Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 16 octobre 2012 à 9h30
Avenant à une convention fiscale avec les philippines — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, on pourrait évidemment se demander pourquoi nous avons pu, une fois encore, solliciter l'inscription à l'ordre du jour de nos travaux en séance publique d'un débat portant sur un accord international en matière fiscale, d'autant que, s'agissant du présent avenant à la convention fiscale entre la France et les Philippines, certaines garanties quant à sa pertinence paraissent devoir être retenues aux termes du rapport qui vient de nous être présenté.

Mais cette discussion est, pour nous, l'occasion de revenir sur quelques-uns des sujets fondamentaux qui nous préoccupent depuis que nous avons pris l'habitude d'évoquer la coopération fiscale internationale, la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales au travers de ces nombreux accords qui, depuis 2008, font l'objet de projets de loi de ratification.

Sur le plan économique, les Philippines demeurent un grand pays rural. Les activités agricoles, insuffisantes pour nourrir une population qui croît de 2 % par an encore aujourd'hui, occupent en effet quelque 40 % de la main-d'œuvre locale.

Les inégalités sociales sont criantes dans ce pays ayant connu une longue période de dictature sous le président Marcos. Au demeurant, la révolution de 1986, qui conduisit Ferdinand et Imelda Marcos à un exil doré sur l'archipel de Hawaii, n'a pas fondamentalement changé les choses.

En lieu et place du détournement des fonds publics perpétré par Marcos et les membres de sa famille, ses parents, alliés et amis, on assista en effet au retour en force des familles oligarchiques de la très haute bourgeoisie locale, qui eurent tôt fait de confisquer l'aspiration populaire au changement pour mieux asseoir leur pouvoir politique.

La Constitution de 1987, largement inspirée des règles nord-américaines, a créé un régime politique où les prérogatives réelles du Président de la République sont associées à un mode de désignation des parlementaires favorisant les positions de force assurées par la puissance économique.

Les différences entre les partis politiques représentés au Parlement ne sont pas fondamentales et participent de cette forme de confiscation du suffrage populaire opérée par ceux-là mêmes qui en ont les moyens.

Dans le classement des pays établi selon différents indices internationaux, les Philippines ne sont pas très bien placées.

En matière de droits politiques et de libertés civiles, le pays s'inscrit en effet dans une moyenne plutôt basse. Si la justice locale jouit d'une bonne réputation d'indépendance, la population subit encore beaucoup les exactions des forces de l'ordre, la pratique des exécutions extrajudiciaires et autres problèmes, liés d'ailleurs en partie à l'instabilité de régions du pays en rébellion contre le pouvoir central, notamment du côté de Mindanao. Depuis le début de l'année, cinquante-cinq militants de la cause environnementale ont été tués aux Philippines pour s'être opposés à des projets d'exploitation minière.

En outre, malgré certains efforts, le pays ne présente pas encore les conditions optimales pour que soit garanti le plein exercice de la liberté de la presse.

Sur le plan de la transparence financière, il semble bien qu'il y ait encore beaucoup à faire, et c'est là que le bât blesse au regard du sujet qui nous occupe aujourd'hui.

Selon Transparence International France, ONG dont nous avons recueilli le témoignage dans le cadre des travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, les Philippines se situent plutôt en queue de peloton de ce point de vue, avec une note qui les place au niveau de la Syrie et derrière des pays comme la République de Panama, avec laquelle le Sénat avait jugé utile, il y a peu, de prendre quelques précautions en matière de coopération fiscale.

Il ne faut jamais oublier qu'une convention fiscale intéresse autant le pays tiers concerné, en l'occurrence les Philippines, que les entreprises françaises qui pourraient être tentées d'y investir. Il convient donc de s'entourer de garanties permettant à ces dernières de le faire sans risquer, si l'on peut dire, de « coup de bambou » fiscal en retour.

Nous ne sommes cependant pas spécifiquement enclins à retirer, dès l'approbation de cet avenant, les Philippines de la liste des États et territoires non coopératifs que nous avons établie pour notre propre législation.

Il nous semble même souhaitable, dans le cas qui nous occupe, de décider que l'ensemble des pays ayant passé une nouvelle convention fiscale avec la France soient maintenus dans la liste d'origine et que seul l'apport de preuves manifestes et incontestables de qualité et de transparence des opérations d'investissement menées dans ces pays permette de considérer que la situation de telle ou telle entreprise, de tel ou tel investisseur, est conforme au droit. Ayons en tête, mes chers collègues, cette fameuse « culture de la faille », mise en évidence au cours des travaux de notre commission d'enquête.

Nous n'avons rien contre le développement de nos échanges avec les Philippines et de nos investissements dans ce pays, mais nous souhaitons le placer, en quelque sorte, sur liste d'attente, pour ce qui est du traitement fiscal des dossiers concernés en droit français. Si, dans les deux, trois ou cinq ans à venir, nous n'avons aucune raison de nous plaindre de la qualité de l'information fournie tant par l'administration fiscale philippine que par les entreprises françaises investissant là-bas, rien ne pourra justifier qu'un traitement particulier soit mis en œuvre.

Au bénéfice de ces observations, nous indiquons que, sans nous opposer à l'approbation de cet avenant, nous ne voterons pas, néanmoins, le présent projet de loi. §

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