Les 35 heures constitueraient donc un bouc émissaire idéal.
Ce n’est donc pas du côté du coût et de la durée du travail que nous devons chercher la solution aux maux de notre pays. Tout au contraire, il nous faut œuvrer, sans relâche, à la mise en œuvre de stratégies industrielles innovantes, en pariant sur des industries d’avenir en lien avec les territoires.
Car la désindustrialisation frappe d’abord, et de plein fouet, des territoires qui cumulent déjà les difficultés et les handicaps, nous en savons quelque chose : l’enclavement, l’éloignement par rapport aux grands centres de décision, la perte historique d’industries traditionnelles, comme la sidérurgie ou le textile.
Alors, au-delà de tous les discours, quels efforts mettez-vous véritablement en place pour accompagner ces territoires ? Quelles sont les modalités d’anticipation auxquelles vous réfléchissez pour éviter en amont les délocalisations ? Quels dispositifs spécifiques, quel volontarisme renforcé mobilisez-vous pour éviter de les transformer durablement en déserts français ?
Lorsque s’est produit le dramatique accident d’AZF à Toulouse, qui, bien sûr, sur le plan humain, a été extrêmement douloureux, mais qui, sur le plan économique, s’est soldé par 1 400 à 1 500 suppressions d’emploi, le Gouvernement a immédiatement mis en place un dispositif de zone franche, qui a incité les investisseurs à venir à Toulouse et dans les environs. Donc, sur le plan purement fiscal, il était plus intéressant de venir s’installer à Toulouse que dans d’autres départements plus excentrés de Midi-Pyrénées, notamment en Ariège, département dont je suis élu, qui a perdu, sur un bassin d’emplois d’environ 20 000 habitants, 5 500 emplois industriels…
Que faisons-nous aujourd'hui pour empêcher que ces départements, ces territoires ne soit pas purement et simplement éliminés de la carte ?
Aujourd’hui, en matière de politique industrielle, nous assistons à du pilotage à vue, comme l’a relevé Martial Bourquin. Pour l’industrie photovoltaïque, par exemple, c’est une véritable politique industrielle à l’envers qui a été conduite : d’abord, ont été mis en place des dispositifs incitatifs tellement généreux qu’ils ne pouvaient que favoriser la spéculation et les produits d’importation ; puis, alors qu’une filière industrielle commençait à se structurer en France, un moratoire a été décidé – c’est, à ma connaissance, la première fois qu’est mis en place un moratoire sur un dispositif qui fonctionne ! –, tuant dans l’œuf de nombreuses entreprises qui avaient pourtant de belles perspectives de développement à moyen et à long terme.
C’est tout le contraire qu’il faut faire. Notre pays doit renouer avec l’ambition qui était la sienne après la Seconde Guerre mondiale : identifier quelques grands secteurs stratégiques pour l’avenir, et mettre en place de vraies politiques industrielles pour les soutenir sur le long terme.
Ces secteurs, nous les connaissons bien, et les sénateurs socialistes en dressent une liste indicative dans leurs propositions. Je pense notamment au secteur de la croissance verte, où se développent des produits et des processus de fabrication souvent révolutionnaires : ils sont en train de donner corps au nouveau modèle de développement économique et social que nous voulons.
Je pense tout particulièrement aux énergies nouvelles, sur lesquelles nous devons miser massivement si nous ne voulons pas, une nouvelle fois, être distancés par l’Allemagne, l’Espagne, la Chine et les États-Unis.
Je pense aussi, dans le domaine du textile, au soutien que nous pourrions apporter à ce que l’on appelle les tissus intelligents.
Je pense aussi à de grands projets d’infrastructures européens, notamment en matière ferroviaire, pour structurer le continent et favoriser le ferroutage.
Ainsi l’Europe des projets succédera-t-elle à l’Europe du rejet, en se projetant de nouveau dans l’avenir.
Et, bien sûr, il faut une gouvernance publique adaptée pour piloter les politiques industrielles, comme l’a notamment souligné notre collègue Philippe Leroy.
C’est bien pour cela, et non par idéologie ou par conservatisme, que nous plaidons pour un « acte III » de la décentralisation, en lieu et place de la réforme territoriale que vous avez voulue – je sais que le rapporteur était un peu réticent – et qui compliquera un peu plus encore le rôle des régions en matière de pilotage économique.
C’est cette gouvernance décentralisée, qui dote les collectivités des bons outils pour structurer les filières et investir dans les secteurs stratégiques, qui fait la force de l’Allemagne, beaucoup plus qu’un coût de la main-d’œuvre prétendument inférieur.
Et c’est pour cela que le projet socialiste prévoit « une nouvelle politique industrielle », avec une banque publique et des fonds régionaux d’investissement ainsi qu’une attention toute particulière prêtée à nos PME.
Mes chers collègues, ce débat au Sénat vient conclure provisoirement les travaux de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires.
Dans les mois qui viennent, la Haute Assemblée devra continuer à jouer tout son rôle sur ce dossier essentiel, parce que nous sommes la chambre haute du Parlement, et qu’il nous appartient, à ce titre, en tant qu’assemblée politique, de nous faire l’écho des préoccupations de nos concitoyens ; parce que nous sommes les représentants des collectivités territoriales et que, sans elles, sans leur concours, sans une réelle confiance placée dans les territoires de notre République, aucune ambition ne dépassera le stade des vœux pieux.