Je vous remercie d'avoir répondu nombreux à notre invitation pour échanger sur la question de l'eau. Vous intervenez dans le cadre d'une mission d'information constituée au Sénat à l'initiative du groupe socialiste. Celle-ci comprend des sénateurs issus de tous les groupes politiques et a pour rapporteur M. Hervé Gillé, sénateur de la Gironde. Notre objectif est d'entendre les experts et toutes les parties prenantes de la politique de l'eau dans un contexte préoccupant de changement climatique.
Nous vous auditionnons donc en tant qu'acteurs de l'hydroélectricité, car si l'eau est nécessaire à l'alimentation humaine, elle constitue également une source d'énergie. Nous avons besoin de concilier les différents usages de l'eau pour aller vers une gestion efficiente de la ressource, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif.
Quelles sont vos préconisations pour une meilleure adéquation entre la rentabilité économique et la continuité écologique ? Quelles sont vos propositions dans le cadre de la gestion durable de l'eau ? Si la microélectricité est aujourd'hui possible, elle ne doit être produite que dans certaines conditions, l'étiage de nos rivières et la qualité de l'eau étant des problématiques à prendre en compte.
Le contexte de sécheresse dans lequel nous nous trouvons nous amène à interroger notre gestion de l'eau. Nos réflexions pourront aboutir à des propositions, éventuellement législatives, qui devront être mises en perspective avec la déclaration que le Président de la République s'apprête à faire aujourd'hui même.
Notre réflexion porte sur l'ensemble du cycle de l'eau, c'est-à-dire le grand et le petit cycle, même si cette distinction est de plus en plus discutée. Nous souhaitons examiner de près un certain nombre de sujets : la gouvernance territoriale, la nécessité de disposer de données fiables pour évaluer la ressource et adapter la consommation au travers de la subsidiarité ; l'acceptabilité des projets est également une question importante, tout comme la gestion des pratiques, qui nous amène à imaginer des scénarios pour contribuer à la sobriété nécessaire aujourd'hui et demain. Les hydro-électriciens ont un rôle central en la matière.
Je souhaiterais débuter en citant l'exemple des vallées de la Durance, du Verdon, du Buëch et de la Bléone qui ont été choisies par le Président de la République et le Gouvernement pour faire aujourd'hui l'annonce du plan Eau. Ces vallées permettent en effet d'illustrer le caractère multiusage de l'eau et les possibilités offertes par les ouvrages hydroélectriques. Le concept de construction d'équipements dédiés au multiusage trouve son origine au XVIe siècle, avec l'idée d'acheminer une partie des eaux de la Provence jusqu'à Marseille, même s'il a fallu attendre les années 1960 pour que tous les ouvrages soient opérationnels. Cette chaîne de la Durance et du Verdon fournit l'eau potable pour 3 millions de personnes, pour l'irrigation de 120 000 hectares de terres agricoles, et pour l'alimentation en eau industrielle de 440 entreprises. Elle permet aussi de produire plus de deux gigawatts d'électricité bénéficiant à 2 millions de personnes. L'usage touristique s'est également développé sur le secteur, avec le lac de Serre-Ponçon qui représente 1,2 milliard de mètres cubes de capacité de stockage et qui a justement été choisi pour l'annonce du plan Eau. Nous pourrions citer d'autres exemples de retenues mutiusages, comme le bassin Adour-Garonne, qui a fait l'objet de contrats de coopération signés en 2020 et 2022, stipulant que l'eau devait servir à l'irrigation et pas seulement à la production d'électricité. Il faut d'ailleurs signaler que 70 % de nos concessions EDF ont d'autres activités, en plus de la production d'électricité. Le multiusage est donc au coeur de notre ADN et nous avons conscience que cette gestion de l'eau est une donnée clé pour le pays.
Il serait idiot de nier que le changement climatique a un impact sur la ressource en eau. Cet impact est bien mesuré dans le cadre de l'augmentation de l'évaporation liée à la hausse des températures, mais les conséquences de la baisse des précipitations sont plus difficiles à apprécier. On estime cette baisse à un térawattheure par décennie sur nos ouvrages, pour une production annuelle de 40 à 44 térawattheures.
Il faut noter que l'hydroélectricité constitue un instrument idéal de lutte contre le changement climatique à double titre car d'une part, elle n'émet pas de CO2 et d'autre part, étant pilotable, elle facilite l'insertion sur le réseau d'énergies renouvelables intermittentes. En outre, l'hydroélectricité, qui possède encore un potentiel de développement, constitue un outil de résilience, comme le montrent le multiusage et le stockage d'eau et d'électricité.
La Société Hydro-Électrique du Midi (SHEM), troisième producteur français d'hydroélectricité, est une filiale du groupe Engie. Elle gère 56 usines et 12 barrages, répartis dans le grand Sud-Ouest sur des actifs de haute et moyenne chute. L'hydroélectricité, première énergie renouvelable, est synonyme de stockage d'énergie, de flexibilité et de complémentarité avec le photovoltaïque et l'éolien.
La SHEM, en plus de produire de l'électricité, contribue également à l'alimentation en eau des territoires en aval : nous participons à l'alimentation du plateau gascon, qui connaît une situation de stress hydrique. Ainsi, le volume total lié à nos 12 barrages et aux retenues associées constitue 60 % des volumes d'eau fournis en été à destination des lacs.
L'hydroélectricien est au croisement de ces enjeux majeurs aujourd'hui et le sera encore plus demain, puisque le bassin Adour-Garonne fait partie des zones en tension. Nous devons donc continuer à y contribuer, en nous posant des questions sur les arbitrages de ce multiusage. À cet égard, l'année 2022 est un bon exemple d'injonctions contradictoires : il nous a été demandé à la fois de garder suffisamment d'eau en hiver pour faire face aux éventuelles coupures et de fournir de l'eau en été, en raison de la sécheresse extrême.
D'autres questions se poseront sur le prix de l'électricité lorsque celui-ci diminuera, de même que sur le modèle économique associé, qui devra être réfléchi avec nous, les acteurs hydroélectriciens. Pour ce faire, nous avons besoin de visibilité quant à l'avenir des concessions hydroélectriques, sujet déjà ancien. Nous vous remercions du pas franchi grâce à la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, qui facilite les investissements, mais nous devons encore avancer dans un esprit d'équité entre acteurs.
Le sujet de la gestion durable de l'eau et de ses enjeux au regard du réchauffement climatique est au coeur de nos préoccupations. Nous partageons évidemment l'idée d'agir ensemble de manière concertée pour préserver les usages et notre environnement. La gestion globale du Rhône a été confiée à la Compagnie nationale du Rhône (CNR), il y a près de 90 ans, et elle a été renouvelée l'année dernière pour 20 années supplémentaires. Nous sommes le premier producteur français à 100 % renouvelable, avec le triptyque eau, air, soleil. Nous représentons, avec un seul fleuve, 25 % de l'hydroélectrique au fil de l'eau français : aucun autre fleuve au monde n'est géré comme le Rhône. Nous devons garantir une gestion holistique de l'eau : hydroélectricité, navigation, irrigation. Les territoires représentent 17 % de notre actionnariat, aux côtés de la Caisse des dépôts et des consignations (CDC) et d'Engie.
Notre modèle est industriel et redistributif, avec une redevance sur l'électricité produite proportionnelle au prix de l'électricité captée, avec un seuil de 80 % pour l'électricité dont le prix est supérieur à 80 euros par mégawattheure. La CNR produit au fil de l'eau : nous turbinons l'eau qui nous est donnée, sans la stocker. Nos vingt centrales hydroélectriques et dix-neuf barrages produisent 13,6 térawattheures. La CNR, c'est aussi 330 kilomètres de voies navigables, avec quatorze écluses et dix-sept sites industrialo-portuaires, soit 1 400 emplois directs et 14 000 emplois indirects.
Nous nous inscrivons dans les objectifs de transition et d'indépendance énergétique ; ainsi, nous accélérons le développement du renouvelable, avec 500 millions d'euros de travaux dans le cadre de la prolongation de la concession. De même, un vingtième ouvrage sur le Rhône, en amont de la confluence avec l'Ain, est prévu, ainsi que des installations éoliennes et photovoltaïques. Nous veillons à maintenir la confiance avec les territoires tout en innovant.
Si l'on se donne les moyens d'agir, on peut augmenter les capacités de l'hydroélectricité de 20 %, soit 12 térawattheures, l'équivalent de la consommation de 5,3 millions de Français. Cela serait suffisant pour se passer du charbon et du gaz en hiver. On compte aujourd'hui sur nos cours d'eau 2 300 petites installations dont la qualité, fruit d'un savoir-faire ancien, est un don pour les générations futures. L'hydroélectricité approvisionne déjà l'équivalent de 27 millions de Français - elle pourrait en alimenter 1,8 million de plus dès 2028.
Cette production, la plus décarbonée, est aussi l'une des plus efficaces, avec un rendement de 90 %. Elle alimente, en majorité, les collectivités avoisinantes. En outre, nous connaissons les enjeux autour des métaux rares : notre mode de production ne nécessite aucune importation. C'est l'énergie préférée des Français. Nos installations sont les plus conformes aux exigences de continuité écologique, des passes à poisson à la gestion collective des usages. Certaines associations n'ont pas le monopole de l'amour de la flore et de la faune de nos rivières...
Toutefois, si la baisse des débits nous inquiète pour la production de l'électricité, la perturbation du cycle de l'eau nous préoccupe plus encore. Les crues et les sécheresses, jusqu'ici l'exception, deviennent la règle. Nos installations sont majoritairement au fil de l'eau, tributaires du régime hydrologique de leur rivière. Cela étant, nos capacités de stockage, même minimes, sont cruciales pour les collectivités, qui en ont profité l'été dernier. Nos centrales sont autant de sentinelles contre la sécheresse, assurant une disponibilité limitée, mais essentielle, de l'eau. Les moyens techniques sont là, mais il faut une nouvelle politique de l'eau, assurant l'équité entre les trois piliers que sont l'eau potable, l'eau comme bien de consommation pour nos industries et notre agriculture, et l'eau comme moyen de production d'électricité. Cette politique s'appuierait sur une ambition globale de sobriété et sur une connaissance fine des cours d'eau. Pour éviter les conflits de l'eau, il faut de nouvelles méthodes de concertation, alors que certaines décisions lourdes de conséquences sont prises arbitrairement. Par exemple, l'administration a rehaussé les débits réservés, sans en démontrer l'effet sur la biodiversité, pour un important manque à gagner énergétique. Évitons les idées reçues !
Nous fédérons les associations régionales, départementales et locales des moulins. Ceux-ci sont au coeur des problématiques patrimoniale, environnementale et énergétique. Nous sommes de plus en plus sollicités pour l'hydroélectricité.
Les moulins représentent une faible part de la production hydroélectrique en France. Mais des dizaines de milliers d'installations sont en activité et, si certaines produisent de l'électricité, elles étaient présentes bien avant l'ère électrique. Nous respectons le débit réservé, mais nous vous avertissons : les biefs doivent aussi être alimentés en eau en période d'étiage. Même quand on ne produit pas d'électricité, il faut maintenir la biodiversité. Ensuite, les moulins sont un gisement hydroélectrique : 20 000 d'entre eux pourraient produire de l'électricité. Lors de l'examen du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, l'estimation basse était de 300 mégawatts, le tiers d'un réacteur nucléaire. Ce potentiel est facilement disponible, avec une forte accessibilité sociale et un capital de sympathie important. Comme maire d'une commune, je m'interroge : comment peut-on promouvoir l'éolien et le photovoltaïque tout en entravant l'hydroélectricité sur les sites existants ? Les moulins ne sont pas sur le régime de la concession, et sont donc peu concernés par l'absence de mise en concurrence, toutefois, il faut distinguer l'usage d'une chute et la propriété foncière annexée. Actuellement, équiper un ouvrage suppose l'acquisition du foncier. Remettre cette contrainte en cause pourrait ouvrir des pistes. Les moulins ne prélèvent pas d'eau, ils la font travailler. Les ouvrages ont peu d'effet sur la biodiversité, avec une chute inférieure à deux mètres, sans effet sur les poissons migrateurs. Les moulins n'ont jamais empêché les anguilles de remonter... Quant au transfert des sédiments, s'il n'avait pas lieu, les moulins seraient ensablés depuis longtemps, alors que certains existent depuis 600 ans.
Nous souhaitons mesurer l'impact du changement climatique sur les perspectives en matière de production d'électricité. Au-delà de l'optimisation des sites existants, avez-vous des scénarios d'amélioration de la ressource et du stockage ? De meilleurs matériels permettent-ils des processus plus vertueux qu'aujourd'hui ?
Quel regard portez-vous sur la réglementation relative au soutien de l'étiage, aux débits réservés et au débit d'objectif d'étiage (DOE) ? Je peux témoigner du travail de qualité qui est fait, notamment sur le bassin Adour-Garonne : l'implication responsable des acteurs dégage des chemins intéressants.
Enfin, quelle est votre vision prospective sur le potentiel d'évolution de la production, sans négliger les obligations relatives, notamment, aux besoins d'étiage ?
- Présidence de M. Louis-Jean de Nicolaÿ -
Je fais l'hypothèse que le sujet des concessions sera réglé rapidement...
En effet.
Nous identifions un potentiel d'augmentation de la puissance des installations existantes, soit avec des machines plus efficaces, soit en ajoutant un groupe de production, de 500 mégawatts d'ici à 2035. Il faut y ajouter 1,5 gigawatt lié aux stations de transfert d'électricité par pompage (Step). La rehausse de barrages est aussi possible, avec une augmentation, non de la puissance, mais de la quantité d'eau et donc de l'électricité stockée, c'est-à-dire disponible sur l'année. Un potentiel équivalent peut encore être dégagé pour la décennie suivant 2035.
Le potentiel concerne surtout le Sud-Ouest.
Les études menées dans le bassin Adour-Garonne font état d'une baisse de 10 % des précipitations et de 30 % à 50 % de l'enneigement d'ici à 2050, en retenant l'hypothèse d'un réchauffement de deux degrés. Cela représente une baisse de 20 % de notre production, qui restera toutefois importante et flexible. Avec moins d'eau et moins de neige, nous étudions, à notre échelle, la rehausse des barrages, mais à la marge, puisqu'il y aura moins d'eau à stocker de toute façon. Il y a aussi un potentiel, là encore à la marge, pour les Step. Il faudra de plus penser à la petite hydroélectricité, mentionnée par Jean-Marc Lévy, pour prendre en compte les efforts plus importants à venir en termes d'étiage.
À l'horizon 2050, le déficit hydrique s'établira entre 1,2 et 1,4 milliard de mètres cubes d'eau. Notre contribution supplémentaire pourrait être de 150 millions à 200 millions de mètres cubes d'eau, ce qui est considérable, mais largement insuffisant. Il faut donc répartir les efforts entre tous les acteurs. Vous avez mentionné le DEO : la question de leur fixation se pose, même si l'équation est difficile.
Plus on affine les modèles, meilleur est le pilotage. On le voit avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) : on ne connaît pas les capacités de toutes les nappes. Tout le débat autour du DOE, du soutien à l'étiage et du débit réservé s'inscrit dans cette problématique.
Nous observons déjà les effets du changement climatique, avec de fortes variations de l'hydraulicité. Ainsi, nous avons une capacité de 3 000 mégawatts installés sur le Rhône : en conditions optimales, nous produisons l'équivalent de 2 700 mégawatts de puissance. Début septembre, avec la sécheresse, nous étions à 230 mégawatts. Selon notre agence de l'eau, à l'horizon 2055, le débit moyen du Rhône ne devrait pas évoluer sur l'année, mais nous aurons beaucoup d'eau en hiver et pas assez en été. Les débits d'étiage sont déjà affectés depuis 1960, avec des baisses de 7 % à l'amont et de 13 % à l'aval. Toutefois, en 2055, on pourrait enregistrer une nouvelle baisse de 20 % à l'aval, mais avec plus d'eau en hiver. En outre, il y aura moins de neige : celle-ci a déjà diminué de 10 % depuis 1960, et cela pourrait baisser encore de 20 % à 40 % d'ici à 2055. Il faut donc plus de flexibilité, pour turbiner davantage quand l'eau est présente.
Dans le cadre de la prolongation de notre concession, nous sommes tenus d'investir. Outre le vingtième aménagement que j'évoquais, qui serait d'une puissance de 37 mégawatts, pour une production de 140 gigawattheures - l'équivalent d'une ville de 70 000 habitants - nous construirons de petites centrales hydrauliques sur six installations, entre cinq et dix mégawatts par équipement, pour un total de 100 gigawattheures de production. Nous développerons aussi la capacité de l'aménagement de Montélimar, avec une augmentation de la hauteur d'eau et un changement de turbine. Au total, nous produirons 0,5 térawattheure de plus par an, avec 100 mégawatts supplémentaires de puissance.
Mieux gérer l'eau passe par l'amélioration du stockage, y compris en milieu naturel, avec les zones humides. En effet, la pluviométrie sera plus variable : toutes les stratégies, y compris de réinfiltration dans les nappes, sont-elles bienvenues ?
Le changement climatique nous préoccupe grandement, mais notre inquiétude porte davantage sur son rythme, qui semble s'accélérer. Cependant, nos ouvrages sont résilients et la filière peut s'adapter, en étendant par exemple les plages de fonctionnement, avec des efforts d'automatisation. Pour illustrer notre résilience, la baisse de production, sur les vingt dernières années, d'un parc de trente centrales dans les Vosges n'a atteint que 0,26 %, chiffre très faible. La petite hydroélectricité, c'est de la haute couture : tout est dimensionné aux enjeux environnementaux du site. L'eau a de nombreux usages, dont la production électrique, avant d'atteindre l'océan : il faut les optimiser. Ainsi, quand il y a des seuils, l'eau stagne et s'infiltre davantage. Les retenues sont des écotones et des refuges pour les poissons.
Sur le débit réservé, il ne faut certes pas gaspiller l'eau, mais cela vaut également pour les gigawattheures. Or, les débits réservés causent parfois des pertes d'énergie renouvelable, sans gain pour l'environnement. Relevons-les seulement lorsque c'est indispensable : aujourd'hui, les relèvements sont souvent systématiques, parce que la direction de l'eau et de la biodiversité nous considère comme des obstacles à la continuité écologique, sans que nous soyons soutenus pleinement pour autant par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). Notre potentiel de développement est de 12 térawattheures, soit 20 % de plus. Nous proposons 625 mégawatts de plus d'ici à 2028, dont 240 mégawatts en nouveaux ouvrages et 60 mégawatts en équipements de seuil existants. La rénovation d'ouvrages apportera 100 mégawatts, auxquels il faut ajouter 210 mégawatts pour les augmentations de puissance des concessions. Nous prévoyons ensuite 790 mégawatts supplémentaires entre 2028 et 2033.
Les moulins, parce qu'ils sont au fil de l'eau, ne peuvent soutenir l'étiage. En revanche, attention aux débits réservés : il faut laisser l'eau dans les biefs existants et dans nos petites retenues, qui alimentent la biodiversité, les nappes phréatiques et les zones humides. Abaisser la retenue d'un ouvrage en amont rétrécit les surfaces, au détriment des zones humides.
En Haute-Savoie, le juge administratif a donné raison à France Nature Environnement contre la centrale de Sallanches. Il faudra donc démonter un investissement de six millions d'euros - et cela coûtera dix millions d'euros - pour des raisons de biodiversité. Nous parlions d'acceptabilité. Cela ne crée-t-il pas une jurisprudence mettant en péril les projets à venir ? Par ailleurs, si nous devions avoir gain de cause, quelles préconisations peut-on formuler, notamment pour mieux travailler, tant avec des associations qui attaquent tout faute d'information qu'avec des juges parfois complaisants ?
Une remarque préalable : la biodiversité est un sujet à part entière, qu'il faut équilibrer avec les besoins d'énergie et de consommation. Avez-vous des exemples de bonnes pratiques d'acceptabilité et de dialogue entre les associations de défense de la nature, les agriculteurs et les industriels, par exemple ?
En effet, la concertation doit éviter des décisions postérieures à l'édification de la structure, même si ces décisions sont sans doute étayées et ne reposent pas que sur des idées reçues. Travaillez-vous à l'amélioration de ces démarches en amont ?
Par ailleurs, l'hiver, la production hydroélectrique ne posera pas problème. La CNR a anticipé en développant notamment le solaire, qui compensera les besoins en été. Les autres structures ont-elles adopté une telle démarche ?
Sur les barrages, quelle hauteur faut-il pour garantir un meilleur stockage des précipitations accrues en hiver ?
Sur Sallanches, si cela faisait jurisprudence, il faudrait attendre que les recours soient purgés avant toute construction. Toutefois, le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables prévoit une assurance dans ce cas de figure. Les citoyens ne contestent pas notre énergie : le degré d'acceptabilité locale par les citoyens et les élus est excellent. La contestation vient d'associations qui ont fait des recours leur gagne-pain et attaquent sans discernement nos autorisations. Or l'État ne défend pas toujours ces autorisations au tribunal, en même temps qu'il finance ces associations, ce que certains élus locaux ont arrêté de faire.
La concertation, prévue par la loi, est très large et a lieu à toutes les étapes du projet. Ainsi, aucun projet ne se fait dans le dos des associations ! Nous observons que France Nature Environnement soutient dans ses discours toutes les énergies renouvelables (EnR), mais, dans les faits, attaque toutes nos autorisations. Or entre deux et sept ans sont nécessaires pour obtenir une autorisation pour un projet d'hydroélectricité, à la suite d'un processus très lourd. Nous n'avons pas encore la solution. Nous faisons notre maximum au cours des concertations, mais ces associations n'y sont pas présentes : elles sortent du bois le dernier jour du délai de recours.
Le changement climatique nous conduit à adapter la gestion de notre parc hydroélectrique, notamment en raison de la baisse du stock de neige et de sa fonte précoce. Un lac ne doit pas être trop plein à la veille de la fonte des neiges, sinon il va déborder.
Cela nous a poussés à développer une expertise pointue pour comprendre les effets du changement climatique, qui ne sont pas toujours simples, et pour affiner le pilotage de nos ouvrages, de sorte qu'ils puissent stocker l'eau au moment où elle arrive derrière les retenues. Les barrages permettent en effet de retarder le moment où l'eau part à la mer, ce qui permet de produire de l'électricité au meilleur moment et de disposer d'eau douce dans de meilleures quantités, au moment où nous en aurions le plus besoin. Quand on rehausse un barrage, on augmente la surface susceptible d'être immergée, ce qui pose des questions auxquelles il faut répondre au cas par cas, en fonction des besoins en aval, des caractéristiques de la zone concernée et du degré d'acceptabilité.
Nous avons de sérieux projets. Mais nous ne nous faisons pas d'illusions : le degré d'acceptabilité de l'hydroélectricité est aussi lié au fait qu'il n'y a pas eu de projets majeurs jusqu'à présent. Si leur développement reprenait, des oppositions pourraient se faire jour. Nous sommes très ancrés dans les territoires. Nous avons une grande expertise dans la concertation avec l'ensemble des parties prenantes. Notre programme « Une rivière, un territoire » met l'accent sur le fait que l'hydroélectricité est une énergie souveraine. D'ailleurs, EDF Hydro, c'est 5 200 salariés, 30 000 emplois indirects et 60 % des dépenses d'investissement qui seront françaises et, le plus possible, locales. C'est un vecteur de développement économique pour nos territoires. Il s'agit d'un point clé pour garantir l'acceptabilité de nos projets.
L'acceptabilité n'est pas gagnée, même si l'hydroélectricité est l'énergie renouvelable préférée des Français. Pour la soutenir, il faut que les projets bénéficient véritablement aux territoires.
C'est pour cela que j'ai évoqué les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), sur lesquels nous réfléchissons également.
Notre devise est d'ailleurs « le Rhône pour origine, les territoires pour partenaires, les énergies renouvelables pour l'avenir ».
Notre ancrage historique facilite grandement nos relations à l'échelle locale et certaines instances, comme les parlements de l'eau, aident aussi à dialoguer. Pour autant, la tension va s'accentuer, aussi, nous cherchons déjà à dialoguer en amont. Les relations sont parfois complexes avec les acteurs environnementaux, même si nous faisons beaucoup d'efforts. Chaque dossier est particulier, en raison de l'environnement et des espèces qui sont à chaque fois différents. D'ailleurs, nous ne nous engageons pas dans des dossiers s'ils ne nous semblent pas pertinents. Pour rendre un projet acceptable, il faut montrer que nous sommes des acteurs sérieux.
Ce n'est pas le groupe SHEM qui fait de l'énergie photovoltaïque (EPV) ou de l'éolien, mais ses filiales, notamment Engie Green.
Aucun déversement majeur ne justifierait de rehausser les barrages, pour amortir plus fortement les crues. Du reste, on risque, à l'avenir, d'avoir moins d'eau qu'aujourd'hui. Il faut avoir à l'esprit que le rôle des barrages dans la gestion des crues est important.
Il faut considérer l'ensemble des externalités pour évaluer l'impact et la pertinence d'un projet. En matière de communication, des actions doivent être entreprises. Si l'on souhaite politiser le sujet de l'eau, il est crucial de renforcer les relations avec les usagers.
Nous en venons désormais au sujet de l'évolution des concessions. La Commission européenne a mis en demeure la France, car celle-ci est très en retard sur la mise en concurrence des concessions hydroélectriques. Selon vous, quelles sont les solutions juridiques et politiques qui permettraient de surmonter ces difficultés ? Souhaitez-vous nous donner des informations sur les négociations en cours ?
Il faut absolument trouver une solution pour favoriser de nouveau le développement de projets hydroélectriques, car il existe un réel potentiel. L'hydroélectricité permet d'insérer plus d'EnR et de produire plus d'électricité au bon moment sans émettre de CO2. De plus, tous nos projets s'appuient sur une approche multiusage de l'eau. Pour nous le statu quo n'est pas une bonne option, car il tend à bloquer le développement du potentiel hydroélectrique, qui pourrait entrer en service au cours de cette décennie. Je ne peux pas en dire plus sur la ou les solutions qui nous paraissent les plus adaptées. Nous cherchons des solutions permettant d'éviter les mises en concurrence et de maintenir les concessions dans les entreprises qui les gèrent aujourd'hui.
La CNR a été prolongée par la loi du 28 février 2022. Ainsi, nous avons pu lancer un programme de développement et de renouvellement d'équipements.
La concession du Rhône avait été autorisée par une loi de 1931, d'où la prolongation par un projet de loi relatif à l'aménagement du Rhône.
L'Union européenne a accepté cette prolongation.
La production d'électricité n'est effectivement pas notre seule mission. Nous en avons d'autres comme la navigation et l'irrigation des terres agricoles. Nous avons une gestion holistique de notre concession du Rhône, qui va de la frontière suisse jusqu'à la Méditerranée - même s'il existe un aménagement concédé à EDF depuis 1898.
Il est intéressant de voir comment ces sujets peuvent entrer en résonnance avec des engagements sociaux et culturels, si l'on pense au projet de donner des identités aux fleuves.
Nous ne souhaitons pas forcément l'ouverture à la concurrence. L'Union européenne a rejeté l'option de la prolongation pour travaux. Il serait possible de rassembler des concessions qui ont un lien hydraulique. L'État et la SHEM avaient opté pour ce regroupement dit « par barycentre » pour deux ouvrages situés de part et d'autre de la Dordogne, mais la loi et le décret n'étaient pas en conformité avec les textes européens et ont été annulés.
L'hydroélectricité est le Samu du réseau électrique, si je puis dire, et elle est au coeur de la question de l'eau. Autrement dit, c'est juridiquement très compliqué et une impulsion politique importante est nécessaire.
Nous avons besoin de visibilité pour investir et pour faire avancer des sujets qui sont paralysés par le non-renouvellement des concessions, comme les contrats de rénovation. La DGEC ne souhaite pas négocier des dérogations aux appels d'offres au-dessus d'un mégawatt. Il s'agit de rénover le parc pour moderniser les centrales actuelles ; lancer un appel d'offres revient à en écarter certaines, qui ne pourront donc pas être rénovées. Depuis 2018, nous attendons un contrat de rénovation sous autorisation, mais la DGEC est paralysée par le sujet des concessions. Voilà un effet collatéral de ce problème.
Estimez-vous que les procédures et les méthodes de gestion des crises de l'eau sont adaptées ? Ne sont-elles pas tombées dans une forme de routine ? Elles semblent avoir du mal à s'adapter à de nouvelles réalités - je pense par exemple à l'interdiction d'arroser en milieu urbain des arbres plantés depuis plus de cinq ans, ce qui est aberrant. Quel regard portez-vous, en outre, sur la gouvernance actuelle de l'eau ?
La gouvernance est compliquée, mais elle fonctionne, car elle assure l'implication, la concertation et la consultation de l'ensemble des parties prenantes. Par exemple, l'été dernier, les préfets ont joué leur rôle au moment où il fallait prendre des décisions face à la sécheresse. D'ailleurs, pour cette année, en cas de déficit hydrique, nous avons prévu des jalons de consultation ou d'information qui arrivent plus tôt.
Est-ce que cette gouvernance permet également un bon niveau d'anticipation ?
Selon moi, il pourrait être utile d'informer l'ensemble des acteurs d'une vallée ou d'un cours d'eau plus tôt, afin de garantir en toute transparence le même niveau d'information.
Oui, car les problématiques sont très différentes selon les contextes locaux.
La gouvernance fonctionne plutôt bien. Nous avons mis en place des comités de suivi de la concession, où sont représentés les services de l'État, les collectivités territoriales et les associations. Cela nous permet de discuter de l'actualité de la concession.
S'agissant de la gestion de crise, dans notre concession, l'eau n'est pas stockée, la sécheresse nous concerne donc moins. Nous nous coordonnons de manière efficiente avec les centrales nucléaires qui sont sur le Rhône, de façon à les refroidir.
Oui, car l'an dernier, la température de l'eau en sortie était plus chaude de 7 degrés.
Nous avons beaucoup d'échanges avec les services de l'État. La gouvernance est compliquée, mais elle fonctionne. Les arbitrages entre le besoin d'électricité et le besoin d'eau ne sont pas faciles à réaliser. En 2022, nous avons reçu des injonctions contradictoires : d'une part, en raison du risque de coupures, les services du ministère nous ont demandé d'optimiser notre gestion, c'est-à-dire de ne pas utiliser l'eau durant la période estivale ou automnale ; d'autre part, en raison de la sécheresse, on nous a dit qu'il fallait donner de l'eau. Il ne nous revient pourtant pas d'arbitrer : voilà un point qu'il faudrait préciser. Cette année, nous constatons que les préfectures et les comités de sécheresse se sont mobilisés de façon plus précoce.
Il est difficile pour les petits acteurs d'être présents dans toutes les instances de l'eau ; nous essayons d'être présents dans les commissions locales de l'eau (CLE), mais nous n'y arrivons pas toujours. La cohérence des politiques publiques doit être renforcée. La petite hydroélectricité est sous la tutelle de la direction de l'eau et de la biodiversité, qui nous voit comme un obstacle à la continuité écologique et non comme un outil de production d'énergie renouvelable. La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience a visé à faciliter les augmentations de puissance. Les services des directions départementales des territoires (DDT) ne bougeront pas d'un pouce tant que le code de l'environnement n'aura pas été modifié, même si celui de l'énergie l'a été. Pour le moment, les augmentations de puissance sont donc bloquées.
Il n'existe aucune instance de médiation ou d'écoute à propos de la restauration de la continuité écologique ou de la production d'hydroélectricité - malgré des progrès notables avec l'agence Adour-Garonne - où les propriétaires pourraient évoquer leur expertise ou les difficultés qu'ils rencontrent face aux services administratifs qui refusent l'installation des systèmes de production d'hydroélectricité. Nous ne sommes pas représentés dans les instances. Or les propriétaires de moulin sont parfois dans des situations de détresse, même s'ils sont subventionnés, notamment s'ils doivent payer l'installation d'une passe à poissons.
Notre défi collectif est de mener de front la transition énergétique et la gestion durable de l'eau. L'hydroélectricité a un rôle clé à jouer et nous sommes prêts à y répondre.
Le modèle de la CNR démontre que la gestion globale de l'eau permet de partager les contraintes et objectifs des différentes parties prenantes, qui varient en fonction des lieux et des périodes de l'année. Il est important que ce ne soit pas celui qui crie le plus fort qui ait gain de cause. Une gouvernance objective, où l'État et les élus sont impliqués, est pour autant essentielle et nous souhaitons que l'État et les régions jouent pleinement leur rôle, à l'instar de ce qui s'est passé lors des inondations meurtrières de 2003 et de 2004 ; la CNR, en tant que concessionnaire et expert en gestion de fleuves, apportera toujours sa capacité d'expertise et son agilité dans l'exploitation.
Par ailleurs, nous devons optimiser l'utilisation de l'eau, ce qui est possible pour les installations au fil de l'eau qui ne doivent pas être opposées aux retenues.
La période de stress hydrique rend indispensable le partage des ressources. Les tensions potentielles nécessitent d'affiner la gouvernance. L'hydroélectricité est très importante pour le réseau et pour la gestion de l'eau et la SHEM est déterminée à jouer un rôle dans ces deux dimensions. Il faut également réfléchir à des modèles économiques pérennes.
L'hydroélectricité est une assurance pour la transition énergétique et pour les réseaux, elle est complémentaire des autres énergies renouvelables, pilotable et modulable au sein d'une même année, même si elle est sensible aux variations interannuelles des débits. En France, le potentiel est de +20 %. Ce serait une grave erreur de ne pas le développer.
Nous sommes d'accord avec ce que nous avons entendu sur les bienfaits de l'hydroélectricité. S'agissant des moulins, nous préconisons d'équiper les sites existants, c'est facilement réalisable - cela ne nécessite aucun investissement sur les réseaux -, c'est disponible tout de suite et c'est très délocalisé. Il faut y aller !
J'espère également que vous avez été consultés pour l'élaboration des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet).
Je vous remercie de votre participation et de vos éclaircissements : allons de l'avant ! Nous vous y aiderons, car nous sommes les défenseurs des territoires.
La réunion est close à 12 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.