Une nouvelle donne politique, donc, parce qu'un pacte de croissance complétait le pacte budgétaire ; nous en avons longuement parlé lors du débat d'orientation des finances publiques. La demande du candidat Hollande étant satisfaite, il n'y avait plus d'obstacles à ratifier ce traité. M. Jean-Marc Ayrault, qui se déplacera demain au Sénat pour un débat sur les orientations de la politique européenne, vous le redira.
Parallèlement, les Etats confièrent à Herman Van Rompuy le soin d'ouvrir les travaux sur la manière de remédier aux dysfonctionnements de la zone euro. C'est dans ce cadre que la France promeut, pour reprendre l'expression du Président de la République, sa conception de « l'intégration solidaire ».
Une nouvelle donne juridique, aussi, depuis que la Commission européenne, dans sa communication du 20 juin, a donné une interprétation souple du fameux article 3 qui institue la « règle d'or ». D'après elle, le caractère des nouvelles règles budgétaires à inscrire dans le droit national doit être contraignant et permanent, mais pas forcément au plan juridique. En d'autres termes, elle a repris le principe « se conformer ou s'expliquer ». Autrement dit, si un Etat est capable d'avancer les raisons pour lesquelles il a contourné une règle, il peut bénéficier d'une appréciation positive ou favorable. D'après le Conseil constitutionnel, l'article 3 laisse même aux Etats le choix d'adopter une règle contraignante ou une règle non contraignante. En définitive, ce traité pourrait améliorer le pacte de stabilité.
Cela dit, le pacte budgétaire ne représente qu'une partie du traité, un traité qui est intergouvernemental et non communautaire. Aux termes de son article 2, le droit communautaire primera en cas de conflit avec une disposition du traité. Le texte prévoit également la coordination de politiques économiques et l'institution d'une Conférence des parlements nationaux dont les contours restent à préciser, mais qui pourrait s'inspirer du succès de la COSAC. Son entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2013 si douze Etats de la zone euro l'ont ratifié. Le calendrier sera certainement respecté, puisque douze Etats, dont huit de la zone euro, ont achevé leur procédure de ratification.
Comme nous venons de le voir, le traité aura une valeur juridique inférieure au pacte de stabilité.
Cependant son poids politique est tel qu'il pourrait conduire à modifier tant les procédures que les modalités d'application du pacte de stabilité. En particulier, il pourrait modifier la manière dont est apprécié le respect du critère de 3 % par les autorités communautaires, en mettant l'accent sur les efforts structurels des Etats plutôt que sur le niveau du déficit effectif. De même, les règles de majorité, dans le cas où la Commission voudrait être plus clémente, en raison de la conjoncture notamment, seront assouplies. A l'inverse, il n'est pas évident que le TSCG entraîne un durcissement des possibilités d'imposer des sanctions.
Quelle est la nature exacte de la règle qui figure dans le TSCG ? Constitue-t-elle un carcan ? Nous condamnera-t-elle à l'austérité ?
Elle paraît en tout cas économiquement plus pertinente que celle du volet « correctif » du pacte de stabilité. En effet, avec la règle du TSCG, les Etats doivent se fixer un objectif à moyen terme (OMT), défini en termes de solde structurel. Cet objectif ne peut pas correspondre à un déficit structurel supérieur à 0,5 point de PIB (1 point de PIB pour les Etats ayant une dette de moins de 60 points de PIB), alors que le pacte de stabilité prévoit que les Etats peuvent avoir un déficit structurel jusqu'à 1 point de PIB. Pour la France, cela ne change rien, puisque l'objectif qu'elle se fixe est déjà l'équilibre structurel.
Pour atteindre cet objectif, les Etats doivent définir une trajectoire de solde structurel, selon laquelle le déficit structurel doit être réduit de 0,5 point de PIB par an, soit 10 milliards d'euros dans le cas de la France.
La supériorité de cette règle sur celle du pacte de stabilité, qui fixe un objectif nominal de 3 %, est qu'elle est fixée en termes de déficit structurel et non de déficit effectif.
Avec la règle des 3 %, un Etat en situation de faible croissance doit, pour respecter son objectif de déficit, ajouter aux mesures structurelles des mesures supplémentaires pour compenser les effets de la moindre croissance du PIB.
La règle des 3 % oblige les Etats à faible croissance à prendre des mesures supplémentaires, ce qui pèse encore plus sur la croissance, ajoutant de la crise à la crise.
La règle du TSCG porte uniquement sur le solde structurel, indépendamment de l'évolution du solde conjoncturel. C'est pourquoi le Premier ministre a considéré, devant l'Assemblée Nationale, que le traité est « plus souple que le traité de Maastricht qui se focalise sur le seul déficit nominal ».
Politiquement, sans préjuger toutefois de ce que décidera le Conseil sur proposition de la Commission, le poids désormais accordé à la règle de solde structurel rendra difficile au Conseil de sanctionner un Etat qui ne respecterait pas le critère de 3 %, dès lors que cet Etat serait « en règle » avec le TSCG, affichant une ambition vertueuse de revenir à l'équilibre, dans le respect d'un OMT défini de manière argumentée.
Les protestations contre l'entrée en vigueur de la réforme du pacte de stabilité en novembre 2011 ont été beaucoup moins fortes que celles contre le TSCG. Pourtant l'application des règles du pacte de stabilité, et notamment l'objectif de revenir à un déficit nominal de moins de 3 % du PIB, nous oblige depuis 2011 à des efforts autrement plus importants que ce qui résulterait de la seule application du TSCG.
Ainsi, dans le PLF 2013, pour passer d'un déficit nominal de 4,5 % du PIB à 3 %, soit une réduction du déficit de trente milliards d'euros, il sera nécessaire de réduire le déficit structurel de 40 milliards d'euros. En 2011 et en 2012, il aura fallu réduire le déficit structurel de 30 milliards puis de 24 milliards d'euros. A titre de comparaison, l'effort que nous oblige à réaliser le TSCG n'est « que » de 10 milliards d'euros par an de 2014 à 2016, année du retour à l'équilibre structurel.
La question du solde structurel est au coeur du dispositif. Certains d'entre vous s'en sont déjà émus, et sur ce sujet les points de vue divergent. A l'Assemblée nationale, beaucoup, y compris le ministre du budget, ont relevé les incertitudes sur son mode de calcul. Elles sont réelles.
Sans entrer dans la technique, on peut dire que la détermination du solde structurel dépend de l'estimation que l'on retient pour le PIB potentiel de l'économie, et que les économistes peuvent avoir des estimations divergentes. On peut se demander s'il est pertinent de fonder une règle de finances publiques sur une notion aussi subjective.
Néanmoins, compte tenu de la situation dans laquelle se trouve l'économie européenne, on ne peut plus se permettre de fonctionner uniquement avec une règle dont les effets sont procycliques et récessifs. Malgré ses défauts, la notion de solde structurel permet de tenir compte de la conjoncture et d'éviter d'ajouter la crise à la crise : c'est donc la notion à retenir.
Comment faire pour atténuer ses défauts ? Une première piste est l'harmonisation des méthodologies. Autre proposition : s'en remettre, pour l'appréciation du respect de la trajectoire, à un « juge » indépendant. Cela renvoie à la discussion du projet de loi organique, qui cherche à résoudre cette difficulté en créant un Haut conseil des finances publiques.
Pour conclure sur l'analyse de la règle, quelques mots sur sa présumée rigidité.
Le traité prévoit que la constatation d'un écart par rapport à la trajectoire doit entraîner le déclenchement d'un mécanisme de correction dit « automatique ». En fait, l'automaticité est relative, voire inexistante : le mécanisme proposé par le projet de loi de programmation des finances publiques autorise de s'écarter de la trajectoire pendant trois années consécutives. En outre, l'interprétation du traité par la Commission européenne indique explicitement que les autorités budgétaires pourront conserver une marge d'appréciation sur la pertinence de son déclenchement. Pour la Commission, tout réside dans le principe « se conformer ou s'expliquer » : si on s'écarte de la trajectoire, il faut s'en expliquer. Le traité prévoit aussi que les écarts par rapport à la trajectoire sont acceptables en cas de « circonstances exceptionnelles », mais leur définition est tellement floue qu'elle laissera une place à l'appréciation des organismes indépendants qui devront être mis en place.
Enfin, le traité ne comporte pas seulement la règle de déficit. Il comprend aussi, à l'article 4, une règle de dette qui figure déjà dans le pacte de stabilité. Cette règle importante oblige les Etats, à compter de 2017, à réduire l'écart entre leur niveau de dette et le seuil de 60 % du PIB d'un vingtième par an. Un Etat comme la France, dont le ratio de dette est d'environ 90 points de PIB, devrait réduire son ratio de 1,5 point de PIB par an.
La règle est souvent mal comprise. D'une part, il ne s'agit pas de réduire le stock de dette en milliards d'euros, mais le ratio dette/PIB. D'autre part, selon la façon dont évolue le stock de dette en milliards d'euros et le PIB, le ratio peut diminuer alors même que le montant de la dette continue d'augmenter. Si la France respecte la trajectoire qui figure dans le projet de loi de programmation 2012-2017, elle respectera la règle de dette avant même que celle-ci ait commencé à s'appliquer, en 2017. Ce point est rassurant sur la capacité de notre pays à s'inscrire dans cette nouvelle exigence.
Il faut néanmoins signaler une bizarrerie dans le TSCG : en recopiant la règle du pacte de stabilité, une erreur s'y est glissée. Si bien que, littéralement, ce n'est plus l'écart entre le niveau de dette et le seuil de 60 % qu'il faudrait réduire chaque année de 5 %, mais bien le stock de dette lui-même. Il s'agit évidemment d'une erreur de rédaction car, dans le cas contraire, la règle serait inapplicable et incohérente. En tout état de cause, dès lors que le traité renvoie à la règle figurant dans le pacte de stabilité, c'est bien la règle dans sa rédaction communautaire qui s'appliquera. Nous pouvons être rassurés sur ce point.
Sans verser dans la politique-fiction, je veux souligner qu'un rejet du traité présenterait des inconvénients majeurs. La France serait d'abord marginalisée puisque, contrairement à la Constitution européenne enterrée à la suite du « non » français, le traité entrerait en vigueur malgré elle et s'appliquerait aux Etats l'ayant ratifié. Autrement dit, le TSCG n'a pas besoin de la France pour fonctionner. La France perdrait en outre sa crédibilité : elle romprait unilatéralement le contrat implicite entre la BCE et les Etats, qui conditionne la politique monétaire accommodante de la BCE au respect des règles budgétaires par les Etats ; elle ne respecterait pas l'engagement pris lorsque ses partenaires se sont ralliés à l'idée de pacte pour la croissance au mois de juillet. Dans ces conditions, et alors que certains Etats membres se sont ralliés à la position de la France, comment penser que notre pays pourrait peser sur les débats économiques à venir ?
Les différents ministres n'ont pas tort lorsqu'ils estiment qu'un rejet du traité par la France entraînerait une augmentation auto-réalisatrice des taux auxquels elle se finance, et donc une spirale comparable à celle qu'ont connue l'Espagne et l'Italie.
Mais, dans une telle situation, la France serait encore plus démunie que l'Espagne et l'Italie : elle aurait des difficultés à convaincre ses partenaires de la faire bénéficier du soutien du MES, puisque le préambule des traités MES et TSCG lie le bénéfice du MES à la ratification du TSCG. Nous avons vu lors des débats sur le MES que ce lien n'était pas juridiquement contraignant. Mais politiquement, il faudrait convaincre une majorité d'Etats actionnaires du MES, représentant au moins 85 % du capital, de voter en faveur d'une aide à la France, ce qui serait sans doute complexe à réaliser.
Si elle devait bénéficier, sous une forme ou sous une autre, d'une aide de ses partenaires européens, à travers le MES ou la BCE, cette aide serait soumise à des conditions, selon des règles au moins comparables à celles du TSCG, et probablement plus rigoureuses.
En définitive, même si l'augmentation des taux ne se produisait pas, la France resterait soumise aux règles du pacte de stabilité et, si elle ne respectait pas le critère des 3 % de déficit, elle ne pourrait pas plaider les circonstances atténuantes en mettant en avant son respect des règles du TSCG, puisqu'elle l'aurait rejeté.
Voilà la situation. La préconisation de votre rapporteur général est d'inciter à l'adoption de ce traité, à la suite des arguments que j'ai tenté de vous exposer avec le plus de conviction possible. Le pacte de croissance ayant changé la donne et modifié le contexte, le TSCG constitue un assouplissement des règles en vigueur jusqu'à présent. La France a intérêt à l'adopter, si nous ne voulons pas retourner vers des règles plus procycliques. L'emploi du solde structurel permettra en effet de pratiquer des corrections budgétaires contracycliques plus facilement qu'auparavant ; le traité nous offre l'opportunité d'opérer plus facilement des corrections de trajectoire. Il est donc souhaitable que notre commission préconise en séance de la manière la plus large possible, et si possible à l'unanimité, un vote favorable.