La mission « Sécurité civile » fait partie des missions régaliennes de l'Etat. On peut toutefois s'interroger sur la réalité de son engagement par rapport aux différents acteurs pour mener à bien cet objectif au coeur de la vie de nos concitoyens. Les autorisations de dépenses d'investissement pour la mission sécurité civile s'élèvent, dans la loi de finances pour 2012, à 45,8 millions d'euros. Ce montant doit être mis en perspective des budgets prévisionnels des SDIS pour 2011 qui faisaient apparaitre une dépense totale de 1,216 milliard d'euros en section d'investissement (sur un total de 5,5 milliards d'euros). Comme vous le savez, la loi du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours (les SDIS) a constitué une étape clé dans l'évolution de l'organisation de ces services. Au terme de maintenant un peu plus de dix ans d'application de ce texte, il m'est apparu nécessaire de tirer un bilan. Quel est le processus de pilotage de cet investissement ? Qui décide ? Qui paye ? Et quels sont les grands axes de cette politique ?
A première vue l'on pourrait penser que la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) occupe une position centrale dans le processus d'élaboration des investissements et leur orientation. Pour autant, au regard des moyens dont elle dispose, elle pèse peu et son rôle d'animation, de conseil ou d'orientation se trouve considérablement réduit. A défaut de moyens financiers, la DGSCGC pourrait utilement s'investir dans un travail d'incitation à la mutualisation et s'intéresser de plus près à la norme, qui devient souvent un prétexte pour justifier l'explosion des dépenses.
Le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR) est insuffisamment exploité. En théorie largement à la main du préfet, il devrait orienter les choix d'investissement. En pratique, le représentant de l'Etat ne dispose pas de l'ingénierie nécessaire pour orienter utilement la conception de ce document. Par ailleurs les investissements étant assurés par les SDIS, c'est-à-dire par les conseils généraux, le Préfet est mal à l'aise pour peser sur les choix. Après une période de fortes dépenses dans les années 2000, les directeurs des SDIS sont désormais conscients des contraintes pesant sur les conseils généraux. D'une façon générale, il apparaît que la DGSCGC, en liaison avec les préfets de région, pourrait utilement servir de lien et de relais entre les départements d'une même région afin de rationaliser les choix et de s'assurer tout à la fois de la mutualisation d'équipements dont la pertinence au niveau départemental ne se justifie pas et de l'adéquation des moyens aux objectifs. La consolidation des SDACR au niveau régional sous l'autorité du préfet de région permettrait d'atteindre cet objectif.
Le rôle du fonds d'aide à l'investissement (FAI), levier principal de l'Etat dans ce domaine, tend à s'amenuiser depuis sa création. Initialement fixée à 45 millions d'euros en 2003 et ayant connu un pic en 2005, la dotation de ce fonds pour 2012 n'est plus que de 18,36 millions d'euros, soit une division par trois en cinq ans. Par comparaison avec les 1,2 milliard d'investissement des SDIS, cette somme représente à peine 1,5 % de leurs dépenses d'investissement et invite à s'interroger sur son effet levier et par voie de conséquence sur le devenir de ce fonds. Les critères d'attribution méritent aussi d'être précisés. Je propose dans cette perspective de repenser l'emploi de ces crédits avec un objectif de plus grande efficacité. Il s'agirait notamment d'utiliser l'effet de levier pour encourager des redéploiements en faveur d'une plus grande mutualisation des achats réalisés par les SDIS et de projets interdépartementaux. La mise en place d'une consolidation régionale des SDACR, évoquée plus haut, y contribuerait.
Parmi les projets financés par le FAI, Antares demeure un sujet problématique. Ce système d'information et de communication dédié aux forces concourant à la sécurité civile sur le territoire renvoie à une ambition nationale, mais aussi à un projet en réalité non pleinement partagé par les acteurs locaux : police, gendarmerie, SDIS, SAMU. Au final, la charge d'investissement (147,5 millions d'euros), comme celle du fonctionnement (estimée à 54,9 millions d'euros), pèse majoritairement sur les seuls SDIS, et par contrecoup, sur les collectivités (notamment le département) tandis que la police et le SAMU ne sont pas ou peu sollicités. Je souligne en outre le problème posé par l'inadaptation actuelle de ce matériel aux avions de la sécurité civile : Antares ne fonctionne pas dans les airs ! Le ministère doit impérativement prendre les mesures qui s'imposent pour remédier à cette impasse opérationnelle difficilement compréhensible.
En elle-même d'ailleurs, la flotte aérienne de la sécurité civile représente un enjeu budgétaire majeur. Axée sur une stratégie dite de « guet aérien » afin de lutter contre les feux de forêt, cette flotte doit connaître un renouvellement à court terme de l'une de ses composantes : les Trackers. Ces appareils vont arriver en fin de vie à partir de 2016. Les scénarios envisagés font apparaitre un besoin de financement variant de 60 millions d'euros à 160 millions d'euros. La solution apparemment privilégiée aujourd'hui par le ministère s'oriente vers un remplacement des Trackers par une flottille de petits appareils, des Air Tractors, pour un coût de renouvellement de l'ordre de 60 à 80 millions d'euros. A cet égard, je veux insister sur la nécessité de procéder à une évaluation pragmatique du rapport entre le coût de l'investissement, la dangerosité du risque « feu de forêt » et l'intérêt économique. Faut-il nécessairement attaquer tous les feux de forêt naissant, alors que certains d'entre eux ne présentent qu'un faible risque dont l'origine est bien souvent l'absence d'entretien de la garrigue... En tout état de cause l'appréciation sur l'opportunité d'intervenir ne peut se faire indépendamment des acteurs locaux. L'autre question, s'agissant des moyens aériens de la sécurité civile, réside dans le projet de délocalisation de la base de Marignane. Ici, l'enjeu renvoie à une couverture optimale de la zone des feux dans un contexte d'évolution climatique à moyen et long terme. Un déménagement de la base aérienne de la sécurité civile vers Nîmes est aujourd'hui privilégié.
L'investissement en matière de sécurité civile est aussi un investissement dans les personnels. La départementalisation des SDIS s'est accompagnée d'ouvertures d'écoles départementales. Ces écoles répondent à un besoin qui, pour les sapeurs-pompiers volontaires, appelle une réponse de proximité. Pour autant, la politique de formation des personnels doit s'orienter vers un effort accru de rationalisation et de mutualisation des moyens entre les écoles départementales et avec l'école nationale supérieure des officiers sapeurs-pompiers (ENSOSP). Il s'agit là d'un enjeu important en vue de contenir la charge d'investissement et d'éviter d'éventuelles surcapacités de formation.
La sécurité civile ne doit par ailleurs plus faire l'économie d'une réflexion sur un recentrage nécessaire de ses missions, afin de desserrer la contrainte d'investissement. Je pense en particulier à la notion de secours à personne, qui recouvre aujourd'hui des réalités très diversifiées allant du feu aux accidents sur la voie publique en passant par des missions sanitaires et sociales. Une meilleure répartition des tâches doit être imaginée entre les SDIS et les SAMU, notamment dans les cas de carence hospitalière. Revient-il véritablement aux pompiers de jouer le rôle d'un « SAMU social bis » auprès de sans domicile fixe par exemple ? L'augmentation considérable (+ 36,2 % entre 2002 et 2010) du secours à personne impacte significativement l'orientation et les besoins d'investissement des SDIS. Parmi ces dépenses, la mise en place de centres d'appels communs aux SDIS et aux SAMU constitue assurément une source de gains potentiels importants.
Plus généralement, les efforts de mutualisation des achats des SDIS commencent à porter leurs fruits. Progressivement se diffuse un « réflexe mutualisation », notamment sous l'impulsion de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP). La DGSCGC gagnerait à développer son rôle de prescription et de conseil dans ce domaine qui doit être encore approfondi par les SDIS.
En conclusion, la sécurité civile dispose aujourd'hui d'équipements modernes, ou en cours de modernisation, pour faire face à une grande diversité de risques et de situations. L'effort d'adaptation est continu et il a jusqu'à présent porté ses fruits. Pour autant, la contrainte budgétaire se fait sentir de manière croissante, que ce soit pour l'Etat ou les collectivités territoriales. Aussi, dans un souci de préservation de la ressource budgétaire, me parait-il nécessaire de conforter aujourd'hui, au coeur de la logique d'investissement, un principe simple de responsabilisation : « le prescripteur doit aussi être (au moins en partie) le financeur ».