Nous poursuivons notre analyse du rôle que peuvent jouer les États étrangers dans l'organisation et le financement du culte musulman avec l'audition de son excellence, le docteur Khalid bin Mohammed Al Ankary, ambassadeur du Royaume d'Arabie Saoudite en France.
Monsieur l'ambassadeur, permettez-moi de vous dire l'honneur que vous nous faites en étant parmi nous cet après-midi. La relation entre la communauté musulmane française et votre pays se concrétise d'abord, chaque année, par la visite à La Mecque de quelque 30 000 pèlerins français pour y effectuer le Hajj. Pour autant - et nos auditions l'ont montré - des interrogations existent quant aux autres liens entre l'Arabie Saoudite et l'organisation du culte musulman sur le territoire français.
Nous aimerions mieux comprendre comment l'Arabie saoudite participe, le cas échéant, à la structuration et au financement de la communauté musulmane en France : quels sont les financements accordés, soit directement, soit par donateurs privés interposés ? Votre pays entretient-il des liens préférentiels avec certains acteurs du culte en France ? Dans quelle mesure concourt-il à la promotion et à la diffusion de la pensée wahhabite sur le territoire français ? Enfin, dans quelle mesure les attentes de la population saoudienne peuvent-elles influencer l'organisation de la filière halal française ?
Je vous propose de nous présenter vos observations générales durant quelques minutes. Ensuite, les rapporteurs et mes autres collègues pourront vous poser leurs questions. M. l'ambassadeur a donné son accord pour que cette audition fasse l'objet d'une captation vidéo diffusée en direct sur le site du Sénat.
Dr Khalid bin Mohammed Al Ankary, Ambassadeur du Royaume d'Arabie saoudite en France. - Merci pour votre invitation. C'est la cinquième fois que je viens au Sénat, depuis ma prise de fonction à Paris il y a six mois. Je suis heureux de pouvoir vous faire mieux connaître mon pays. Mon exposé sera clair et transparent.
Dans le monde, l'Arabie Saoudite soutient tout ce qui touche à l'humanitaire et au social : elle ne borne pas aux lieux de prière. Elle aide beaucoup de pays en développement, quels que soient la religion, l'ethnie ou le sexe des bénéficiaires. En 2014, le volume de l'aide accordée par mon pays à plus de 80 pays a atteint 15 milliards de dollars, soit 1,9 % de notre PIB. Nous dépassons ainsi l'objectif fixé par les Nations Unies, à savoir 0,7 % du PIB pour l'aide au développement : proportionnellement, l'Arabie Saoudite est le premier pays contributeur. Mon pays est celui vers lequel se dirigent 1,5 milliard de musulmans, de toutes origines, pour prier. Nous avons une responsabilité humanitaire à l'égard des musulmans, surtout dans les pays dont les lois ne permettent pas le financement des lieux de culte. La transparence et la clarté sont pour nous deux principes essentiels. En outre, nous respectons le droit et les lois des pays dans lesquels nous intervenons.
Pour ce qui est de la France, nous respectons bien sûr la loi française et nous apportons notre aide dans une totale transparence, qu'il s'agisse des bénéficiaires ou des montants attribués. Nous informons le Gouvernement français, par le ministère des affaires étrangères, des aides que nous accordons. Nous nous assurons que le projet respecte la loi et a obtenu toutes les autorisations requises et les crédits sont versés à la société qui en est responsable. Une fois que le projet est achevé, notre rôle s'arrête : nous n'intervenons pas dans sa gestion ou dans son administration.
Mon pays ne finance ni la création d'écoles, ni les activités religieuses, ni les conférences ni même la publication de livres. Tel n'est pas notre objectif.
Ces dernières années, nous avons participé au financement de huit mosquées françaises : les aides ont varié entre 200 000 et 900 000 euros par projet. Au total, nous avons versé 3 759 400 euros.
En second lieu, nous apportons notre aide à diverses associations à des fins administratives : nous versons une partie du salaire et du coût administratif de quatorze personnes. Ce sont en majorité des jeunes d'origine nord-africaine. Ne croyez pas les médias qui exagèrent notre rôle. L'ambassade dispose d'un compte officiel et verse ses contributions sur les comptes de ces personnes.
Lorsque l'Institut du monde arabe a été construit, nous avons fait don de 5 millions de dollars. Ensuite, nous avons fait deux autres dons d'un million chacun pour la restauration du bâtiment et nous allons bientôt verser 3 millions d'euros pour la restauration de la façade. Les contributions saoudiennes ne concernent donc pas uniquement les activités religieuses mais aussi des institutions culturelles.
Trois dons privés ont en outre été versés par l'intermédiaire de l'ambassade pour la construction de mosquées en France. L'ambassade souhaite que tous les dons privés lui soient déclarés afin qu'elle puisse au moins prodiguer aux donateurs des conseils sur les dispositions légales françaises.
Depuis 2004, l'action des associations de bienfaisance saoudiennes a été réorganisée avec la création d'une Commission nationale saoudienne pour les activités de bienfaisance et de secours à l'étranger qui examine la façon dont les dons sont accordés et s'assure qu'ils vont à des autorités qui en sont dignes.
Merci pour votre exposé.
Vous nous avez dit que l'Arabie Saoudite participait à la prise en charge partielle du salaire de quatorze personnes. Quelles sont-elles et comment sont-elles choisies ?
Vous avez parlé des aides nationales de l'Arabie Saoudite et vous avez évoqué trois dons effectués par des particuliers. N'y en a-t-il pas d'autres dont vous ne seriez pas averti et qui financeraient des mosquées ou d'autres activités ?
Enfin, vous accueillez de nombreux musulmans qui viennent faire leur hajj : 30 000 pèlerins français chaque année. Quels sont les rapports entre votre pays et les organes en charge de l'organisation pratique de ce pèlerinage ?
Dr Khalid bin Mohammed Al Ankary, Ambassadeur. - Nous versons la moitié du salaire de ces quatorze personnes qui travaillent dans des associations connues et légales, soit quatre imams de nationalité française et un imam qui réside en France mais d'une autre nationalité. Ensuite, il y a deux directeurs d'institut, quatre enseignants et un directeur d'école. Nous ne contrôlons pas le travail de ces personnes mais nous aidons les associations qui les emploient.
Comme je l'ai dit, des financements privés passent par l'ambassade qui apporte alors son aide afin que l'objectif soit atteint en toute légalité. En revanche, il peut y avoir d'autres projets dont nous n'avons pas connaissance, mais nous n'avons pas les moyens de les contrôler.
Pour le pèlerinage, les procédures sont claires et précises : elles s'appliquent à toutes les associations qui fournissent des services aux pèlerins. Nous ne concluons pas des accords avec les associations religieuses mais avec des agences de voyage ou des entreprises commerciales membres de Iata afin d'organiser ce pèlerinage. Ces entreprises concluent des contrats avec une instance dédiée aux pèlerins européens en Arabie Saoudite. Les règles du pèlerinage et du logement sont ainsi clairement définies. En outre, ces agences signent des contrats avec des hôtels à La Mecque et à Médine. Une fois le contrat signé, le nombre de visas alloués à chaque agence est arrêté en fonction des réservations déjà effectuées. Cela fait, l'agence commercialise ou distribue gratuitement ces visas auprès des musulmans qui pourront ainsi se rendre sur les lieux de pèlerinage. L'Arabie Saoudite ne facture pas les visas. Chaque agence de voyage doit verser 200 000 riyals, soit 40 000 à 45 000 euros, de même qu'une garantie bancaire au cas où elle violerait les dispositions du contrat qu'elle a signé. Si l'agence s'engage à loger un pèlerin dans un hôtel cinq étoiles et qu'il se retrouve dans un trois étoiles, la personne peut demander sur place à être logée conformément à sa demande et la différence sera payée par l'Arabie Saoudite. Si ces problèmes se répètent, l'agence de voyage sera rayée de la liste des agences agréées.
Le prix du voyage facturé au pèlerin oscille entre 3 000 et 5 000 euros et son coût réel pour les prestataires de services se situe entre 2 000 et 3 000 euros.
Pour ce qui est du pèlerinage, l'Arabie Saoudite offre gratuitement tous les services sur place, qu'il s'agisse des transports, des services de santé ou de sécurité. Il en va de même pour l'approvisionnement en eau.
À Strasbourg, il y a la Grande mosquée, la mosquée Robertsau et la mosquée de Hautepierre : avez-vous participé au financement de ces trois mosquées ?
On entend dire que certaines aides saoudiennes auraient transité par d'autres pays. Est-ce encore le cas ? Si oui, en avez-vous connaissance ?
Combien d'étudiants français comptez-vous dans vos universités qui seraient ensuite amenés à exercer en France ?
Vous avez dit que vous ne financiez pas d'écoles, de congrès ou de publications. Or, vous participez au salaire de deux directeurs d'école et de plusieurs enseignants. De nombreuses écoles sont adossées à des mosquées ou portées par des associations culturelles ou cultuelles : n'est-ce pas une façon détournée de financer les écoles ?
Accordez-vous des aides au fonctionnement des mosquées ?
Vos aides sont axées sur les lieux de culte : comment sélectionnez-vous les dossiers ?
Nous avons auditionné beaucoup d'imams et d'aumôniers qui souhaitent percevoir des salaires alors qu'ils sont le plus souvent bénévoles. Avez-vous des demandes pour participer aux salaires ?
Je n'ai pas bien compris la différence entre ce que payaient les pèlerins et les agences de voyage.
Quel est votre rôle en ce qui concerne les produits halal ?
Dr Khalid bin Mohammed Al Ankary, Ambassadeur. - À Strasbourg, nous avons seulement financé la Grande mosquée à hauteur de 210 676 euros. Je ne puis en revanche vous donner de réponse pour des aides qui viendraient d'autres pays, surtout si elles n'empruntent pas un circuit légal. Si nous en avions connaissance, nous ne les tolérerions pas.
Nous comptons très peu d'étudiants européens en Arabie Saoudite : leur nombre ne dépasse certainement pas celui des mosquées que nous finançons en France.
Concernant les quatorze personnes dont nous avons parlé, nous nous contentons de verser une partie de leur salaire à la structure qui les emploie sans intervenir sur le fonctionnement de l'association ou de l'école. Jamais nous n'avons versé de salaire à des associations illégales ou nuisibles. Bien sûr, si nous découvrions de tels agissements, nous arrêterions immédiatement nos versements.
Nous ne finançons pas le fonctionnement des mosquées.
Les associations présentent leurs demandes et, en fonction de leurs dossiers, nous décidons de les financer ou non. Ces dernières années, nous n'avons pas répondu à toutes les demandes, loin s'en faut : huit mosquées financées sur 2 400 en France. En ce qui concerne les imams, l'ambassade n'intervient absolument pas.
Pour ce qui est du coût du pèlerinage, chaque pèlerin débourse entre 3 000 et 5 000 euros en fonction des services qu'il demande. Les agences supportent un coût variant entre 2 000 et 3 000 euros par pèlerin.
L'instance de règlementation de l'alimentation en Arabie Saoudite impose des contrôles aux produits importés, notamment pour la viande halal. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu d'interdiction d'importations.
Nous n'avons rien à voir avec la filière halal en France.
L'Islam peut-il être compatible avec la laïcité et les lois de la République française ?
Rattaché au Conseil français du culte musulman, un conseil théologique vient d'être créé. Pensez-vous avoir un rôle à jouer sur ses orientations ?
Quelle est la pertinence de ce conseil théologique ?
Il y a un an, l'Autriche a voté une loi imposant à tout financement étranger, public ou privé, de passer par l'intermédiaire d'une fondation. Votre pays serait-il hostile à ce que la France fasse de même ?
Quelle est la contribution de votre Royaume à la diffusion de la culture wahhabite dans le monde et plus particulièrement en France ? Y a-t-il dans votre pays, comme dans les Émirats arabes unis, un centre de la fatwa qui permet aux fidèles du monde entier de l'interroger ?
Je suis à la fois rapporteur de cette mission et présidente du groupe d'amitié avec les pays du Golfe, qui s'est d'ailleurs rendu en Arabie Saoudite en janvier dernier. Vous avez dit que votre pays avait financé huit mosquées : peut-on en avoir la liste ?
Votre pays est précédé, à tort ou à raison - et, à mon sens, à tort - d'une réputation difficile. Avant votre nomination, la France n'a pas eu d'ambassadeur pendant un an. Vous êtes venu cinq fois au Sénat, notamment devant la commission des affaires étrangères et devant le Président du Sénat. Dans un climat international tendu, et alors que votre pays dirige une coalition de 34 pays contre Daesh, il est important que vous nous éclairiez sur votre pays entouré de mystère.
Pouvez-vous nous dire quelles sont les mesures récemment prises par l'Arabie Saoudite pour contrôler les flux financiers : lorsque nous nous sommes rendus à la Choura, on nous a dit que des dispositions avaient été prises pour éviter que des financements privés échappent aux contrôles des autorités du Royaume.
Dr Khalid bin Mohammed Al Ankary, Ambassadeur. - Je remercie la France d'avoir créé le Conseil français du culte musulman : nous espérons qu'il jouera son rôle. Quant au conseil théologique, je lui souhaite un plein succès.
Effectivement, la France pourrait faire comme l'Autriche avec une fondation par laquelle transiterait toute l'aide. Le travail de l'ambassade en serait allégé.
J'en viens au wahhabisme : je suis né en Arabie Saoudite, j'y ai fait mes études et j'y ai travaillé. Or, je n'ai jamais entendu parler de wahhabisme jusqu'à il y a une quinzaine d'années. Dans notre pays, il n'y a pas de wahhabisme : dans l'Islam, il y a le sunnisme et le chiisme. Il existe quatre écoles théologiques dans l'Islam sunnite qui, je le rappelle, rassemble la majorité des musulmans dans le monde. Chaque État adopte l'une de ces écoles de pensée, mais tout musulman sunnite peut suivre l'une ou l'autre de ces écoles qui sont également justes. En Arabie Saoudite, l'école de pensée est le hanbalisme. Mais dans la pratique, nous pouvons nous inspirer d'arrêts de ces quatre écoles de pensée, qui prédominent aussi en Algérie, au Maroc, au Soudan, en Égypte, en Irak, dans les pays du Golfe...
Le terme de wahhabisme a été attribué à l'Arabie Saoudite mais rien dans l'Islam ne s'y rattache.
Le musulman doit respecter le droit et les lois du pays dans lequel il vit. Toute personne qui manque à ce principe ne peut prétendre respecter l'Islam car il s'agit alors d'une interprétation erronée de la religion. On ne peut rendre l'Islam responsable de tels actes. La France est l'un des pays qui respecte le mieux les libertés des musulmans et nous ne devons pas faire l'amalgame entre les libertés personnelles et le devoir que chaque musulman de respecter la société dans laquelle il vit.
Concernant la liste des huit mosquées que nous avons financées, je vous la remets. (L'ambassadeur remet une liste aux rapporteurs.)
L'Arabie saoudite est l'un des pays qui a le plus souffert du terrorisme : les organisations terroristes comme Daesh considèrent que notre pays est un État mécréant qui ne devrait pas exister. Ils estiment que nous sommes hors de l'Islam et que nous devons être éradiqués.
L'Arabie Saoudite a essayé de prévenir les actes terroristes par des échanges d'informations et de renseignements avec d'autres pays. La semaine prochaine, des experts spécialisés dans ce domaine se réuniront au Sénat pour débattre de cette question. En outre, nous avons pris des mesures pour surveiller le financement du terrorisme : la zakat, l'impôt religieux, et tous les autres dons ne doivent pas servir à financer le terrorisme. Désormais, nous surveillons les transferts de fonds vers d'autres pays et même à l'intérieur du Royaume.
Compte tenu des délais et sachant que nous avons déjà procédé à l'audition des responsables du Lycée Averroès, je vous propose de ne pas donner suite à notre projet de déplacement à Lille, comme nous l'avions un temps envisagé. Le temps gagné nous permettra de nous consacrer à la rédaction du rapport.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est levée à 16 h 20