Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 15 octobre 2012 à 14h30
Ressortissants de nationalités roumaine et bulgare — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

J’ai vécu un moment – c’était voilà quelques années – en Europe centrale, et je n’oublierai jamais ces grappes humaines errant de nuit comme de jour, au bord des routes, en haillons. Je ne nierai pas que nous ayons chez nous à faire face à quelques abus avec les Roms, je ne nierai pas la réalité des désagréments causés aux riverains par des campements improvisés. Reste une vérité amère : ces Roms préfèrent la misère chez nous à la persécution chez eux.

Notre tradition humaniste nous oblige à mettre fin à toute politique d’expulsions de groupes ciblés, à toute exclusion spécifique de ces populations de nos dispositifs éducatifs, sanitaires ou sociaux. Elle nous impose, au contraire, l’élaboration d’une politique veillant à leur assurer, ici, un égal accès aux droits, en même temps que d’une politique en amont, là-bas, dans les pays d’origine, pour améliorer leur condition.

L’Europe est notre maison. Comme historienne, comme juive et comme citoyenne de ce pays, je croyais que la construction de l’Union effacerait à jamais de notre vocabulaire les mots de « camps » et de « pogroms ». Hélas, ces termes reviennent avec les Roms ! Ces derniers s’entassent dans des campements de fortune. Des riverains osent organiser contre eux des sortes de battues.

Des milliers de visiteurs se précipiteront à l’exposition la plus courue de ces derniers jours, Bohèmes, de Léonard de Vinci à Picasso, au Grand Palais, parce que la bohème et les Bohémiens font partie du fantasme de liberté sans attache des artistes, mais aussi du quidam. Toutefois, on n’hésitera pas à pourchasser sans pitié une pauvre famille de Roms parce que sa pauvreté, sa saleté, sa condition sont une insulte à notre confort mental. Quel décalage, n’est-ce pas !

Quelque 200 000 Tsiganes d’Europe ont été assassinés dans les camps de la mort. À nous d’accomplir notre juste travail de mémoire en tant qu’Européens dignes et de montrer notre courage et notre empathie. Avançons la levée des mesures transitoires ! Ouvrons sans faillir l’indispensable chantier de l’intégration ! Monsieur le ministre, mes chers collègues, répondez sans tarder à l’appel d’un devoir qui est celui du pays des droits humains, le nôtre, ancien et généreux creuset d’immigration.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion