Intervention de Isabelle Debré

Réunion du 2 octobre 2012 à 9h30
Débat sur l'application de la loi pour l'égalité des droits et des chances la participation et la citoyenneté des personnes handicapées

Photo de Isabelle DebréIsabelle Debré, rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Claire-Lise Campion a présenté les principaux constats que nous avons effectués et les principales propositions que nous avons formulées en matière de compensation et d'accessibilité. Je vais, pour ma part, évoquer la question de la scolarisation des enfants handicapés et celle de la formation et de l'emploi des personnes handicapées.

La loi du 11 février 2005 reconnaît à tout enfant handicapé le droit d'être scolarisé dans l'école de son quartier ; la scolarisation en milieu ordinaire constitue le droit commun et le parcours de scolarisation repose sur une approche globale et pluridisciplinaire mise en œuvre par la maison départementale des personnes handicapées, à travers le projet personnalisé de scolarisation.

Cinq ans après la mise en application effective de la loi, le constat est unanime : un réel mouvement d'ouverture de l'école de la République sur le monde du handicap s'est opéré. Preuve en est l'augmentation d'un tiers du nombre d'enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire depuis 2006, soit 55 000 enfants supplémentaires accueillis.

Ces bons résultats doivent cependant être nuancés car, selon le rapport de notre ancien collègue Paul Blanc, 20 000 enfants handicapés demeureraient sans solution de scolarisation. La récente rentrée scolaire a été l'occasion pour les représentants associatifs de rappeler que de nombreux enfants sont encore laissés sur le bord du chemin.

J'insiste toutefois sur le fait que ce chiffre est à prendre avec précaution dans la mesure où il n'existe pas d'outil statistique national permettant de chiffrer précisément le nombre d'enfants handicapés scolarisables. Vous en conviendrez, madame la ministre, il est urgent que les pouvoirs publics s'attèlent à l'élaboration d'un tel outil.

Par ailleurs, cette avancée quantitative indéniable ne s'est pas accompagnée d'une avancée qualitative de même ampleur.

Nous avons tout d'abord constaté une extrême diversité des situations vécues par les familles selon les départements : les temps hebdomadaires de scolarisation sont très aléatoires et les projets personnalisés de scolarisation sont de qualité hétérogène, voire inexistants.

Nous nous sommes ensuite rendu compte de l'existence de ruptures fréquentes dans les parcours de scolarisation en raison de la difficulté à poursuivre la scolarité en milieu ordinaire dans le second degré et d'un accès encore très limité à l'enseignement supérieur.

Enfin, nous avons relevé un important point noir : l'échec de l'accompagnement en milieu ordinaire. Le recours croissant aux assistants de vie scolaire individuels – AVSI – insuffisamment formés et embauchés avec des contrats précaires ne permet pas de répondre de manière pertinente aux besoins.

Le ministre de l'éducation nationale a annoncé le recrutement de 1 500 AVSI pour cette rentrée. Certes, il s'agit en apparence d'une bonne nouvelle, mais le problème ne se résume pas aux seuls effectifs. Nous devons aussi et surtout stabiliser les conditions d'intervention de ces personnels et leur offrir un cadre d'emploi pérenne.

Par ailleurs, il faut noter que l'insuffisante formation des enseignants les laisse souvent démunis face au handicap d'un élève.

Enfin, une dernière difficulté doit être promptement surmontée : il existe un manque patent de coopération entre le secteur médico-social et l'éducation nationale, qui se caractérise par un cloisonnement des filières très préjudiciable à la qualité de la prise en charge.

À partir de ce constat, nous formulons plusieurs propositions : l'élaboration d'un outil statistique national permettant d'évaluer précisément le nombre d'enfants handicapés non scolarisés ; la mise en place de référentiels communs entre académies et entre MDPH afin d'harmoniser les pratiques et, ainsi, de garantir l'équité de traitement sur le territoire ; la réactivation du groupe de travail sur les AVS – je crois que cela fait partie de vos projets, madame la ministre –, afin de définir un véritable cadre d'emploi et d'améliorer leurs débouchés professionnels ; le renforcement de la problématique du handicap dans la formation initiale et continue de tous les enseignants ; enfin, la promotion de la coopération entre les sphères médico-sociale et éducative.

Sur tous ces sujets, madame la ministre, nous aimerions connaître les intentions du Gouvernement.

Avant d'en venir à la dernière partie de notre rapport, je souhaiterais dire quelques mots sur le déplacement que ma collègue Claire-Lise Campion et moi-même avons effectué en Belgique.

Vous le savez, l'autisme est déclaré « grande cause nationale 2012 ».

Si nous ne pouvions matériellement pas traiter ce sujet dans son intégralité, nous tenions à nous rendre sur place afin de comprendre pourquoi de plus en plus d'enfants autistes français sont scolarisés dans des établissements belges.

Contrairement à la France, qui a fait de la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire une priorité, la Belgique a privilégié la voie de l'enseignement spécialisé, même si l'intégration dans l'enseignement ordinaire y existe aussi. Dans les écoles d'enseignement spécialisé, comme celle que nous avons visitée en zone transfrontalière, les enfants sont accueillis dans des classes à petit effectif et encadrés par deux intervenants : un enseignant spécialisé et un professionnel paramédical.

Plusieurs raisons expliquent pourquoi 3 000 enfants français sont aujourd'hui scolarisés dans de tels établissements.

Tout d'abord, la prise en charge est centrée sur les besoins spécifiques de chaque enfant. Ensuite, les équipes éducatives, particulièrement bien formées, font preuve d'un grand pragmatisme en recourant à différentes méthodes d'apprentissage – programmes TEACCH ou ABA, par exemple. Enfin, l'enfant et ses parents sont accompagnés et conseillés tout au long du parcours scolaire par un service spécialisé.

Comme nous avons pu le constater, les progrès réalisés par les enfants sont tout à fait remarquables : des petits arrivés à l'école dans un état très grave parviennent, quelques mois plus tard, à communiquer, à participer à des activités, à ne plus être effrayés par la présence d'autrui, voire, pour certains, à tenir une conversation.

Bien sûr, il ne s'agit pas ici d'ériger la Belgique en modèle, mais simplement d'enrichir notre réflexion et, pourquoi pas, de lancer des pistes de réforme.

J'en viens maintenant à la formation et à l'emploi des personnes handicapées.

La loi de 2005 consacre un changement de paradigme s'agissant de l'emploi des personnes handicapées : jusqu'alors appréhendé à partir de l'incapacité de la personne, il s'apprécie désormais à partir de l'évaluation de ses capacités. L'intégration professionnelle des personnes handicapées est dorénavant un élément à part entière de leur citoyenneté.

Dans la continuité de la loi du 10 juillet 1987, la loi « handicap » maintient l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés pour tous les employeurs, privés et publics, ayant vingt salariés ou plus, dans la proportion de 6 % de l'effectif total, tout en leur permettant de répondre à cette exigence selon diverses modalités.

Surtout, elle étend aux employeurs publics le dispositif de contribution annuelle financière pour compenser le non-respect de l'obligation d'emploi, en créant le fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.

La loi prévoit par ailleurs la mise en œuvre de politiques régionales concertées d'accès à la formation et à la qualification professionnelles des personnes handicapées et charge les MDPH d'évaluer leur employabilité et de les orienter vers le marché du travail.

Certes, cette politique à la fois incitative et coercitive porte ses fruits. Malgré tout, le taux d'emploi demeure en deçà de l'objectif des 6 % : il ne s'établit qu'à 2, 7 % dans le privé et à 4, 2 % dans le public. Le taux d'emploi global des personnes handicapées est, quant à lui, nettement inférieur à celui de l'ensemble de la population en âge de travailler – 35 % contre 65 % – et le taux de chômage est deux fois plus important – 20 % contre 10 %.

Le principal obstacle identifié pour l'accès et le maintien dans l'emploi des personnes handicapées est leur faible niveau de qualification : en effet, 83 % d'entre elles ont aujourd'hui une qualification égale ou inférieure au CAP ou au BEP.

C'est pourquoi nous insistons sur la nécessité de relever le niveau de qualification des personnes handicapées. Cela suppose, d'une part, d'agir prioritairement en direction des jeunes, en leur permettant d'accéder aux études supérieures, en les informant mieux sur les parcours d'études possibles et en les rapprochant du monde de l'entreprise. Cela suppose, d'autre part, de leur permettre un réel accès à la formation professionnelle, en rendant les lieux et le contenu des formations accessibles, en accompagnant les travailleurs handicapés tout au long de leur parcours professionnel et en accélérant la mise en œuvre des politiques régionales concertées.

Enfin, nous devrons encourager les entreprises à mettre en œuvre des actions positives comme l'aménagement des postes de travail, la prévention des licenciements pour inaptitude ou encore l'amélioration de la qualité des accords exonératoires.

Vous le voyez, mes chers collègues, jamais une loi n'aura à ce point structuré l'ensemble d'une politique publique. De l'avis de tous, la loi du 11 février 2005 est une très belle loi. Elle affirme de grands principes tout en posant les jalons pour mettre en œuvre une politique forte en faveur des personnes handicapées.

Certes, des avancées significatives ont été réalisées dans tous les domaines mais, comme toute réforme ambitieuse, le bilan reste, sept ans après, en deçà des espoirs que la loi avait initialement soulevés. Comme nous l'ont très justement fait remarquer plusieurs acteurs du secteur, « la loi de 2005 reste à déployer ». §

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