Je me félicite de cet état d’esprit, et je vais essayer de veiller à ne pas troubler une telle harmonie.
La menace terroriste en France demeure à un niveau élevé. Le territoire métropolitain a été frappé – cela n’était plus arrivé depuis bon nombre d’années – au mois de mars dernier à Toulouse. Je ne reviens pas sur les opérations qui ont été menées au mois d’octobre dernier par les forces de police et de gendarmerie en région parisienne, dans le Bas-Rhin et dans les Alpes-Maritimes. Cette enquête fait suite au jet d’un engin explosif le 19 septembre dernier à Sarcelles. Le Président de la République et le Gouvernement ont eu raison de condamner fermement ce type d’action. Je suis sûr que nous nous associons sur toutes les travées de notre Haute Assemblée à la condamnation de cet acte odieux.
Depuis le milieu des années quatre-vingt, la pratique administrative, la loi et la jurisprudence ont forgé des instruments de lutte contre le terrorisme performants, et reconnus comme tels par les spécialistes français et étrangers.
Aujourd’hui, il est nécessaire de donner aux institutions de la République – police, gendarmerie et justice – les moyens juridiques d’agir, aussi bien administratifs que judiciaires. C’est l’objet du projet de loi préparé cet été grâce à une réflexion commune entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, même si, je le reconnais, il s’appuie sur certaines bases antérieures.
Ce projet se veut équilibré et s’inscrit dans la ligne de l’action antiterroriste française dont le fondement reste l’incrimination de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, née dans les années quatre-vingt. Je veux d’ailleurs saluer ici le travail de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, que nous a rappelé son président David Assouline.
L’action du législateur a toujours été marquée par un souci constant d’équilibre entre, d’un côté, l’attribution à la puissance publique de prérogatives renforcées nécessaires à la sécurité collective et, de l’autre, la préservation des libertés publiques, comme c’est le cas encore aujourd’hui avec ce projet de loi.
Les précédents orateurs ont très bien rappelé les principales dispositions du projet de loi, notamment le prolongement des procédures de surveillance administrative, avec les contrôles dans les trains internationaux, ou encore l’accès aux données techniques recueillies dans les communications électroniques ou lors de l’accès à internet.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit de modifier le code pénal afin de permettre à la loi française de s’appliquer inconditionnellement aux actes de terrorisme commis à l’étranger par des ressortissants français. Cette modification permettra de poursuivre plus efficacement les personnes ayant participé à des camps d’entraînement terroriste à l’étranger alors même qu’elles n’auront pas commis d’actes répréhensibles sur le territoire français.
L’internationalisation de la menace terroriste constitue aujourd’hui l’une des principales menaces auxquelles notre pays doit faire face. Malheureusement, la coopération internationale entre les pays, notamment les pays hôtes de ces camps d’entraînement, pour lutter contre le terrorisme n’est pas aussi développée.
Alors député, j’avais présenté en 2004 devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale un rapport d’information sur la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme. J’avais ainsi eu l’occasion de rappeler que le concept de « guerre contre le terrorisme » n’était pas adapté et qu’il pouvait même être contre-productif. L’outil militaire peut s’avérer parfois nécessaire pour surveiller des routes maritimes internationales et pour détruire des bases utilisées par les réseaux terroristes dans des zones de non-droit. Pour autant, les réseaux terroristes prennent de moins en moins la forme d’organisations structurées et centralisées, ce qui rend primordial le développement de moyens non militaires antiterroristes que sont les services de renseignement, de police et de justice.
Le cas de la tuerie de Toulouse et de l’affaire Merah est à cet égard édifiant. Bien qu’il y ait eu initialement des doutes concernant certains détails de cette affaire, il est avéré aujourd’hui que ce tueur présentait bien les caractéristiques d’un « djihadiste de synthèse » pour son passage dans les camps d’entraînement de la zone tribale afghano-pakistanaise, notamment, mais aussi les traits plus caractéristiques du « loup solitaire » : planification en autonomie, conduite et exécution des actions terroristes de façon indépendante de toute organisation, c’est-à-dire sans commandement et sans appui humain ni logistique.
Le travail antiterroriste, centré sur l’anticipation et la prévention, nécessite de disposer d’un recul et d’une réflexion axée sur la neutralité, l’expertise et la pluralité des approches. Dans ce domaine, comme d’ailleurs dans toute forme de criminalité, la prospective devrait être renforcée, notamment en associant le travail des policiers avec celui de chercheurs et de spécialistes extérieurs aux services. La police de proximité permettrait sans doute également une meilleure connaissance du terrain afin d’alimenter les services de renseignement.
Monsieur le ministre, vous avez lancé une réflexion sur l’ensemble de ces sujets. Je fais confiance au Gouvernement pour qu’il prenne les bonnes décisions afin de renforcer nos outils de renseignement.
Pour autant, la tâche des services de renseignement n’est pas simple. Les règles fondamentales du renseignement, comme celles de la protection de la source ou du « tiers exclu », rendent concrètement très difficile la mutualisation du renseignement dans un cadre multilatéral au niveau européen. L’essentiel est de s’assurer que les services nationaux coopèrent au quotidien, que les juges échangent des informations. Il faut donc veiller à ce que policiers et magistrats de chaque pays ne se heurtent pas aux frontières intérieures de l’Union européenne.
Si cela ne passe pas par la communautarisation de domaines comme la police, la justice ou le renseignement, cela légitime l’existence d’aiguillons, comme Europol et Eurojust, où les représentants des services nationaux apprennent à se parler et à se connaître.
La coopération bilatérale est également essentielle en matière de lutte contre le terrorisme. Il semble que la voie à privilégier réside non pas tant dans le développement de structures internationales de coordination que dans l’évolution ou la réforme des appareils antiterroristes des pays qui souhaitent coopérer.
En tout état de cause, en ce qui concerne la coopération antiterroriste dans le cadre européen, l’Union européenne ne doit pas se substituer à l’action prioritaire des États membres, comme le prouve ce projet de loi présenté par le Gouvernement. La politique européenne en matière de lutte antiterroriste ne doit pas concurrencer les politiques nationales, voire se substituer à celles-ci, mais elle doit leur apporter un appui quand des synergies sont possibles.
Par ailleurs, le principal rôle que l’Union européenne doit jouer en matière de lutte contre le terrorisme est de tout mettre en œuvre pour faire disparaître les freins qui empêchent la coopération directe entre États membres, tout particulièrement dans le domaine judiciaire. Enfin, la protection civile est également un domaine où la légitimité de l’intervention de l’Union européenne semble réelle et où elle peut apporter une possible plus-value.
En conclusion, la lutte contre le terrorisme suppose de privilégier une approche pragmatique et évolutive. Il est primordial de savoir s’adapter aux circonstances. C’est là tout le sens du projet de loi présenté par le Gouvernement, projet que, bien entendu, nous soutiendrons totalement. §