Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d’abord remercier Marie Blandin du travail qu’elle a conduit, de son opiniâtreté à faire inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour et de sa détermination à susciter dans notre assemblée un débat sur l’expertise scientifique.
Débattre de l’expertise scientifique pourrait presque passer pour un oxymore tant les mots « expert » et « scientifique » sont souvent mis en avant justement pour clore le débat. Le rappel des nombreux cas, évoqués par les orateurs précédents, où l’expertise a été aussi défaillante qu’arrogante est fort instructif.
Par présomption, l’expertise est toujours scientifique, donc objective, et sa critique, toujours par présomption, serait idéologique, donc subjective.
Le débat en commission et les oppositions qui s’y sont manifestées se sont concentrés sur la question de la création d’une nouvelle autorité indépendante. Cet aspect formel a été l’abcès de fixation, et je regrette que le rapport ait été rejeté par la majorité UMP. Du reste, madame Jouanno, en vous écoutant à l’instant, je me disais combien il serait heureux que vous rejoigniez un jour la commission du développement durable : vous vous y trouveriez tout à fait à votre place, et nous pourrions échanger de manière fructueuse et améliorer ensemble les textes que nous examinons.
Le Conseil d’État a compté 103 autorités indépendantes. C’est effectivement beaucoup ! Il a aussi indiqué que, depuis 2007, soit durant le quinquennat précédent, leur budget avait augmenté de 15 % et leurs effectifs, de 6 %. Donc, le problème des agences ne date pas de la proposition de loi de Marie Blandin et provient plutôt d’une inflation de ces structures, particulièrement au cours des cinq dernières années.
Mais la vraie question n’est pas tant celle-là que celle de la place de l’expertise scientifique dans notre prise de décision.
Les attendus de la proposition de loi sont-ils fondés ? Le but visé est-il légitime ? À ces deux questions, nous considérons que la réponse est oui. Nous sommes, législateur comme Gouvernement, de plus en plus souvent sommés d’arbitrer des débats d’une grande technicité, débats d’ailleurs moins scientifiques que technologiques, autrement dit portant plutôt sur l’utilisation faite par l’homme et pour l’homme de la science.
Pour arbitrer conformément à l’intérêt général, nous nous tournons souvent vers des experts et nous nous demandons souvent, durant les processus de réflexion, si leur expertise est aussi indépendante qu’il est confortable de le croire.
Mme Blandin, M. le rapporteur et Mme la rapporteur pour avis ont évoqué plusieurs exemples et nous avons eu maintes fois l’occasion de découvrir que tel ou tel scientifique ou expert n’était pas sans liens tantôt avec l’industrie agroalimentaire, tantôt avec celle du pétrole, voire avec celle du tabac. La qualité d’expert scientifique n’est donc pas incompatible avec les conflits d’intérêts économiques.
Et puis les experts scientifiques ont, eux aussi, des convictions et des partis pris idéologiques ; après tout, c’est bien leur droit ! Nous connaissons ce courant de pensée selon lequel toute innovation est toujours bénéfique pour les populations et tout artifice éternellement supportable pour la planète.
Quant aux médias, qui popularisent ou dénigrent telle ou telle expertise, ils ne sont pas non plus exempts de connivences économiques et de présupposés idéologiques.
Nous voilà, législateur, Gouvernement, fort perplexes et sommés de choisir entre l’aveuglement et l’obscurantisme.
D’autres experts seraient-ils plus indépendants ? La question a été posée. Si l’on parle d’indépendance intellectuelle ou économique, nous ne pouvons en être certains. La seule façon de résoudre ce problème est d’organiser une expertise contradictoire et pluraliste, comme le prévoit la proposition de loi, et de veiller à la protection des lanceurs d’alerte.
Les lanceurs d’alerte ne sont pas des gêneurs ; ce sont des vigies que la complexité et la technicité de notre monde rendent indispensables. Ils peuvent se tromper, nous objectera-t-on ; sans doute, mais pas plus que des experts : parmi ces derniers, certains se sont trompés, rétractés et parfois disqualifiés.
Aucune procédure ou institution ne nous mettra totalement et durablement à l’abri des expertises erronées ou biaisées, mais nous pouvons organiser l’expertise pour éviter qu’une décision soit prise dans l’ignorance ou la dissimulation d’autres points de vue.
À l’issue de ce débat, nous souhaitons, à l’instar de Mme la ministre, qu’il soit pris acte de plusieurs points.
Premièrement, l’expertise scientifique souffre d’un déficit d’indépendance et de pluralisme qui peut être réduit grâce à davantage de transparence, de pluralité et de déontologie.
Deuxièmement, les lanceurs d’alerte sont utiles, et leur expertise, qui n’est pas toujours sanctionnée par des diplômes universitaires et provient de leur observation, doit pouvoir être recueillie.
Troisièmement, nous avons besoin d’un peu de temps pour ajuster et évaluer le meilleur dispositif pour atteindre les objectifs que je viens d’évoquer, et recueillir l’avis de quelques experts indépendants.
En concluant ainsi notre séance, nous n’aurons pas achevé notre travail, mais nous aurons posé les jalons d’une belle évolution au service de la démocratie et du progrès scientifique, en garantissant qu’il se forge aussi hors de la sphère des producteurs et des acteurs économiques du progrès.
J’espère que ceux de nos collègues qui n’ont trouvé dans ce texte aucun problème de fond et ont décelé seulement des inconvénients de forme seront satisfaits par les propositions qui naîtront de la concertation entre tous ceux qui y travailleront à partir de maintenant.