Intervention de Michelle Meunier

Réunion du 2 octobre 2012 à 9h30
Débat sur l'application de la loi pour l'égalité des droits et des chances la participation et la citoyenneté des personnes handicapées

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux remercier à mon tour nos collègues Claire-Lise Campion et Isabelle Debré pour la qualité du rapport d'information qu'elles ont préparé au sein de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, présidée par David Assouline.

Voter des lois est important ; en vérifier l'application est tout aussi nécessaire.

Nous voici à l'heure du premier bilan de la loi du 11 février 2005, dite « loi handicap ». Où donc en sommes-nous ?

La loi était ambitieuse, le bilan est mitigé. Il pouvait difficilement en être autrement. Mais ce bilan nous montre surtout dans quelle voie il faut poursuivre.

Je parlerai d'abord de la petite enfance, puis de la scolarisation, en insistant sur la continuité qui existe dans le parcours de vie de l'enfant et de sa famille.

L'arrivée dans une famille d'un enfant porteur de handicap est souvent source d'inquiétude, voire d'angoisse quant à son évolution et à son devenir. C'est aussi une charge importante pour les parents qui accompagnent leur enfant au quotidien. Les familles nous le disent : leur emploi du temps est très largement consacré à leur enfant, aux consultations médicales, aux bilans, aux accompagnements pour la scolarisation et aux activités adaptées, si l'enfant a la chance d'en bénéficier.

Beaucoup de mères cessent leur activité professionnelle pour prendre en charge l'enfant porteur de handicap ; pour la famille, c'est souvent un salaire en moins, alors même que les frais à sa charge augmentent. Parfois aussi, des couples se séparent ou des fratries sont mises à mal.

Je ne veux pas peindre un tableau trop noir, car de nombreuses familles rebondissent, se mobilisent, militent pour faire avancer leur situation et celle des autres. Mais il faut bien reconnaître que leur parcours est tout de même plus difficile au quotidien et dans la durée que celui des autres familles.

La loi du 11 février 2005 a suscité beaucoup d'espoir dans ces familles, celle-ci pensant qu'elle leur offrirait enfin des réponses adaptées à la prise en charge à long terme de leur enfant et qu'elle leur permettrait de vivre comme des familles presque ordinaires.

Bien sûr, tout n'est pas négatif dans les cinq premières années de mise en place de cette loi globale et ambitieuse, nous nous devons tout de même de constater que le chantier reste colossal.

Tout d'abord, sur la prise en compte des familles et du projet individualisé pour l'enfant, le rapport constate de nettes insuffisances. Pour que l'enfant et sa famille soient placés au cœur du dispositif, il faut impulser, voire imposer, un changement dans les mentalités et dans les cultures professionnelles.

En effet, la famille est toujours centrale dans l'accompagnement de l'enfant ou du jeune. C'est sur elle que tout repose, il faut bien le dire. Nous en avons la preuve dans nos départements lorsque l'aide sociale à l'enfance doit parfois prendre le relais auprès d'enfants présentant un handicap, et ce n'est pas simple !

Il faut être très attentif dans la période d'annonce du handicap, car c'est à ce moment crucial et difficile que des obstacles peuvent survenir, mais aussi être dépassés. Ces obstacles trouvent le plus souvent leur source dans l'incompréhension, la culpabilité et la colère. Il faut permettre aux parents de s'exprimer, de poser leurs questions, pour que leur regard sur leur enfant devienne bienveillant, autant qu'il est possible, et que chacun trouve peu à peu sa place. Il faut passer du « Pourquoi le handicap ? » à « Comment allons-nous accompagner notre enfant ? »

Le rôle des professionnels des maternités, des centres de protection maternelle et infantile et des centres d'action médico-sociale précoce dans les départements est, à ce titre, déterminant. Il faut pouvoir mobiliser aussi ces services lors de l'annonce d'un handicap acquis ou découvert plus tardivement. La cellule familiale doit tenir bon autour de l'enfant ; il y va de l'intérêt de l'enfant, de sa famille et de la société tout entière.

Ensuite, vient le temps social, où la famille se confronte, au-delà des discours d'intention, aux réalités locales de l'accueil des enfants ayant des besoins spécifiques. La nécessité du « sur mesure » se heurte à nos dispositifs normés.

L'accueil en structure collective ou chez une assistante maternelle est la première épreuve pour les familles. Il en va de même pour les structures de loisirs. Pourtant, des solutions existent, élaborées ici et là en France à partir de la volonté et de l'intelligence des professionnels et des familles, et avec le soutien des collectivités locales. Il serait intéressant, madame la ministre, de pouvoir faire connaître ces montages, par exemple sur un forum dédié, placé sous la responsabilité de votre ministère.

À ce titre, il me semble aussi que les maisons d'assistantes maternelles pourraient jouer un rôle non négligeable dans la construction de réponses locales individualisées en matière d'accueil de la petite enfance, moyennant la formation de ces professionnelles volontaires et une petite réduction du nombre d'enfants accueillis en recherchant le moyen de prendre en charge financièrement une partie du manque à gagner qui en résulterait.

L'enfant, déjà habitué à un petit collectif, pourrait aborder sa scolarisation avec des acquis et moins de difficultés. Il pourrait être scolarisé à temps partiel tout en restant, dans un premier temps, à la maison d'assistante maternelle l'après-midi. Il en irait de même pour un enfant dont les difficultés exigent une orientation vers une structure spécialisée. Il s'agirait d'un temps d'observation et de première socialisation très utile en matière d'orientation scolaire de l'enfant.

Aujourd'hui, il est très difficile de trouver des solutions d'accueil permanent ou occasionnel pour des enfants en situation de handicap. Je fais ici le lien avec la volonté de Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille, de relancer ce grand chantier de l'accueil de la petite enfance. N'oublions pas les enfants en situation de handicap. Des volontés et des compétences existent ; il nous faut donc pouvoir les mobiliser.

La loi de 2005 prévoit la scolarisation comme étant le droit commun. L'affirmation de ce principe a déjà fait bouger les lignes, comme on le constate dans le rapport, du moins d'un point de vue numérique. C'est un début encourageant, car il a permis de démontrer que l'intégration est possible.

Toutefois, je ne suis pas la première à le dire, nous devons rester réalistes et faire preuve de ténacité, car les obstacles sont encore nombreux. Ils tiennent en très grande partie à des résistances de cultures professionnelles cloisonnées et peu formées à la transversalité. Ils s'illustrent notamment par la trop grande faiblesse dans la collaboration avec l'enfant et sa famille. C'est, en vérité, le constat qui m'a le plus choqué à la de ce rapport.

Selon l'Association pour adultes et jeunes handicapés, seulement 30 % des enfants bénéficieraient d'un projet personnalisé de scolarisation, et ceux-ci sont parfois établis sans consultation préalable des parents, alors que la loi l'exige ! Nous sommes loin du compte en matière de respect de l'enfant et de sa famille.

Comment peut-on ignorer à ce point qu'il est essentiel de rechercher des solutions avec la famille ? Celle-ci est bien souvent la meilleure spécialiste, car elle connaît le détail de la vie quotidienne de l'enfant, ses capacités, et l'accompagne, parfois jour et nuit, le plus souvent 365 jours par an. Bien sûr, on nous dira que certaines familles « étouffent » leur enfant handicapé ou pensent à sa place. C'est une raison supplémentaire pour impliquer l'enfant et sa famille, et faire évoluer cette situation dans l'intérêt de l'enfant.

Il nous faut donc renforcer la formation des professionnels par des rencontres et des apports des représentants des familles et de leur association, afin que celles-ci soient entièrement associées à toutes les étapes de l'intégration de l'enfant et du jeune.

La formation des enseignants, des professionnels des RASED et du périscolaire aux réalités des différents handicaps et au partenariat interinstitutionnel devrait pouvoir renforcer leur capacité d'intégrer des enfants différents au sein des groupes d'élèves. Nul doute que les futures créations de postes annoncées récemment par le ministre de l'éducation nationale constitueront autant de chances pour la prise en compte des enfants et des jeunes ayant des besoins spécifiques dans tous les cycles de scolarisation.

L'autre défi est de donner de la souplesse à nos dispositifs, pour les adapter aux besoins spécifiques. L'exemple de la Belgique, cité dans ce rapport, est, à ce titre, très intéressant du point de vue des différentes modalités d'intégration des enfants autistes.

Il s'agit de répondre aux besoins de l'enfant et non de répondre, comme trop souvent encore chez nous, par une scolarisation à temps très partiel, faute d'autre solution. Il nous faut construire localement, avec le concours de tous les acteurs concernés par le projet personnalisé de scolarisation, des solutions souples et évolutives qui prennent également en compte les besoins de transport, d'accueil périscolaire notamment, cela a été dit.

Je ne reviens pas sur la nécessité de former et de professionnaliser les assistants de vie scolaire ; la démonstration en est faite dans ce rapport.

Nous sommes contraints de poursuivre la tâche avec détermination de sorte que les 20 000 enfants et jeunes sans solution – pour peu que ce chiffre soit exact, tant la statistique est défaillante dans ce domaine – trouvent une solution correspondant à leurs besoins d'intégration sociale et scolaire.

Les trois quarts de ces jeunes sont en établissement et un quart, soit 5 000, seraient chez leurs parents, en attente de solution...

Ces situations doivent mobiliser prioritairement les MDPH et l'éducation nationale, afin que ces jeunes et leurs proches ne se sentent pas abandonnés par nos institutions.

Il me semble nécessaire, tant le chantier est important, d'inscrire un nouveau rendez-vous dans trois ou cinq ans, afin de faire le point sur l'évolution de la situation. En effet, il nous faut maintenir la vigilance et la volonté politique pour lutter contre les discriminations liées aux handicaps.

Madame la ministre, j'en suis convaincue, chaque fois que, d'une manière ou d'une autre, nous permettons à un enfant, à un adulte, de s'intégrer, au mieux de ses possibilités, dans notre vie sociale, scolaire et professionnelle, cela constitue une victoire sur l'injustice. Alors continuons à construire ensemble notre projet social vers toujours plus d'égalité ! §

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