement la base en la rendant plus flexible, plus digitale et plus verte, c'est-à-dire compatible avec les enjeux environnementaux.
La France, l'Allemagne et l'Italie ont pris des initiatives nationales dans le domaine des micro- et des mini-lanceurs. Le Royaume-Uni et l'Espagne ont aussi des projets avancés. La pérennité de ces initiatives est liée à l'évolution de la demande. La compétition des idées, des technologies, des projets est saine et doit être favorisée. L'ESA a plusieurs leviers d'initiative à ce sujet. Enfin, il convient de s'assurer que la demande effective dans le segment des services de lancement corresponde à l'offre. Si tel est le cas, une convergence des capacités entre les trois pays pourra s'opérer.
Nous en venons aux questions.
Monsieur le directeur général, ma question concerne les missions habitées, donc l'exploration humaine. Aurons-nous la chance de voir un Européen toucher la surface de la Lune ? Contrairement à ce que j'avais compris à la lecture de la presse, on n'est même pas certain qu'un Européen foulera le sol lunaire dans le cadre d'une mission américaine. Peut-on espérer voir une mission européenne envoyer des Européens sur la Lune ? Je regrette également l'absence d'ambition européenne pour envoyer des Européens sur Mars dans le cadre d'un programme européen. Vous avez parlé de rêve. Verrons-nous un jour une mission européenne envoyer des hommes européens ou des femmes européennes sur Mars ?
Je rappellerai l'importance de l'exploration spatiale pour l'acquisition de connaissances fondamentales en physique. En tant qu'ancien chercheur dans le domaine forestier, je sais que le programme Copernicus, comme toute exploration spatiale, permet beaucoup d'innovations.
L'espace est un bien commun et la production de connaissances issues de l'exploration spatiale l'est aussi. Toutefois, on voit naître la volonté de la rendre monnayable et d'en faire un lieu de concurrence et de marché. Comment arbitrer entre la nécessité d'un bien commun et la mise en compétition sur un marché ? Puisque vous avez obtenu des États membres un peu moins que les 18,7 milliards d'euros que vous aviez demandés, sur quels projets faudra-t-il revenir ? Toutes ces acquisitions représentent beaucoup de données dans le Big data. Comment en envisager le traitement scientifique ?
Le conflit russo-ukrainien a été l'occasion de la première cyberattaque d'un système satellitaire, celui du réseau KA-SAT qui gérait des communications militaires ukrainiennes. Cette attaque a provoqué des dégâts collatéraux en rendant inopérants des dizaines de milliers de terminaux et 5 800 éoliennes allemandes. Comment envisagez-vous l'avenir de la communication militaire et de son niveau de confidentialité avec l'usage de satellites civils ? Comment conciliez-vous la nécessité de mutualiser les usages et une utilisation spécifique au regard des conséquences potentielles d'une cyberattaque ?
Monsieur le directeur général, le 24 octobre dernier, en présentant la nouvelle promotion d'astronautes du corps européen, vous vous êtes engagé fortement en faveur de la diversité au sein de l'Agence et de la féminisation du recrutement. Sur les 560 astronautes qui se sont rendus dans l'espace, 10 % seulement étaient des femmes. Dans la promotion actuelle, sur les cinq astronautes de carrière, deux sont des femmes, dont la Française Sophie Adenot, et la parité est atteinte dans le corps de réserve avec six femmes sur onze astronautes. Quelle est la part de femmes qui se portent candidates ? Quelle évolution avez-vous observée ces dernières années ? Quels outils l'Agence met-elle en place pour conforter cet élan et donner plus de place aux femmes dans l'exploration spatiale ?
Lors de l'audition du spationaute Thomas Pesquet par la commission des affaires étrangères, nous avons été séduits par sa volonté de faire pétiller les yeux des scolaires et des étudiants sur les métiers de demain. Des métiers, disait-il, qui n'existent pas encore et dont même le nom n'est pas défini. Comment nous, parlementaires de tous les territoires français, pourrions-nous être les ambassadeurs des nouveaux métiers de demain, en lien avec le domaine spatial, donc contribuer à construire ce rêve pour unifier l'Europe ?
Vous avez précisé que l'ESA avait augmenté significativement son budget pour la période 2023-2025. À l'instar de nos armées nationales, l'ESA ne pourrait-elle suivre une loi de programmation sur une période plus large ? Concernant nos capacités de lancement, vous dites que nous avons rattrapé notre retard technologique. Pour prendre de l'avance, ne devrions-nous pas nous concentrer sur une prochaine évolution stratégique ?
Concernant l'exploration humaine et ses conséquences pour l'Europe, vous avez mentionné la mission Artemis vers la Lune et vers Mars. Nous avons négocié avec la Nasa trois places pour les missions Artemis 4 et 5 et une autre n'a pas encore été allouée. Les négociations sont en cours et nous en attendons les résultats. J'exerce une forte pression afin qu'une de ces places soit accordée à un astronaute européen. Cette proposition n'a pas encore été agréée par la Nasa mais nous sommes en bonne position, car l'Europe s'est nettement engagée dans cette coopération. Nous travaillons avec les Américains sur la mission ExoMars et le projet Artemis.
Nous avons pris des engagements pour la station Gateway, la capsule Orion, dans le cadre du programme Artemis, et neuf modules de service européens. (EMS). Nous nous sommes engagés sur des coûts d'exploitation. J'ai eu le plaisir et la fierté de rencontrer le président de la Nasa, M. Nelson, pour l'entretenir des engagements des États membres de l'Union européenne et de leur respect. Nous sommes en bonne position pour demander l'attribution d'un astronaute européen, mais les négociations ne sont pas encore finalisées.
Dans le corps de 2009, il y avait sept astronautes femmes. En 2022, il y avait 24 % de candidates, ce qui correspond au ratio constaté dans les études d'ingénierie. Dans la version finale, huit femmes et neuf hommes, soit presque la parité, en sorte qu'on est passé de 24 % à presque 50 % de contribution féminine. Mais plus que la volonté d'équilibre, c'est la qualité des candidates qui a dicté ce choix. Le nombre de demandes émanant de femmes de haut niveau nous a permis de composer un corps équilibré, ce dont je me réjouis.
Oui, Thomas Pesquet est un ambassadeur qui concrétise le rêve de nombre d'entre nous. Il joue un rôle phare, non seulement par ses qualités techniques d'astronaute dans la station spatiale, mais comme ambassadeur, ce en quoi doivent exceller tous les astronautes. Nous travaillons étroitement avec Thomas Pesquet et il prend grand plaisir à être un tel ambassadeur.
Cela rappelle que nous devons intensifier l'exploration européenne de l'espace. L'absence de l'Europe dans l'espace est difficilement compréhensible et nous voulons développer des missions dans des capsules spatiales vers la Lune et vers Mars. Nous devons intensifier l'engagement européen en la matière.
Vous avez évoqué la cybersécurité au travers de la situation en Ukraine. Je le répète, ce domaine est pour nous de la plus haute priorité. On m'a proposé de doubler le budget de la cybersécurité et les États membres y ont consenti. La cybersécurité protège à la fois nos infrastructures spatiales et terrestres. Il faut doter nos infrastructures spatiales de systèmes de cybersécurité très robustes, car les risques sont élevés.
Vous avez observé que sur le budget de 18,5 milliards d'euros demandé, 17 milliards avaient été obtenus. Il faut savoir que la proposition du directeur général de l'ESA est souvent plus élevée que le produit des souscriptions des États membres. Mais la bonne nouvelle, c'est que tous les projets proposés ont été financés, même si certains l'ont été dans une moindre mesure et si nous devons échanger avec les États membres pour décider du niveau de mise en oeuvre : 90 % ou 100 %. Tous les projets phares, tels que l'atterrisseur terrestre, les engagements avec la Nasa, les programmes d'observation de la Terre, sur le changement climatique, les débris, la sécurité spatiale, les lanceurs, sont financés, pas toujours à 100 %, mais hautement financés. Nous sommes en discussion avec chaque État membre à titre individuel. Il faudra reporter quelques programmes mais, dans la plupart des cas, nous pouvons nous engager pleinement dans leur réalisation.
Quant à l'orientation stratégique à long terme, si les investissements européens sont inférieurs aux investissements américains, l'Europe a compris, à la lumière de l'expérience de l'an dernier et de la guerre, qu'elle devait s'atteler à l'atteinte de son autonomie stratégique et de ses priorités stratégiques, comme ceci est souligné dans la proposition aux États membres. Une politique visant l'autonomie stratégique est primordiale pour les infrastructures européennes, après quoi nous nous pencherons avec nos partenaires sur la coopération internationale.
Monsieur le directeur général, merci pour vos réponses très complètes.
La réunion est close à 15 h 05.
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