Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 1er octobre 2012 à 21h30
Débat sur la réforme de la carte judiciaire

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, comme cela vient d’être maintes fois rappelé par les précédents orateurs, personne ne conteste la nécessité de cette réforme, qui tendait à revenir sur l’inadaptation d’une carte judiciaire dont les bases dataient de la Révolution. Il s’agissait de créer des juridictions disposant d’une activité et d’une taille suffisantes pour renforcer la qualité et l’efficacité de la justice sur l’ensemble du territoire et réaliser des économies d’échelle.

Engagée en juin 2007 par le garde des sceaux de l’époque et pour répondre à une commande présidentielle, la refonte de la carte judiciaire a pris fin le 1er janvier 2011, aboutissant à la suppression de près d’un tiers des juridictions. Faut-il considérer, à ce seul titre, que le pari est réussi ? Bien évidemment, non ! Car cette ambition exclusivement comptable a porté un très mauvais coup au service public de la justice, comme le montre l’excellent rapport de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et de M. Yves Détraigne, qui dresse un bilan contrasté des modalités et des effets de cette réorganisation massive de la justice et pointe du doigt les nombreux problèmes qui ont découlé des défauts de conception initiaux de la réforme.

En effet, la préparation de la réforme, intégralement mise en œuvre par décret, et son passage en force ne laissaient rien présager de bon. Le processus de concertation qui avait été engagé a été brutalement interrompu, après une seule réunion de l’instance de consultation nationale sur le sujet, donnant lieu à de nombreux mouvements de protestation des professionnels. L’importance d’une telle refonte justifiait pourtant de les y associer pleinement.

Les acteurs de la justice ont également critiqué le manque de cohérence entre les objectifs affichés de la réforme et les critères effectivement retenus. En effet, il est apparu, dans certains cas, que des pressions politiques locales avaient pesé davantage que les considérations démographiques ou géographiques dans les choix relatifs à la suppression d’une juridiction.

Cette réforme n’a pas non plus pris en compte la spécificité des territoires, et le regroupement de certains tribunaux a rendu l’accès à la justice difficile pour nombre de justiciables, principalement les plus vulnérables, les décourageant souvent d’entreprendre ou de poursuivre leurs actions. Force est de constater qu’elle a surtout pénalisé les zones rurales, car, à Paris, les tribunaux d’instance ont été maintenus dans chaque mairie d’arrondissement. Pourtant, ceux-ci sont peu éloignés les uns des autres et n’assurent pas non plus toujours une ouverture quotidienne au public.

Autre conséquence directe de cet éloignement : les délais de jugement des affaires ont augmenté, faute de transferts suffisants de personnel. Certes, l’implication des personnels, notamment via la mise en place d’audiences foraines, a pu permettre de faire face à l’accroissement de l’activité, mais au prix d’une dégradation considérable de leurs conditions de travail et de vie !

Enfin, le rapport a montré que le coût de gestion du patrimoine immobilier de la justice devrait sans doute baisser à terme. Mais, pour le moment, le regroupement de juridictions s’est parfois traduit par l’abandon de bâtiments prêtés gracieusement à l’administration judiciaire et par la nécessité de louer à prix fort de nouveaux locaux dans les juridictions d’accueil ou d’entamer des travaux d’extension.

Pour conclure, je regrette sincèrement que la réforme n’ait que très peu concerné les outre-mer, même si, au vu de tous ces éléments négatifs, je devrais plutôt me réjouir qu’elle ne les ait pas affectés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion