Intervention de Aline Archimbaud

Réunion du 15 octobre 2012 à 14h30
Haute autorité de l'expertise scientifique — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Aline ArchimbaudAline Archimbaud :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales, bien que compétente pour les questions d’expertise sanitaire, s’est saisie pour avis des seuls articles relatifs à l’alerte sanitaire et environnementale qui concernent l’entreprise.

L’entreprise est d’ores et déjà un acteur de la santé et de l’équilibre environnemental. Les institutions représentatives du personnel, les IRP, sont, aux côtés de la médecine du travail, les premiers acteurs de la protection de la santé au travail. Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, créé par la quatrième loi Auroux en 1982, a élargi le champ de compétences de l’ancien comité d’hygiène et de sécurité pour prendre en compte l’impact des conditions de travail sur la santé des salariés.

Les pouvoirs de cette instance, notamment celui de mener des enquêtes sur les accidents du travail et de faire appel à un expert, en ont fait un outil de prévention des risques professionnels indispensable. Toutefois, à l’heure actuelle, ses compétences en matière de prévention des risques sanitaires et environnementaux que fait peser l’entreprise sont très limitées, voire inexistantes.

En effet, la réponse à une situation de risque sanitaire et environnemental relève avant tout de l’État et des autorités publiques locales, en vertu de pouvoirs de police administrative généraux ou spécifiques.

Le maire est chargé de la police municipale, qui a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publiques. Il peut donc, en cas de danger grave ou imminent, prescrire l’exécution de toute mesure exigée par les circonstances.

Le préfet est, quant à lui, compétent dès lors que le champ d’application des mesures à prendre excède le territoire d’une seule commune. Surtout, ses pouvoirs sont étendus en cas d’urgence.

Plusieurs agences et organismes publics, ainsi que les services déconcentrés de l’État, ont pour mission de réaliser une veille sanitaire et environnementale, de répondre aux situations de danger grave et imminent et d’examiner les signalements et alertes dont ils sont destinataires.

Les agences régionales de santé, les ARS, comptent, parmi leurs attributions, l’organisation de la veille sanitaire et le traitement des signalements d’événements sanitaires. Pour ce faire, elles concentrent les moyens de l’État dans les régions, notamment grâce à leur cellule de veille, d’alerte et de gestion sanitaires, la CVAGS.

Il existe un véritable chaînage dans la réponse aux événements sanitaires, selon la gravité et le caractère imminent ou non de ceux-ci, qui implique tous les échelons de l’organisation administrative de l’État et les professions concernées.

La prévention et la réparation des dommages causés à l’environnement correspondent à une logique différente et reposent sur le principe général du pollueur-payeur.

Il appartient à l’exploitant d’une activité économique de prendre, en amont, toutes les mesures nécessaires pour limiter les effets potentiels d’une menace imminente de dommage sur l’environnement et de tenir l’autorité administrative informée de ses initiatives et de leurs conséquences. En cas d’atteinte avérée à l’environnement, les mesures de réparation doivent supprimer tout risque d’atteinte grave à la santé humaine et, éventuellement, rétablir les espaces naturels dans leur état initial. Elles sont à la charge de l’exploitant.

En cas d’urgence ou de danger grave, le préfet dispose d’un pouvoir très large : il peut, à tout moment, prendre ou faire prendre, aux frais de l’exploitant défaillant, les mesures de prévention ou de réparation nécessaires.

Le régime des installations classées constitue le seul lien qui existe entre les deux logiques, l’une interne à l’entreprise, l’autre reposant sur l’intervention de la puissance publique, que je viens de vous exposer.

La loi Bachelot de 2003, votée à la suite du terrible accident industriel de l’usine AZF, a élargi le champ d’action du CHSCT dans les structures qui présentent de graves dangers pour la santé publique ou l’environnement. C’est une nécessité dans des territoires tels que la « vallée de la chimie » lyonnaise chère à notre collègue Guy Fischer ou bien d’autres encore, où sont concentrées, sur quelques kilomètres, des dizaines d’installations classées. Le CHSCT y dispose d’une information renforcée en matière de prévention des risques écologiques liés à l’activité de l’entreprise, au-delà de la simple protection de la santé et de la sécurité du travailleur, et il émet un avis, transmis au préfet, sur la demande d’autorisation faite par l’entreprise.

Toutefois, je viens de vous décrire un régime dérogatoire au droit commun. Alors que les dangers pesant sur l’environnement et la santé publique – pas seulement la santé au travail – du fait des activités économiques se font, malgré le cadre réglementaire existant, de plus en plus nombreux, les employés et leurs représentants n’ont, dans la grande majorité des entreprises, aucun moyen d’agir en la matière.

Le constat de l’insuffisance des dispositions existantes n’est pourtant pas nouveau.

Ainsi, l’article 53 de la loi Grenelle 1 de 2009 invitait déjà les partenaires sociaux à négocier sur « la possibilité d’ajouter aux attributions des institutions représentatives du personnel une mission en matière de développement durable, d’étendre la procédure d’alerte professionnelle interne à l’entreprise aux risques d’atteinte à l’environnement et à la santé publique ».

Auparavant, un document d’orientation, qui avait été transmis aux partenaires sociaux à la suite de la conférence tripartite sur l’amélioration des conditions de travail du 4 octobre 2007, prévoyait de soumettre à la négociation la définition des risques qui seraient concernés par la mise en place d’un dispositif d’alerte et les conditions dans lesquelles celui-ci serait déclenché, ainsi que la question de l’auteur de l’alerte et de la protection de ce dernier.

Malheureusement, vous vous en doutez, aucune suite n’a été donnée à ces initiatives encourageantes, que ce soit du fait de la mauvaise volonté des acteurs concernés ou de l’apparition d’autres priorités politiques.

Dans ce contexte, nos travaux ont été principalement orientés sur l’articulation entre la proposition de loi de Marie-Christine Blandin et les dispositions du code du travail existantes.

Dans le cadre du protocole organisant la concertation avec les partenaires sociaux, la présidente de la commission des affaires sociales et le président de la commission du développement durable ont saisi les partenaires sociaux sur le texte de la proposition de loi afin de recueillir leurs avis. Les réponses écrites des organisations ont été publiées en annexe du rapport de la commission des affaires sociales. J’ai souhaité compléter ces réponses par l’audition des partenaires sociaux, et j’ai ainsi pu entendre le MEDEF, la CFDT, la CFTC et la CGT, les autres syndicats n’ayant pas souhaité ou pas pu répondre à ma demande dans les délais d’examen fixés.

La question de l’expertise sanitaire relevant également du champ de compétence de la commission des affaires sociales, j’ai entendu, sur l’ensemble des dispositions de la proposition de loi, le point de vue d’un acteur indépendant particulièrement impliqué sur cette question, à savoir la revue Prescrire.

Concernant la création de la Haute Autorité de l’expertise scientifique, les partenaires sociaux m’ont fait part de deux objectifs principaux : l’efficacité et l’absence de redondance avec les compétences des agences existantes, en particulier l’ANSES, dont ils sont partie prenante.

S’ils considèrent que la mise en place de normes centralisées pour définir les conditions d’indépendance de l’expertise ainsi que le contrôle des déclarations d’intérêt leur paraissent nécessaires, ils sont opposés à l’idée que la nouvelle instance dispose de pouvoirs d’expertise propres, dont la constitution leur paraît difficile et la mise en œuvre, peu efficace. La revue Prescrire rejoint cette analyse, mais estime utile la possibilité accordée à la Haute Autorité de saisir directement le ministre d’une alerte, afin de surmonter l’éventuelle inertie d’une agence.

Concernant la mise en place d’une procédure de recueil des alertes dans l’entreprise et le renforcement de la protection des lanceurs d’alerte, mesures qui, du fait de leur incidence sur le droit du travail, relèvent du champ de la négociation nationale interprofessionnelle, les organisations consultées m’ont informée qu’elles n’envisageaient pas d’ouvrir une négociation à ce sujet.

Elles ont toutefois formulé plusieurs remarques qui, malgré des points de vue parfois éloignés, laissent apparaître un consensus.

Les organisations patronales – le MEDEF, l’UPA et la CGPME – se sont montrées réticentes à l’idée de créer une cellule d’alerte dans chaque entreprise. Le MEDEF a, malgré tout, souligné la nécessité d’assurer une meilleure cohérence en matière de veille et d’alerte.

Pour les représentants des employeurs, la création d’une nouvelle institution représentative du personnel n’est pas opportune au moment où de nombreuses entreprises sont victimes d’une situation économique peu favorable. De plus, le MEDEF a, lors de son audition, fait valoir que la négociation sur la modernisation du dialogue social, qui a débuté en 2009, est toujours en cours et porte notamment sur la réforme des IRP.

Les organisations représentatives des salariés – la CFDT, la CFTC et la CGT – ont, quant à elles, estimé que la solution la plus pertinente serait de confier les missions qui sont données, dans la proposition de loi, à la cellule d’alerte au CHSCT ou, en son absence, aux délégués du personnel, car le lien entre les conditions de travail, la santé publique et l’environnement est désormais avéré. Pour expliquer leurs doutes sur la nécessité de créer une cellule d’alerte dans chaque entreprise, elles ont mis en avant le caractère concurrent de la structure envisagée par la proposition de loi par rapport aux IRP existantes et le besoin de renforcer celles-ci.

De fait, les questions que la proposition de loi laisse sans réponse sont relatives à la composition et aux modalités de désignation de la cellule ainsi qu’à son indépendance vis-à-vis de l’employeur. Les dispositions applicables au CHSCT et à ses membres garantissent d’ores et déjà l’indépendance et la protection de ces derniers contre un licenciement abusif. Cette IRP pourrait donc jouer le rôle de filtre des alertes dont les salariés la saisiraient, ce qui permettrait d’écarter les signalements infondés ou de mauvaise foi.

La CFDT a rappelé l’existence d’un certain nombre de dispositions en matière d’association des IRP aux questions environnementales, ainsi que les avancées contenues dans la loi Bachelot de 2003, qui n’ont, jusqu’à présent, jamais été mises en œuvre. Cela s’explique par le manque de formation des membres des CHSCT dans les domaines très techniques que sont les risques sanitaires et environnementaux. Le représentant de la CFDT, tout comme celui de la CGT, a beaucoup insisté sur la nécessité de renforcer le droit à la formation des membres des CHSCT.

Toutes les organisations syndicales ont souligné l’autocensure dont font preuve les salariés, ainsi que les pressions plus ou moins explicites qu’ils subissent lorsqu’ils cherchent à révéler un risque lié à l’activité de leur entreprise. Dans la période actuelle de chômage élevé, le chantage à l’emploi dont ils peuvent être les victimes est souvent dissuasif.

C’est la raison pour laquelle elles prônent avant tout une extension du droit de retrait reconnu au salarié et du droit d’alerte du CHSCT aux conséquences sur la santé publique et sur l’environnement des méthodes de production de l’entreprise.

Enfin, la CFTC a considéré que la difficulté majeure, pour les salariés, consiste à accéder à la connaissance scientifique nécessaire pour démontrer les risques dont ils soupçonnent l’existence. Celle-ci est souvent fragmentée dans l’entreprise, ce qui ne permet pas forcément à une personne isolée et non experte de reconnaître une situation de danger et de lancer une alerte.

C’est pourquoi il a été suggéré de s’appuyer sur les réseaux de vigilance existants, en particulier les groupes d’alerte en santé travail, les GAST, qui sont en cours de déploiement auprès des agences régionales de santé, sous l’égide de l’Institut de veille sanitaire, l’InVS.

La commission des affaires sociales a adopté onze amendements tendant à supprimer les cellules d’alerte dans les entreprises telles qu’elles sont proposées dans le texte initial et à intégrer la mission de veille sanitaire aux compétences du CHSCT ou, à défaut, à celles des délégués du personnel.

Il s’agit : d’élargir les missions du CHSCT en y ajoutant l’examen des alertes de santé publique ou d’environnement transmises par les salariés ou identifiées par ses membres ; de renforcer le pouvoir d’enquête de cette instance, pour lui permettre d’enquêter sur les alertes qu’elle reçoit dans les domaines que je viens de citer ; de prévoir que le CHSCT est consulté avant tout changement des produits ou des procédés de fabrication utilisés dans l’établissement qui sont susceptibles de faire peser un risque sur la santé publique ou l’environnement ; de rendre obligatoire la réunion du CHSCT lorsqu’un événement lié à l’activité de l’établissement a porté atteinte ou a pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement ; de permettre au CHSCT de faire appel à un expert pour ce qui concerne les risques sanitaires ou environnementaux qui peuvent être posés par l’activité de l’entreprise.

Il est également nécessaire d’élargir le droit d’alerte et de retrait reconnu à tout salarié par le code du travail et le droit d’alerte dont disposent les représentants du personnel au CHSCT, afin d’inclure les risques en matière de santé publique et d’environnement.

Pour garantir la meilleure protection possible des lanceurs d’alerte contre les représailles qu’ils pourraient subir dans le monde du travail, il est également apparu nécessaire de modifier l’article du code qui pose le principe général de non-discrimination, en incluant dans la liste des personnes ne pouvant être écartées d’un recrutement, sanctionnées ou licenciées celles qui, de bonne foi, ont été à l’origine d’une alerte.

Il faut également garantir à tout citoyen ou à tout salarié d’une entreprise de moins de onze salariés la possibilité de lancer une alerte. Pour cela, il est nécessaire de prévoir dans le code de la santé publique, d’une part, dans le code de l’environnement, d’autre part, que ce citoyen ou ce salarié pourra saisir, selon le cas, le directeur général de l’ARS ou le préfet de département s’il a connaissance d’un risque grave en matière de santé publique ou d’environnement.

En outre, afin de garantir l’information des IRP compétentes sur les questions environnementales, l’obligation de consultation du comité d’entreprise sur le rapport de développement durable des entreprises cotées doit être rétablie.

Cette obligation, créée par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle 2, avait été supprimée moins de six mois plus tard par un cavalier législatif introduit dans la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière.

Au moment où nous examinons la possibilité d’élargir la compétence des CHSCT aux alertes environnementales, il nous apparaît tout à fait pertinent de restaurer un droit de regard des IRP en matière de responsabilité sociale, environnementale et sociétale des entreprises.

Mes chers collègues, les propositions de modification que je viens de vous présenter sont empreintes d’un souci de pragmatisme et d’efficacité. Elles sont destinées à garantir que le dispositif proposé, s’il est voté, s’intégrera à la vie des entreprises et contribuera à renforcer la sécurité sanitaire et environnementale de notre pays.

Si des dispositions similaires avaient existé il y a dix ou vingt ans, la collectivité publique n’aurait pas à dépenser des millions d’euros pour assurer la dépollution de sites industriels laissés à l’abandon par un propriétaire qui s’est soustrait à ses responsabilités.

Les désastres des plans sociaux cachent souvent, comme ce fut le cas pour celui de Metaleurop à Noyelles-Godault, des drames sanitaires et environnementaux : pollution des sols, des eaux, de l’atmosphère et, inévitablement, dégradation de la santé des populations alentour.

Faisons en sorte que ceux qui en sont les témoins et les victimes puissent agir efficacement pour y mettre un terme !

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