Intervention de Marie-Agnès Labarre

Réunion du 1er décembre 2010 à 22h30
Loi de finances pour 2011 — Article 78

Photo de Marie-Agnès LabarreMarie-Agnès Labarre :

Nous ne saurions nous opposer à la limitation du dispositif de l’article 78 concernant les jeunes entreprises innovantes, pourtant coûteux pour l’État et pour la recherche publique.

Cependant, cela ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel. C’est bien une maigre concession, qui perd en crédibilité avec l’examen du budget de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Vous affichez votre volonté de préserver notre capacité nationale de recherche et d’innovation. Tête haute devant les décombres de notre société industrielle vendue au moins-disant salarial, vous claironnez que l’éducation et la recherche sont notre salut.

Si la France de demain se joue bien là, on pouvait donc s’attendre à une augmentation du financement de la recherche publique et des moyens alloués aux laboratoires d’enseignement supérieur.

Dans les faits, vous mélangez les autorisations d’engagement et les crédits de paiement pour pouvoir afficher un « effort exceptionnel » qui ne trompe personne. En changeant le périmètre de la Mission interministérielle de recherche et d’enseignement supérieur, la MIRES, en lui transférant les cotisations de retraites, vous réussissez cette année encore à augmenter artificiellement votre projet de budget tout en réduisant, en euros courants, les crédits réellement affectés aux laboratoires. Ce faisant, vous aggravez les conditions de travail des enseignants et des chercheurs, qui « cherchent mais ne trouvent jamais », selon les mots flatteurs du Président de la République.

Vous corsetez les universités que vous mettez en concurrence sous couvert d’autonomie. Vous contraignez ainsi les universités à se tourner, pour survivre, vers des formes de partenariats avec les entreprises, car à vos yeux les « fondations » des mécènes tels que MM. Bouygues, Bolloré ou Lagardère, parfaitement désintéressées, ont vocation à piloter la recherche et à se substituer à l’État ! Cet État qui n’a plus d’argent depuis que les riches sont dispensés de payer l’impôt, depuis qu’il a vendu ses meubles – pardon, nos meubles ! – aux grands groupes à vils prix et qu’il rembourse avec l’argent public les pertes des banques privées et des actionnaires.

Vous soumettez une nouvelle fois la recherche publique – ce qui nous choque toujours, mais ne nous surprend plus – à des impératifs dictés par les intérêts des grands groupes industriels. Vous la liquidez en l’obligeant à se soumettre à des appels d’offres orientés, en liant son financement aux aléas du crédit d’impôt recherche et du grand emprunt.

Belle supercherie que ces sommes « mises à disposition » par le grand emprunt : elles sont en réalité de 60 % inférieures à ce qui était annoncé, et elles ne pourront même pas être utilisées à 50 % en 2011.

En revanche, vous exigez le remboursement, dès 2011, du plan de relance lancé en 2009, alors que le plan Campus n’a pas encore vu le jour ! Vous supprimez bel et bien des crédits dits « de réserve », qui n’étaient inscrits au budget que pour en être retirés. Au total, ce sont 860 millions d’euros qui ont été effacés depuis 2007 !

De plus, vous inscrivez bien avant terme les intérêts des emprunts en leasing que vous contractez auprès des majors de la construction, en vertu de ce que vous nommez abusivement un « partenariat public-privé » !

Belle trouvaille que ce crédit d’impôt recherche qui passe à côté du rabot des niches fiscales. Il a coûté 4 milliards d’euros en 2010 et pèsera encore pour plus de 2 milliards d’euros en 2011. Mais à qui profite-t-il ?

Pour trouver la réponse, il suffit de chercher qui en sont les plus ardents promoteurs. Les universités ? Non, bien sûr ! Le service après-vente est assuré par les consultants en placements financiers à fort rendement, dont l’un d’entre eux affirme : « L’expérience de plus de vingt années de nos consultants pluridisciplinaires, notre expertise, ainsi que notre démarche structurée et complète vous donneront la possibilité de bénéficier du crédit d’impôt recherche en atteignant un triple objectif : bénéficier d’un rendement maximal avec un niveau de sécurité total et à un juste prix. » Et M. le Premier ministre d’y faire écho sur le site www.paradis-fiscal.fr... une dénomination qui ne s’invente pas !

Voilà la recherche française ramenée du rang de phare de l’intelligence nationale à celui d’auxiliaire de profits pour les groupes !

Alors, oui, les milliards d’euros pleuvent, mais pas là où nous souhaitions les trouver : ni sur la recherche publique ni sur la recherche fondamentale ! En réalité, la recherche nationale est tout à la fois en liquidation et en récession ! Et c’est grave !

C’est grave, parce que la recherche publique est notre avenir et, en lui coupant les ailes, nous nous interdisons de l’orienter librement. Les priorités du Gouvernement seront celles des financiers. L’estimation du profit encouragera ou condamnera les filières de recherche.

Le pouvoir laissé aux industriels et l’absence de cadrage politique soumettent les producteurs aux exigences de rentabilité, une notion ô combien éloignée de l’intérêt général !

Les domaines de l’énergie renouvelable, des véhicules électriques ou des médicaments génériques montrent que ceux qui n’ont pas d’intérêt immédiat à développer des technologies émergentes allant dans le sens de l’intérêt général ne les développent pas s’ils n’y sont pas contraints.

Par ailleurs, le passé récent le démontre, lorsque la puissance publique démissionne, abandonne son savoir-faire, exporte ses cerveaux et brade ses outils de recherche, c’est non plus la science, mais le marché qui pilote l’avancée technologique.

L’État s’interdit ainsi de percevoir, à la fois pour le bien public, pour le progrès social et pour l’équilibre de son budget, le juste retour de ses investissements. Voilà votre vision de l’avenir, une vision qui est lourde de conséquences !

De mon point de vue, seule la puissance publique dispose de la légitimité qui permet de concilier innovation, sécurité et défense de l’intérêt général. Nous ne devons abandonner cette responsabilité à aucun prix. Voilà pourquoi nous devons financer abondamment et honnêtement, sur fonds publics, la recherche publique !

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