Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, alors que 2011 se veut l’année des outre-mer, à l’occasion de laquelle serait faite la promotion de nos territoires, et l’année pendant laquelle nos diversités, nos richesses en termes de culture, d’institutions, de développement durable, d’économie et d’entreprises seraient mises en lumière, force est de constater que le budget de cette même année fait fi de ces atouts, pis encore, exacerbe nos problèmes et nos difficultés.
À l’instar des autres départements d’outre-mer et de l’ensemble du territoire national, la Réunion subit les effets de la crise monétaire, financière et structurelle. Nous avons assisté, au début de l’année dernière, aux manifestations de cette crise structurelle, lors des mouvements sociaux ayant secoué une partie des outre-mer et sur lesquels je ne reviendrai pas aujourd’hui.
Cette double crise affecte profondément, durablement et peut-être inexorablement, si rien n’est entrepris dès maintenant, les sociétés ultramarines.
Plus qu’ailleurs, les ménages subissent de plein fouet la hausse du chômage. Cette augmentation amène le taux de chômage de la Réunion à un triste record, celui du taux le plus élevé de toute l’Union européenne, soit 29 % ! On peut comprendre que les ménages se trouvent alors dans une situation financière critique, expliquant la hausse de l’endettement.
Plus qu’ailleurs, les entreprises, inscrites dans un tissu économique déjà fragile, ne pourront résister à ces crises, conjuguées aux récentes mesures et réformes gouvernementales ou aux aléas électoraux. Avec la fin des grands travaux à la Réunion, le secteur du bâtiment et des travaux publics, dit BTP, a perdu en l’espace d’un an 22 % de ses effectifs !
Plus qu’ailleurs, les collectivités territoriales sont confrontées au besoin de rattrapage en équipements et infrastructures et à une forte demande sociale, alors que, concomitamment, leurs ressources financières diminuent.
Pour des observateurs réunionnais, cette double crise aura, à terme, de graves conséquences. Je cite la revue Perspectives économiques de la Réunion : « Dans les années qui viennent, la Réunion va traverser une crise majeure identique aux deux ou trois grandes crises qui ont façonné son histoire depuis le début du peuplement. Celle-ci ressemblera sans doute beaucoup à la crise du sucre du 19ème siècle ».
Telles sont les sombres perspectives auxquelles vous nous condamnez alors que des solutions autres, émises par les ultramarins, vous ont déjà été présentées.
De même, l’opinion publique réunionnaise est inquiète et pessimiste pour l’avenir : 81 % des Réunionnais considèrent le chômage comme la préoccupation majeure, 76 % craignent une dégradation du pouvoir d’achat et 70 % pensent que la situation économique est mauvaise. Ces indicateurs datant d’août 2010 sont à leur plus bas niveau jamais recensé jusqu’ici.
Le Gouvernement n’a pas toujours sous-estimé la situation ultramarine, ne serait-ce que dans les discours ou dans les intentions. Ainsi, nous avons eu la stratégie de croissance pour l’outre-mer, la STRACOM, présentée par votre prédécesseur, M. Yves Jégo, il y a plus de deux ans.
On nous annonçait que le Président de la République était, selon le rapport de présentation, le « porteur d’une nouvelle vision pour l’outre-mer fondée sur une volonté de croissance durable » et qu’il s’agissait « de doter nos économies ultramarines de la capacité d’affronter les grands défis de l’époque en fondant la croissance de chaque territoire sur ses singularités ».
Pour de telles ambitions, aussi louables qu’unanimement soutenues, on s’attendait à ce que le budget de l’outre-mer pour 2009-2012 connaisse une progression exceptionnelle.
Ensuite, il y a eu la loi pour le développement économique des outre-mer, dite LODEOM, les états généraux de l’outre-mer et le conseil interministériel pour l’outre-mer, le CIOM, du 6 novembre 2009, visant les mêmes objectifs.
Nous nous attendions donc à des mesures et à un budget à la hauteur de ces buts. Malheureusement, ces intentions ne sont pas suivies de faits.
Vingt et un mois après l’adoption de la LODEOM et un an après le CIOM, certaines dispositions manquent à l’appel.
Où sont les mesures de lutte pour réglementer le fonctionnement du marché, la concurrence et les prix, ainsi que pour faire baisser le coût de la vie ? Où est le développement des productions locales promis avec le développement endogène ? Quels sont les objectifs du Gouvernement et les moyens qu’il propose de mettre en œuvre pour favoriser l’insertion régionale ?
Dans la LODEOM, il était prévu que les compagnies aériennes vous transmettent avant le 1er septembre 2010 un rapport sur leur politique tarifaire. Où est ce rapport, madame la ministre ? Il en est de même de l’étude relative à l’octroi de mer.
Est prévue, en 2011, la publication par le Gouvernement d’un rapport indiquant les mesures qu’il entend prendre ou proposer pour répondre à la situation financière des communes d’outre-mer, dont les villes-capitales, jugée préoccupante du fait de la particularité de la matière fiscale. Où en est ce rapport ?
À ces questionnements qui restent en suspens, s’ajoutent un budget aujourd’hui en diminution pour les outre-mer et, de fait, un désengagement du Gouvernement, bien que vous vous appliquiez, madame la ministre, à soutenir que tel n’est pas le cas.
Ainsi, les crédits de l’État pour l’outre mer, s’élevant à 16 milliards d’euros, subissent une baisse de 150 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 300 millions d’euros en crédits de paiement.
Ceux de la mission « Outre-mer » diminuent par rapport à 2010 de 0, 55 % pour les autorisations d’engagement et de 2, 28 % pour les crédits de paiement.
Cette mesure drastique n’épargne aucun domaine, même les secteurs névralgiques considérés comme prioritaires par la LODEOM.
Ainsi, concernant le logement social, vous maintenez l’illusion de crédits constants quand les crédits de paiement ne cessent de diminuer. Vous nous annoncez, madame la ministre, des crédits de 274 millions d’euros en autorisations d’engagement pour 2011, et ce jusqu’en 2013, alors que, conjointement, les crédits de paiement diminuent de 21 millions d’euros de 2010 à 2011.
Or, vous n’êtes pas sans savoir le besoin urgent de logements sociaux en outre-mer. À la Réunion, 22 600 familles sont dans l’attente d’un logement social. Tous les ans, sur les 6 500 nouveaux ménages, plus de 70 % relèvent du logement social.
Cette année, toutes les dotations de la ligne budgétaire unique, ou LBU, affectées à la Réunion ont été utilisées pour la construction de 3 000 logements. Pourtant, 2 000 logements supplémentaires auraient pu être livrés si la demande d’une rallonge de 20 millions d’euros avait été acceptée.
En outre, quelques mois seulement après l’adoption de la LODEOM, les bailleurs sociaux vous ont alertée, madame la ministre, sur les problèmes de la mise en application de la défiscalisation. Lors de votre rencontre en novembre dernier, vous avez annoncé la rédaction d’une nouvelle circulaire. Pouvez-vous nous assurer que cette dernière verra le jour très prochainement et mettra fin aux incertitudes juridiques et aux obstacles administratifs freinant l’instruction des dossiers en attente d’agrément fiscal ?
Bercy est-il prêt à clarifier les modalités de financement du logement social par la défiscalisation, qui doit rester un complément à la LBU et non se substituer à elle ?
Le Fonds régional d’aménagement foncier et urbain, le FRAFU, se voit appliquer le même traitement : 32, 5 millions d’euros en autorisations d’engagement mais seulement 25, 7 millions d’euros en crédits de paiement. Idem pour la résorption de l’habitat insalubre, la RHI.
Le risque de voir l’État contracter des dettes auprès des opérateurs du logement est bien présent.
Aucun secteur n’est épargné par cet abaissement de crédits. Dans le programme Emploi outre-mer, les crédits de paiement destinés au soutien aux entreprises diminuent de 1, 7 %. Jusqu’à hier, il était question que les contrats aidés subissent eux aussi une coupe sévère, puisque le Gouvernement, avec assurance et aveuglement, décide de baisser leur financement de plus de 40 millions d’euros sur un an et de 100 millions d’euros sur deux ans.
Mais, de passage à la Réunion, vous annonciez 1 800 contrats supplémentaires. Est-ce pour la fin de cette année, ou pour 2011, ou jusqu’à 2014 ?
Cet assèchement budgétaire est également dû au rabotage de la défiscalisation des investissements productifs réalisés outre-mer, représentant un crédit pour l’État de plus de 300 millions d’euros pour l’année 2011.
Lors des débats à l’Assemblée nationale, sur ce même texte, vous avez rappelé l’annonce par le Président de la République, dans la convention outre-mer, de sa volonté de corriger les effets d’aubaine de la défiscalisation, qui, selon le Gouvernement, doit se faire par des mesures radicales, au risque de voir disparaître une filière porteuse d’emplois, d’innovation et d’ambition environnementale : je veux bien sûr parler du photovoltaïque.
Tout cela, madame la ministre, nous pousse à nous interroger sur l’efficacité des mesures classiques utilisées jusqu’à présent pour tenter de résoudre nos problèmes. Ne sommes-nous pas arrivés à la fin d’un cycle où les méthodes classiques, qui reposent sur un peu plus ou un peu moins de défiscalisation, apparaissent comme totalement inopérantes ?
Même si votre budget ne baissait pas et s’il augmentait de 5 ou 10 %, ou plus, ce qui n’est évidemment pas le cas, nos problèmes auraient-ils, pour autant, été résolus ?
Aussi, madame la ministre, le moment n’est-il pas venu de réfléchir à un autre mode de développement pour tout l’outre-mer ?
Telles sont, madame la ministre, les remarques que je voulais formuler à l’occasion du débat sur le budget de la mission « Outre-mer ». Il est évident que cela ne pousse pas à l’optimisme ni à la confiance. Et comme les mesures de rigueur perdureront encore au moins trois ans, on comprend l’inquiétude qui s’empare de la population et des jeunes en particulier, de plus en plus en proie au désespoir et à la colère.