Intervention de Alain Richard

Réunion du 11 octobre 2012 à 9h45
Traité sur la stabilité la coordination et la gouvernance au sein de l'union économique et monétaire — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain RichardAlain Richard :

… assortis de taux d’intérêts qui étouffent la croissance, la monnaie se dévaluera, le pouvoir d’achat des Européens ainsi que leur confiance mutuelle diminueront, et on aboutira au rétablissement du dialogue entre le dollar, d’un côté, et les monnaies des grands pays émergeants, de l’autre.

Les déficits seraient-ils un tremplin pour la croissance ? Toute l’expérience des dernières décennies, dans des États développés et ouverts aux échanges mondiaux, démontre le contraire. C’est le creusement des déficits qui étouffe la croissance, pour des raisons bien connues de tous et malheureusement vérifiées : l’effet d’éviction sur les marchés financiers des emprunts publics de plus en plus importants ; le réflexe d’épargne de précaution dans tous les milieux sociaux, et pas seulement les plus aisés, lorsque la menace résultant de l’incertitude économique augmente.

Au regard de cet objectif d’équilibre budgétaire partagé, que je crois raisonnable, la différence entre ce traité et les précédents – plusieurs orateurs l’ont exprimé de façon tout à fait convaincante – est l’entrée en jeu de la notion de déficits structurels qui évitent la rigidité et permettent de tendre vers un équilibre sain des finances publiques en s’adaptant aux variations entre périodes de forte et de faible croissance.

Sur ce sujet, sans prétendre à l’érudition, il me semble que l’on a tendance, un peu tactiquement, à exagérer les incertitudes autour de cette notion de déficits structurels. L’existence de discussions entre économistes et statisticiens pour analyser la courbe théorique de la croissance potentielle est tout à fait naturelle, mais reconnaissons lucidement que les écarts dont nous parlons sont peut-être de 0, 2 % ou 0, 3 % de PIB sur une période donnée. Par conséquent, ne nous réfugions pas derrière l’idée selon laquelle le déficit structurel serait une notion incertaine pour penser que nous prenons un engagement vide.

Deuxième question, la réduction des déficits est-elle contraire à l’intérêt du pays ?

Le raisonnement que je viens d’esquisser s’applique très fortement à la France. Nous avons accumulé des déficits croissants depuis dix ans, bien avant le déclenchement de la crise. Cela ne nous a apporté aucune croissance, bien au contraire. Un bilan s’impose : laisser filer les déficits sans traiter les autres problèmes, notamment le premier d’entre eux, celui de la compétitivité extérieure, dont la situation s’est constamment dégradée depuis dix ans, a débouché sur le résultat suivant : la plus faible des croissances que nous ayons connues en trente ans.

La politique engagée par le Président de la République et la nouvelle majorité est une politique de « redressement dans la justice ». Cela signifie clairement ne plus laisser l’accumulation de dettes éliminer toute liberté budgétaire, mais au contraire retrouver des marges de manœuvre pour investir et pour renforcer le service public et la solidarité.

Si cette politique semble perçue par certains comme impopulaire, je considère pour ma part qu’elle est souhaitée par une large majorité de Français, de toutes opinions politiques. Ceux-ci savent intuitivement que la dérive de l’endettement menace leurs intérêts fondamentaux, indépendamment du niveau de leurs revenus et de la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent, et comprennent très bien que, depuis des années, des emprunts servent à payer nos enseignants et nos policiers à partir du 15 septembre, nos hôpitaux et nos retraites à partir du 15 novembre. Cette situation a perduré jusqu'au mois de mai dernier ; il faut en sortir !

Ce choix politique lucide est une bien meilleure garantie pour notre évolution économique et sociale qu’une fixation de la démarche au niveau constitutionnel. Il y avait quelque chose de déroutant pour nos partenaires à vouloir transformer en règle constitutionnelle formelle un solde budgétaire englobant non seulement l’État, mais aussi les comptes sociaux et les comptes des collectivités locales. Il était peu lisible – ou trop lisible ! – d’imposer cette exigence constitutionnelle à la toute fin d’une mandature, après avoir pratiqué une politique financière exactement inverse pendant quatre ans et demi.

Mes chers collègues, il n’y a pas de « règle d’or » ; j’aimerais que nous méditions brièvement sur le caractère infantilisant de cette expression. Aucun commandement surnaturel ne peut expliquer le bien-fondé d’une politique financière. Aucune formule juridique unique ne peut définir l’équilibre budgétaire. Le traité nous donne au contraire un cadre, fournit des éléments de mesure et laisse une marge d’appréciation.

Il est temps de se rappeler qu’il existe actuellement, à la fin de l’article 34 de la Constitution telle qu’elle résulte de la réforme de 2008, une expression énonçant un principe sage : « Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ». Y a-t-il quelque chose à ajouter ? Ceux qui ont réclamé pendant des mois, à une période un peu spécifique, l’introduction de ces notions dans la Constitution auraient peut-être gagné du temps en relisant cette dernière.

Troisième question, ce nouveau traité entraîne-t-il une limitation de souveraineté ?

La réponse se trouve dans l’analyse que je viens de présenter. Si nous voulions accumuler des déficits de 4 % ou 5 % du PIB par an en période de croissance, nous ne pourrions pas le faire. Je ne connais aucune personne ayant le sens des réalités et de la préparation de l’avenir collectif qui souhaiterait s’engager dans une telle voie. Le traité prévoit seulement ce qui ne dépasse pas les marges du souhaitable et du possible pour une majorité politique ou une autre dans notre pays.

Sur le plan des règles, l’analyse est facile. Voilà vingt ans, lors de la conclusion du traité de Maastricht, la France a décidé de contribuer volontairement avec d’autres à la création de cette nouvelle monnaie qui permettait à l’Europe de gagner en force et en stabilité. Repensons-y quand nous avons des débats sur la situation actuelle. Si nous devons procéder à ces réglages difficiles et conflictuels, à chaud malheureusement, c’est parce que nous avons une monnaie unique. Si nous détruisions cette dernière par division ou par indécision, nous retrouverions nos anciennes dévaluations dirigées les unes contre les autres. Quel beau succès ! Ce serait particulièrement périlleux pour une France déficitaire et en perte de compétitivité…

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