Intervention de Alain Richard

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 juillet 2012 : 1ère réunion
Cour européenne des droits de l'homme — Examen du rapport d'information

Photo de Alain RichardAlain Richard :

Certaines de mes observations vont dans le même sens.

En préambule, je souhaite souligner que toute intervention d'une juridiction internationale résulte d'un consentement des États à une réduction de leur souveraineté, qui doit donc s'interpréter strictement. Quand nous portons une appréciation sur le fonctionnement de ces institutions, nous devons nous garder d'une appréciation binaire, en critiquant la souveraineté nationale et en louant le rôle des juridictions internationales. Tout en ne partageant pas les réactions du Parlement britannique, force est de reconnaître qu'elles ne sont pas totalement infondées par principe.

Cette première observation condamne l'idée de mesures contraignantes d'application. Il existe aujourd'hui un traité, ratifié par quarante-sept États. Je souhaite bonne chance à quiconque souhaite proposer un abandon supplémentaire de souveraineté qui aboutirait à introduire dans le droit national des États membres une autorité procédurale supérieure à leurs juridictions nationales. Le fait de se trouver en désaccord avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, quand celle-ci est valable, représente d'ores et déjà, en soi, un préjudice pour l'État. Il y a un effet d'impact, de visibilité internationale attaché à ses condamnations. Ainsi la Turquie paye-t-elle le prix fort dans un certain nombre de domaines, en raison de sa difficulté à respecter la jurisprudence de la Cour. Quant à la Russie, elle paye un prix économique massif car tout le monde sait qu'il ne s'agit pas d'un véritable État de droit. De ce point de vue, l'incitation à se rapprocher des critères des signataires existe même en l'absence de pouvoir de contrainte.

Sur la question du nombre de condamnations touchant la France, je partage les observations des précédents orateurs. Je ne crois pas que notre pays soit gravement défaillant en matière de droits de l'homme ! Les chiffres statistiques sur sa condamnation par la CEDH sont très peu significatifs : 80 % des condamnations ont été prononcées pour des raisons de procédure dans lesquelles il est demandé de rajouter un « effet cliquet » supplémentaire de protection des droits dans l'application d'une procédure, comme le prouvent les condamnations prononcées en matière de visites domiciliaires par exemple.

Quant à la tendance de la France à attendre d'être condamnée pour mettre en conformité sa réglementation avec la jurisprudence de la Cour, cette attitude est profondément logique : tant que nous ne sommes pas condamnés, nous ignorons les attentes de la Cour. Du fait de l'absence de parquet et donc, de rapporteurs publics, la lisibilité des motifs des condamnations est parfois laborieuse. C'est pourquoi il est préférable d'attendre la condamnation pour connaître les éléments sur lesquels nous devons nous mettre en conformité.

Je suis en revanche en désaccord avec Patrice Gélard : selon moi, l'Union européenne est bel et bien une fédération d'États dans certains domaines de compétences, tels que la politique de la pêche, la politique agricole commune ou encore la politique commerciale. Il s'agit bel et bien de politiques fédérales, certains États pouvant être contraints par une majorité d'appliquer une décision qu'ils n'ont pas prise. C'est d'ailleurs cette philosophie qui sous-tend les dispositions de l'article 6 § 2 du traité de Lisbonne : lorsque l'Union européenne est le décideur en dernier ressort, il est normal que ses décisions puissent être attaquées.

S'agissant de la question de l'encombrement de la Cour, rappelons que nous avons affaire à une juridiction autonome, qui vit sur une délégation de souveraineté limitée des États. Ainsi, toutes les solutions visant à remédier à ce problème ne se trouvent pas dans une modification du Traité. Il faut laisser la Cour s'autogérer, comme le font d'ailleurs les juridictions suprêmes. Il est inévitable d'avoir des saisines en série mais toutes les juridictions savent traiter ce type de difficultés.

Enfin, sur l'affaire des traductions, je ne pense pas que cela soit grave : quand on n'est pas sûr de la traduction, il est toujours possible de la faire refaire. Le fait que les traductions puissent être un peu légères ou qu'elles proviennent des États membres ne me parait pas être un facteur de suspicion sérieux à l'encontre de cette juridiction.

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