Intervention de René Teulade

Réunion du 2 octobre 2012 à 9h30
Débat sur l'application de la loi pour l'égalité des droits et des chances la participation et la citoyenneté des personnes handicapées

Photo de René TeuladeRené Teulade :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, pour ma part, après tout ce qui vient d'être dit, je concentrerai mon intervention sur l'emploi des personnes handicapées depuis la promulgation de la loi de 2005 en vue de dresser un bilan, puis j'essaierai de vous faire part, de manière synthétique, de l'expérience que j'ai tirée des différentes responsabilités que j'ai pu exercer dans ce domaine.

De manière générale, la situation de l'emploi des personnes handicapées n'est pas satisfaisante. Pour preuve, leur taux d'emploi est presque deux fois moindre que celui de l'ensemble de la population en âge de travailler : 35 % contre 65 %. Certes, leur taux d'activité est plus faible – 44 % contre 71 % –, mais leur taux de chômage est le double de celui de la population active : il s'établit à 20 %.

Aussi, bien que l'effet de la crise économique sur l'emploi des personnes handicapées soit difficilement mesurable, il faut souligner qu'en 2011, le nombre de demandeurs d'emploi handicapés a augmenté de 13, 9 %, tandis que cette hausse a été de 5, 3 % pour l'ensemble des demandeurs d'emploi.

Comme bien souvent, ce sont les plus vulnérables qui sont les premiers affectés par les crises, que ce soient les personnes handicapées, celles qui sont en situation d'extrême précarité, les jeunes ou les seniors.

Pour autant, depuis la promulgation de la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le tableau est moins sombre et ressemble davantage à un clair-obscur.

À titre liminaire, rappelons, d'une part, que la loi de 2005 a maintenu l'obligation d'employer 6 % de travailleurs handicapés pour toute entreprise dont l'effectif atteint ou dépasse vingt salariés et, d'autre part, que, tout en préconisant des mesures incitatives, elle a étendu à la fonction publique le dispositif coercitif de contribution annuelle afin de compenser le non-respect de cette obligation en créant le fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique.

Toutefois, si secteur public et secteur privé sont soumis depuis 2005 à un mécanisme de sanction identique dans l'hypothèse où ils ne respecteraient pas l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés – ou OETH –, de fortes disparités subsistent.

En effet, dans le privé, le taux d'emploi des personnes en situation de handicap a augmenté de 0, 4 point entre 2006 et 2009. Cependant, d'après l'analyse effectuée par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, cette évolution positive résulte principalement d'un changement des modalités de décompte des bénéficiaires de l'OETH. À périmètre constant, sur la même période, leur taux d'emploi n'aurait progressé que de 0, 1 point !

Néanmoins, les établissements privés ont effectué de réels progrès. À titre d'exemple, la proportion d'entreprises à quota zéro, c'est-à-dire n'employant aucune personne handicapée soit directement ou indirectement et n'ayant pas signé d'accord exonératoire, est passée de 35 % en 2006 à 11 % en 2009.

L'application, pour la première fois en 2009, de la pénalité financière prévue par la loi de 2005 a donc eu l'impact escompté, dissuadant les entreprises de ne pas se conformer aux dispositions en faveur de l'emploi des personnes handicapées.

À cet égard, on peut considérer que la mise en œuvre de mesures coercitives, par leur caractère dissuasif, a eu un effet bénéfique. Lors de l'examen de la proposition de loi relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, discutée dans cet hémicycle l'hiver dernier, mes collègues de la majorité et moi-même avions d'ailleurs défendu des dispositifs analogues en vue de contraindre les employeurs à appliquer le principe d'égalité salariale sous peine de sanctions financières.

Quand une inégalité de traitement injustifiée perdure, que l'incitation et la pédagogie ne parviennent malheureusement pas à remédier à l'injustice, il convient d'agir différemment ; il ne s'agit aucunement de punir, il s'agit au contraire d'éduquer.

Cette parenthèse étant refermée, focalisons-nous sur l'emploi des personnes handicapées dans le secteur public. Entre 2006 et 2009, leur taux d'emploi y a grimpé de 0, 5 point pour s'établir à 4, 2 %. Par conséquent, ce dernier apparaît plus élevé que dans le privé.

Pour autant, il est nécessaire d'étudier ces chiffres avec précaution. En effet, dans une communication en date du 29 février 2012, la Cour des comptes a alerté les pouvoirs publics sur la différence de traitement entre secteur public et secteur privé en matière d'insertion professionnelle des personnes handicapées.

Tout d'abord, le mode de calcul des bénéficiaires de l'OETH favorise la majoration du taux d'emploi des personnes handicapées dans la fonction publique. Sont ainsi comptabilisés au titre de l'OETH les titulaires d'un emploi réservé, les agents bénéficiant d'une allocation temporaire d'invalidité et les agents reclassés.

Ce phénomène a pour conséquence de gonfler un peu artificiellement les statistiques en matière d'emploi des personnes handicapées, et donc de masquer la réalité de la situation.

En outre, certaines administrations sont d'office exemptées de l'OETH sur le seul fondement de leur statut juridique. C'est notamment le cas des autorités administratives indépendantes, des diverses juridictions, des institutions étatiques telles que la présidence de la République ou même des assemblées parlementaires.

La Cour conclut ainsi : « Ce constat appelle une clarification indispensable du champ d'application de l'obligation d'emploi au sein du secteur public, qu'il s'agisse d'institutions de l'État ou de certains organismes sui generis. »

Il semble d'autant plus impérieux d'appeler à cette clarification que la fonction publique a un devoir d'exemplarité en matière d'emploi des personnes en situation de handicap. Il serait incompréhensible et même intolérable que les autorités publiques prônent, à juste raison, une meilleure insertion professionnelle des personnes handicapées, tout en affranchissant certaines institutions et administrations de l'OETH. À l'avenir, il est donc impératif que le champ d'application de celle-ci soit le plus large possible et englobe l'ensemble des entités qui constituent le secteur public.

De surcroît, il faut bien avoir conscience que les difficultés d'accès à l'emploi des personnes handicapées se cumulent. Le profil des demandeurs d'emploi handicapés, établi par Pôle emploi en 2011, démontre ainsi que 53 % sont des chômeurs de longue durée – 39 % pour l'ensemble des demandeurs d'emploi –, que 41 % ont cinquante ans et plus – 19 % pour l'ensemble des demandeurs d'emploi –, que 83 % sont peu ou pas qualifiés – 58 % pour l'ensemble des demandeurs d'emploi.

Au regard de ces éléments, il ressort une priorité absolue : l'accompagnement. Cet accompagnement doit débuter très en amont, dès l'enfance et l'entrée dans le parcours scolaire. Sans trop m'étendre sur ce sujet qu'ont déjà abordé mes collègues, je veux néanmoins dire qu'il paraît essentiel de donner les moyens aux auxiliaires de vie scolaire individuels d'effectuer leur travail dans les meilleures conditions et au service de l'élève handicapé. Cela requiert notamment de leur prodiguer une meilleure formation et de revoir leur statut afin de leur assurer une véritable stabilité et, par là même, mettre fin à l'extrême précarité à laquelle ils doivent faire face.

En ce sens, je ne peux que souscrire à l'une des propositions du rapport rédigé par mes deux collègues, qui vise à « définir un véritable cadre d'emploi » et à « améliorer les débouchés professionnels » des auxiliaires de vie scolaire individuels. Cette dernière exigence suppose d'améliorer l'accompagnement de l'élève handicapé, la prise en compte de ses besoins, son orientation, ses compétences et, in fine, son niveau de qualification.

Parallèlement, il est fondamental de réformer l'accès à la formation professionnelle pour les travailleurs handicapés. Rendez-vous compte : ces derniers accèdent quatre fois moins à la formation professionnelle que les travailleurs valides ! À cet égard, dans son rapport de 2010, le Conseil national consultatif des personnes handicapées met en exergue que « l'accès des travailleurs handicapés à la formation ne s'est pas sensiblement amélioré au cours des vingt dernières années ». Preuve en est : la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie ne contient aucune disposition portant sur l'accompagnement des travailleurs handicapés.

De plus, pour améliorer l'efficacité de l'accompagnement, il est indispensable de revoir et de simplifier le maelström administratif actuel. Entre l'AGEFIPH, les maisons départementales des personnes handicapées, les politiques régionales concertées qui font intervenir une foultitude d'acteurs, il paraît judicieux de clarifier et de rationaliser les missions de chacun, car cette trop grande dispersion, au final, risque de nuire au service offert aux personnes handicapées.

Enfin, j'aimerais aborder ce qui me paraît être l'une des barrières majeures d'accès à l'emploi des personnes handicapées. Elle est beaucoup plus insidieuse, mais elle se concrétise par des mots, des attitudes : il s'agit du regard porté sur le handicap.

Depuis la loi du 30 juin 1975, qui a crée la politique française d'insertion professionnelle des personnes handicapées, ce ne sont pas tant les mesures qui ont changé que la philosophie des textes. Ainsi, la loi de 2005 a opéré un revirement de paradigme ; alors que la question de l'emploi des personnes handicapées était auparavant appréhendée sous le seul prisme de l'incapacité de l'individu, il s'agit désormais de se concentrer sur son projet professionnel à partir d'une évaluation objective de ses capacités. En somme, il s'agit d'honorer, autant que faire se peut, son projet de vie.

En d'autres termes, nous ne partons plus du postulat, faussement généreux, selon lequel la société doit s'attacher à trouver une place à la personne handicapée, ses capacités étant jugées, par essence, résiduelles. Nous affirmons que la personne handicapée, telle qu'elle est, et indépendamment de son handicap, a pleinement sa place dans la société ; nous affirmons qu'au même titre que tout individu valide elle a des potentialités qui ne demandent qu'à être mises en valeur. Les pouvoirs publics doivent précisément avoir un rôle d'impulsion afin de favoriser les aménagements nécessaires à la mise en valeur de ces potentialités.

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