Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 1er décembre 2010 à 22h30
Loi de finances pour 2011 — Recherche et enseignement supérieur

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Que doit-on penser lorsque l’on constate que, en 2009 et en 2010, les intérêts des opérations Campus, qui s’élevaient respectivement à 157 millions d’euros et à 164 millions d’euros, ont été inscrits dans le budget mais jamais mis à disposition ni capitalisés sur la dotation initiale, gonflant ainsi artificiellement les crédits de la MIRES et jetant un doute sur la sincérité de la présentation budgétaire pour 2011 ?

Comment ne pas s’étonner de voir le crédit d’impôt recherche représenter 40 % de l’effort affiché, les remarques de la Cour des comptes ayant été curieusement oubliées ?

De fait, le dispositif du crédit d’impôt recherche comporte toujours un biais exagéré en faveur des grandes entreprises et ses réformes successives n’ont pas donné la priorité aux entreprises qu’il était censé aider, à savoir les jeunes entreprises innovantes et les PME.

Se pose de plus l’épineux problème de la régulation budgétaire : le budget exécuté est souvent très éloigné du budget voté par les assemblées et très inférieur à celui-ci, à force d’annulations, de transferts, de gels et de redéploiements de crédits. L’exercice du contrôle est extrêmement difficile.

La conclusion s’impose que les moyens nouveaux ne sont pas aussi importants qu’il pouvait paraître de prime abord ! De fait, l’effort affiché cette année inclut 238 millions d’euros de partenariats public-privé, qui ne démarreront qu’en 2013 ou en 2014 au plus tôt, les intérêts des opérations Campus, jamais versés encore, et la niche fiscale du crédit d’impôt recherche !

L’effort budgétaire revendiqué par le Gouvernement consiste donc à afficher des chiffres très hétérogènes pour aboutir à un résultat sans lien avec la réalité. L’augmentation des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », hors CIR, partenariats public-privé et intérêts virtuels des opérations Campus, c’est-à-dire en ne prenant en considération que ce qui revient in fine aux établissements d’enseignement supérieur et aux organismes de recherche, ne dépassera pas 4, 4 milliards d’euros sur le quinquennat en cours, soit la moitié des 9 milliards d’euros de moyens nouveaux promis par le chef de l’État lors de son élection.

Au moment où il est demandé aux établissements d’enseignement supérieur et aux organismes de recherche un effort important de transformation, d’autonomisation, de prise en charge de nouvelles compétences, de regroupement autour de projets innovants, de réalisation rapide de projets immobiliers, d’amélioration de la performance en matière de réussite et d’insertion professionnelle, les financements, majoritairement attribués sur appels à projets, ne semblent être la contrepartie d’aucune réforme de fond.

On aurait pu envisager, par exemple, un renforcement de l’égalité des chances dans l’accès à l’enseignement supérieur, en particulier pour les grandes écoles, qui ne doivent pas rester ce lieu de reproduction des héritiers du savoir et de l’argent. L’excellence doit être accessible à tous ceux qui ont le talent et la volonté de se l’approprier.

Par ailleurs, la déclaration selon laquelle la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux ne sera pas appliquée, qu’il s’agisse d’enseignants-chercheurs ou de personnels administratifs ou techniques, ne répond absolument pas à la réalité des besoins de fonctionnement des universités. Il faut aussi créer de nouveaux emplois ! Quel gâchis que cette absence de débouchés dans le secteur public, lorsqu’on voit s’allonger les périodes d’emploi précaire de nos jeunes docteurs, à travers la multiplication des postes de post-doc et des bourses.

Le manque d’enseignants et de personnel administratif demeure et s’amplifiera : les projections à l’horizon de 2016 font état, avant réforme des retraites, du départ à la retraite de 9 842 professeurs des universités sur les quelque 18 000 en poste et d’environ 9 500 maîtres de conférence, soit un quart de l’effectif du corps. Avec en moyenne moins de 1 000 emplois créés par an jusqu’en 2007 et une baisse du nombre d’emplois en 2009, le renouvellement du corps enseignant ne pourra être assuré dans dix ans. En régions, dans les jeunes universités, il n’est pas rare de voir l’encadrement réduit à 80 % de l’effectif théorique, voire moins.

Se pose en l’espèce la question de l’équitable répartition sur le territoire des ressources allouées par l’État. Il ne s’agit pas uniquement d’une question de moyens, mais aussi d’un problème de justice sociale et d’efficacité. La collecte de fonds auprès des entreprises, notamment via les fondations et les partenariats public-privé, encore balbutiante, risque de rester insuffisante au regard des besoins et concentrée sur les universités implantées dans les grandes villes, où sont également installées les grandes entreprises.

À cet égard, l’attribution de la médaille Fields cette année à deux chercheurs français, preuve de la grande qualité de l’école mathématique française, est riche d’enseignements. En effet, une part de ce succès réside dans les spécificités de l’organisation de la recherche en mathématiques, qui se caractérise par une place réduite du CNRS en nombre de chercheurs et, corrélativement, un rôle central des universités, la répartition de très bons centres de recherche sur tout le territoire national, des pratiques vertueuses pour le recrutement et la gestion des carrières des chercheurs et des universitaires, ainsi que par une tradition très forte de transmission aux générations suivantes.

Il faut tirer les leçons d’une telle réussite, car le développement des grandes universités ne doit pas avoir pour corollaire l’abandon d’universités plus petites, lesquelles restent le vivier de recrutement des écoles doctorales.

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