Intervention de Stéphane Mazars

Réunion du 1er octobre 2012 à 21h30
Débat sur la réforme de la carte judiciaire

Photo de Stéphane MazarsStéphane Mazars :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je me réjouis que, parmi les services publics qui bénéficieront d’un effort budgétaire, figure celui de la justice. Je me réjouis aussi que la justice illustre, depuis le mois de mai dernier, un véritable changement dans notre pays.

La réforme de la carte judiciaire était sans aucun doute nécessaire, mais, comme l’ont parfaitement exprimé Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne dans le titre de leur excellent rapport, ce fut « une occasion manquée » ; manquée, car cette réforme a été menée, certains l’ont déjà dit, « à la hussarde », c’est-à-dire très rapidement et sans véritable concertation, notamment avec les acteurs locaux ; manquée, car les auteurs de cette réforme ont considéré que la taille dite « suffisante » d’un tribunal était le critère essentiel pour garantir une justice de qualité.

Je représente un département, l’Aveyron, où ce rendez-vous a été particulièrement manqué, car ce département est le plus touché par la réforme. En effet, pas moins de cinq juridictions y ont été supprimées : le tribunal de grande instance de Millau, les tribunaux d’instance de Villefranche-de-Rouergue, d’Espalion et de Saint-Affrique, le conseil de prud’hommes de Decazeville. Je pourrais ajouter à cette liste de suppressions la juridiction d’instruction, en matière criminelle pour l’instant, et dans toutes les affaires à partir du 1er janvier 2014.

Dans mon département, comme dans beaucoup d’autres, la réforme a été conduite sans prendre en compte le critère de proximité. C’est ainsi que les caractéristiques géographiques des territoires, l’état des transports publics ou encore la fragilité, voire la précarité de la population n’ont pas été mesurés par l’ancien gouvernement. Or nous savons tous que la distance ainsi créée entre le justiciable et son juge, même pour un seul rendez-vous, est préjudiciable à l’œuvre de justice.

Le nombre de saisine des tribunaux de grande instance, notamment en matière civile, c’est-à-dire avec constitution d’avocat obligatoire, est d’ailleurs en diminution dans les départements touchés par la réforme, comme le souligne le rapport sénatorial.

J’insisterai, madame la garde des sceaux, sur le fait que la qualité de l’accès au juge et même les droits de la défense sont également mis à mal, notamment pour les plus faibles, car l’assistance à un procès dans le secteur aidé – c’est-à-dire celui couvert par l’aide juridictionnelle ou par les assureurs, dans le cadre des contrats de protection juridique – n’est plus économiquement possible pour certains auxiliaires de justice, pourtant choisis par leur client, en raison même de cet éloignement entre leur cabinet et le lieu de traitement judiciaire des dossiers.

Il est par ailleurs évident que les mesures palliatives, telles que les maisons de la justice et du droit, ou encore les audiences foraines, sont, pour les premières, soit inexistantes, soit inadaptées aux besoins et aux capacités des usagers – elles sont de plus souvent à la charge des collectivités locales – et, pour les secondes, précaires, puisqu’elles dépendent de la volonté des présidents de cour d’appel et des moyens qu’ils accordent.

En outre, comme l’indique le rapport, la situation a été aggravée par d’autres réformes judiciaires concomitantes, telles que la création des pôles de l’instruction, qui, dans mon département par exemple, peut conduire la victime de faits considérés comme les plus graves, à savoir, un crime, à effectuer plus de 350 kilomètres aller-retour, soit quatre heures trente de trajet, pour rencontrer son juge. Pour celle qui ne dispose pas de véhicule – parce qu’il y en a ! –, il lui est alors infligé un périple aller-retour en train de huit à douze heures, entre l’Aveyron et le pôle de l’instruction de Montpellier.

Madame la garde des sceaux, des adaptations à nos territoires sont aujourd’hui indispensables. La création de la juridiction départementale de première instance, avec des chambres délocalisées ou la création de nouveaux pôles, notamment dans les juridictions isolées du groupe 4 qui en sont aujourd’hui dépourvues, peuvent-elles répondre à l’exigence de conciliation entre, d’une part, la rationalisation des moyens de l’État et, d’autre part, un maillage cohérent de notre institution judiciaire pour régler et pacifier les rapports sociaux ?

Voilà autant de pistes à explorer, et la représentation nationale est disposée à s’associer à ce travail. À l’heure où l’image de notre justice est en pleine restauration, grâce notamment à votre action, encore faut-il que cette image soit visible par tous et en tous lieux !

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