Notre mission d'information, dont les travaux ont commencé au mois de février et s'achèveront en juin, analyse la stratégie de notre pays s'agissant des grands fonds marins, qui deviennent une préoccupation internationale prégnante. Nous avons souhaité entendre le point de vue de représentants de l'outre-mer.
Je suis ravi de pouvoir inaugurer ce cycle d'auditions sur les outre-mer. Nous avons convié nos collègues élus des outre-mer et des représentants des exécutifs des collectivités.
Une stratégie nationale d'exploration et d'exploitation minière a été conçue en 2015, puis mise à jour en 2021, notamment grâce au rapport de M. Jean-Louis Levet, conseiller spécial pour la stratégie nationale des grands fonds marins au secrétariat général de la mer, rapport qui fait référence en la matière. La stratégie France 2030, annoncée par le Président de la République, a consacré dans son dixième objectif les ambitions nationales concernant nos fonds marins. Le ministère des armées, plus récemment, a communiqué sur une stratégie de maîtrise des grands fonds marins, au titre de la sécurité de la Nation.
Ces sujets sont évoqués au plus haut niveau de l'État et nous aurons probablement à y revenir au Parlement. Cette mission d'information, que j'ai proposée au Président du Sénat, a pour ambition non pas de réécrire le rapport de M. Levet, mais de proposer un autre regard sur la question, incluant celui des outre-mer. Nous avons souhaité entendre les représentants des collectivités par bassins océaniques et apprécier leur perception de ce qu'est la stratégie nationale des grands fonds marins et de toutes les questions afférentes.
Quel est votre regard sur cette mobilisation de plus en plus prégnante au plus haut niveau de l'État sur les grands fonds marins ? Quelle est la position de vos collectivités ? Quelles sont les questions débattues localement, dans le cas où une position officielle n'est pas encore arrêtée, à la fois sur l'exploration, la protection et l'exploitation - les termes ne sont pas forcément antinomiques - de ces grands fonds marins ? Quelles sont les conditions nécessaires à l'exploration ou à l'exploitation ? Quelles sont les retombées économiques, sociales et environnementales attendues ?
À Saint-Pierre-et-Miquelon, la zone économique exclusive (ZEE) est assez restreinte. Pour sa plus grande partie, elle ne fait que 10 000 milles marins de large. Des richesses naturelles existent ; elles font l'objet de recherches du côté canadien, mais nous ne disposons pas de données.
Saint-Pierre-et-Miquelon est un territoire de pêche. Si nous avions une meilleure connaissance de nos grands fonds marins et de leurs richesses durables possiblement exploitables, nous disposerions ainsi de leviers géopolitiques pour négocier avec le Canada sur des enjeux de développement économique. Notre territoire cherche actuellement une nouvelle voie, par exemple grâce au tourisme. Toutes les économies fructueuses et durables seraient les bienvenues, dans une dimension tant sociale et économique qu'environnementale.
Localement, nous n'avons aucune donnée à disposition, si ce n'est quelques relevés bathymétriques anciens, circonscrits à quelques études scientifiques et non à des études économiques.
Les interlocuteurs liés à ces questions vous semblent-ils clairement identifiés ?
Non. Aucun interlocuteur n'est identifié sur notre territoire, pas même au niveau des services déconcentrés de l'État ; c'est parfaitement normal pour un territoire de 6 000 habitants. Les éléments que vous nous avez transmis sont les premiers à évoquer cette stratégie relative aux grands fonds marins.
Une mission Extraplac avait néanmoins été envisagée concernant le plateau continental. Nous n'avons pas avancé. Sur un sujet aussi sensible, notamment au regard des relations franco-canadiennes, je doute que la France ait le courage - je vous prie d'excuser ma franchise - de défendre ses intérêts dans un espace nord-américain très puissant économiquement comme politiquement.
septième vice-président de l'Assemblée de la collectivité territoriale de Guyane, délégué à l'agriculture, la pêche et la souveraineté alimentaire, et à l'évolution statutaire. - En Guyane, nous en sommes au même point que Saint-Pierre-et-Miquelon sur les grands fonds marins. Nous ne disposons d'aucune donnée sur les ressources disponibles au large de nos côtes. Nos activités se limitent à la petite bande côtière qui intéresse la pêche artisanale. Alors que nous sommes nouvellement élus, la question de l'exploitation des fonds marins, par exemple pétrolière, nous intéresse ; cependant, nous n'avons pas encore entamé de discussions.
La question des grands fonds est tout à fait intéressante. Nous méconnaissons complètement cet espace en Guyane ; même pour l'exploitation de nos ressources halieutiques, nous ne disposons pas d'indicateurs fiables sur l'état des ressources.
La Guyane, il y a quelques années, avait été confrontée à une possible exploitation pétrolière par Total, tout comme au large du Brésil. Cette exploitation avait été interrompue par une campagne internationale pour la découverte des coraux du fond du delta de l'Amazone. Que faut-il en tirer comme conclusion ? Pour assurer la qualité d'éventuelles exploitations futures, il faut absolument anticiper la nécessité de disposer de données sur l'environnement et sur les impacts environnementaux. Or le niveau de connaissance actuel est très faible. Total a sûrement collecté des données et la loi Hulot du 30 décembre 2017 a dû aussi jouer son rôle.
En 2015, le Muséum d'histoire naturelle a mené une grande expédition, qui, en une quinzaine de jours, a fait des découvertes relativement extraordinaires en matière de biodiversité. Les spécialistes ont constaté, au niveau de la rupture du plateau continental, l'existence de cétacés de grands fonds marins. En Guyane, les potentialités sont grandes, mais nous les connaissons mal.
En matière de sécurité, la France se trouve dans une situation complexe. Des pays voisins de la Guyane, comme le Suriname, se lancent dans l'exploitation pétrolière ; se posent des questions de frontières et de souveraineté de l'État français, a fortiori dans le domaine maritime, à l'est comme à l'ouest.
Nous sommes confrontés au pillage de nos ressources halieutiques. Les pêcheurs ont demandé à pouvoir se rendre plus au large, mais il semblerait que des navires étrangers viennent y piller nos ressources, notamment en thon. Ainsi, non seulement nous ne connaissons pas nos ressources halieutiques, mais nous faisons aussi l'objet d'un pillage de nos richesses naturelles.
L'amélioration des connaissances sur les questions sédimentologiques, bathymétriques et de biodiversité est cruciale. Elles nous permettront, si exploitation il y a, de pouvoir mener des études environnementales cohérentes.
Nous sommes très heureux de pouvoir être associés à ces stratégies nationales. Il est assez rare que nous disposions d'informations en amont. La question des concertations est essentielle. Les socioprofessionnels et les juristes sont très exigeants quand il s'agit d'envisager le devenir de notre espace maritime ; ils nous le rappellent lors de toutes nos réunions.
Le manque de données et d'informations est manifeste. Néanmoins, le débat a-t-il eu lieu au sein de vos collectivités, dans la population ou dans la presse, au sujet des grands fonds marins ?
Non. Des études scientifiques sur l'altimétrie ou les courants ont été menées, mais les enjeux d'exploration des fonds marins n'ont jamais été abordés, ni par les services de l'État ni par la presse.
En Guyane, il n'y a pas eu de débat. Beaucoup d'articles ont paru dans la presse à propos de Total, pour le projet du delta de l'Amazone comme pour celui en Guyane.
Notre exécutif est nouvellement élu. À l'époque, le débat est resté à un niveau politique et les socioprofessionnels se posaient un grand nombre de questions, notamment sur les retombées sociales et économiques de l'exploitation du pétrole. La grande question qui a intéressé les ONG était l'évaluation environnementale. Les récifs coralliens du delta de l'Amazone sont des récifs fossiles vieux de 100 000 ans, qui servent de nursery pour un grand nombre d'espèces de poissons. Leur découverte récente a fragilisé le dossier de Total. Quand Total est ensuite venu réaliser des prospections en Guyane, nous avons découvert la prolongation de ce récif corallien de l'Amazone. Les débats furent vifs, car personne n'était en mesure d'évaluer la valeur biologique, écologique et environnementale de ces récifs, d'autant plus que les courants y sont extrêmement violents. Les dossiers étaient faibles, car la question environnementale avait été sous-évaluée en amont et que les connaissances manquaient. Depuis, ces questions sont peu évoquées dans les médias.
À Saint-Martin, tout petit territoire, la situation est un peu particulière. La France a la seconde ZEE au monde ; elle dispose de 15 millions de kilomètres carrés d'espaces marins et 80 % de la biodiversité française se trouve en outre-mer. Ainsi, unique sur le plan biologique, Saint-Martin fait partie des quelques zones françaises qui contribuent de manière significative au patrimoine environnemental de l'État français.
Cependant, Saint-Martin s'inscrit aussi dans une logique européenne en tant que région ultrapériphérique. Dans cette perspective, il est intéressant de noter que 70 % de la biodiversité européenne se situe en outre-mer. De plus, Saint-Martin appartient à un autre grand ensemble, la Caraïbe : cette réalité physique et géographique doit être prise en compte.
Sur la connaissance des fonds marins, la collectivité de Saint-Martin n'est qu'au début de sa réflexion et de ses connaissances, sur les fonds marins comme sur les impacts potentiels de l'exploitation de la ZEE sur les ressources halieutiques et naturelles.
Nous disposons d'un relevé cartographique bathymétrique datant de 2020. Cependant, ce relevé ne dit rien sur la nature des sols ; malheureusement, il ne couvre pas l'ensemble de la ZEE et s'étend seulement jusqu'à 50 mètres du rivage. Il serait souhaitable que ce relevé couvre l'ensemble de la zone.
S'agissant des chantiers d'exploitation ou de recherche, la collectivité investit dans l'achat d'un équipement macrographique, afin de prévenir les risques de tsunami et de submersion marine. Dans le cadre d'un projet piloté par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le conservatoire du littoral a installé et assure le suivi d'un dispositif qui permet d'effectuer le suivi graphique de l'évolution du trait de côte de la baie orientale, dont le littoral est particulièrement exposé à l'érosion.
Concernant les financements spécifiques dédiés à des actions en faveur de la connaissance de nos fonds marins, la nouvelle équipe dirigeante de Saint-Martin, installée depuis un mois seulement, est en cours de réflexion.
Pour que la stratégie nationale d'exploitation minière des grands fonds marins soit efficace à Saint-Martin, il faudra d'abord procéder à des prospections, afin de déterminer le potentiel minier. Une fois ce potentiel établi, il faudra ensuite déterminer non seulement la stratégie économique, mais aussi mesurer ses impacts sur l'environnement, puis, le cas échéant, prendre des mesures correctives ou d'atténuation.
Sur la prise en compte de la spécificité des fonds marins, ainsi que sur l'impératif de protection, la collectivité est en cours de réflexion, car notre niveau de connaissance et pour l'instant limité. Néanmoins, pour ce qui est de certaines régions ultramarines, et singulièrement Saint-Martin, il serait souhaitable de procéder à l'exploration de ces fonds et d'évaluer leur potentiel, grâce à un état des lieux.
Concernant la participation à l'élaboration de la stratégie nationale, la collectivité de Saint-Martin n'a jamais été associée. La stratégie minière prévoit la mise en oeuvre d'un démonstrateur destiné à tester, en conditions réelles, l'impact et la faisabilité d'une exploitation minière durable des grands fonds marins. La collectivité de Saint-Martin est totalement favorable à ce que ce démonstrateur soit testé dans sa ZEE.
Nous avons lancé un marché pour la sélection d'un prestataire de services, qui aura pour mission de nous accompagner dans l'élaboration de la stratégie en faveur de l'économie bleue de notre territoire. La notification du prestataire interviendra d'ici au 9 mai. Le candidat retenu aura pour mission d'établir un diagnostic territorial en matière d'économie bleue - état des lieux, analyse des forces, faiblesses, opportunités et menaces -, d'élaborer un document stratégique relatif à l'économie bleue proposant une stratégie, des moyens et des actions de mise en oeuvre, et enfin d'accompagner la collectivité dans le pilotage opérationnel des actions définies dans le document stratégique, avec un premier bilan annuel d'exécution.
Dans le cahier des charges qui régissent le cap de cette prestation, il est prévu de définir trois catégories d'activités qui gravitent autour de l'économie bleue : les secteurs existants, bien établis, les secteurs à renforcer et les secteurs de développement prospectif.
Pour cette dernière catégorie, nous avons mentionné les domaines suivants : énergies marines renouvelables, télécommunications, dessalement d'eau de mer, exploitation minière, parapétrolier offshore, valorisation de coproduits, bioéconomie bleue, production de sel marin, exploitation des marais salants et valorisation d'autres ressources halieutiques.
Dans ce contexte, nous sommes plus que favorables à une telle démarche pour notre territoire, qui vient corroborer notre souhait de voir évoluer notre économie vers des filières non encore exploitées.
Concernant l'éventuelle exploitation des ressources minières des grands fonds marins, conformément à l'article L. 611-31 du code minier, la collectivité de Saint-Martin est compétente pour la délivrance des titres miniers en mer. Cependant, à ce jour, aucune demande d'autorisation d'exploitation en mer relative aux ressources minières n'a été adressée à la collectivité de Saint-Martin.
S'agissant de la coopération internationale, nous sommes au début de notre réflexion. Cependant, nous sommes entourés de petits États insulaires indépendants jouissant d'une autonomie très large, ce qui leur permet de prendre de l'avance sur notre territoire. À titre d'exemple, Trinité-et-Tobago exploite du gaz naturel liquéfié d'origine sous-marine. La partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin dispose d'outils plus performants de connaissance des fonds marins.
Enfin, le sujet des coopérations internationales arrive trop tôt dans la démarche territoriale. Il faudra d'abord connaître l'état de nos ressources subaquatiques pour déterminer si une coopération est possible ou souhaitable ; mais sachez que Saint-Martin n'a pas de dogmes en la matière.
Nous disposons de nos propres connaissances, et non d'études générales. Nous pensions que cette discussion porterait plus sur la pêche. Il n'existe pas d'exploitation autre à Saint-Barthélemy.
Notre territoire est un mouchoir de poche. Malgré quelques données bathymétriques, notre connaissance est très restreinte, même pour ce qui concerne les ressources halieutiques ; nous ne connaissons pas l'état des stocks. Nous n'avons reçu aucune demande en matière d'exploitation minérale ou minière.
Le sujet est nouveau pour beaucoup de territoires d'outre-mer, et la mobilisation sur de tels sujets est récente. Toutefois, existe-t-il des a priori sur le sujet ? Existe-t-il des incompatibilités pour l'exploitation ou l'exploration avec vos activités principales, comme le tourisme ? La population pourrait-elle adhérer à une telle démarche, qu'il s'agisse d'une meilleure connaissance des fonds ou d'une démarche conduisant à une exploitation ?
La population pourrait adhérer à une démarche d'exploration, très intéressante pour mieux connaître le milieu marin, mais probablement pas à une démarche d'exploitation.
Notre département ne s'est pas vraiment positionné sur un tel sujet, mais nous allons peu à peu intégrer la dynamique en cours. Nous manquons d'informations, par exemple sur les guichets de financement de cette politique.
Nous sommes un archipel : la dimension touristique est importante. La réserve Cousteau, qui occupe une grande partie de la baie des Caraïbes, joue un rôle important dans le tourisme local. Nous pourrions aller plus loin avec vous dans cette réflexion.
S'agissant de la stratégie nationale grands fonds marins, nous sommes tout à fait favorables à des discussions. Nous pourrions par exemple approfondir les recherches sur les ressources volcaniques maritimes. Nous souhaitons être informés et coopérer.
En matière de coopération internationale, l'échelon de la région est plus concerné, mais le département est prêt à oeuvrer en la matière.
La question de la coopération régionale est cruciale pour les grands fonds marins, notamment concernant les canyons. En son temps, l'agence des aires marines protégées avait lancé une grande étude sur le sujet. Nous ne connaissons pas les autorisations qui pourraient être accordées par d'autres pays, par exemple sur l'exploitation des ressources pélagiques, alors que les écosystèmes sont identiques. Se pose donc un problème d'harmonisation du droit : nous dépendons du ministère des affaires étrangères et du ministère de la mer, mais les usagers, ce sont bien les habitants de la Guadeloupe. Il y a eu des conflits importants par le passé : certains de nos pêcheurs ont été arraisonnés par les autorités internationales. La mission d'information sénatoriale pourrait encourager une meilleure participation de nos autorités locales pour les politiques intéressant notre bassin. Je pense qu'il en va de même pour tous les bassins maritimes d'outre-mer.
En Guadeloupe, l'on nous cantonne à une pratique de pêche très artisanale et côtière, alors que des marins étrangers sont autorisés à exploiter des ressources au large. Une coordination est nécessaire, tout comme il est nécessaire que les territoires ultramarins soient mieux associés.
Nous sommes heureux de pouvoir participer à cette consultation, mais, sur les fondamentaux, devant le rôle de police du secrétariat général de la mer, nous nous retrouvons souvent bien démunis. Les dispositions pour nos côtes et la façade maritime hexagonale ne sont pas les mêmes. Nous ne pouvons pas demander à nos marins-pêcheurs de pêcher quelques kilos de poisson, alors que des marins pêcheurs d'autres pays obtiennent facilement des autorisations pour pêcher des tonnes de ressources halieutiques, selon des méthodes non durables, très contestables, qui abîment nos écosystèmes et polluent.
Nos ressources halieutiques dépendent directement des grands canyons, et donc d'autres pays : une véritable coopération est nécessaire, il faut organiser une véritable économie.
En matière énergétique, nous nous interrogeons sur l'existence de projets d'énergie marine, comme l'éolien en mer, qui pourraient contribuer au mix énergétique ou à l'autonomie de notre territoire. Quelle pourrait être notre contribution et quel degré de décision locale serait accepté par l'État ? Nous avons le sentiment d'être des spectateurs de notre économie, alors qu'elle est liée à la mer à 90 %.
En termes de développement, de transition énergétique et d'économie bleue, il faut que nous puissions être davantage associés à toutes les problématiques de notre façade maritime. Notre sanctuaire de protection des mammifères marins pourrait être un excellent outil de coopération. Actuellement, nous manquons de démocratie locale et participative sur les problématiques de la mer.
Je précise que notre mission d'information ne représente que le Sénat. Je vous remercie pour ces positions claires. Sur la question de l'exploitation, des débats existent-ils ? Les questions sont-elles abordées ?
Il n'y a pas de débat, car il n'y a pas de grands projets. Les seuls projets sont terrestres et concernent la géothermie. La question ne se pose pas en Guadeloupe. En Guyane, il en va autrement. Si des projets voyaient le jour, il faudrait que la région et le département puissent être associés en amont, notamment pour délivrer localement des autorisations, en veillant à ce qu'elles profitent au territoire, qui est essentiellement marin.
Je souscris pleinement aux propos de mon collègue. La Guadeloupe souhaite se développer, et je vous remercie pour cet échange. Si des projets devaient voir le jour avec le Gouvernement pour prendre en charge notre espace marin, nous serions prêts à coopérer.
Nous sommes sur la même ligne : il faut une concertation locale. Si des projets d'exploitation marine voient le jour, les grands clivages du dossier Total vont réapparaître. Il faut avant tout anticiper une meilleure connaissance des fonds et assurer la souveraineté de notre pays. Nous sommes par exemple systématiquement confrontés à ces questions dès que nous voulons améliorer les techniques de pêche.
Un dernier exemple : lors d'une récente réunion sur la gestion de la façade maritime, des modélisations nous ont été proposées. Le document n'avait jamais été discuté. Les pêcheurs ont immédiatement hurlé. Les spécialistes de la biodiversité ont fait l'évaluation biodiversité de la mer selon des zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) qui n'avaient été conçues qu'avec des oiseaux, des tortues marines et des cétacés. Les biais sur la biodiversité maritime sont immenses. Voilà le terreau de grands clashs sociétaux pour tout projet d'exploitation.
Je ne veux pas qu'il y ait d'ambiguïté. Nous sommes une mission d'information du Sénat, et nous ne sommes porteurs ni de quelque projet ni de quelque demande du Gouvernement. En revanche, nous nous intéressons aux outre-mer et à ces stratégies nationales. Les membres de la commission veulent savoir quel est le degré de connaissance de cette stratégie dans les collectivités d'outre-mer et quelles sont les conditions nécessaires pour que les territoires soient associés.
Je souhaite terminer par un point très important : la biodiversité terrestre est le support d'une économie de la connaissance. Or nous ne parlons pas assez de la connaissance de la biodiversité des fonds marins. Nous devons anticiper ces questions, avant même de parler d'exploitation de ressources non renouvelables. Cette biodiversité est extraordinaire, et renouvelable ! Pour la pêche comme pour l'énergie, l'économie de la connaissance de la biodiversité mériterait vraiment d'être développée.
Un corpus de connaissances important est nécessaire pour que, en cas de projet d'exploitation, les évaluations des possibles perturbations et adaptations des milieux soient cohérentes. Notre message est le suivant : pour éviter des blocages ultérieurs, il nous faut étudier les grands fonds dès maintenant.
Le Président de la République l'a dit au One Ocean Summit à Brest : nous souhaitons améliorer la connaissance de nos grands fonds marins. Le sujet de la prospection pour l'exploitation minière est, lui, un sujet différent. Certains préféreraient ne pas connaître leurs fonds, pour éviter tout projet d'exploitation ; d'autres, comme en Guyane, souhaiteraient une véritable économie de la connaissance, pour mieux protéger la biodiversité. D'autres, enfin, souhaitent connaître leurs ressources minières, très directement, pour diversifier leur économie.
Je souscris à pratiquement tout ce qui a été indiqué. M. Louisy a pointé les difficultés de notre territoire. Il y a des enjeux très forts. Nous sommes un archipel. Des câbles marins alimentent la Guadeloupe, ainsi que les îles du sud et du nord, par exemple pour les réseaux internet.
Les normes, tant françaises qu'européennes, sont quelquefois contraignantes et ne tiennent pas compte de la réalité de nos territoires.
Nous sommes en outre fréquemment confrontés - c'est le cas en ce moment - aux sargasses, qui constituent un handicap sérieux pour le tourisme comme pour la biodiversité.
Il faut tenir compte des situations particulières de chacun de nos territoires, qui, s'ils sont très proches, ne sont pas toujours soumis aux mêmes problématiques.
M. Louisy a également évoqué les restrictions de pêche. Le fait qu'il y ait des zones de pêche, en raison notamment du problème du chlordécone, crée des surcoûts pour nos pêcheurs, qui sont obligés d'aller de plus en plus loin en mer pour protéger les consommateurs et les coraux.
Il est nécessaire d'impliquer davantage l'ensemble des acteurs de terrain. Or, comme l'a souligné M. Louisy, ce ne sont ni ces derniers ni les collectivités concernées qui prennent les décisions relatives au développement de nos territoires.
En plus, il est envisagé de faire de certains ports de Guadeloupe des hubs. Il y a effectivement des enjeux économiques importants pour le développement de nos entreprises : nous sommes loin, et nous avons un certain nombre de besoins.
Nous devons surtout faire du développement endogène. Des approches différenciées sont nécessaires pour optimiser l'économie de nos territoires dans leur ensemble. Bien entendu, nous sommes français. Mais il faut prendre en compte du fait que certaines normes ne sont pas favorables à notre territoire ; nos pêcheurs en payent malheureusement déjà un lourd tribut.
Par ailleurs, nous sommes soumis à des risques naturels majeurs, notamment l'évolution du trait de côte.
Nos territoires ont des handicaps, mais également des atouts ; tenons compte des uns comme des autres.
En Martinique, nous avons une cartographie bathymétrique, mais elle doit être affinée. Des thèses de doctorat ont été menées, notamment sous l'autorité de M. Pascal Saffache, éminent géographe de l'université des Antilles, mais il y a besoin de recherches complémentaires.
La connaissance des ressources minérales est quasiment inexistante. Sur ce sujet, nous en sommes à peu près au même point que les intervenants précédents.
L'expédition Madibenthos, qui a eu lieu chez nous en 2016, a permis des découvertes : notre biodiversité s'appauvrit. Il faut toujours chercher à améliorer l'environnement pour la préserver.
Nous n'avons connaissance d'aucune étude sur les ressources minérales, à l'exception d'une thèse du géologue Jean-Claude Pons datant de 1990. L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), qui est basé à la Martinique depuis des décennies, effectue un travail important, mais cela concerne essentiellement les ressources biologiques, et très peu la flore ; il n'y a pas de recherche sur la minéralogie.
Les différents orateurs ont insisté sur la nécessité d'associer la population et les élus locaux. Au sein de la collectivité territoriale de Martinique (CTM), cela nous paraît essentiel. Les recherches dont nous discutons pourraient constituer un levier sur les plans économique, social et géopolitique.
Nous avons entendu parler de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation minière des grands fonds marins et du plan d'investissement France 2030. Mais il n'y a pas vraiment eu d'appropriation de cette stratégie. L'administration et des services de l'État ont, me semble-t-il, à travailler davantage avec les collectivités territoriales pour connaître les enjeux biologiques, énergétiques et militaires. Nous pensons que les Antilles françaises ont une position géographique forte pour la France. Il est important de regarder ensemble vers l'avenir.
Nous n'avons pas d'élément quant à l'éventuelle l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins.
Je rejoins l'intervenante précédente sur la nécessité d'un développement endogène pour nos territoires. Il est extrêmement important que les différents acteurs - je pense notamment à nos marins - soient bien formés sur les activités susceptibles d'être créées par les ressources dont nous discutons. L'important à nos yeux est que ce développement soit mesuré et maîtrisé, notamment s'agissant d'une telle exploitation éventuelle, avec une association des élus et de la population.
Nous sommes également confrontés, de manière dramatique dans certains endroits, à l'érosion du trait de côte. Cela nous oblige à penser le développement de la Martinique autrement, en misant plus sur les hauteurs.
Les États de la Caraïbe, les petits États indépendants qui nous entourent n'ont pas forcément les moyens financiers nécessaires pour aller vers l'exploration et les études, mais il y a des personnels formés dans certaines de ces îles. Nous devrions pouvoir en bénéficier dans le cadre d'une coopération internationale. Notre souhait, celui du président Serge Letchimy, est de développer cette coopération dans la grande Caraïbe et, au-delà, avec l'Amérique latine et l'Amérique du Nord.
Mais nous voulons avant tout - c'est presque un truisme de le souligner - une véritable coopération franco-domienne. Il faut que la France coopère avec nous pour avancer ensemble. Il y a des possibilités inexploitées, par exemple en termes de géothermie.
C'est la raison pour laquelle nous saluons l'existence de cette mission d'information du Sénat. Nous sommes persuadés que la France entendra davantage dans la période à venir comment nous pouvons travailler ensemble. C'est le point de vue de Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la collectivité territoriale, et de l'équipe qui l'entoure.
Je voudrais soulever le problème de la domiciliation des entreprises qui obtiennent des autorisations d'exploitation. Nous aurions besoin d'un appui clair de l'État pour obliger à une domiciliation locale des futurs détenteurs de licences d'exploitation et favoriser une participation des acteurs économiques locaux au capital des structures concernées, ce qui favoriserait également nos territoires.
Le plateau continental sur lequel se situe Saint-Barthélemy n'est pas très profond : à peu près 800 mètres. Notre ZEE s'étend le plus à l'est à une profondeur d'environ 2 500 mètres ou 3 000 mètres. Cela peut expliquer que la recherche sous-marine se concentre ailleurs, pour des raisons de coût.
Les questions de participation des acteurs économiques locaux et de domiciliation des sociétés sont centrales.
Le Guyana et le Suriname, qui exploitent ou vont bientôt exploiter leurs fonds marins, manifestent un intérêt à l'égard des méthodes françaises, mais également guyanaises et caribéennes sur les questions de verdissement. Les grandes structures internationales avec lesquelles ils travaillent sont uniquement là pour faire de l'exploitation. Or nos exigences environnementales et nos méthodes de travail font aussi partie de l'économie de la connaissance.
L'étude de la biodiversité va nous servir à évaluer l'état des milieux.
Il faut anticiper. Nos fonds marins sont une vraie richesse. Or il n'y a pas ici d'université des grands fonds marins. Nous ne sommes même pas capables d'évaluer si nos ressources halieutiques sont durables. Je ne trouverais pas aberrant d'avoir une dizaine de spécialistes sur les fonds marins chez nous : cela créerait en outre des perspectives pour nos jeunes.
Les débats doivent se tenir. Les sujets sont nouveaux. Laissons aux techniciens et aux politiques le temps d'en discuter sur nos territoires. Et - excusez-moi de le dire aussi simplement et franchement - il ne faut pas que les décisions soient exclusivement parisiennes ou hexagonales.
Aucun représentant de la région Guadeloupe n'est présent ; peut-être est-ce dû aux aléas auxquels notre île a été confrontée voilà deux ou trois jours ? Il serait donc opportun de leur demander des interventions écrites, d'autant que le programme du président du conseil régional comporte des mesures relatives à l'économie bleue.
L'implication des acteurs locaux et de la population est essentielle. Il arrive très souvent que des mesures soient mises en place sans que les acteurs locaux et la population soient informés. Cela passe très mal, car il y a une méconnaissance de nos territoires.
S'il faut évidemment faire du développement économique, nous avons besoin d'une dynamique nouvelle sur nos territoires, pour nous protéger face aux risques naturels.
Le fait que l'Office français de la biodiversité ait récupéré les missions de l'Agence des aires marines protégées ne se traduit pas vraiment d'un point de vue budgétaire. Or pour pouvoir décider de l'exploitation de nos ressources halieutiques, il faut savoir à quel degré de consommation nous en sommes. Cet organisme, qui reçoit des fonds importants de la part de l'État, doit s'orienter un peu plus sur la partie maritime.
Une bonne partie de la biodiversité marine est négligée. Le travail mené par nos universités mérite d'être renforcé. Je suis pour une université des fonds marins. Il faut que, lors de la discussion budgétaire, le Sénat veille à ce que des crédits soient fléchés sur des secteurs particuliers.
Il faut également une déclinaison dans les agences régionales de la biodiversité, pour qu'une gouvernance locale prenne le relais.
L'Office français de la biodiversité a un rôle important en matière d'économie bleue : l'ensemble des aires maritimes protégées de la France, soit quelque 11 millions de kilomètres carrés, sont sous son giron.
Le secrétariat général de la mer ne participe pas suffisamment à nos discussions locales. Ce serait pourtant bien plus pratique qu'il ait son siège dans un territoire ultramarin. La mer, c'est quasiment l'outre-mer.
Je remercie l'ensemble des intervenants qui se sont exprimés. Je retiens les observations qui ont été formulées sur la nécessité de renforcer les discussions non seulement entre territoires ultramarins par bassins, mais également au sein de l'outre-mer en général. Dans le Pacifique, nous avons beaucoup à apprendre de ce qui se pratique dans les Caraïbes, et réciproquement. Nous sommes confrontés aux mêmes problématiques : distance vis-à-vis de l'Hexagone, nécessité d'être mieux entendus, absence de représentation dans nos territoires de certaines instances amenées à prendre des décisions stratégiques nationales, etc. Je suis un militant de la première heure du dialogue entre les outre-mer. L'économie bleue est un enjeu stratégique. Nous serons mieux entendus à Paris si nous sommes unis.
Nous sommes preneurs de contributions écrites, afin d'enrichir la réflexion.
Les activités liées à la mer sont absolument vitales pour les différents territoires que vous représentez. Nous avons bien entendu les attentes qui ont été exprimées s'agissant à la fois de l'association des collectivités territoriales et des populations aux décisions et du renforcement des moyens consacrés à la recherche.
Nous connaissons actuellement 20 % des fonds marins dans le monde. L'ambition est de porter ce taux à 100 %. La France n'y parviendra pas seule, mais elle doit jouer un rôle moteur, en associant l'ensemble des collectivités concernées.
À l'instar de M. le rapporteur, je vous invite à nous transmettre par écrit vos éventuelles observations complémentaires.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 21 h 35.