Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 15 octobre 2012 à 14h30
Ressortissants de nationalités roumaine et bulgare — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi les Roms nous font-ils si peur ? Cette peur a une histoire. Permettez-moi de vous en rappeler l’essentiel en quelques phrases.

Au XVIIe siècle, le destin de la « nation bohémienne » bascule. La montée de l’intolérance s’accompagne de la promulgation de règlements et de l’instauration de sanctions d’une sévérité qui se généralise. Privés de l’accueil des châteaux, où les Égyptiennes et leurs spectacles de danse suscitaient un véritable engouement, exclus des compagnies de gens d’armes, chassés des villes, assimilés à des « errants et vagabonds » et pourchassés à ce titre dans toute l’Europe, interdits de contact, dans l’impossibilité d’exercer une activité itinérante, mais légale, les Tsiganes voient leur situation se dégrader.

Au XVIIIe siècle, l’opinion administrative englobe désormais les Bohémiens dans la catégorie des « vagabonds, mendiants et gens sans aveu ». Il y a un siècle presque exactement, le 4 mars 1907, un long article du Matin consacré aux « Bohémiens et Romanichels » énumérait encore sans honte les maux nombreux impliqués par le nomadisme des Tsiganes, ce « péril errant ». Pillards, propagateurs d’épidémies, meurtriers, empoisonneurs, insaisissables, hors-la-loi, ainsi sont-ils présentés. Redoutés comme des espions en période de guerre, comme des voleurs le reste du temps : voleurs de poules, ou d’enfants… Quant aux femmes tsiganes, on leur reproche leur lubricité éhontée. Vous n’aurez pas oublié, mes chers collègues, la Carmen de Bizet, inspirée de Mérimée.

Au cours de l’histoire, les États européens se sont efforcés de réprimer la mobilité tsigane perçue comme une déviance sociale, d’imposer la sédentarisation aux familles itinérantes, sans pour autant, au fond, les tolérer davantage. Ce qui fait peur, c’est leur nomadisme.

Aujourd’hui, les Roms venus des Balkans réveillent en nous ces peurs ancestrales. Sinon, comment comprendre que, devenus citoyens européens en janvier 2007, et devant donc jouir en théorie des mêmes droits que les autres citoyens européens, dont la liberté de circulation et d’installation sur le territoire de l’Union, ils soient acculés à envahir nos bouches de métros ou à survivre misérablement dans des campements qui déshonorent notre pays ?

Les Roms ne sont traités en France ni comme les autres citoyens communautaires ni comme des migrants non communautaires, ce qui les place en marge des dispositifs nationaux de politiques sociales. Or, tous les témoignages de terrain concordent, ainsi que l’atteste le rapport de l’ancienne HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, les Roms roumains et bulgares souhaitent résider chez nous de manière stable et scolariser leurs enfants. Lorsqu’ils sont régularisés, ils accèdent au logement et à l’emploi et sortent de l’extrême pauvreté.

Si, sous l’actuel gouvernement, leurs conditions d’accès au marché du travail ont effectivement été assouplies, nous sommes toujours très loin du compte.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, croyez-vous que les Roms émigrent chez nous parce qu’ils sont heureux chez eux ? Les peuples heureux n’émigrent pas.

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