Intervention de Richard Tuheiava

Réunion du 26 septembre 2012 à 11h00
Régulation économique outre-mer — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Richard TuheiavaRichard Tuheiava :

Mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de saluer ce projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer, que porte hardiment le ministre Victorin Lurel et qui met en musique, sans plus attendre, un nouvel engagement du Président de la République française en faveur des outre-mer.

Y aurait-il une fatalité à ce que les outre-mer subissent des prix élevés, que l'éloignement de l'Hexagone ne suffit pas à expliquer ? Y aurait-il également une fatalité à ce que les mêmes causes structurelles se retrouvent sur trois océans ?

Nous, parlementaires ultramarins et hexagonaux qui nous reconnaissons dans le socialisme, nous ne pouvons pas nous plier à quelque fatalité que ce soit.

En réalité, la Polynésie française ne se distingue des autres outre-mer français que par des spécificités liées à l'histoire du Centre d'expérimentation du Pacifique, le CEP, actif entre 1963 et 1996. C'est mon tout premier message.

Cette implantation a conduit à une inexorable flambée des prix et à la mise en œuvre d'un système dans lequel l'État et les autorités locales de l'époque ont rivalisé d'inconscience.

« Il a fallu acheter la paix sociale », reconnut l'amiral Vichot en 2009, faisant écho aux propos du général de Gaulle, qui, en 1962, avait déclaré, à propos de la Polynésie française : « Il ne faudra pas regarder à l'argent. »

Alors que toutes les voix sensées – celles de René Dumont, de Simon Nora et de beaucoup d'autres – lançaient, dès les années soixante-dix, des avertissements solennels, l'État ferma les yeux sur un système fiscal reposant presque exclusivement sur la consommation et laissa une aristocratie « néocoloniale » locale bâtir des fortunes considérables, à l'abri d'une fiscalité qui lui était indolore, et mettre en place des monopoles.

La période coloniale, qui ne s'arrêta pas avec la Constitution de 1946, nous avait légué une « économie de comptoir ». Le CEP, sans la supprimer, y juxtaposa une véritable « économie de garnison », trente années durant.

Je l'affirme à cette tribune nationale, parce que j'en ressens le devoir : la Polynésie française n'avait alors et n'a encore qu'un système économique artificiel, déviant et budgétivore, dont certains, localement, espéraient qu'il serait éternel, puisqu'il les mettait, grâce à la fiscalité, à l'abri des crises et des soubresauts sociaux suscités par un peuple traditionnellement peu enclin à se plaindre.

Pourtant, cette histoire qui fut la nôtre engendra des poisons : le clientélisme et la corruption, une gabegie organisée sur fonds publics, le creusement d'un fossé de plus en plus large entre les riches et les exclus de cette économie artificielle.

Lutter contre la cherté de la vie en Polynésie, c'est donc aussi et d'abord ne plus reproduire et réalimenter ce modèle économique périmé et politiquement déviant, car ce serait là une bien grave erreur. C'est mon second message.

Les prix élevés locaux ne sont que le reflet de ce modèle sociétal devenu injuste et plus « cruel » que ne le laissent penser les images idylliques de nos côtes.

On met souvent en avant le statut d'autonomie et les compétences respectives de l'État et de la collectivité polynésienne. Mais quand l'État a eu besoin de la Polynésie, il a su contourner par la force, la ruse et l'achat certaines compétences statutaires locales. Avec ce texte, tournons ensemble, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette première page difficile de l'histoire commune entre l'État et la Polynésie.

Aujourd'hui, il est temps de remettre les pendules à l'heure, dans un esprit apaisé et d'apaisement, mais seulement au terme d'un examen de conscience politique bilatéral.

Malgré les tentatives de réformes voulues par le gouvernement polynésien en place depuis avril 2011, une partie importante de la classe politique et de la classe possédante dispose encore des moyens d'empêcher que, dans une collectivité de la République, soient appliqués les grands principes d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques qui font la fierté de la nation française.

Au travers de l'examen de ce projet de loi, que je voterai avec conviction, je vous demanderai, monsieur le ministre et, surtout, mes chers collègues, de ne plus voir la problématique de la vie chère en Polynésie française sous le seul prisme d'une lecture froide et brutale de la répartition des compétences entre le pays et l'État, mais sous l'angle de mesures ciblées, audacieuses, telles que celles que présenteront modestement mes amendements, pour aider le Gouvernement polynésien à vaincre les obstacles que l'histoire a placés devant lui.

Monsieur le ministre, je sais – vous m'avez déjà rassuré sur ce point – que vous ne serez pas celui qui, sous prétexte de respecter les compétences statutaires, aura laissé la misère et l'ignominie continuer à exercer, en Polynésie française, leur pouvoir destructeur. Vos – nos – concitoyens des antipodes savent pouvoir compter sur votre aide.

Pour ces raisons, je voterai résolument ce projet de loi, qui est devenu un peu le nôtre.

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