Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, l’autorisation de ratifier le pacte budgétaire européen est le seul moment constitutionnel où le Parlement ait son mot à dire. Mais ce mot est déterminant. Il nous place face à des responsabilités essentielles.
Le peuple français n’est pas appelé à se prononcer directement comme il le fit en 1992 et en 2005 avec François Mitterrand et Jacques Chirac. L’un et l’autre ont fait preuve de courage politique. Depuis lors, quand il s’agit d’Europe, les présidents pratiquent une autre vertu : la prudence !
Il nous revient donc de parler pour la Nation, comme le prévoit notre Constitution.
Nous le ferons bien sûr sous le regard des Français, et non pas dans leur dos, même s’il ne fait guère de doute qu’ils auraient voulu décider eux-mêmes, ce qui aurait été l’occasion d’un moment de vérité.
Si nous disons « oui » au Traité européen, il ne se passera rien qui ne nous soit de toute façon imposé par les réalités économiques et financières, puisqu’il ne saurait en aucun cas être question de laisser filer nos déficits et s’accroître notre dette.
La nouveauté du Traité réside essentiellement dans l’obligation d’atteindre l’équilibre structurel à une échéance prenant en compte le montant actuel de nos déficits. Elle tient aussi au renforcement des mécanismes de sanctions financières. Elle n’est pas dans la sévérité des contraintes budgétaires.
Pas plus que vous, nous ne pourrions d’ailleurs admettre qu’un corset nous empêche à tout jamais de réagir de manière coordonnée à une récession grave, par des politiques de soutien à l’économie qui impliqueraient une augmentation temporaire des déficits, comme ce fut le cas en 2009, ce que vous semblez d’ailleurs reprocher à la majorité de l’époque tout en revendiquant de pouvoir le faire à votre tour demain.
Mais, heureusement, ce traité, que vous avez naguère diabolisé pour aujourd’hui le minorer, distingue clairement déficit structurel et déficit conjoncturel, plus clairement et précisément encore que le pacte de stabilité et de croissance de 1997, qui le faisait déjà.
Et, comme le traité de Maastricht, il prévoit la prise en compte de circonstances exceptionnelles pour épargner des sanctions à un État déficitaire quand son déficit est justifié du point de vue européen.
Nous nous inscrivons ainsi dans la tradition européenne ; ce n’est pas une révolution.
Cependant, vous omettez trop souvent de rappeler que cette faculté n’est pas laissée à la discrétion des gouvernements. Elle passe par une appréciation communautaire qui s’impose à eux. N’y voyez donc pas un moyen de vous affranchir de la règle commune. Vos partenaires du Front de gauche ont eu raison de le rappeler.
Une discipline budgétaire de longue haleine nous permettra de reconstituer nos marges de manœuvre. Il s’agit de démontrer notre volonté de faire, sans nous tromper sur les moyens. C’est là que les choix politiques nationaux peuvent s’exprimer. Et, sur ce point, j’y reviendrai, les vôtres sont bien évidemment différents des nôtres.
Si, au contraire nous disions « non » à ce traité, il faudrait de toute façon maintenir le cap de la rigueur, mais dans un contexte politique et financier dégradé qui en aggraverait l’ampleur.
Dire « non », ce serait jeter le doute sur notre détermination à lutter contre les déficits, ce serait donner des raisons à l’Allemagne de ne pas être financièrement solidaire, ce serait isoler la France parmi les États de la zone euro et ce serait nous rendre plus vulnérables face à nos prêteurs.
Un « non » de la France au Traité budgétaire appellerait en réalité d’autres « non », qui compliqueraient notre tâche : le « non » des investisseurs, le « non » des marchés financiers, de nos prêteurs, au maintien du financement de la dette française et des autres dettes européennes aux conditions actuelles.
Il faudrait alors redoubler de rigueur et d’austérité pour convaincre et pour rétablir la confiance. Ce n’est pas ce que nous voulons. Le crédit de la France reste solide, il nous appartient de le conserver.
Il est vrai qu’il y a sans doute une part d’injustice dans la situation de la zone euro. Après tout, pour excessives qu’elles soient, notre dette et celle de nos partenaires sont contenues dans des limites presque enviables si on les compare à celles des États-Unis et du Japon, qui dépassent respectivement 100 % et 200 % de leur produit intérieur brut. Or, jusqu’à présent, ces pays ont réussi à financer leur dette publique dans des conditions satisfaisantes.
On pourrait donc attendre des marchés des anticipations plus favorables à la zone euro. Il n’en est rien malheureusement, et il y a là un paradoxe.
Si la dette des États de l’Union européenne est un tel problème pour nous tous, ce n’est pas seulement parce qu’elle est trop élevée, c’est parce qu’il s’agit non pas d’une dette européenne, comme il y a une dette américaine ou japonaise, mais d’une multitude de dettes inégales dans leur montant, d’un grand nombre de pays inégaux dans leurs capacités de remboursement et qui continuent largement à concevoir leur avenir séparément.
La cause principale de la suspicion des prêteurs est donc politique. Chacun spécule partout dans le monde sur les faiblesses politiques de l’Europe, sur son irréductible division en États jaloux de prérogatives qu’ils peinent à exercer et dont la solidarité mutuelle reste limitée malgré le traité instituant un mécanisme de solidarité financière européen, traité que vous avez à l’époque rejeté.
Certains, parmi ces États, rêvent encore de tirer leur épingle du jeu aux dépens des autres ; d’autres, à l’inverse, craignent d’être solidaires à leurs propres dépens.
Ainsi, la méfiance des marchés se nourrit d’abord de la méfiance des Européens entre eux. Les marchés ont les yeux ouverts sur nos propres limites, qui sont béantes. Ils posent à nos gouvernements des questions pertinentes pour les années à venir : « Êtes-vous oui ou non capables de faire l’union politique entre vous au point que nous pourrons être certains de votre solidarité financière, et donc être assurés que la dette européenne sera remboursée dans toutes ses composantes nationales et que, pour cela, des politiques budgétaires harmonisées seront appliquées afin d’éviter les divergences financières et que l’euro pourra être maintenu sur tous les territoires où il a cours légal, puis étendu à d’autres ? »
En somme, les marchés nous disent une chose simple : « Soyez forts et nous nous inclinerons ! »
Ces questions, nous ne devrions pas avoir besoin d’eux pour nous les poser.