Intervention de Patrice Gélard

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 juillet 2012 : 1ère réunion
Cour européenne des droits de l'homme — Examen du rapport d'information

Photo de Patrice GélardPatrice Gélard, co-rapporteur :

La conférence de Brighton est une montagne qui a accouché d'une souris. Les problèmes demeurent et les solutions sont encore en pointillés.

La première piste consisterait à garantir une meilleure application par les Etats membres des droits et libertés reconnus par la Convention. Une majorité des recours émanent des ressortissants de 5 États : la Fédération de Russie, l'Ukraine, l'Italie, la Roumanie et la Turquie. En cette matière les plus récemment entrés ne sont pas sur le même pied que les États fondateurs, ce qui explique les réticences du Conseil de l'Europe à adopter des sanctions contre eux. La voie privilégiée est celle de la pédagogie. D'ailleurs, certains manquements trouvent leur origine dans une impossibilité matérielle pour l'Etat à satisfaire les exigences de la décision ou dans la nécessité de disposer de plus de temps pour ce faire. Pour la première fois en 2011, le nombre d'affaires répétitives en attente d'exécution a diminué. Il conviendrait, pour remédier à ces difficultés récurrentes, de garantir une meilleure application par les Etats membres du principe de subsidiarité. Ces derniers devraient notamment mettre en place des voies de recours accessibles à leurs ressortissants pour faire valoir les droits qu'ils tiennent de la Convention. Les mêmes Etats devraient aussi veiller à appliquer de manière anticipée la jurisprudence de la Cour sans attendre d'être condamnés pour le faire. Ils devraient aussi prévoir un mécanisme de contrôle systématique et a priori de la conformité des lois aux prescriptions de la Convention. Enfin, un effort est à engager pour mieux faire connaître la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui passe par des traductions plus nombreuses et une meilleure formation des magistrats nationaux.

La France a adhéré tardivement à la Convention et elle n'a reconnu le droit au recours individuel qu'en 1981. Elle a été mise en cause depuis lors dans 848 arrêts de la Cour et condamnée 627 fois -241 fois pour durée excessive de la procédure et 251 fois pour atteinte au droit au procès équitable. Par comparaison, l'Allemagne n'a été condamnée que 159 fois et la Grande-Bretagne que 219 fois. A plusieurs reprises, comme en matière de garde à vue, la France a tardé à mettre sa législation en conformité avec la jurisprudence de la Cour.

Je tiens à saluer en revanche les efforts considérables du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation pour former les magistrats au droit conventionnel. J'observe une divergence d'appréciation entre ces deux hautes juridictions sur l'opportunité des avis consultatifs à la CEDH. Le Conseil d'Etat s'est prononcé pour, la Cour de cassation contre. Cette piste me paraît pourtant devoir être explorée.

Il nous semble par ailleurs que le Parlement devrait être plus à l'écoute de la CEDH et nous proposons que les études d'impact et les rapports des commissions examinent à l'avenir systématiquement la conformité du projet de loi au droit résultant de la Convention européenne des droits de l'homme.

S'agissant de la nécessité de dégager des moyens matériels et humains supplémentaires, cela concerne en premier lieu les juges : la contribution de chaque État membre, qui s'élève à 8 centimes d'euro par an et par habitant, est insuffisante, ce qui contribue à limiter le nombre des juges - dont la charge de travail est conséquente. L'augmentation du nombre des juges soulève toutefois plusieurs difficultés, notamment celle relative au nombre de magistrats qui serait attribué à chaque État ou la nomination d'un juge référendaire secondant chaque juge.

Se pose également le problème de la sélection des juges. En France, en 2011, notre proposition initiale de trois candidats n'était pas satisfaisante car l'une des candidatures ne répondait pas aux critères fixés par la Cour, si bien que nous avons été obligés de présenter une nouvelle liste. D'autres États proposent des juges visiblement incompétents mais bénéficiant de forts appuis. C'est pourquoi le Conseil de l'Europe a mis en place une procédure de sélection et un comité d'experts afin de permettre une sélection rigoureuse des magistrats.

Par ailleurs, il n'y a pas d'avocats généraux ou de procureurs. Leur rôle est assumé par les greffiers. Il est nécessaire de doter la Cour de moyens humains supplémentaires, ce qui n'est pas sans poser des difficultés.

Sur la question des moyens financiers, ils sont en grande partie alloués par l'Union européenne : en effet, de nombreux programmes du Conseil de l'Europe sont financés à hauteur de 80 % par l'UE. Sans cet apport budgétaire, le Conseil ne disposerait pas des moyens nécessaires pour assurer ses missions.

En conclusion, se pose la question de l'adhésion de l'Union européenne (UE) au Conseil de l'Europe, comme membre à part entière. L'Union européenne n'est pas un État classique, ni un État fédéral, mais une union d'États qui joue un rôle fondamental auprès du Conseil de l'Europe. Rappelons que l'admission au Conseil de l'Europe est un préalable pour intégrer l'Union européenne. Que va apporter cette adhésion ? L'article 6, paragraphe 2, du Traité de Lisbonne prévoit l'adhésion de l'UE à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Le Conseil de l'Europe prévoit également, à l'article 17 du protocole n° 14, qui est entré en vigueur le 1er juin 2010, la possibilité pour l'Union européenne d'adhérer à la Convention. Peut-être cette adhésion permettra-t-elle un élargissement des possibilités de recours devant la CEDH, dans les domaines économiques par exemple. L'Union européenne pourrait ainsi être entendue dans les affaires jugées par la Cour ce qui offrira une possibilité nouvelle de recours aux particuliers qui pourront saisir la CEDH d'une plainte pour violation supposée de leurs droits fondamentaux par l'UE. A terme, on peut s'interroger sur les conséquences de cette adhésion : n'entrainera-t-elle pas un rapprochement entre la CEDH et la Cour de Justice, voire l'avènement progressif d'une unique Cour suprême européenne ?

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