Intervention de Delphine Batho

Réunion du 15 octobre 2012 à 14h30
Haute autorité de l'expertise scientifique — Discussion d'une proposition de loi

Delphine Batho, ministre :

C’est pourquoi la France envisage de proposer à ses partenaires européens un changement radical de la politique d’expertise pour ce qui concerne les OGM.

Nous considérons qu’il faut rendre contraignantes des lignes directrices renforcées d’évaluation des risques et tenir compte des conséquences socio-économiques.

Selon nous, il faut aussi que les agences d’évaluation disposent de moyens suffisants pour réaliser leurs propres études, alors que ce sont actuellement les industriels qui fournissent les études et les données qui déterminent les autorisations de mise sur le marché.

À l’instar de ce qui a été prévu par le législateur pour garantir l’indépendance en matière de mesure des ondes électromagnétiques, nous devons réfléchir à la création d’un fonds qui aurait vocation à financer directement des études toxicologiques publiques d’évaluation des risques. Ces études pourraient notamment porter sur des périodes longues d’exposition et s’intéresser plus spécialement aux effets sur les personnes vulnérables, en particulier les femmes enceintes et les enfants.

La proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui est donc utile. Elle porte sur deux questions majeures : les conditions de l’indépendance de l’expertise et la prise en compte des alertes. Elle s’inscrit ainsi directement dans la perspective ouverte par les travaux de la table ronde santé-environnement de la Conférence environnementale, dont la feuille de route contient les engagements selon lesquels « le statut de l’expert fera l’objet d’une réflexion plus poussée » et « les conditions permettant de repérer et de confirmer une alerte seront également étudiées ».

Le Gouvernement soutient donc la démarche du Sénat. Les dispositions précises du texte font débat et ont été discutées, je le sais, de façon approfondie en commission du développement durable, en s’appuyant sur le travail de qualité mené par M. le rapporteur Ronan Dantec, ainsi qu’en commission des affaires sociales, grâce à l’implication de Mme Aline Archimbaud.

Concernant les conditions de l’indépendance et de la déontologie de l’expertise, les défis posés par les risques émergents demandent une structuration adaptée, fiable et transparente de la recherche et de l’expertise, afin de les traiter selon une procédure traçable et de leur apporter une réponse satisfaisante.

Des progrès incontestables ont été accomplis ces dernières années.

L’ANSES s’est ainsi dotée, en avril 2011, d’un comité de déontologie et de prévention des conflits, d’un code de déontologie de l’expertise et d’une cellule d’audit interne.

L’INERIS, l’institut national de l’environnement industriel et des risques, dispose depuis 2004 d’une charte de déontologie et d’un comité de déontologie.

Une charte nationale de l’expertise scientifique, élaborée en mars 2010 par le ministère de la recherche, assure un premier niveau de traitement de l’alerte au sein des organismes de recherche. En mai 2012, elle avait été adoptée par treize établissements d’enseignement supérieur et de recherche et quarante universités.

Par ailleurs, la loi du 29 décembre 2011 a renforcé les dispositions en matière de déontologie de l’expertise sanitaire pour l’ANSES, l’InVS, l’IRSN – institut de radioprotection et de sûreté nucléaire – et l’ASN – autorité de sûreté nucléaire –, et prévoit une protection des lanceurs d’alerte dans le domaine de la pharmacovigilance.

Ces avancées récentes, qui pourront être complétées par une nouvelle étape, doivent être soulignées. Pour autant, la création d’une nouvelle structure fait débat. En tant que ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, je suis favorable à ce qu’une instance soit spécifiquement chargée d’une mission transversale de suivi des garanties déontologiques que je viens de citer. Celle-ci aurait vocation, j’y insiste, non pas à se substituer aux instituts et agences existants, mais à s’assurer de la prise en compte des enjeux déontologiques et des bonnes pratiques de l’expertise.

Elle pourrait veiller à la mise en place des comités et chartes de déontologie ainsi que des cellules d’audit interne au sein de l’ensemble des agences et organismes qui produisent nos expertises, sans les décharger pour autant de leurs responsabilités. Sur ce dernier point, très important à nos yeux, il convient d’améliorer le texte.

Il ne peut s’agir d’instituer un échelon supplémentaire et unique d’instruction d’expertise technique, comme le débat a d’ailleurs permis de le préciser. L’expertise scientifique ne peut être concentrée en un lieu unique, ce qui serait contre-productif par rapport aux buts recherchés, à savoir le pluralisme, l’évaluation contradictoire par les pairs, la transparence et la fiabilité de l’expertise.

De plus, l’ouverture à la société civile, telle qu’elle est pratiquée notamment à l’ANSES, l’INERIS et l’IRSN, dont mon ministère partage les tutelles, me semble devoir être généralisée.

Il s’agit de procédures de consultation et d’audition ouvertes aux parties prenantes, notamment aux ONG, de mise en place de comités de dialogues thématiques et de comités d’orientation. Ouvrir l’expertise à la société est à la fois un facteur d’indépendance et de prise en compte des signaux faibles.

L’alerte environnementale et sanitaire et la bonne manière de l’entendre et d’y donner suite ont été beaucoup discutées ces dernières années. Toutefois, ces sujets demeurent en chantier, car nous devons encore travailler sur les difficultés liées à leur mise en œuvre opérationnelle et juridique.

Nul ne doit pouvoir être inquiété parce qu’il aurait révélé un danger sanitaire ou environnemental. Vous avez eu raison, madame Blandin, de rappeler le nom de ceux qui ont eu le courage de dénoncer de véritables scandales.

Concernant la protection du lanceur d’alerte, il me paraît cependant important de préciser que la structuration actuelle des institutions représentatives du personnel, au sein desquelles figure le CHSCT, fait l’objet d’une négociation au niveau national interprofessionnel entre les partenaires sociaux dans le cadre de la Conférence sociale. La question de la place du CHSCT et de ses missions, notamment environnementales, est au cœur de ces négociations. Nous devons respecter le dialogue social, qui doit apporter une solution négociée, conformément à ce qu’ont demandé les organisations de salariés et d’employeurs.

À cet égard, je rappelle que le droit d’alerte existant à l’heure actuelle ne vaut qu’en cas de danger grave et imminent et n’est donc pas applicable au sujet qui nous préoccupe, à savoir les risques pour la santé ou environnementaux.

Pour ce qui concerne la prise en compte des signaux faibles, la création d’un « registre national des alertes » doit être envisagée. Nous devons effectivement nous assurer qu’à chaque alerte plausible correspond bien une expertise scientifique indépendante menée par une ou plusieurs des agences compétentes. Des structures existantes pourraient tenir ce registre : elles s’assureraient que chaque question peut être traitée par un organisme d’expertise à même de l’analyser.

Je pense notamment au Comité de la prévention et de la précaution ou au Haut Conseil de la science et de la technologie. Ces instances pourraient également identifier, sans instruction technique directe, je le répète, d’éventuels « sujets orphelins » et s’en autosaisir. Ces sujets seraient ensuite répartis entre les agences compétentes. Une mission de réflexion sur la captation de l’alerte et des signaux faibles est actuellement menée par le Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, et le Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le CGEIET, dont le Gouvernement attend le rapport d’ici à la fin de l’année.

Il est également souhaitable, parallèlement au suivi des conditions déontologiques d’exercice, de veiller à la méthodologie de prise en compte de ces signaux faibles à l’intérieur même des agences, là encore en généralisant les bonnes pratiques déjà mises en œuvre dans certaines d’entre elles.

Afin d’améliorer les dispositions de cette proposition de loi, je me tiens, mesdames, messieurs les sénateurs, à votre entière disposition. Conformément au cap fixé par le Président de la République et le Premier ministre lors de la Conférence environnementale, le Gouvernement entend améliorer la prise en compte des enjeux de santé environnementale dans l’ensemble des politiques publiques. Pour cela, il a besoin de la force d’initiative du Parlement.

Nous nous engageons donc à travailler sérieusement et rapidement, sur la base de vos propositions, en renforçant les cadres existants, pour faire progresser les garanties de l’indépendance de l’expertise. Les débats en témoignent, votre initiative est la bienvenue. Elle mérite d’être précisée et améliorée, pour pouvoir rassembler. Le Gouvernement reste à votre disposition pour qu’elle puisse aboutir.

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