Séance en hémicycle du 16 octobre 2012 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu (projet n° 788, texte de la commission n° 30, rapport n° 29).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, est soumis aujourd’hui à votre approbation l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu, signé à Manille le 25 novembre 2011.

Cet avenant vise à mettre en place un cadre juridique général permettant un échange de renseignements effectif et sans restriction ; il prévoit en outre la levée d’un éventuel secret bancaire. L’article de la convention fiscale franco-philippine du 9 janvier 1976 relatif à l’échange de renseignements, modifié par cet avenant, sera ainsi conforme aux standards internationaux en matière de transparence et d’échange d’informations fiscales, notamment au modèle de convention élaboré par l’OCDE.

Je tiens à vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que toutes les précautions nécessaires ont été prises par la France afin que cet avenant puisse être suivi d’effet. Les négociations, amorcées par la partie française, sont intervenues après que les autorités philippines eurent modifié de manière significative et effective les dispositions législatives nationales en matière fiscale. Depuis 2009, il n’existe plus de restrictions à l’échange d’informations de nature bancaire, conformément aux exigences posées par les standards internationaux. Aussi l’OCDE a-t-elle inscrit, dès septembre 2010, les Philippines sur sa « liste blanche » des États et territoires ayant mis en place les normes internationales en matière fiscale.

Je souhaiterais insister sur un point, mesdames, messieurs les sénateurs : la signature et l’approbation de cet avenant ne sont pas une fin en soi, mais s’inscrivent dans le cadre de la mise en place d’un véritable dispositif de lutte contre les pratiques fiscales dommageables. C’est en effet au moyen de cet avenant que la France consolidera les règles d’échange de renseignements avec ce partenaire et confortera les Philippines dans ses engagements en faveur de plus de transparence fiscale.

La France, comme vous le savez, est très engagée dans la lutte menée par la communauté internationale contre les États et territoires non coopératifs en matière fiscale.

Sur le plan bilatéral, la France est l’un des pays les plus dynamiques, avec la mise en place d’un large réseau conventionnel : depuis mars 2009, la France a signé deux conventions fiscales, onze avenants et vingt-huit accords d’échange de renseignements.

Sur le plan multilatéral, la communauté internationale s’est organisée au sein du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, enceinte qui s’est fixée pour mission d’évaluer le degré de transparence fiscale, non seulement de chacun de ses membres – 109 États et territoires –, mais également de tout autre territoire qui présenterait des risques dans ce domaine.

À cet effet, le Forum mondial a mis en place un mécanisme d’évaluation par les pairs, présidé par M. François d’Aubert, délégué général à la lutte contre les paradis fiscaux.

Ces évaluations se déroulent en deux phases, et les Philippines ont été concernées par cet exercice. En 2011, le rapport de phase 1, qui porte sur le cadre légal de la coopération administrative, a été publié. Ce document note les progrès qui ont été accomplis tant dans la législation philippine interne que dans la conclusion d’accords d’échange de renseignements avec d’autres pays.

Dès lors, les Philippines feront l’objet d’une évaluation qui portera sur les conditions réelles de la mise en œuvre de l’échange d’informations, qui est programmé pour se dérouler au premier semestre de 2013 ; il s’agira là de la phase 2. Cet avenant vient par conséquent enrichir l’analyse, par le Gouvernement et les instances multilatérales, de l’effectivité de l’échange de renseignements.

Sur le plan national, enfin, la France s’est dotée, comme vous le savez, de sa propre liste des États et territoires non coopératifs. Les territoires figurant sur cette liste sont soumis à des sanctions fiscales lourdes, telles que le refus, pour les sociétés françaises, de se voir accorder le bénéfice du régime mère-fille pour leurs filiales situées dans ces territoires.

Les Philippines, qui figurent actuellement sur cette liste, pourront en sortir si l’avenant entre en vigueur avant le 31 décembre prochain. Pour autant, s’il apparaissait que l’évaluation par le Forum mondial était défavorable en phase 2 ou que l’assistance administrative prévue par l’avenant ne se déroulait pas de manière satisfaisante, la réinscription des Philippines sur la liste française deviendrait à l’ordre du jour.

En conclusion, je voudrais souligner la nouvelle avancée dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales que constitue la conclusion de cet avenant.

Ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, permettra de confirmer les engagements pris par le Gouvernement philippin sur la scène internationale en matière de transparence fiscale.

Il permettra aussi de prendre acte des dispositifs législatifs récemment adoptés par les autorités philippines et de mettre en conformité les règles d’échange de renseignements avec les standards internationaux les plus récents.

Naturellement, soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’application de cet avenant, étayant la politique fiscale menée par la France, sera suivie avec le plus grand intérêt par les services de l’État.

Telles sont, monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle l’avenant à la convention fiscale franco-philippine qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation. §

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qui peut jouer les oracles ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Certains de nos collègues émettront sans doute des réserves quant à l’approbation de l’avenant franco-philippin.

Cependant, la meilleure façon de prédire l’avenir de la coopération fiscale franco-philippine, c’est encore de le créer, en prévoyant les conditions nécessaires à la mise en œuvre de celle-ci. Tel est l’objet du présent projet de loi.

En effet, une chose est certaine : si nous n’approuvions pas l’avenant à la convention fiscale franco-philippine, la coopération entre les deux pays demeurerait lettre morte, car cela reviendrait à permettre aux Philippines de ne pas pratiquer l’échange de renseignements, en invoquant le secret bancaire.

Tel est l’enjeu de ce texte. Les Philippines n’ont aujourd’hui aucune obligation de répondre à une demande française de communication de renseignements détenus par un établissement financier.

Les stipulations de la convention fiscale de 1995 sont obsolètes. Le secrétariat de la commission des finances a interrogé le bureau du contrôle fiscal de la direction de la législation fiscale du ministère de l’économie et des finances, qui a confirmé que, en l’état actuel des choses, aucune coopération fiscale n’était possible. Seule la modification de la convention permettra d’imposer aux autorités philippines de transmettre de telles informations.

C’est pourquoi l’avenant actualise la convention en y intégrant les dernières normes de l’OCDE de 2005 en matière de transparence, c’est-à-dire la levée du secret bancaire et l’obligation de coopérer, même en l’absence d’intérêt fiscal domestique.

Cette approbation est donc nécessaire. Sera-t-elle suffisante ? Je comprends les réserves qu’Éric Bocquet a émises lors de l’examen du texte en commission : l’approbation de l’avenant intervient dans un difficile contexte de crise, alors que l’évasion fiscale a été dénoncée par la commission d’enquête sénatoriale dont il a été le rapporteur.

C’est pourquoi, face au constat dressé par cette commission, j’ai examiné le cadre financier et juridique philippin.

Disposant d’une supervision prudentielle jugée satisfaisante par les agences de notation, le système bancaire est toutefois caractérisé par la présence des conglomérats, souvent contrôlés par les « grandes familles » sino-philippines ou hispano-philippines. Le poids des oligarchies n’est donc pas négligeable.

Néanmoins, aucune banque française n’a de licence aux Philippines, ni n’est actionnaire de banques philippines. Sur les quatre unités bancaires offshore installées dans le pays, deux sont françaises : BNP Paribas et Crédit Agricole. Ce chiffre est à apprécier au regard des vingt-quatre établissements bancaires français présents aux Îles Caïmans et des douze banques françaises implantées aux Bermudes.

Quant aux entreprises françaises présentes aux Philippines, sur les 180 recensées, on ne compte qu’une trentaine de sociétés importantes, dont Total, Essilor, L’Oréal. Au final, c’est assez modeste.

S’agissant des aspects juridiques, je me suis référée aux travaux du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. Cette instance a considéré, en juin 2011, que les Philippines disposaient du cadre normatif nécessaire pour coopérer. Elle a, certes, proposé des voies d’amélioration. Deux d’entre elles ne concernent pas la coopération avec la France, puisqu’elles traitent de la mise à jour du réseau conventionnel. Le présent avenant répond donc aux recommandations du Forum mondial.

Quant aux deux autres recommandations, relatives aux mandataires ainsi qu’aux sociétés immatriculées à l’étranger, le Forum mondial a confirmé auprès de notre secrétariat que, en pratique, la législation en vigueur les concernant ne constitue pas un obstacle à l’échange d’informations.

En résumé, il existe donc deux éléments sur dix pouvant être améliorés, et aucune carence grave n’a été observée.

Or vous avez tous en mémoire, mes chers collègues, l’examen devant le Sénat du projet de loi tendant à approuver la ratification de la convention franco-panaméenne, rapporté par notre ancienne collègue Nicole Bricq, qui s’était achevé par un rejet du texte.

Le Forum mondial avait alors constaté cinq carences graves en matière de disponibilité de l’information panaméenne et d’accès à celle-ci, sur les dix critères de référence.

Le Panama ne disposait donc pas du cadre normatif nécessaire à la coopération fiscale. Tel n’est pas le cas des Philippines.

Parmi les progrès constatés – j’y insiste, car c’est certainement l’avancée la plus importante –, les Philippines ont adopté, en 2009, des dispositions législatives dérogeant au secret bancaire dans le domaine de l’assistance internationale.

La rédaction de l’avenant est également plus stricte que celle du modèle OCDE. Elle prévoit que les Philippines doivent « prendre les mesures nécessaires afin de garantir la disponibilité des renseignements ».

Rappelons aussi qu’aucune contrepartie à la mise à jour de la convention n’a été accordée par la France.

La signature de l’avenant est intervenue sept mois après son paraphe, afin de vérifier la mise en œuvre réglementaire de la dérogation législative au secret bancaire. Les textes d’application ont été étudiés par le secrétariat de la commission des finances et sont annexés au rapport.

Enfin, toujours au titre des éléments en faveur de l’approbation, il convient de souligner la volonté politique exprimée par le Président Benigno Aquino de procéder à une « chasse contre l’évasion fiscale ».

Si l’approbation de l’avenant apparaît donc comme nécessaire, elle n’est cependant pas neutre, et emportera un certain nombre de conséquences. La transparence fiscale s’en trouvera, certes, renforcée. Toutefois, les Philippines seront retirées de la liste française des États et territoires non coopératifs établie en 2010, alors que ce pays figurait sur la « liste grise » de l’OCDE, qu’il a quittée depuis.

Nous devons donc faire preuve d’une vigilance particulière. Il ne s’agit pas ici d’accorder un blanc-seing.

Nous savons à quel point les aspects politiques et culturels, notamment liés à l’influence des oligarchies, peuvent peser sur la coopération fiscale. Ceux-ci ne doivent pas être sous-estimés. Nous verrons, en 2013, dans quelle mesure ce pays pourra les surmonter.

Les Philippines seront à nouveau évaluées au cours du premier semestre 2013 par le Forum mondial, afin d’apprécier concrètement l’état d’avancement de la coopération, et pas uniquement son environnement juridique. L’absence de coopération, si elle devait être constatée, serait sanctionnée par la réintégration sur la liste française.

En conclusion, mes chers collègues, sous réserve des observations précédentes, la commission des finances vous propose d’adopter le présent projet de loi visant à approuver l’avenant à la convention fiscale conclue avec les Philippines en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui approuver un avenant à la convention fiscale entre la France et les Philippines, car cette convention, signée en 1976 et amendée une première fois en 1995, n’est plus conforme aux standards internationaux en matière d’échange de renseignements. L’avenant sur lequel nous avons à nous prononcer vise donc à remédier à cette situation, qui constitue une entrave tant à la coopération entre les deux pays qu’à la lutte contre l’évasion fiscale.

Certes, on peut s’interroger sur le calendrier choisi pour la ratification de cet instrument qui a été signé, je le rappelle, en novembre 2011 par le précédent gouvernement.

Pourquoi donc devons-nous nous intéresser aujourd’hui aux Philippines ? Peut-être n’est-ce pas sans rapport avec la visite imminente de notre Premier ministre dans cet archipel comptant près de 95 millions d’habitants ? Si cette visite permet d’achever le processus de ratification et d’avancer vers plus de transparence en matière fiscale, alors elle sera très positive.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Faut-il le rappeler, bien que le G20, lors de son sommet de Londres d’avril 2009, ait « déclaré la guerre » aux paradis fiscaux, ce combat est encore loin d’être gagné, comme le montrent très bien les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.

L’OCDE reconnaît que, sur plus de 700 accords d’échange d’informations fiscales conclus depuis 2009, seul un sur trois est entré en vigueur, un sur cinq seulement étant conforme aux standards internationaux.

Outre les clauses des conventions elles-mêmes, un second obstacle à l’échange d’informations peut résider dans l’incapacité normative et administrative du pays concerné à fournir les renseignements demandés.

En décembre 2011, le Sénat, appelé à se prononcer sur la ratification de la convention fiscale avec Panama, s’y était opposé en raison de la faiblesse avérée du système juridique et fiscal de cet État. En effet, selon le Sénat, qui avait exprimé sur cette question un avis différent de celui de l’Assemblée nationale, Panama n’était pas en mesure de garantir un échange d’informations efficace et transparent, comme le montraient les observations du Forum mondial.

Les Philippines, au contraire, ont mis en œuvre des réformes permettant d’espérer une coopération et un échange de renseignements fiscaux effectifs et efficaces. Ainsi, ce pays a supprimé, depuis 2010, les restrictions d’accès aux informations bancaires. Je rappelle que c’était sa législation particulièrement restrictive sur le secret bancaire qui lui avait valu d’être inscrit en 2009, par l’OCDE, sur la « liste noire » des juridictions non coopératives.

Aujourd’hui, ses progrès lui ont permis de sortir des différentes listes établies par cette organisation. Les Philippines ont également passé avec succès la première phase de la revue par les pairs du Forum mondial, ce qui signifie qu’elles disposent d’un cadre juridique suffisant pour échanger des informations. Cependant, des obstacles juridiques à l’échange de renseignements subsistent, et c’est seulement à l’issue de la seconde phase de cet examen par les pairs, qui devrait débuter en 2013, que l’effectivité de la coopération et la capacité du pays à se conformer à ses engagements en matière de transparence seront vérifiées.

L’avenant à la convention fiscale avec les Philippines sur lequel nous sommes amenés aujourd’hui à nous prononcer est conforme aux standards les plus récents de l’OCDE. Il devrait donc constituer une avancée importante en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, comme l’affirme l’étude d’impact.

Je note que le Gouvernement français, lors de la négociation de cet avenant, avait pris des précautions supplémentaires, en complétant l’article relatif à l’échange d’informations par une clause prévoyant que chaque État contractant doit prendre les mesures nécessaires afin de garantir la disponibilité des renseignements et la capacité de son administration fiscale à accéder à ceux-ci et à les transmettre.

Il faudra cependant rester très vigilants sur l’application effective d’un tel accord et réintégrer immédiatement les Philippines sur la liste française des États et territoires non coopératifs en cas de non-respect des clauses de cet avenant.

Soyons d’autant plus vigilants que, comme l’a très bien rappelé notre collègue Michèle André dans son rapport, « le contexte géopolitique constitue un facteur déterminant dans la mise en œuvre effective de la coopération fiscale ». Or, vous avez également précisé, madame la rapporteure, que le « contexte politico-social » des Philippines « semble, à bien des égards, complexe et fragile ». C’est bien le moins que l’on puisse dire, malgré des avancées récentes en matière de lutte anticorruption et la signature, le 7 octobre dernier, d’un accord de paix entre le Gouvernement philippin et les rebelles sécessionnistes musulmans de la région de Mindanao, mettant fin à plus de quarante ans de conflit.

Madame la ministre, mes chers collègues, malgré les réserves que je viens d’exprimer, le RDSE, convaincu de la vigilance du Gouvernement quant au respect des obligations conventionnelles et à l’effectivité de l’échange de renseignements fiscaux, approuvera la ratification de cet avenant à la convention avec la République des Philippines, qui constitue un pas de plus dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, lutte que nous soutenons.

Debut de section - PermalienPhoto de Kalliopi Ango Ela

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, du fait de l’évasion fiscale, entre 40 milliards et 50 milliards d’euros de recettes échapperaient au Trésor français chaque année. Il est donc nécessaire que nous soyons tous mobilisés pour combattre ce qui se révèle être un véritable fléau.

Le groupe écologiste a d’ailleurs pris part aux travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, y étant fort bien représenté par notre très chère collègue Corinne Bouchoux !

Le rapport de cette commission d’enquête permet de disposer, depuis le mois de juillet, d’une étude de qualité facilitant l’appréhension de l’ampleur du phénomène de l’évasion fiscale. Elle aborde notamment les différents montages qu’il recouvre, qu’il s’agisse de la fraude fiscale ou des divers schémas d’optimisation fiscale abusive. Le débat mené à ce sujet dans notre hémicycle, le 3 octobre dernier, a, en particulier, mis l’accent sur la nécessité de renforcer l’information des pouvoirs publics. C’est dans ce cadre que s’inscrit le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis.

En effet, comme l’a rappelé Mme la rapporteure, la conclusion d’un accord d’échange de renseignements ou la mise en conformité d’une convention fiscale avec les normes de l’OCDE participe pleinement de la politique de promotion de la transparence fiscale.

Le présent projet de loi vise à soumettre à notre approbation la ratification d’un avenant à la convention franco-philippine conclue à Kingston le 9 janvier 1976. Cette convention tend à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu. L’avenant, signé à la demande de la France le 25 novembre 2011, a pour objet d’actualiser ladite convention, afin d’y intégrer les dernières exigences du modèle de convention fiscale de l’OCDE, telles que la levée du secret bancaire sans restriction, disposition ajoutée en 2005.

En l’état actuel des choses, aucune coopération fiscale n’est possible avec l’État philippin. Cet avenant est donc nécessaire pour que les autorités philippines soient contraintes d’échanger des renseignements.

Cependant, les sénatrices et sénateurs écologistes sont évidemment très attentifs aux conséquences de la ratification de cet avenant. S’il a pour objet de renforcer la transparence fiscale, il ne doit en aucun cas avoir pour conséquence d’accorder un blanc-seing à l’État philippin, comme l’a d’ailleurs rappelé Mme la rapporteure.

La ratification de cet avenant entraînera en effet le retrait des Philippines de la liste française des États et territoires non coopératifs, établie pour faire suite aux engagements en faveur de la transparence fiscale pris lors du sommet du G20 du 2 avril 2009.

Or la présence d’un État ou d’un territoire sur cette liste conduit à l’application automatique de sanctions fiscales. Il est donc parfaitement légitime de se poser la question du bien-fondé de la ratification de cet avenant. Si la prudence est de mise, les réponses apportées nous semblent, cependant, plaider en faveur de cette ratification.

En effet, d’une part, le 27 juillet 2009, les Philippines ont opéré des modifications de leur législation interne en matière d’échange de renseignements fiscaux. Il en résulte que le secret bancaire ne continue à s’appliquer que pour des situations purement intérieures. Il est donc désormais levé concernant l’assistance administrative internationale dans le domaine fiscal.

D’autre part, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales a estimé, en 2011, que l’ensemble du cadre normatif philippin et l’accès aux informations étaient conformes aux standards de l’OCDE, en ce qui concerne la disponibilité des renseignements bancaires.

Enfin et surtout, comme l’a souligné Mme la rapporteure, l’approbation d’une clause conventionnelle permettant l’échange de renseignements n’exclut pas un contrôle accru des modalités de sa mise en œuvre, dans le cadre tant international que national.

Deux garanties supplémentaires incitent donc le groupe écologiste à voter en faveur de l’adoption de ce projet de loi : la réévaluation par le Forum mondial, au début de 2013, de la réalité de la coopération avec l’État philippin ; la garantie que cette question fera également l’objet d’un suivi par les autorités françaises, lequel conduira, en cas de manquement, à une réintégration des Philippines dans la liste française des États et territoires non coopératifs. Dès lors, dans l’hypothèse où, en dépit de la ratification, les Philippines ne permettraient pas un échange effectif de renseignements, un retour au système actuel sera toujours possible.

Nous serons évidemment extrêmement attentifs à la mise en œuvre de cet avenant, et en appelons à la vigilance du Parlement à cet égard.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, on pourrait évidemment se demander pourquoi nous avons pu, une fois encore, solliciter l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux en séance publique d’un débat portant sur un accord international en matière fiscale, d’autant que, s’agissant du présent avenant à la convention fiscale entre la France et les Philippines, certaines garanties quant à sa pertinence paraissent devoir être retenues aux termes du rapport qui vient de nous être présenté.

Mais cette discussion est, pour nous, l’occasion de revenir sur quelques-uns des sujets fondamentaux qui nous préoccupent depuis que nous avons pris l’habitude d’évoquer la coopération fiscale internationale, la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales au travers de ces nombreux accords qui, depuis 2008, font l’objet de projets de loi de ratification.

Sur le plan économique, les Philippines demeurent un grand pays rural. Les activités agricoles, insuffisantes pour nourrir une population qui croît de 2 % par an encore aujourd’hui, occupent en effet quelque 40 % de la main-d’œuvre locale.

Les inégalités sociales sont criantes dans ce pays ayant connu une longue période de dictature sous le président Marcos. Au demeurant, la révolution de 1986, qui conduisit Ferdinand et Imelda Marcos à un exil doré sur l’archipel de Hawaii, n’a pas fondamentalement changé les choses.

En lieu et place du détournement des fonds publics perpétré par Marcos et les membres de sa famille, ses parents, alliés et amis, on assista en effet au retour en force des familles oligarchiques de la très haute bourgeoisie locale, qui eurent tôt fait de confisquer l’aspiration populaire au changement pour mieux asseoir leur pouvoir politique.

La Constitution de 1987, largement inspirée des règles nord-américaines, a créé un régime politique où les prérogatives réelles du Président de la République sont associées à un mode de désignation des parlementaires favorisant les positions de force assurées par la puissance économique.

Les différences entre les partis politiques représentés au Parlement ne sont pas fondamentales et participent de cette forme de confiscation du suffrage populaire opérée par ceux-là mêmes qui en ont les moyens.

Dans le classement des pays établi selon différents indices internationaux, les Philippines ne sont pas très bien placées.

En matière de droits politiques et de libertés civiles, le pays s’inscrit en effet dans une moyenne plutôt basse. Si la justice locale jouit d’une bonne réputation d’indépendance, la population subit encore beaucoup les exactions des forces de l’ordre, la pratique des exécutions extrajudiciaires et autres problèmes, liés d’ailleurs en partie à l’instabilité de régions du pays en rébellion contre le pouvoir central, notamment du côté de Mindanao. Depuis le début de l’année, cinquante-cinq militants de la cause environnementale ont été tués aux Philippines pour s’être opposés à des projets d’exploitation minière.

En outre, malgré certains efforts, le pays ne présente pas encore les conditions optimales pour que soit garanti le plein exercice de la liberté de la presse.

Sur le plan de la transparence financière, il semble bien qu’il y ait encore beaucoup à faire, et c’est là que le bât blesse au regard du sujet qui nous occupe aujourd’hui.

Selon Transparence International France, ONG dont nous avons recueilli le témoignage dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, les Philippines se situent plutôt en queue de peloton de ce point de vue, avec une note qui les place au niveau de la Syrie et derrière des pays comme la République de Panama, avec laquelle le Sénat avait jugé utile, il y a peu, de prendre quelques précautions en matière de coopération fiscale.

Il ne faut jamais oublier qu’une convention fiscale intéresse autant le pays tiers concerné, en l’occurrence les Philippines, que les entreprises françaises qui pourraient être tentées d’y investir. Il convient donc de s’entourer de garanties permettant à ces dernières de le faire sans risquer, si l’on peut dire, de « coup de bambou » fiscal en retour.

Nous ne sommes cependant pas spécifiquement enclins à retirer, dès l’approbation de cet avenant, les Philippines de la liste des États et territoires non coopératifs que nous avons établie pour notre propre législation.

Il nous semble même souhaitable, dans le cas qui nous occupe, de décider que l’ensemble des pays ayant passé une nouvelle convention fiscale avec la France soient maintenus dans la liste d’origine et que seul l’apport de preuves manifestes et incontestables de qualité et de transparence des opérations d’investissement menées dans ces pays permette de considérer que la situation de telle ou telle entreprise, de tel ou tel investisseur, est conforme au droit. Ayons en tête, mes chers collègues, cette fameuse « culture de la faille », mise en évidence au cours des travaux de notre commission d’enquête.

Nous n’avons rien contre le développement de nos échanges avec les Philippines et de nos investissements dans ce pays, mais nous souhaitons le placer, en quelque sorte, sur liste d’attente, pour ce qui est du traitement fiscal des dossiers concernés en droit français. Si, dans les deux, trois ou cinq ans à venir, nous n’avons aucune raison de nous plaindre de la qualité de l’information fournie tant par l’administration fiscale philippine que par les entreprises françaises investissant là-bas, rien ne pourra justifier qu’un traitement particulier soit mis en œuvre.

Au bénéfice de ces observations, nous indiquons que, sans nous opposer à l’approbation de cet avenant, nous ne voterons pas, néanmoins, le présent projet de loi. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l’article unique.

Est autorisée l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République des Philippines tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu, signé à Manille, le 25 novembre 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants, M. le ministre de l’intérieur étant retenu à l’Assemblée nationale par des questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures cinq, est reprise à quinze heures quarante.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme (projet n° 6, texte de la commission n° 36, rapport n° 35).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nos démocraties portent en elles des valeurs universelles, des valeurs qui ont contribué à élever l’humanité, à libérer les individus, à apaiser les sociétés, à permettre le progrès. Nos démocraties ont une ambition pour elles-mêmes et pour le monde. Cette ambition est critiquée ou contestée. Elle fait aussi, nous le savons depuis longtemps, l’objet d’attaques violentes et radicales.

La France est particulièrement visée ; ce n’est pas la première fois. Elle doit donc logiquement, impérativement, se défendre. À la violence aveugle et lâche, à la terreur, elle doit opposer la force, une force pour arrêter, pour juger, pour punir : la force du droit. C’est cela, le fondement des démocraties, et c’est la raison d’être du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui.

La France a déjà été frappée dans sa chair par le terrorisme. Elle connaît l’enjeu et le prix de la lutte qu’il implique. Mais la France n’abdiquera jamais devant les menaces.

Notre pays est confronté à un terrorisme en constante mutation. Il y a dix jours, grâce à l’action remarquable menée conjointement par la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire et la direction centrale du renseignement intérieur, sous l’autorité de la justice, une cellule djihadiste d’une grande dangerosité a été démantelée.

Il y avait urgence, car cette cellule était déjà passée à l’acte le 19 septembre dernier contre une épicerie casher, à Sarcelles, avec la probable intention de tuer. Elle avait les capacités – les dernières perquisitions l’ont établi et le procureur de la République de Paris, M. François Molins, l’a confirmé – de commettre le pire.

S’il faut se féliciter de cette réussite policière, il ne faut céder à aucun triomphalisme. Nous devons rester en alerte et vigilants, car la menace est bien là.

Le Président de la République et le Premier ministre ont rappelé leur détermination à éradiquer les cellules et les filières, à lutter contre le terrorisme, contre ceux qui veulent s’en prendre à nos valeurs, qui veulent déstabiliser nos institutions.

En disant cela, je mesure pleinement dans quel cadre je veux inscrire mon propos : celui, mesdames, messieurs les sénateurs, de la défense de l’intérêt supérieur de notre pays. Cette défense demande unité, cohésion et, je le souhaite, consensus. Je me trouve ici, face à la représentation nationale, dans une enceinte de la République ; la République doit être unie contre les ennemis de la République.

Notre pays, je le disais, a dû faire face, au cours des dernières décennies, à des attaques terroristes de nature diverse. En mars dernier, il a été confronté à un constat tragique : le retour, après plus de quinze ans, du terrorisme sur son sol. Mohammed Merah a tué à sept reprises, avec des objectifs précis : trois militaires, trois de nos compatriotes engagés pour la défense du pays, et quatre Français, juifs, dont trois enfants.

Ses motivations étaient sans ambiguïté. Son parcours ne laisse planer aucun doute. Mohammed Merah a agi au nom d’une idéologie de violence, d’un islamisme radical qui en veut à la France, qui en veut à notre République, notamment pour son engagement en Afghanistan et son idéal de laïcité. Un islamisme radical qui porte en lui la haine des Juifs, de tous les Juifs, partout où ils se trouvent, parce qu’ils sont juifs…

Les méthodes d’action de Mohammed Merah sont le résultat d’une préparation minutieuse, faite de contacts nombreux, de la fréquentation de sites internet djihadistes, d’un embrigadement et d’un passage, sans doute rapide, par les camps d’entraînement situés dans les zones tribales pakistanaises et afghanes.

Cette affaire a révélé des failles dans l’organisation de notre renseignement, des failles qu’il faut envisager avec lucidité si l’on veut se donner les moyens de les corriger.

Dès ma prise de fonctions, j’ai demandé que tous les enseignements opérationnels soient tirés, sans fragiliser notre renseignement et le travail remarquable de nos agents, afin de procéder aux évolutions nécessaires. Un rapport me sera remis prochainement par deux inspecteurs généraux de la police nationale ; il sera transmis au Parlement. J’ai demandé qu’il comprenne des orientations précises pour améliorer le pilotage des services territoriaux du renseignement intérieur et renforcer la capacité d’évaluation des parcours individuels. J’ai souhaité qu’il insiste également sur la coordination opérationnelle que les services du renseignement intérieur doivent nouer avec ceux qui sont chargés de l’information générale et, au-delà, avec l’ensemble des services territoriaux de police et de gendarmerie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la menace terroriste est élevée. Elle est d’abord, et surtout, liée au djihadisme global. Elle vient notamment de l’extérieur, de zones géographiques clairement identifiées. Cette menace porte sur nos intérêts et nos ressortissants à l’étranger. Je pense, bien évidemment, à nos compatriotes retenus comme otages. Le Président de la République a reçu, hier, leurs familles pour leur faire part du soutien de la nation.

Cette menace qui s’exprime à l’étranger est également orientée vers notre territoire.

Le Mali traverse une crise qui dépasse ses seules frontières. La présence de groupes terroristes dans la zone sahélienne fait peser une menace très grave sur les États de la région, sur leurs populations, victimes d’exactions et d’actes barbares. J’ai pu aborder cette question très préoccupante, en fin de semaine dernière, avec les autorités algériennes.

La menace qui frappe le Sahel pèse également sur le reste du monde. La France a été désignée par Al-Qaïda au Maghreb islamique et par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest comme un ennemi.

Le Président de la République a fait part de sa fermeté : avec ces groupes, il n’est pas question de discuter ; le seul recours, c’est la force. Le chef de l’État se mobilise, comme il l’a fait, fin septembre, à la tribune des Nations unies, comme il l’a répété, il y a quelques jours, lors de son déplacement en Afrique, pour permettre au Mali de retrouver son intégrité territoriale. Il est primordial d’éviter la sanctuarisation de groupes terroristes dans cette région. Il faut agir pour que le Mali et le Sahel ne deviennent pas l’Afghanistan de l’Afrique. Le vote de la résolution par le Conseil de sécurité des Nations unies, sur l’initiative de notre diplomatie, est une première étape importante.

La zone afghano-pakistanaise demeure, vous le savez, un lieu de basculement et de formation pour les candidats au djihad, au terrorisme. Dans des camps, des combattants volontaires, souvent venus d’Europe, reçoivent une formation paramilitaire qui a pour objectif de leur donner les moyens d’agir à leur retour dans leur pays. C’est précisément ce que fit Mohammed Merah, avec un passeport français, avec la ferme intention d’attaquer la France à son retour.

Dans la péninsule arabique, Al-Qaïda a également désigné la France comme une cible prioritaire, après les États-Unis. La France est visée en raison, dixit, des pratiques « non islamiques » qui la caractérisent.

La Syrie, en guerre civile, devient aussi, aujourd’hui, un terrain de motivation et de préparation au djihad.

Si les printemps arabes ont été porteurs de liberté pour les peuples et d’espoirs démocratiques pour le plus grand nombre, ils ont aussi introduit des facteurs d’instabilité. La coopération avec ces pays doit être aujourd’hui renforcée. Il s’agit en effet de faire face aux visées de groupes ultra-radicaux qui étendent leurs activités, certains soutenant ouvertement le djihadisme et pouvant, directement ou indirectement, opérer en France. Je ne vous cache pas que nous rencontrons des difficultés à établir une coopération avec un certain nombre de ces pays.

Au-delà de la géographie, il y a également le cyber-espace. Internet est devenu un domaine à part entière où se déploie le terrorisme ; un domaine où la propagande, l’endoctrinement, la formation idéologique et les mises en relation logistiques s’opèrent entre individus impliqués dans les différentes mouvances terroristes. Aux quatre coins de la planète, ils peuvent, ensemble, faire vivre une idéologie de haine.

La menace est certes alimentée depuis l’extérieur, mais elle vient aussi, de plus en plus, de l’intérieur. Ce fut d’ailleurs le cas pour les attentats du 11 septembre 2001, ceux de Madrid en 2004 ou de Londres en 2005. C’est une stratégie explicite des groupes djihadistes d’encourager et de favoriser des circuits de formation idéologique et paramilitaire courts. Ce lien intense entre un extérieur et un intérieur, propre d’ailleurs à notre monde globalisé, est un facteur d’aggravation de la menace dont il faut prendre l’entière mesure.

La menace qui se développe sur notre territoire peut être le fait de groupes d’individus, parfois convertis de fraîche date, de cellules plus ou moins étendues, comme l’étaient déjà celle de Khaled Kelkal et de ses complices ou le gang de Roubaix. Elle est également le fait d’individus autoradicalisés.

Ces individus et ces groupes ont souvent en commun d’avoir réalisé des séjours d’entraînement, ou projeté de le faire, et de fréquenter, sur internet, les sites islamistes radicaux. Des sites qui leur permettent de devenir de véritables « apprentis terroristes ». Ces individus, véritables ennemis de l’intérieur, représentent une menace diffuse, qui demande donc un travail de surveillance lourd et méticuleux.

Cette menace terroriste nouvelle naît souvent au sein de nos quartiers populaires. Les basculements individuels vers l’islam radical peuvent prolonger un passé délinquant, dans une démarche pseudo-rédemptrice, parfois commencée en détention ou à la sortie de prison. Ce risque justifie une attention particulière aux parcours individuels et le développement, mis en œuvre par la garde des sceaux, de l’aumônerie musulmane au sein des établissements pénitentiaires. Il impose également une étroite coopération des services de renseignement avec l’administration pénitentiaire.

De manière plus générale, c’est l’habitude du recours à la violence et la dépersonnalisation de la souffrance infligée à autrui, propre à beaucoup de comportements délinquants, qui fournissent un ancrage favorable au basculement vers le terrorisme. S’y ajoutent un antisémitisme virulent, que nous devons combattre de toutes nos forces, et l’instrumentalisation des conflits du Proche et du Moyen-Orient. Très souvent aussi, le basculement est favorisé par l’influence néfaste des discours d’imams autoproclamés.

Le processus de radicalisation peut être rapide, quelques mois à peine, comme viennent de le démontrer les dernières interpellations. Des individus, souvent jeunes, endoctrinés, basculent alors dans la violence et passent, ou peuvent passer, à l’acte.

Beaucoup de musulmans de notre pays, et tout particulièrement ceux issus des deuxième et troisième générations, qui peuvent douter de leur identité, sont exposés à l’interprétation salafiste de l’Islam. C’est une interprétation dangereuse, qui n’est pas celle de leurs parents ou de leurs pays d’origine. Elle peut porter en elle l’idée que la violence est légitime contre les supposés ennemis de l’Islam et qu’elle passe par le sacrifice de sa personne comme moyen d’action. Nous devons donc porter, aujourd’hui, un regard lucide sur cette réalité.

Aux côtés de ces individus et de ces cellules peuvent se trouver des structures à but terroriste qui s’étendent sur l’ensemble du territoire. L’action efficace des services a ainsi permis le démantèlement, en mars 2012, du groupe Forsane Alizza, structuré à l’échelle de l’Hexagone, qui se préparait sans doute à des actions d’envergure sur notre territoire.

Le terrorisme qui menace sur notre sol est lié au djihad, mais il n’est pas lié qu’à cela : il existe d’autres manifestations violentes, plus anciennes. Je ne veux pas établir de vaine hiérarchie entre les terreurs. Tous ceux qui veulent déstabiliser notre État doivent s’attendre à une réponse d’une même fermeté. Les ressortissants étrangers qui se trouvent sur notre territoire et qui veulent s’en prendre à nos institutions feront l’objet, comme la loi le permet, d’expulsions. Vous pouvez être certains de ma totale détermination dans ce domaine.

L’organisation terroriste basque ETA a annoncé, le 21 octobre 2011, « l’abandon définitif des actions armées ». Il faut voir dans cette déclaration la conséquence d’une coopération antiterroriste efficace sur le long terme, depuis près de trente ans, entre les services français et espagnols. Pour autant, là aussi, la situation appelle notre extrême vigilance et notre fermeté. La naïveté n’est pas de mise dans ce domaine. Les conclusions du sommet franco-espagnol du 10 octobre reflètent cette position que j’avais moi-même rappelée, en mai dernier, lors d’un déplacement à Madrid : la seule issue possible est la dissolution totale de l’ETA. C’est un préalable ; sans cela, aucune éventualité de dialogue n’est possible.

La République doit d’ailleurs faire preuve d’une fermeté équivalente en Corse, où le recours à la violence terroriste reste une tentation prégnante, comme le démontre une fois de plus, hélas, l’actualité de ce jour.

Cette violence nuit gravement au développement économique et social de l’île. Les groupes qui s’en réclament et qui pratiquent le plasticage masquent parfois mal, dans leurs objectifs, la poursuite d’intérêts économiques peu avouables et leur proximité trouble avec les réseaux délinquants de droit commun. En démocratie, mesdames, messieurs les sénateurs, l’action politique ne peut frayer avec la violence. Jamais ceux qui prônent la lutte armée ne pourront s’asseoir à la table de la République.

Ce panel de la menace – djihadisme, zones géographiques identifiées, radicalisme dans nos quartiers, ultra-droite identitaire, ultra-gauche violente – en montre les évolutions. Les menaces d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui, et sans doute encore moins celles de demain. Ce constat souligne la nécessité permanente d’une adaptation de nos dispositifs pour garantir la sécurité de nos compatriotes, objectif que nous partageons tous.

Avec ce projet de loi, nous ne répondons pas dans l’urgence ; nous garantissons une constance dans l’efficacité de notre lutte antiterroriste. L’intervention législative doit rendre notre droit plus fort, nous rendre plus forts, et une démocratie qui s’appuie sur le droit doit faire preuve d’unité lorsqu’il s’agit de faire face à des individus et à des groupes qui ne respectent aucune règle.

L’unité de la nation passe d’abord par le refus catégorique de toute stigmatisation. Le combat que nous menons est celui de tous les Français, de tous les démocrates. Je tiens à rappeler avec force combien l’islamisme radical est une idéologie de violence, qui est le fait d’individus offensant l’Islam et n’ayant rien à voir avec lui. L’Islam est une religion qui porte en elle un message de tolérance et de dialogue.

L’Islam de France a toute sa place dans notre pays, et dans la République. La lutte contre le radicalisme, contre ceux qui prêchent la haine, doit nous mobiliser. Elle doit mobiliser la communauté nationale, tous les Français, et donc tous les citoyens de confession musulmane, qui, je les entends comme vous, condamnent à l’unisson les actes commis.

Ce projet de loi est utile à la République, aux Français, utile aux services de sécurité et aux magistrats qui, quotidiennement, luttent contre le terrorisme.

Le gouvernement précédent avait déposé le 11 avril 2012, à la suite des attentats de Montauban et de Toulouse, un projet de loi sous l’impulsion de Michel Mercier. Nous avons intégré ce texte à notre réflexion, sans pour autant reprendre toutes ses dispositions, dont certaines, outre quelques questions de constitutionnalité, nous paraissaient ne pas répondre aux besoins des services antiterroristes. Mais, bien entendu, et j’ai eu l’occasion de le dire à Michel Mercier, je reste ouvert à toute amélioration du texte.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Le dispositif français de prévention et de répression du terrorisme est le fruit d’une expérience de vingt-cinq ans. Dès 1986, la pratique administrative, la loi et la jurisprudence ont forgé des instruments performants. La France s’est dotée d’un dispositif judiciaire spécifique, à forte composante préventive, dont le pivot est la répression de l’association de malfaiteurs à caractère terroriste. Ce dispositif maintient le juge au cœur de la lutte antiterroriste, tout en instaurant un équilibre entre l’efficacité de la lutte contre ce phénomène et les libertés publiques. La France l’a progressivement fait évoluer en l’adaptant sans cesse à l’émergence de nouvelles menaces. Aujourd’hui, il faut donc à la fois préserver cet acquis et consolider son efficacité d’ensemble.

C’est l’esprit qui a présidé à l’élaboration du présent projet de loi. Nous avons pris le temps de la réflexion, de la concertation. Nous avons tiré les conclusions du passé, étudié les retours d’expérience. Nous avons aussi analysé les différentes propositions qui avaient pu être faites, sans esprit partisan, car il ne peut y avoir d’esprit partisan quand il s’agit de lutter contre le terrorisme.

Ce travail, je l’ai mené en étroite coopération avec la garde des sceaux. Je suis convaincu que la lutte contre le terrorisme, comme la lutte contre la délinquance, ne peut être efficace que si elle associe pleinement les ministères de la justice et de l’intérieur.

Cette complémentarité entre les services de renseignement, la police et les juridictions spécialisées en matière de terrorisme est l’une des forces du modèle français. Nous devons tous préserver cette dynamique.

C’est pourquoi, avec Christiane Taubira, nous avons réuni des représentants de la direction centrale du renseignement intérieur, de la police judiciaire et du parquet antiterroriste. Notre objectif était simple : favoriser l’expression commune des besoins de ceux qui font quotidiennement face au terrorisme, qui en mesurent les risques et en connaissent les évolutions.

Ce projet de loi est le fruit de ce travail commun. Nous avons retenu ce que les praticiens estimaient utile, ce dont ils ont concrètement besoin. Toute surenchère inutile a été évitée. Il ne s’agit pas non plus d’un texte de réaction. En matière de terrorisme, peut-être encore plus qu’en d’autres domaines, l’émotion est un mauvais guide pour le législateur.

Cette élaboration en partenariat avec le ministère de la justice représente également une garantie, celle d’un équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et préservation des libertés publiques.

Face au risque terroriste, les vaines polémiques n’ont pas leur place. Je suis très heureux de présenter ce texte d’abord au Sénat, dont je connais la sagesse.

La volonté de parvenir à une réponse unique a guidé l’élaboration du projet de loi. J’espère vivement qu’elle guidera également son examen. À ce stade, monsieur le rapporteur, cher Jacques Mézard, je ne peux que saluer le travail très constructif que vous avez mené. La lecture des débats qui ont eu lieu mercredi dernier me laisse à penser, cher Jean-Pierre Sueur, que l’esprit qui anime la commission des lois sur ce thème est le même que le mien : celui de l’unité républicaine.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Nous souhaitons que ce projet de loi soit un texte de mobilisation : mobilisation de la représentation nationale, bien évidemment, mais surtout mobilisation de toute la société française contre ceux qui cherchent ou chercheraient à lui imposer une volonté qui n’est pas la sienne et qui ne sera jamais la sienne.

Ce projet de loi se veut pragmatique. Il s’appuie sur deux volets : un volet préventif, qui permettra notamment à notre système de renseignement de mieux détecter, identifier, appréhender la menace ; un volet répressif, qui permettra de sanctionner plus efficacement les activités terroristes.

Le volet préventif, contenu dans l’article 1er, consiste en la prorogation des dispositions temporaires de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, dispositions qui, au fil du temps, ont fait la preuve de leur utilité pour les services spécialisés et les magistrats chargés de l’antiterrorisme.

Les contrôles d’identité préventifs dans des gares routières ou ferroviaires et sur des portions de ligne, notamment dans les trains à grande vitesse transfrontaliers, doivent être favorisés.

Les dispositions permettant de ne pas enfermer l’action de contrôle des services de police dans un délai trop court sont source d’efficacité opérationnelle ; elles doivent donc être maintenues. Elles ont notamment permis l’augmentation, je veux le souligner, du nombre de patrouilles mixtes à bord des trains internationaux sur les liaisons ferroviaires avec l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la Suisse et l’Italie. Cela a représenté une avancée très positive, car certaines lignes ferroviaires, par leur caractère symbolique, ont pu constituer ou constituent des cibles d’action pour certains réseaux terroristes.

L’accès préventif des services de renseignement aux données techniques recueillies dans les communications électroniques ou lors de la consultation de sites internet est un autre outil fondamental. Il permet notamment de vérifier ou de recouper de manière continue, y compris dans l’urgence, les informations recueillies à titre préventif. C’est au demeurant ce qui constitue le lot quotidien dans toute activité de renseignement. Ainsi sont accumulés et étayés, ou au contraire écartés, les soupçons portant sur des personnes ou des réseaux potentiellement dangereux.

Cette activité s’effectue sous le contrôle préalable d’une personnalité qualifiée directement subordonnée à une autorité administrative indépendante. Notre modèle garantit la fluidité et la judiciarisation des informations accumulées dès que les faits détectés justifient l’ouverture d’un cadre d’enquête.

L’analyse des données de connexion a ainsi permis, au cours des derniers mois, d’identifier les administrateurs d’un site islamiste dont l’objectif était notamment le recrutement de candidats au djihad. Sur la base des informations recueillies, une procédure judiciaire a pu être ouverte, et le principal administrateur du site a été arrêté et écroué.

Internet, les réseaux sociaux et Twitter sont devenus des lieux de propagation de la haine, des lieux où les propos les plus odieux se diffusent et où les projets les plus ignobles peuvent se préparer. Dans ce domaine, il nous faut être particulièrement mobilisés et savoir apporter les réponses, précises et solides sur le plan juridique, qui conviennent.

Le Gouvernement propose de proroger une dernière fois les dispositions de l’article 6 de la loi du 23 janvier 2006. Je sais que c’est un point auquel vous êtes attentifs. Ce sera la dernière fois, car il me semble désormais opportun de mettre à profit ce nouveau délai pour repenser – le Parlement sera évidemment étroitement associé à la réflexion – l’articulation de ces dispositions avec celles de la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques et faire converger les unes et les autres. Plusieurs amendements ont été déposés à cet effet.

Cette évolution s’inscrira également à la suite du Livre blanc. Celui-ci définira les priorités stratégiques et opérationnelles propres à assurer la sécurité des Français. C’est dans ce cadre renouvelé qu’il faut mener une réflexion sereine et approfondie.

L’accès à certains traitements automatisés administratifs – cartes nationales d’identité, passeports ou encore permis de conduire – permet aux services spécialisés de procéder à de multiples vérifications et de contrôler, par exemple, si un titre d’identité saisi est vrai ou faux. Il permet également, dans une démarche d’anticipation, de suivre les déplacements internationaux de personnes, notamment ceux d’individus suspectés d’islamisme radical. D’une manière plus générale, ces consultations de fichiers participent de l’activité permanente de documentation des services habilités.

Pour être efficace, notre droit doit être clair. C’est pourquoi j’avais proposé la ratification qui aurait permis que le code de la sécurité intérieure acquière valeur législative. La commission des lois du Sénat a estimé qu’elle avait besoin de davantage de temps pour examiner ce code. Je l’entends parfaitement. Le code de la sécurité intérieure fera toutefois l’objet d’un amendement à l’Assemblée nationale.

Le volet préventif vise donc à renforcer, dans la continuité, l’efficacité de la lutte antiterroriste. Il est complété d’un volet répressif.

La législation française en matière de lutte contre le terrorisme est particulièrement complète. Elle comporte toutefois une insuffisance à laquelle seule la loi peut remédier. Il s’agit de poursuivre et de condamner les personnes qui participent à l’étranger à un acte terroriste ou à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste mais qui n’ont commis aucun acte délictueux en France.

Concrètement, cette évolution permettra de poursuivre pénalement – et nous en avons vu toute la nécessité – les ressortissants français qui se rendraient à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement ou pour intégrer des camps d’entraînement. Ces ressortissants français pourront être poursuivis, j’y insiste, alors même qu’ils n’auront pas encore commis d’actes répréhensibles sur le territoire français. C’est une avancée importante, sinon décisive. La neutralisation judiciaire des djihadistes revenant ou tentant de revenir sur notre sol est en effet, j’en suis convaincu, un impératif. Il y a une continuité territoriale de la menace ; il faut donc une continuité territoriale des poursuites.

En matière de répression, ce projet de loi prévoit enfin, à son article 3, d’améliorer nos procédures d’expulsion visant les ressortissants étrangers tenant des discours radicaux ou soutenant le terrorisme. Je veux le répéter pour que les choses soient claires : ceux qui se trouvent sur le territoire de la République avec l’intention de lui nuire doivent être expulsés sans ménagements.

La menace est là. Elle est diverse. Nous devons, comme chaque fois par le passé, la regarder en face, lucidement, avec détermination, sans jamais céder à la crainte : il n’y a pas de raisons de le faire. Les différents gouvernements et les différentes majorités qui ont été confrontés au terrorisme ont agi avec la même détermination. Les Françaises et les Français doivent savoir que tout est mis en œuvre pour garantir leur sécurité. Elle est, naturellement, la priorité du Président de la République et celle du Gouvernement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en vous présentant, aujourd’hui, ce projet de loi, je vous invite à donner à la France, à la République, une entière capacité d’action. Elle est nécessaire pour la défense de ce qu’est notre pays, pour la défense des fondements mêmes de ce que nous sommes, pour la défense, tout simplement, de la démocratie. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le ministre, vous avez employé les mots qui conviennent, dans un discours marquant une véritable volonté politique quand la République est menacée, comme elle l’est dans la période actuelle.

Les méthodes du terrorisme évoluent, pas son fondement, contraire à ce qui fait l’essence de l’humanité. Le terrorisme est de toutes les époques. Il renaît constamment de l’expression du fanatisme, monstre issu de tous les obscurantismes et croissant au gré des misères des peuples.

Chaque renaissance du terrorisme est vécue comme la survenance d’un mal nouveau. En réalité, les peuples ont peu de mémoire. Qui se souvient aujourd’hui des attentats anarchistes de la fin du xixe siècle ?Qui se souvient que la iiie République a perdu deux de ses Présidents, Sadi Carnot et Paul Doumer ? Il n’est de régime auquel le terrorisme ne s’est attaqué, et il en est ainsi depuis la période historique.

La violence est rarement légitime, et nombre de justes causes l’emportèrent sans y recourir – Gandhi en donna l’exemple –, mais elle est encore plus illégitime lorsqu’elle s’en prend à des régimes fondés sur la volonté du peuple et la démocratie.

Revendications territoriales, revendications sociales ou, plus fréquemment, fanatismes religieux, dans tous les cas, le terrorisme s’en prend au fondement même de nos sociétés démocratiques. Qu’il s’agisse d’actions de fondamentalistes religieux ou de l’ETA, ou encore d’assassinats en Corse – tel celui du préfet Érignac, l’actualité démontrant que ces actes ignobles ont toujours cours –, le processus est similaire.

Nous devons combattre ce fléau en n’oubliant pas que, au-delà des actes abjects visant des personnalités, ce sont plus souvent des citoyens anonymes qui tombent, victimes de cette barbarie.

Les moyens utilisés par les terroristes évoluent avec la société ; aujourd’hui, l’utilisation de nouveaux moyens de communication, de déplacement, a changé la donne. Nos sociétés doivent adopter des moyens de lutte adéquats. La menace, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ne vient pas seulement de l’extérieur, elle a aussi gangrené l’intérieur.

Quels sont les objectifs d’une politique antiterroriste dans un pays démocratique ?

Il s’agit de donner les moyens humains, matériels et législatifs aux services compétents et aux magistrats pour prévenir le terrorisme et le réprimer.

Il s’agit d’appliquer la loi de la République sans aucune faiblesse, en faisant usage de la force si nécessaire : aucune concession, aucun laxisme.

Il s’agit aussi, parce que la France est une belle démocratie, de respecter les principes fondamentaux de notre droit et les libertés fondamentales de nos concitoyens.

Cet équilibre peut et doit faire l’objet du plus large consensus, c’est l’intérêt national : vous nous y avez appelés, monsieur le ministre. Je ne suis pas choqué, à cet égard, que l’exposé des motifs du présent texte reprenne littéralement certains éléments du projet de loi déposé en avril dernier par Michel Mercier, alors garde des sceaux. Il est des constats dont la pertinence perdure quels que soient les changements de majorité.

Cela étant dit, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui présente des différences notables avec le texte précédent.

Il vient en urgence, pour une raison évidente qui ne saurait échapper à personne : ce projet de loi inclut la question de la prorogation des dispositions temporaires instituées par la loi du 23 janvier 2006, dispositions expirant le 31 décembre 2012 et considérées comme indispensables par les services compétents, qu’elles soient prorogées ou pérennisées.

Il fallait que la procédure législative soit respectée, Mme Troendle y tenait à juste titre ; voilà qui est fait.

Le texte du gouvernement précédent n’incluait pas la question de la prorogation des dispositions de la loi de 2006, et si la droite était restée aux commandes de l’exécutif, il eût fallu de toute façon présenter un nouveau texte en urgence.

Autre différence notable, le texte précédent créait en droit pénal quatre nouvelles incriminations, ce qui pouvait d'ailleurs expliquer qu’il soit porté par le ministre de la justice, alors que le texte qui nous est soumis procède de M. le ministre de l’intérieur.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Mme la ministre de la justice vous saura certainement gré de ces propos !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le ministre, au travers de ce texte, vous avez manifestement visé un objectif principal : donner les moyens nécessaires aux professionnels chargés de la lutte contre le terrorisme, en évitant de créer, d’accumuler de nouveaux textes pénaux dont l’utilité n’aurait pas été démontrée. Nous ne pouvons que partager avec conviction ce choix, ayant toujours considéré que l’accumulation de nouvelles lois pénales, à chaque vague médiatique, ne relevait pas d’une approche raisonnée de la construction de notre édifice juridique. Nous nous félicitons de cette nouvelle approche, qui correspond à la position que nous avons toujours soutenue.

Que nous ont dit les professionnels chargés de la lutte contre le terrorisme ? Je résumerai ainsi leurs propos : en l’état, l’arsenal législatif dont ils disposent est relativement complet, mais subsiste une lacune concernant la difficulté à poursuivre devant les juridictions pénales françaises les Français ayant commis à l’étranger un délit en lien avec le terrorisme, par exemple la participation à des camps d’entraînement terroriste.

Le projet de loi, par son article 2, va combler cette lacune sans créer une nouvelle incrimination, par extension du texte relatif à l’association de malfaiteurs.

Les mêmes professionnels ont exprimé clairement que les dispositions des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 leur étaient très utiles, la loi du 10 juillet 1991, en l’état, ne permettant pas de couvrir toutes les questions.

À ce stade, il convient de rappeler les grands traits de notre dispositif antiterroriste, qui est, selon les praticiens que nous avons entendus, relativement bien construit et efficace.

D’un point de vue organisationnel, bien qu’en principe les juridictions locales et le tribunal de grande instance de Paris disposent d’une compétence concurrente dans ce domaine, la poursuite des actes terroristes est, en pratique – mais pas de droit –, centralisée au niveau de la juridiction parisienne. Celle-ci comprend en effet un pôle antiterroriste au sein du parquet et au sein du siège, regroupant des juges spécialisés ; nous avons entendu M. Christen pour le parquet et M. Trévidic pour les juges d’instruction. Par ailleurs, le jugement des crimes terroristes relève d’une cour d’assises spécialisée.

Du point de vue de la loi pénale, le terrorisme est défini par la combinaison d’un crime ou d’un délit de droit commun et d’une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Surtout, l’efficacité du dispositif repose sur l’infraction d’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes, entrée en vigueur après la promulgation de la loi du 22 juillet 1996. Cette infraction permet en effet de poursuivre facilement des personnes dès l’instant qu’elles ont accompli des actes les associant à d’autres en vue de la préparation d’actes de terrorisme.

Enfin, le dispositif antiterroriste repose sur des instruments spéciaux dont disposent les services enquêteurs, c’est-à-dire, en particulier, la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, la SDAT, l’unité de coordination de la lutte antiterroriste, l’UCLAT, et la direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, dans certains cas, en amont de l’intervention de celle-ci.

Il s’agit notamment de la possibilité de réaliser des saisies et des perquisitions, de « sonoriser » et de filmer des véhicules et des lieux, de capter des données informatiques.

En amont de la phase judiciaire, les services, essentiellement la DCRI, disposent des outils dont les a dotés la loi du 23 janvier 2006. Ce sont précisément ces outils dont l’article 1er du projet de loi prévoit de proroger l’existence jusqu’au 1er janvier 2015, alors que, sans cette prorogation, ils deviendront caducs à la fin de l’année.

Le premier outil, c’est la possibilité de demander aux opérateurs de communications électroniques et aux fournisseurs d’accès internet les données de connexion des utilisateurs. Ces demandes concernent en particulier les fameuses « fadettes », c’est-à-dire les factures détaillées des abonnés. Il peut aussi s’agir d’une demande de géolocalisation d’une personne. Ces données de connexion constituent aujourd’hui un des principaux outils dont se servent les services enquêteurs pour comprendre le fonctionnement des cellules ou réseaux soupçonnés de préparer des actes terroristes.

Le deuxième instrument, dont vous avez rappelé l’utilité, monsieur le ministre, ce sont les contrôles d’identité dans les trains internationaux.

Enfin, les services de renseignement ont accès à des fichiers administratifs afin de déterminer l’identité complète d’une personne, de vérifier une identité ou encore de retrouver la trace de personnes surveillées parties à l’étranger et qui demandent un passeport.

Ces dispositifs sont étroitement encadrés, chaque utilisateur devant être habilité. S’il y a eu des dérives, y compris du côté de la justice, elles ont été assez peu fréquentes, d’après les acteurs que nous avons entendus, et ne sont pas imputables au cadre législatif. Ces dérives concernent des cas où certains services semblent s’être affranchis de ce cadre légal, comme nous avons pu le voir dans certaines affaires récentes.

Je vous propose donc, mes chers collègues, d’accepter cette prorogation de trois ans, qui me paraît plus pertinente qu’une pérennisation, laquelle nécessite un bilan et vraisemblablement une refonte avec les dispositions de la loi du 10 juillet 1991, qu’il faudra entreprendre un jour.

Par ailleurs, l’article 2 vise à compléter le code pénal afin de prévoir l’application de la loi pénale française aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme commis par un Français hors du territoire de la République.

Aujourd'hui, en effet, l’arsenal législatif laisse subsister une lacune : l’impossibilité de poursuivre et de condamner un Français qui, sans commettre aucun délit sur le territoire national, participe à l’étranger à une infraction à caractère terroriste.

Cette difficulté résulte des règles gouvernant l’application de la loi pénale française dans l’espace. Celle-ci n’est en effet applicable à une infraction commise à l’étranger qu’à plusieurs conditions cumulatives.

D’abord, qu’il s’agisse d’un crime ou d’un délit, la compétence de la loi pénale française est subordonnée à deux conditions : l’auteur de l’infraction doit posséder la nationalité française le jour du déclenchement des poursuites ; en vertu de la règle non bis in idem, aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits.

Ensuite, s’agissant des délits, deux conditions supplémentaires sont requises : les faits doivent être punis par la législation du pays où ils ont été commis ; la poursuite ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public et doit être précédée d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis.

Si ces conditions n’interdisent pas d’engager des poursuites à l’encontre de l’un de nos ressortissants, elles peuvent en revanche compliquer l’ouverture d’une procédure concernant un Français soupçonné d’un délit commis hors du territoire national. En effet, il est très improbable que les pays qui tolèrent des camps d’entraînement sur leur territoire répondent à l’exigence de réciprocité d’incrimination et procèdent à une dénonciation officielle.

Certes, la qualification d’association de malfaiteurs permet de couvrir des actes commis à l’étranger dès lors qu’ils sont connexes à d’autres faits en relation avec une entreprise terroriste commis en France. Les uns comme les autres forment, selon notre jurisprudence, un tout indissociable.

Cependant, il peut arriver qu’aucun acte préparatoire n’ait été commis en France, soit que l’auteur ait quitté depuis longtemps le territoire national, soit qu’il se soit rendu à l’étranger pour des motifs qu’il n’est pas facile de mettre en relation avec une entreprise terroriste, des motifs familiaux par exemple. L’évolution des modes opératoires en matière de terrorisme rend ces situations de plus en plus fréquentes.

La disposition présentée à l’article 2 permet d’écarter non seulement – comme tel est déjà le cas pour les crimes –l’exigence de réciprocité d’incrimination, de dépôt d’une plainte ou de dénonciation, mais aussi la condition relative à l’absence de condamnation pour les mêmes faits en vertu du principe non bis in idem. Seule demeure la condition de nationalité française du mis en cause.

Cette évolution est cohérente avec la compétence déjà reconnue par l’article 113-10 du code pénal, sans mention d’aucune exception à la loi pénale française. L’infraction commise à l’étranger susceptible de compromettre gravement notre ordre public est traitée de la même manière qu’une infraction commise en France.

La mesure couvre un champ plus large que celle qui avait été envisagée dans le projet de loi présenté en mai 2012, qui, d’une part, ne concernait que la participation à l’étranger à l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, et, d’autre part, prévoyait de ne déroger qu’à la condition de réciprocité d’incrimination et à celle liée à la dénonciation officielle par l’autorité du pays où l’acte a été commis.

En revanche, contrairement au projet de loi du précédent gouvernement, cette mesure ne vise que les ressortissants français, et non les personnes résidant habituellement sur le territoire français. Après la réunion de la commission de ce matin, je pense que nous pourrons trouver une formule qui contentera tout le monde sur ce point.

Aussi le projet de loi n’a-t-il pas, à ce stade, retenu les nouvelles incriminations spécifiques présentées dans le projet de loi déposé en mai dernier, dans des conditions d’urgence telles que le recul manquait sans doute pour procéder à une évaluation approfondie du droit en vigueur.

Si le cadre juridique actuel est très complet, il peut néanmoins être appelé à évoluer, dans le respect des principes et libertés constitutionnellement garantis, afin de répondre à une menace dont les formes sont à la fois multiples et mouvantes.

L’efficacité de la lutte contre le terrorisme dépend aussi pour beaucoup des pratiques de ses acteurs. Les affaires récentes, notamment celle qui, au printemps dernier, a profondément ému nos concitoyens, montrent que l’enjeu porte principalement sur le moment où les magistrats sont saisis par les services de renseignement d’une affaire. Cette judiciarisation ne doit intervenir ni trop tôt, afin que les éléments recueillis par les services de renseignements soient suffisamment établis pour constituer l’infraction, ni trop tard, afin que l’attentat puisse être empêché.

À cet égard, la faculté de poursuivre plus facilement les infractions commises à l’étranger ne doit empêcher ni de remonter les filières ni de collecter les informations nécessaires sur les intéressés. En tout état de cause, l’extension de compétence de la loi pénale prévue par le nouvel article 113-13 du code pénal n’exonèrera pas les services spécialisés de réunir les preuves du comportement délictueux à l’étranger.

L’article 3 du projet de loi initial visait à encadrer le délai dont dispose la commission départementale d’expulsion pour se prononcer. Vous avez d’ailleurs eu raison de dire, monsieur le ministre, qu’il y a des cas où la République doit expulser sans faiblesse.

Cette commission doit donner son avis, qui n’est pas un avis conforme. Or, actuellement, lorsqu’il y a un renvoi de séance à la demande de l’étranger, la commission se prononce très largement après le délai d’un mois qui lui est pourtant imposé. Le Gouvernement proposait donc de prévoir dans la loi qu’un décret fixe le délai au-delà duquel l’avis sera réputé rendu.

Nous avons considéré qu’il s’agissait là d’une atteinte, certes justifiée par la sauvegarde de l’ordre public, à la liberté individuelle et que la fixation de ce délai relevait plutôt du législateur. La commission des lois a donc adopté un amendement tendant à inscrire dans la loi le délai d’un mois et à prévoir, en outre, un délai supplémentaire d’un mois lorsque l’étranger a demandé le renvoi pour un motif légitime.

Monsieur le ministre, vous avez bien voulu convenir que notre demande de suppression de l’article 5 était fondée. Dont acte ! Cette suppression était, à mon sens, tout à fait logique, compte tenu du délai très court dont nous disposions.

Quant à l’article 6, il tend à autoriser le Gouvernement à prendre une ordonnance pour inclure dans le code de la sécurité intérieure les dispositions de la loi du 6 mars 2012 relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif. Cette loi doit en effet modifier à compter du 6 septembre 2013, certains articles du code de la défense, dont une partie a été transférée depuis le 1er mai 2012 au code de la sécurité intérieure. Là aussi, le délai très bref entre la promulgation de la loi relative au contrôle des armes et celle de l’ordonnance n’avait pas permis d’intégrer les dispositions de cette loi dans le nouveau code.

L’article 6 tend en outre à habiliter le Gouvernement à opérer l’extension du code de la sécurité intérieure à la Polynésie française et aux autres collectivités d’outre-mer.

Compte tenu de la suppression de l’article 5, le Parlement pourra ainsi ratifier l’ensemble du code de la sécurité intérieure et ses adaptations ou extensions à l’outre-mer lorsqu’il examinera le futur projet de loi de ratification.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a voté à une large majorité le texte qui nous est soumis.

Nos concitoyens sont inquiets, et c’est logique, des menaces terroristes. En effet, les esprits ont été marqués par l’affaire Merah, et le terrorisme frappe aveuglément.

Les récentes arrestations ont fait la preuve de la vigilance et de la compétence des services en charge des missions de sécurité, ainsi que de leur courage, qui va parfois jusqu’à l’abnégation. En la matière, vous avez aussi su faire le ménage là où c’était nécessaire.

Il faut une forte volonté politique. L’État doit agir. L’État doit rassurer. L’État doit être respecté. Cette volonté politique, vous l’avez, monsieur le ministre. Vous le démontrez chaque jour, et les Français y sont sensibles. Préserver la sécurité de nos concitoyens en même temps que sauvegarder les libertés publiques, c’est le fondement même de la République que nous aimons.

Ce faisant, vous vous inscrivez dans le droit fil d’un autre ministre de l’intérieur, Georges Clemenceau, qui sut toujours, dans les pires épreuves, affirmer la puissance de l’exécutif dans le respect des libertés. Vous ne serez donc pas étonné que je conclue par une phrase qu’il prononça ici même, dans cet hémicycle, au cœur de la tourmente : « Il faut que l’éducation des hommes se fasse, elle n’est possible que par la pratique. Nous avons le devoir de leur assurer la liberté contre les envahissements du pouvoir mais aussi contre ceux de l’anarchie ». Aussi, j’invite le Sénat à voter le texte de la commission. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai souhaité intervenir dans ce débat, en ma qualité de président de la commission pour le contrôle de l’application des lois, non pour revenir sur les points qui viennent d’être développés, mais pour présenter brièvement au Sénat les travaux que nous avons réalisés sur cette question. Dans ce rôle, je serai donc non pas lyrique, mais factuel.

Notons-le, c’est la première fois depuis la création de cette commission qu’un tel travail d’évaluation sert de base à notre débat en séance plénière.

Vous le savez, à la suite des événements meurtriers de Toulouse et de Montauban, le précédent gouvernement a déposé sur le bureau du Sénat, le 4 mai dernier, un projet de loi sur renforçant la prévention et la répression du terrorisme.

Ce texte est un cas d’école, si je puis dire. La création de la commission que j’ai l’honneur de présider doit précisément servir à éviter une telle méthode : un événement tragique et grave survient, et on y répond en cherchant à légiférer en trois semaines, sans même prendre le temps de faire le travail de contrôle et d’évaluation des dispositifs existants. Ces derniers sont pourtant multiples et complexes, et il serait bon de juger de leur efficacité au regard même de l’événement qui s’est produit.

Dans la perspective d’une modification urgente de la législation en vigueur, et en dépit de la suspension des travaux en séance publique durant la campagne électorale, nous avions décidé de travailler très rapidement pour proposer non seulement à nos collègues, mais aussi à nos concitoyens une évaluation aussi précise que possible des dispositifs existants et, le cas échéant, de leur application.

Le précédent gouvernement ayant annoncé son intention d’aller vite, notre commission se devait d’en faire autant. Nous nous sommes donc imposé des délais rapides en engageant aussitôt un cycle d’auditions, afin de recenser et de suivre l’évolution des textes successifs qui forment l’ossature de la législation antiterroriste depuis la loi fondatrice du 9 septembre 1986 et, si possible, d’identifier les forces et les faiblesses du dispositif en vigueur telles qu’elles ressortaient de l’avis des personnes auditionnées.

Dans le cadre de cette démarche, la commission a fait preuve de la plus grande transparence en associant à ses auditions, comme c’est tout à fait normal de le faire, les membres de la commission des lois qui souhaitaient y assister et en ouvrant ses travaux à la presse à chaque fois que c’était possible.

Dans un domaine aussi spécialisé, généralement méconnu par l’opinion publique et qui véhicule bien des fantasmes et des peurs, souvent justifiées, il me paraissait essentiel que nos concitoyens mesurent toutes les difficultés de la lutte contre le terrorisme et qu’ils saisissent plus concrètement la façon dont le législateur a tenté d’y répondre depuis vingt-cinq ans.

Nous avons ainsi entendu une dizaine des meilleurs spécialistes de la question du terrorisme, qu’il s’agisse d’universitaires ou de magistrats en poste, sans oublier le garde des sceaux de l’époque, Michel Mercier, présent aujourd'hui parmi nous et que je salue, ainsi que la présidente de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Pour des raisons sur lesquelles il est inutile de revenir, nous n’avons pas été en mesure d’entendre les plus hauts responsables des services de renseignement, ce qui ne nous a pas permis d’achever notre programme d’auditions à la clôture de la dernière session ordinaire.

Le projet de loi étant devenu caduc avec le changement de majorité présidentielle, j’avais repoussé la publication de nos travaux jusqu’à ce que le Gouvernement nous fasse savoir qu’il était obligé de légiférer en la matière.

Il lui fallait d’abord…

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

… permettre la reconduction d’une législation arrivant à son terme à la fin de 2012, et qui, comme nous l’a expliqué M. le ministre, est absolument nécessaire pour lutter contre le terrorisme.

Il devait ensuite répondre à des besoins législatifs d’ores et déjà envisagés par le précédent gouvernement, mais ne posant pas de difficultés particulières, ainsi que nous l’a confirmé M. le rapporteur.

En la matière, il n’y a de place ni pour les conflits ni pour les postures idéologiques. Seule compte l’efficacité dans une lutte qui doit tous nous rassembler.

Dans ces circonstances nouvelles, ma première préoccupation a été de mettre ce travail à la disposition de la commission des lois.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler, le rôle de la commission pour le contrôle de l’application des lois est non pas de s’immiscer dans le travail législatif incombant à la commission saisie au fond, mais simplement de lui fournir un état des lieux aussi précis que possible de la législation en vigueur et de la réalité de son application. C’est ce que nous avons fait. J’espère que le Gouvernement aura pu prendre connaissance de notre rapport lorsqu’il achevait de préparer le projet de loi ; en tout cas, je sais que notre rapporteur l’a lu.

De ce travail émerge un triple constat normatif.

Premièrement, le cadre législatif actuel a été jugé satisfaisant dans l’ensemble. Lors de son audition, M. Marc Trévidic a souligné que la loi française nous donnait tous les pouvoirs nécessaires et qu’il ne paraissait pas sain de la modifier pour réagir à un fait divers. M. François Heisbourg a indiqué pour sa part : « Nous disposons d’un arsenal juridique très impressionnant que beaucoup de pays nous envient... Il n’est pas sûr que nous ayons besoin d’autre chose que de quelques adaptations ». Tel est l’objet du présent texte.

Deuxièmement, l’application de cette législation peut soulever quelques difficultés, mais celles-ci sont plus d’ordre pratique et organisationnel que juridique. À la lumière de ces faits, M. François Heisbourg a ainsi souligné : « La DCRI n’étant pas elle-même une direction générale, elle dépend de la DGPN, qui vit une relative diète du fait de la révision générale des politiques publiques. De surcroît, la DCRI est une institution jeune et la fusion, initiée il y a quatre ans, de la DST et des renseignements généraux hors préfecture de police, deux services à la culture très différente, n’est pas encore complètement achevée ». Ces difficultés ne relèvent effectivement pas de la loi, mais bien de la mise en pratique de ses orientations.

Troisièmement, le terrorisme en 2012 n’est plus le même qu’en 1986. Il n’a cessé d’évoluer. Dans la dernière décennie, la révolution de l’internet a entraîné une accélération de ces évolutions, ce qui oblige le législateur à s’adapter, comme cela nous est proposé aujourd'hui.

Le mode opératoire a également évolué. M. Samir Amghar nous a fait part d’un constat dont la véracité paraît éclatante à la lumière de l’affaire Merah et des récentes arrestations : « Aux attentats à la bombe des années 1990 et aux attentats-suicides des années 2000 ont en effet succédé les agressions individuelles affranchies du groupe et de son leader charismatique, à l’aide d’armes de poing ».

Tous les intervenants ont mis l’accent sur le rôle majeur joué aujourd’hui par internet. M. Marc Trévidic nous a ainsi confié : « Depuis 2003 environ est apparu l’usage d’internet pour la propagande et le recrutement : c’est là désormais que tout se passe ».

Au moment où s’engage notre débat en séance publique, je tiens simplement à faire part d’une interrogation qui, au fond, a toujours plus ou moins sous-tendu le témoignage de toutes les personnes auditionnées par notre commission : face à une menace qui vise à affecter profondément l’ordre social, comment concilier l’efficacité de la réponse pénale sans porter, dans le même temps, une atteinte excessive aux libertés fondamentales ?

L’inventaire que nous avons réalisé montre bien le caractère particulièrement délicat de cet exercice de conciliation entre deux objectifs aussi difficilement compatibles.

Les textes adoptés par le Parlement depuis 1986 ont doté notre pays d’un arsenal législatif, certes de plus en plus large, mais qui ne porte pas fondamentalement atteinte aux libertés fondamentales, car il est appliqué sous le contrôle de l’autorité judiciaire, que la Constitution rend garante de la liberté individuelle. Le témoignage de M. Olivier Christen nous l’a confirmé : « Tout le dispositif antiterroriste français, s’il repose sur plusieurs intervenants, fonctionne autour d’un pivot central qui est le dispositif judiciaire ». Ce point est particulièrement important pour nous qui légiférons sur des événements aussi délicats.

Pour dire les choses plus simplement, le dispositif français de lutte antiterroriste est une législation exceptionnelle, mais pas une législation d’exception.

Sans préjuger la teneur définitive du texte qui sortira de nos travaux, je suis fier que la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ait pu mettre cette donnée fondamentale en évidence et qu’elle ait ainsi apporté sa contribution à un débat dont chacun mesure, non seulement l’importance, mais aussi la difficulté.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, comme vous le savez, le présent projet de loi succède – ou se substitue – à un autre, déposé le 4 mai 2012 par Michel Mercier, alors ministre de la justice, à la suite des tueries de Toulouse et de Montauban.

Ce projet de loi est soumis à l’examen, en procédure accélérée, de notre assemblée, cette fois par la volonté du gouvernement de gauche actuel, dans le contexte créé par l’affaire Merah et alourdi par un nouveau cycle d’événements heureusement moins tragiques, quoique profondément inquiétants, avec les récentes arrestations des membres d’une cellule terroriste, dans le sillage de l’enquête menée à la suite d’une attaque à la grenade lancée dans une épicerie juive de Sarcelles, le 19 septembre dernier.

Je ne referai pas ici l’historique détaillé de la loi du 23 janvier 2006, dont les articles 3, 6 et 9 ont été prorogés, en 2008, jusqu’à la fin de la présente année civile. En tout état de cause, c’est dans un climat tendu que le Sénat a engagé l’examen du présent projet de loi, qui en est un nouvel avatar.

Comme me l’imposent ce contexte de stress social ainsi que mon attachement à certains principes intangibles, je me dois de souligner mon rejet de toute forme de terrorisme aveugle et ma haine des fossoyeurs de toute civilisation humaine auxquels nous devons faire face. Aussi, avant de développer toute considération relative aux éventuelles dérives auxquelles pourraient conduire certains articles du projet de loi, et pour éviter toute espèce de suspicion, je me permettrai de me placer sous l’aile protectrice d’un maître en éloquence, mon excellent collègue et ami Jean-Pierre Sueur, …

Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP et de l'UCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Mme Esther Benbassa. … dont le dévouement aux intérêts de la nation n’est plus à démontrer.

Applaudissements sur quelques travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Quand on vient, comme moi, d’arriver au Sénat, ce n’est pas là une prudence superflue.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Ainsi s’exprimait Jean-Pierre Sueur, en décembre 2005, lors de l’examen de la future loi de 2006 : « […] la lutte contre le terrorisme nécessite le concours de tous les élus de la République, qui ne doivent pas ménager leur soutien au gouvernement, quel qu’il soit, car nous devons lutter de toutes nos forces contre ce qui est la négation de la civilisation et de la démocratie. » Il ajoutait, d’un même élan : « La question qui nous est posée est de savoir dans quelles conditions il est légitime de prendre les mesures exceptionnelles qu’appelle nécessairement la lutte contre le terrorisme. Nous pensons que, parce que ces mesures sont nécessairement exceptionnelles, les conditions dans lesquelles elles doivent être prises appellent une attention toute particulière. »

Personne ne saurait redire à la sagesse de ces mots, fixés sur la toile du Sénat. Moi, moins que personne ! Si nous devons mener la lutte contre le fléau dont nous parlons aujourd’hui, nous ne devons pourtant pas le faire à n’importe quel prix, et surtout pas en cédant sans réfléchir à la pression de l’événement. En mai dernier, M. Sarkozy, par l’intermédiaire de son ministre de la justice, réagissait à l’affaire Merah.

Monsieur le ministre, il ne faudrait pas que nous donnions le sentiment de simplement réagir à l’affaire de Sarcelles et de relancer un mécanisme déjà utilisé, hier, pour rassurer les Français. Certes, ce souci de « rassurer » est, en lui-même, légitime. Veillons néanmoins à éviter l’impression que nous ne faisons que produire une disposition d’affichage.

Si votre projet de loi reprend certaines mesures qui figuraient déjà dans celui de M. Mercier, il en réduit toutefois le contenu à trois volets, le dépouillant d’un certain nombre de dispositions. Il n’en reprend pas moins les articles 3, 6 et 9 de la loi de 2006, présentée par M. Sarkozy lui-même, alors locataire – comme vous aujourd’hui – de la place Beauvau.

Or la question que peut – et sans doute doit – se poser tout citoyen est la suivante : pourquoi les dispositions votées en 2006, prorogées en 2008, n’ont-elles pas suffi à nous protéger d’un Mohammed Merah, pourtant connu par les services de police ? De même, pourquoi les terroristes présumés de la cellule de Torcy – douze arrêtés, dont cinq libérés après une longue garde à vue – n’ont-ils été repérés qu’après leur lancer de grenade à Sarcelles, acte qui, en d’autres circonstances, aurait pu se révéler beaucoup plus meurtrier qu’il ne l’a été ?

Les mesures de 2006 nous avaient été présentées comme expérimentales, et non comme définitives. Après qu’il y a eu mort d’hommes et d’enfants, est-il utile de multiplier des dispositions dont l’efficacité ne semble pas démontrée et qui s’ajoutent à l’arsenal déjà existant de dispositions de lutte contre le terrorisme ?

En ce qui le concerne, le groupe écologiste demande, d’une part, que la prorogation soit limitée à décembre 2014, au lieu de décembre 2015, et, d’autre part, qu’un rapport d’évaluation détaillé soit dressé avant toute nouvelle prorogation. Un rapport de ce type, élaboré par les députés Éric Diard et Julien Dray – ce dernier est socialiste, me semble-t-il ! – et rendu à la veille de la prorogation de 2008, ne concluait-il pas qu’il ne fallait pas, « sous le coup d’une sorte de fatalisme juridique, et sous la pression d’hypothétiques menaces, considérer que les dispositions temporaires de [la loi de 2006] (celles des articles 3, 6 et 9) doivent être prolongées, ou plus encore être définitivement entérinées » ?

Tant que l’on ne s’attaquera pas aux causes profondes de l’émergence d’un terrorisme désormais endogène et aux racines de l’engagement de certains jeunes de nos quartiers – y compris de récents convertis à l’islam – dans les rangs d’un islamisme destructeur, tant que l’on continuera à clamer les principes d’une laïcité toute théorique sans vouloir prendre la mesure exacte des formes contemporaines de retour au religieux, tant que l’on ne se donnera pas les moyens d’inventer des solutions pratiques, et non de pur principe, à l’école, en prison ou dans la vie de tous les jours, tant que l’on ne développera pas à nouveau, dans les zones sensibles, une police de proximité, auxiliaire indispensable pour cerner à temps et pour prévenir le basculement de certains de la délinquance dans une forme de radicalité religieuse pouvant mener au terrorisme, tant que l’on fermera les yeux sur le grippage de notre ascenseur social et sur l’abandon de nos quartiers populaires, on pourra promulguer toutes les lois que l’on voudra, sans jamais être assurés qu’elles suffisent à nous protéger, sur le long terme, des phénomènes qui nous préoccupent aujourd’hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Le projet de loi que nous examinons concourt certainement à la lutte contre le terrorisme. Mais il doit aussi respecter les libertés individuelles, qui sont le socle même de notre démocratie.

Sans chercher à provoquer une vaine polémique, je dois pourtant rappeler que la gauche s’était opposée en 2006 et en 2008 aux dispositions des articles 3, 6 et 9, dont le présent projet de loi demande, dans son article 1er, la prorogation jusqu’à la fin de l’année 2015. Elle les jugeait alors liberticides. Elle avait également dénoncé, dans la loi de 2006, un texte qui, loin de s’en tenir à la prévention et à la répression du terrorisme, contenait des mesures visant à lutter contre la délinquance ordinaire et l’immigration irrégulière et à élargir les possibilités de contrôle aux frontières.

Hormis l’émotion provoquée par l’affaire Merah et les récentes arrestations, on ne voit pas ce qui, seulement quatre ans plus tard, devrait fondamentalement modifier cette position. Ce n’est pas nous, écologistes, qui ferons un procès en inconstance à nos amis socialistes.

Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Nous ne présenterons pas non plus d’amendement visant à supprimer l’article 1er, car, dans le contexte actuel, un tel amendement pourrait être interprété comme décalé.

En revanche, nous demanderons la réduction de la durée de prorogation au 31 décembre 2014.

Les articles 3 et 4 du projet de loi que nous examinons ont trait aux droits des étrangers et touchent au code régissant leur entrée et leur séjour. Ils modifient l’article L. 522-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en assouplissant la procédure devant la commission par l’ajout d’un alinéa. Si la commission n’a pas émis d’avis sur l’expulsion dans un délai d’un mois, celui-ci est alors réputé rendu. Malgré l’amendement du rapporteur, ce dispositif vise à pallier les carences d’une commission qui statue, en général, dans des délais bien supérieurs à un mois, empêchant ainsi l’administration de se prononcer et rendant difficile la mise en œuvre des mesures d’expulsion. En fait, il contourne les garanties entourant les procédures d’expulsion. Ainsi, l’administration pourra statuer librement s’il y a carence de la commission.

Monsieur le ministre, pourquoi une telle précipitation ? J’en suis sûre, votre intention ne peut être simplement de pouvoir expulser des étrangers avec plus de facilité. Pourquoi, dès lors, donner tant de liberté à l’administration ?

On sait que la gauche a toujours eu à cœur de renforcer les prérogatives de la commission, et que c’est la droite qui les a limitées.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Cela se vérifie jusque dans le rapport rédigé par les collaborateurs du groupe socialiste du Sénat…

Autres temps, autres mœurs, dirons-nous ! Nous, sénateurs et sénatrices du groupe écologiste, nous plaçant dans la tradition de cette même gauche, aujourd’hui majoritaire, à laquelle nous appartenons, nous déposerons un amendement supprimant la possibilité pour l’administration de statuer en cas de carence de la commission d’expulsion, renforçant ainsi les prérogatives de cette dernière. Ainsi remplirons-nous notre rôle de mémoire politique des socialistes, dans une continuité à la fois libre et profondément soucieuse des droits de l’homme et de la femme.

Pour conclure, je dirai que notre vote final dépendra du sort que notre auguste assemblée réservera à nos amendements. S’ils sont rejetés, nous choisirons l’abstention.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la déclaration que le ministre de l’intérieur a faite cet après-midi dans cet hémicycle ne peut que rencontrer l’adhésion de toute la représentation nationale ; c’est en tout cas ce que j’espère.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Néanmoins, je souhaite revenir un instant sur la contradiction dont nous sommes témoins, et que ma collègue Esther Benbassa vient d’illustrer.

Mes chers collègues, ceux d’entre nous qui ont derrière eux une longue carrière de parlementaire peuvent en témoigner : il faut toujours faire attention à ce que l’on dit, car le passé peut nous rattraper !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le ministre, si l’on se réfère, notamment, à la position des sénateurs socialistes et communistes – à l’époque, nous ne bénéficiions pas de l’existence d’un groupe écologiste – sur la loi de 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, je me réjouis que l’appréciation ait changé et que l’on reconnaisse enfin l’utilité des mesures que vous qualifiiez encore en mars dernier de « précipitées ». Mais vous étiez alors dans un autre rôle…

Je ne vous reprocherai pas de recourir à la procédure accélérée, qui est parfois utile. En l’espèce, on sait très bien qu’il faut décider, avant le 31 décembre prochain, de la prolongation – en fait, obligatoire – de la loi de 2006. C’est le motif pour lequel la commission des lois a unanimement refusé de ratifier l’ordonnance du 12 mars 2012 : le travail de l’administration et de tous ceux qui contribuent à l’œuvre de codification est toujours parfait, mais l’expérience passée nous prouve que le Parlement, s’il veut que sa ratification ait un sens, a intérêt à vérifier de très près la cohérence de ce travail.

Vous nous confirmez aujourd’hui que les textes précédents étaient utiles et de bon sens, et vous en proposez d’autres. Pourtant, notre collègue François Rebsamen, président du groupe socialiste, dénonçait, en mars dernier, un projet de loi « mal préparé, mal ficelé, sans évaluation préalable de la fiabilité et de l’efficacité de son contenu ». Or le texte qui nous est présenté aujourd’hui reprend une partie des mesures alors annoncées par Nicolas Sarkozy et contenues dans le projet de loi déposé par son garde des sceaux.

Vous avez annoncé le dépôt de ce projet de loi le 15 septembre, juste après la manifestation devant l’ambassade des États-Unis à Paris. Je ne permettrai pas de juger la méthode du gouvernement actuel, dont les membres reprochaient au gouvernement de l’époque de « réagir à une émotion collective » ! Je ne vous dirai donc pas que cette annonce fait suite à une émotion collective propagée par des médias de masse. Je ne dirai même pas que vous souhaitez envoyer un message à l’opinion française et affirmer votre présence sur le front de la lutte contre le terrorisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Comme vous, je considère la menace terroriste comme particulièrement préoccupante. En reprenant à votre compte le fond d’un projet de loi présenté par un autre gouvernement dit « de droite », pourtant combattu pendant les nombreuses semaines qu’a duré la campagne pour l’élection présidentielle – pas par vous, monsieur le ministre, mais par beaucoup de vos amis –, vous devez bien imaginer que les Français pourront s’interroger sur ce changement complet de position. Ce n’est d’ailleurs pas le seul cas, si l’on se reporte au débat de la semaine dernière sur le pacte européen de stabilité…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Certes, mais cela prouve que, quand on est responsable, on peut changer d’avis !

Après l’affaire Merah, je me souviens que, lorsque Nicolas Sarkozy avait envisagé une loi prévoyant une surveillance des connexions sur internet, on avait critiqué un « populisme pénal » ! Encore un grand mot…

Pour rafraîchir notre mémoire collective, je souhaiterais revenir un instant sur le texte courageux que Michel Mercier, alors garde des sceaux, avait présenté et qui ne remettait pas en cause la législation en vigueur, mais l’améliorait.

Madame le garde des sceaux, je suis très heureux de saluer aujourd’hui votre présence dans cet hémicycle, parce que je craignais que, comme par le passé, les textes sur le terrorisme soient rédigés uniquement par le ministère de l’intérieur.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

J’ai l’honnêteté de vous le dire ! En fait, il y a toujours eu une collaboration entre la Chancellerie et le ministère de l’intérieur. En effet, lorsqu’il est question de droit pénal, il vaut mieux que la Chancellerie soit consultée.

Le texte présenté par Michel Mercier comprenait quatre nouvelles mesures : donner des moyens supplémentaires aux magistrats et aux enquêteurs, notamment en matière de perquisition, d’écoutes ou d’infiltration ; pénaliser la consultation habituelle et sans motif légitime des sites internet qui incitent au terrorisme – nous en reparlerons tout à l’heure ; pénaliser ceux qui se rendent dans des camps d’entraînement à des fins terroristes – tel peut être l’objet de certaines dispositions du présent projet de loi ; appliquer une décision-cadre européenne instaurant un délit d’instigation d’actes de terrorisme.

Je souhaitais procéder à ce rappel afin que nous ayons conscience, tout comme nos concitoyens, des similitudes et des différences de nos motivations.

En 1986 – j’étais alors jeune député –, l’une des premières lois que nous avons adoptée sous la législature interrompue en 1988 répondait déjà à de réelles menaces terroristes, après la vague d’attentats des années soixante-dix. Depuis cette date, la France a pris conscience du caractère spécifique de cette menace et a perpétuellement adapté sa législation en fonction des évolutions des modes opératoires et de l’émergence des nouvelles menaces. Vous avez parfaitement décrit ce processus, monsieur le ministre.

Nous avons toujours veillé à maintenir un équilibre constant entre l’attribution à la puissance publique de prérogatives renforcées, nécessaires à la sécurité collective, et la préservation des libertés publiques. D’ailleurs, le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, dont je peux simplement regretter qu’il ait été publié dans l’urgence et présente donc un caractère forcément provisoire et insuffisant, établit un triple constat intéressant, en précisant que le cadre législatif actuel est dans l’ensemble satisfaisant – ceux qui ont voté successivement toutes ces lois sont heureux de l’apprendre ! –, même si son application rencontre quelques difficultés d’ordre pratique mais aussi juridique, et je pense notamment à l’article 6 de la loi de 2006. Il préconise donc des évolutions législatives du fait, notamment, de l’évolution des méthodes et moyens employés par les terroristes. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce dernier point.

J’en viens aux différences qui persistent entre nous et que révèle ce texte.

Comme l’a rappelé un spécialiste reconnu, François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, lors des auditions sur l’état de notre législation, « l’adaptation passe notamment par une plus grande attention accordée à l’internet ». Il doit donc être possible d’autoriser la recherche sur internet des connexions en lien avec le terrorisme, mais il semble également nécessaire de créer un délit de consultation de certains sites, sur le modèle de ce qui existe déjà à l’article 227-23 du code pénal.

Nous souhaitons aussi réprimer la propagation et l’apologie d’idéologies extrémistes que constituent la provocation aux actes de terrorisme et l’apologie de ces actes, en créant un délit figurant non plus dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais dans le code pénal. Il s’agit d’un débat récurrent ! Les travaux de ce matin, en commission des lois, permettront peut-être d’aboutir à un consensus sur cette question. En effet, les délits prévus par la loi de 1881 sont soumis à un délai de prescription de trois mois : peut-on prévoir un délai de prescription plus long dans cette loi et, surtout, peut-on procéder à une détention provisoire ? C’est pourquoi nous avions envisagé la création d’un délit particulier.

Enfin, il est important pour nous que la décision-cadre européenne de novembre 2008 relative à la lutte contre le terrorisme soit transposée dans notre droit. En effet, cette décision exige de réprimer comme un acte de terrorisme le chantage en vue de commettre des actes de terrorisme, ce qui pourrait être fait en ajoutant à la liste de l’article 421-1 du code pénal le chantage dans la liste des infractions constituant un acte de terrorisme, lorsqu’elles sont commises dans le cadre d’une entreprise terroriste – même si l’on nous dit que la définition du chantage dans notre code pénal correspond plus au cas de l’extorsion. Monsieur le ministre, cette question vous sera à nouveau posée dans le cadre de la discussion des amendements.

À titre personnel enfin, je souhaiterais vous faire part de mes interrogations – mais je crois qu’elles sont partagées par les membres de la commission qui connaissent un peu ces questions – quant à la prorogation, à l’article 1er du projet de loi, des dispositions déjà prorogées de la loi du 23 janvier 2006. Je ne parle pas de l’article 3 ni de l’article 9 de cette loi, mais de son article 6, relatif aux interceptions de sécurité.

Monsieur le ministre, j’ai des raisons de connaître un peu le sujet, puisque je siège à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, qui contrôle indirectement, a posteriori, les interceptions prévues dans ce cadre. Je pense qu’il faut aboutir à une unification des procédures applicables aux interceptions de sécurité, et j’espère qu’un consensus existe sur ce point.

La loi de 1991 correspondait à un stade de développement technique : la géolocalisation n’existait pas encore et internet pratiquement pas. Il faut que nous adaptions notre législation en veillant à maintenir un équilibre entre l’efficacité des interceptions et l’effectivité de leur contrôle : si chacun applique un dispositif particulier, je crains les dérapages. La loi de 1991 a représenté un progrès considérable, après de nombreuses affaires – nous savons tous pourquoi elle a été adoptée ! – et a permis aux services concernés de retrouver une crédibilité. Depuis cette date, nous avons parfois entendu évoquer des affaires, notamment de « fadettes », mais il s’agissait le plus souvent d’écoutes judiciaires et non d’écoutes administratives.

Nous aurions donc intérêt, puisque ce dispositif a bien fonctionné, à revenir à un dispositif d’autorisation interministériel, sous le contrôle du Premier ministre, tel qu’il existait depuis 1991. Quand nos collègues étrangers nous interrogent sur notre dispositif, ils reconnaissent qu’il figure parmi les plus perfectionnés, les plus stables et les plus sécurisés, tout en garantissant l’exercice des libertés publiques.

Nous aurons sûrement l’occasion de rediscuter de cette question. Je dois avouer que, si j’ai déposé un amendement qui paraît identique à celui qu’a évoqué Mme Benbassa, il ne s’inspire absolument pas de la même philosophie !

Malgré un consensus quasi général, monsieur le ministre, et la nécessité impérieuse de légiférer, au plus vite, mais surtout au mieux pour que les services de l’État puissent accomplir leurs missions, j’émettrais le regret que ce texte ait été rédigé a minima – mais nous aurons peut-être l’occasion de l’améliorer. Pour autant, je peux vous assurer que nous assumons pleinement le soutien à cette loi, voulue et écrite, en partie, par notre majorité, et reprise à son compte par le gouvernement actuel.

Le plus paradoxal n’est pas que la loi de 2006, que vous avez combattue, soit désormais considérée comme pertinente et efficace, mais que vous nous invitiez à renforcer notre législation antiterroriste. Puisque c’est nécessaire, nous vous soutiendrons, et vous proposerons de ne pas vous arrêter en si bon chemin, compte tenu de la persistance inquiétante de la menace terroriste dans notre pays. J’espère donc que l’ensemble du Sénat votera le projet de loi.

Pour terminer, monsieur le président de la commission des lois, j’avais envie de vous citer, mais puisque Mme Benbassa l’a très bien fait, je m’en abstiendrai !

Sourires et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’arrestation d’une douzaine d’islamistes, il y a quelques jours, l’affaire Merah, il y a quelques mois, nous rappellent la permanence du risque terroriste en France.

Le terrorisme est une guerre secrète, ponctuée de crimes spectaculaires, M. le ministre de l’intérieur l’a souligné. Il est d’autant plus difficile de faire face à cette guerre qu’elle change de forme et d’objet, n’a jamais de frontières, mais recèle toujours une organisation. Face à elle, nos démocraties sont confrontées à un vrai défi : se défendre sans se dénaturer.

Pour nos adversaires, la fin justifie les moyens. Pour nous, la lutte antiterroriste doit respecter les droits fondamentaux de chacun. Nous sommes ainsi gouvernés par un principe d’équilibre que le Conseil constitutionnel nous rappelle fréquemment. Il l’a encore fait le 17 février dernier en ne permettant pas au juge des libertés et de la détention de limiter le choix de l’avocat en matière de terrorisme.

Sans rien concéder au laxisme, bien entendu, nous devons éviter deux écueils. Le premier consiste à entretenir une confusion, plus ou moins explicite, entre la lutte contre le terrorisme et la discrimination à l’égard d’une religion ou d’une population étrangère. Ce rapprochement peut exister dans une partie de l’opinion. Il conduit alors à un soupçon pesant sur toute personne étrangère ou de confession musulmane.

La loi que vous nous présentez, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, échappe à cette critique en prenant soin de ne faire aucune référence de cette nature. Cela n’a pas toujours été le cas : lorsque, en 1996, le législateur ajoute l’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier des étrangers dans l’arsenal antiterroriste, il commet cette confusion.

Le second écueil serait, au nom de l’efficacité, de tenir les droits fondamentaux pour accessoires. Ici encore, une partie de l’opinion pourrait nous inciter à faire reculer le crime terroriste sans se soucier des dommages collatéraux causés aux libertés publiques.

Voilà notre philosophie !

J’ai bien entendu les propos que M. Hyest a tenus avec sa malice et son humour habituels. L’humour, nous le lui laissons ; c’est évidemment un droit de l’opposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Anziani

Il nous a rappelé nos positions passées. Pour ma part, je n’aurai pas la cruauté de lui rappeler les siennes. En conscience, nous savons faire la différence entre les lois souvent qualifiées de « législation de l’émotion » qui ont été votées précédemment et le texte qui nous est présenté aujourd’hui, dans le but de conforter les outils dont disposent nos services pour lutter contre le terrorisme.

Nous n’entrerons donc pas dans cette polémique pour une raison simple : notre objectif n’est pas de diviser les républicains, mais de les rassembler, pour reprendre les mots du ministre de l’intérieur, face à la menace terroriste. Tous les républicains sont évidemment les bienvenus pour voter ce texte.

Le projet de loi que nous examinons est complexe. Les trois dispositions que vous nous proposez de reconduire jusqu’en 2015 illustrent la difficulté de l’exercice. Je tiens d’ailleurs à répondre à mon amie Esther Benbassa qu’il ne saurait y avoir de lutte contre le terrorisme sans renseignement. Croire le contraire serait d’une grande naïveté. Or les trois dispositions dont le texte prévoit la prorogation au-delà du 31 décembre 2012 permettent à nos services d’effectuer ce renseignement.

Comment peut-on lutter contre le cyber-terrorisme, par exemple, sans identifier les personnes en parvenant à les géolocaliser pour ensuite mettre en place les mesures nécessaires ? Or nous savons que le cyber-terrorisme est la forme moderne du terrorisme. Il permet, à distance, de recruter, de former et d’acheminer vers des terrains de combat des apprentis terroristes qui séviront ensuite, hélas ! sur notre territoire.

Si nous n’avons pas accès aux données de connexion, je ne vois pas comment nous pourrons prévenir ces risques de terrorisme pour notre pays. L’essentiel, c’est de toujours établir la distinction, comme le prévoit le texte, entre le contenu et le contenant. Nos services pourront accéder aux données de connexion uniquement pour la géolocalisation, c’est-à-dire au fond au contenant, mais pas écouter le contenu des conversations que pourraient s’échanger des personnes n’ayant parfois strictement rien à voir avec le terrorisme. Cet équilibre, garanti par une personnalité qualifiée, me paraît tout à fait acceptable. Il a d'ailleurs été jugé conforme par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 janvier 2006.

De même, l’accès aux fichiers administratifs, qu’il s’agisse des permis de conduire, des cartes grises, des immatriculations, des pièces d’identité, va permettre à nos services de procéder à des vérifications. Là encore, elles demeureront contrôlées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Le troisième outil, à savoir le contrôle d’identité dans les trains internationaux et dans les gares, a fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel, qui en avait limité le périmètre à vingt kilomètres, ainsi que d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, qui avait interdit toute vérification systématique. Avec cette double condition, nous ne pouvons qu’être favorables à la prolongation de cette mesure.

Le projet de loi vise par ailleurs à combler une lacune choquante, dont on peut ensuite faire différentes lectures. Je le répète, un Français qui s’entraîne à l’étranger, au Pakistan par exemple, en vue d’un acte terroriste ne peut être poursuivi que si le pays d’origine le dénonce ou si un acte connexe a été commis sur notre territoire, comme l’achat d’un billet d’avion. En l’absence de telles conditions, nous ne pouvons pas le poursuivre. C’est ce vide juridique, cette lacune que le projet de loi nous invite à combler. C’est nécessaire pour notre sécurité.

La question de la forme que doit prendre cette répression n’a pas été abordée par notre excellent rapporteur. Le Gouvernement a fait le bon choix, me semble-t-il, en n’ajoutant pas une nouvelle infraction au code pénal mais en étendant le champ d’application de certaines dispositions, le Conseil constitutionnel sanctionnant toute nouvelle infraction qui n’est pas strictement nécessaire. Or si nous ajoutons une nouvelle infraction dans le code pénal à une infraction de même nature, elle risque de ne pas être considérée comme strictement nécessaire.

Le projet de loi vise à corriger une autre lacune. Aujourd’hui, sauf urgence absolue, une personne susceptible d’être expulsée doit être entendue par une commission composée de trois magistrats, convoquée par le préfet. Cette commission doit rendre son avis dans un délai réglementaire d’un mois. Il est intéressant de noter que cet avis est suivi dans plus de 70 % des cas. Cependant, les dispositions actuelles ne précisent pas ce qu’il advient si la commission ne respecte pas le délai réglementaire, en particulier après un report de celle-ci. Or on constate que ce délai atteint, en moyenne, 109 jours. Il fallait donc légiférer de nouveau pour éviter un tel allongement.

Le Gouvernement propose qu’à l’issue du délai réglementaire l’avis soit réputé rendu. La commission des lois a préféré une autre formulation, exposée tout à l'heure par notre rapporteur. Elle a en outre souhaité que la personne concernée, lorsqu’elle dispose d’un motif légitime – et uniquement dans ce cas –, puisse obtenir un délai supplémentaire d’un mois.

Enfin, la commission des lois a fait preuve de beaucoup de sagesse en refusant la codification par voie d’ordonnance de 550 articles du code de la sécurité intérieure. L’examen de ces articles en une dizaine de jours, véritable travail d’Hercule, nous a semblé inaccessible. Or il est de notre devoir de parlementaire de vérifier que cette codification est réalisée à droit constant, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. C'est la raison pour laquelle nous avons préféré supprimer l’article 5.

Monsieur le ministre, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est incontournable, ne serait-ce que pour proroger les trois mesures que j’ai indiquées. Il est conforme à nos principes républicains – j’insiste sur ce point – tels qu’ils ont été rappelés par le juge constitutionnel. Il est indispensable dans cette longue lutte toujours renouvelée contre le terrorisme. Le groupe socialiste et apparentés votera, bien entendu, votre texte !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nul ici ne conteste la nécessité absolue de lutter contre les méthodes et les actes terroristes qui visent, comme l’indique la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 8 septembre 2006, « l’anéantissement des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la démocratie ». Chacune et chacun d’entre nous condamne avec la plus grande fermeté toute atteinte à la République. Cela nous concerne tous. Dès lors, c’est toute la société qui doit faire bloc.

Oui, la force du droit doit prévaloir, monsieur le ministre, et personne ici ne détient le monopole de l’unité républicaine, car nous sommes tous des républicains, quel que soit notre vote ! Oui, il faut agir, mais quel type d’actions faut-il choisir d’engager ? Doit-on pour autant rogner sur nos valeurs ?

L’auteure Colombe Camus a parfaitement résumé toute la problématique qui se pose à nous aujourd’hui et qui, par le passé, a rassemblé la gauche et divisé la droite : « Le terrorisme interpelle les capacités de résistance politique et sociétale des démocraties, c’est-à-dire la capacité d’une société dans son ensemble à dépasser les conséquences d’une agression et les effets psychologiques induits par un incident majeur, sans trahir sa liberté et ses droits et sans répercuter politiquement sa détresse ». Elle ajoute : « le respect des droits humains et des libertés fondamentales n’est pas un luxe pour époques de prospérité ».

En effet, à chaque discussion que nous avons pu avoir dans cet hémicycle sur une loi relative à la lutte contre le terrorisme, nous avons été confrontés à un dilemme démocratique opposant la quête de sécurité au respect des libertés et des droits fondamentaux.

Au cours de ces discussions, nous avons pour notre part affirmé que la démocratie n’est pas un acquis. La faire vivre demande une vigilance permanente et un travail constant. Elle est un ensemble de libertés et de droits que l’on ne peut démanteler, même dans les moments difficiles, sans porter atteinte à ses fondements.

Je ne vous cacherai pas que montrer du doigt les dérives de la lutte contre le terrorisme en France n’est pas chose aisée, notamment après la période que nous avons vécue, voire le climat dans lequel nous baignons encore aujourd’hui. Pourtant, la volonté de défendre des libertés aussi fondamentales que la liberté d’aller et venir ou le respect de la vie privée m’intime de le faire. J’estime que ces principes durement acquis doivent être défendus en toutes circonstances, quelle que soit la conjoncture politique, car ils sont en réalité le fondement d’une sécurité humaine durable et non un obstacle à celle-ci.

Pour autant, si j’évite de céder au « tout-sécuritaire », je ne tombe pas non plus dans l’angélisme béat. Je ne suis de toute façon jamais béate devant qui ou quoi que ce soit. Le terrorisme existe, il doit être combattu avec force, je l’ai dit. La question qui se pose est celle des moyens à déployer pour l’éradiquer.

En plus d’avoir étendu les contrôles matériels, la droite au pouvoir a fait évoluer le dispositif de lutte contre le terrorisme vers des formes de contrôle plus indolores, dans le domaine immatériel des données personnelles. Elle a, par ce biais, instauré une surveillance généralisée et systématisée. Finalement, pour quel résultat ?

L’affaire Mohammed Merah fut terrible. Aujourd'hui, j’ai une pensée particulière pour les familles des victimes, endeuillées et meurtries à jamais. L’affaire Mohammed Merah fut un fiasco pour le pouvoir alors en place. §Elle fut un fiasco de sa politique sécuritaire – pour ne pas dire de sa politique tout court –, laquelle n’a pas permis de prévenir la dérive d’un déséquilibré connu des services de police et de mobiliser les alertes des diverses administrations qui avaient croisé et interrogé cet homme.

Doit-on continuer dans cette voie ? Je ne le pense pas.

Pour lutter efficacement contre le terrorisme et trouver de véritables solutions, il faut envisager le phénomène dans son intégralité, et surtout ne pas se satisfaire d’une politique sécuritaire qui se contente d’un fichage généralisé, où chaque citoyen est vu comme un terroriste potentiel. Il faut identifier les véritables causes de ces graves dérives afin de mieux les combattre.

L’article 2 du projet de loi vise à faciliter les poursuites et les condamnations de Français ayant commis des actes terroristes à l’étranger, en créant un nouveau délit. Or cette infraction existe déjà. Il s’agit du délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, qui permet de couvrir la plupart des situations. Je dis bien : la plupart des situations. L’association de malfaiteurs est une notion assez large, qui laisse de facto beaucoup de souplesse au régime antiterroriste français.

En outre, le dispositif prévu par l’article 2 risque de poser clairement un problème de preuve dans le cadre d’une procédure judiciaire. Il est en effet difficile de réunir les preuves concernant les activités concrètes auxquelles une personne a pu se livrer à l’étranger, d’autant plus que, dans ce cas, les magistrats devront recourir à la coopération pénale internationale, dont les résultats dépendent, vous le savez, de la bonne volonté des autorités du pays. C’est pourtant le manque de bonne volonté de ces pays en matière de lutte contre le terrorisme qui justifie, selon l’exposé des motifs, cette nouvelle disposition. Dès lors, on le sait, ce nouveau délit sera inutile.

Autre critique, et non des moindres, soulevée par Marc Trévidic, juge d’instruction auditionné par la commission présidée par M. Assouline : le risque, avec ce dispositif, est que l’on se contente d’interpeller une personne soupçonnée d’avoir effectué un séjour à l’étranger à visée terroriste dès son retour en France – cette personne sera de toute façon relâchée dans la majorité des cas, faute de preuve –, sans chercher à mener une enquête approfondie permettant d’identifier un éventuel réseau et ses activités. Il s’agirait alors d’une action préventive a minima, risquant de nous faire passer à côté d’un danger plus important.

Enfin, à force de persister dans cette voie, on peut se demander : à quand une liste des pays terroristes ?

Aux termes de l’article 3, si la commission départementale d’expulsion n’a pas émis son avis dans un délai d’un mois, celui-ci sera réputé rendu. Cette proposition de modification fera peser négativement sur les ressortissants étrangers les encombrements des audiences des commissions d’expulsion. En effet, depuis la loi du 24 août 1993, dite « loi Pasqua », les avis de cette commission n’ont qu’un caractère facultatif. En outre, à la suite de multiples modifications du CESEDA, elle n’est pas saisie, notamment en cas d’urgence absolue.

Introduire la notion de « rejet implicite » dans le cas présent revient donc à enterrer, doucement mais sûrement, le rôle de la commission d’expulsion, lequel est pourtant essentiel pour garantir les droits de la défense.

L’article 1er proroge jusqu’au 31 décembre 2015 les dispositions introduites par les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, adoptées, je le rappelle également, à titre expérimental.

Comme l’avait souligné en 2005 et en 2008 l’ensemble de la gauche, l’article 3 de cette loi est une mesure destinée à lutter non pas contre le terrorisme, mais ouvertement contre l’immigration clandestine. Je répéterai ici la position que j’avais adoptée à l’époque, et uniquement la mienne, c’est mieux : les contrôles d’identité n’ayant jamais joué, et ne jouant toujours pas, un rôle déterminant en matière de lutte contre le terrorisme, cet article instaure un amalgame inadmissible entre terrorisme et immigration.

Quant aux articles 6 et 9 de cette loi, ils autorisent respectivement la réquisition de certaines données relatives à des communications électroniques et l’accès, par les services de police et de gendarmerie, aux fichiers administratifs.

Pour mémoire, depuis l’entrée en vigueur de loi du 23 janvier 2006, des agents sont individuellement habilités à accéder à cinq grands fichiers administratifs nationaux et aux données à caractère personnel collectées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, fichiers et données que vous connaissez : le fichier national des immatriculations, le système national de gestion des permis de conduire, le système de gestion des cartes nationales d’identité, le système de gestion des passeports, le système informatisé de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France, les données à caractère personnel relatives aux ressortissants étrangers qui, ayant été contrôlés à l’occasion du franchissement de la frontière, ne remplissent pas les conditions d’entrée requises, et les données à caractère personnel biométriques relevées à l’occasion de la délivrance d’un visa.

De fait, une grande partie de la population séjournant ou résidant en France figure dans les fichiers ainsi ouverts aux agents de police administrative. Il s’agit bien là d’un fichage systématique et généralisé, qui justifie à lui seul un vote contre cet article.

À partir de l’article 4, qui rectifie une erreur de numérotation, je n’ai pas d’observation à faire. Je rappellerai simplement que le recours à l’article 38 de la Constitution, relatif aux ordonnances, ne doit pas être systématisé. La nouvelle majorité parlementaire doit prendre le temps d’examiner des dispositions prises par l’ancienne majorité par voie d’ordonnances. À cet égard, je salue la sagesse de la commission, qui a supprimé l’article 5 portant ratification d’une ordonnance de plus de 500 articles.

Vous l’aurez compris, le seul article 4 ne suffira pas à justifier un vote positif de notre part.

Nous ne voterons pas ce texte, je le dis avec fermeté et avec force, non par laxisme – que cela soit entendu–, ce que certains s’empresseront d’affirmer, non parce que nous considérons qu’il ne faut pas agir, mais parce que nous pensons que, pour fournir de véritables solutions, il faut viser les problèmes réels, ce que ce texte ne fait pas.

Aujourd’hui, la situation nécessite un recul et l’exercice effectif d’un contrôle politique, juridique et citoyen, par des moyens renouvelés : il faut multiplier les commissions d’enquête, revoir les domaines d’action les plus sensibles, notamment les renseignements, en leur garantissant une indépendance totale dans leurs propos, systématiser les mécanismes d’évaluation des politiques antiterroristes tant sur le fond qu’en termes d’impact et d’efficacité.

Le rapport sur les dysfonctionnements des services de renseignement que vous avez demandé à la suite de l’affaire Merah et qui doit vous être remis prochainement, monsieur le ministre, permettra déjà de prendre un peu de recul et d’appréhender plus globalement le problème. Pouvez-vous nous dire quand ce rapport sera publié ?

Enfin, permettez-moi de rappeler ce qui me semble logique, mais cela va toujours mieux en le disant : il faut condamner tout amalgame. Les musulmans de France ne doivent pas pâtir de cette situation. Ils sont eux aussi les victimes du radicalisme, qu’ils condamnent fermement.

D’ailleurs, si le discours radical fait autorité auprès des jeunes, c’est non parce qu’ils sont de telle ou telle religion, mais parce que ce discours leur donne une illusion de toute puissance, le sentiment de devenir Dieu et de pouvoir imposer leurs normes. Beaucoup de ces jeunes n’ont aucune transmission, qu’elle soit culturelle, religieuse ou familiale. Je parle notamment des jeunes qui passent beaucoup trop systématiquement par la case prison, du fait des peines plancher. En outre, le législateur a rejeté jusque-là toute tentative visant à pallier l’absence de liberté de culte en prison.

Il nous appartient de combler ces lacunes pour éviter l’endoctrinement de ces jeunes, lequel, selon de nombreux sociologue, s’apparente véritablement à celui d’une secte.

Il faut agir le plus tôt possible. Pour une réelle prévention, il faut commencer par reprendre les grilles psychologiques et sociales. Seul ce travail nous permettra de trouver le bon remède pour empêcher la naissance du terrorisme. §

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes invités aujourd'hui à examiner le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme en procédure accélérée.

Je tiens à le dire d’emblée, sur une question aussi grave que celle de la lutte contre le terrorisme, tous les Républicains doivent se rassembler. C’est n’est donc pas parce que vous êtes maintenant aux responsabilités, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, et que le projet de loi que vous nous soumettez n’est pas très éloigné de celui que j’avais déposé il y a quelques mois, que je me livrerai au petit jeu, qui serait à la fois cruel et contraire à l’esprit de rassemblement, consistant à rappeler ce que certains ont dit ici. M. Assouline l’a fait avec talent dans son rapport, qui servira à l’édification du Sénat.

Au contraire, je me réjouis profondément que le Président Nicolas Sarkozy

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

… défendent tous deux la République contre le terrorisme et qu’ils veillent à ce que les policiers et les magistrats aient les moyens d’agir. Je tiens d’ailleurs à féliciter le parquet de Paris et la section antiterroriste pour la lutte qu’ils mènent sans relâche contre ce fléau.

On l’a vu, dans l’affaire Merah ou dans celles de la semaine dernière, policiers et magistrats travaillent ensemble pour extirper cette gangrène de notre système républicain. Il faut leur dire un grand merci et tous les féliciter, car leur tâche n’est pas facile.

Applaudissements sur de nombreuses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Face à cette lutte quotidienne, je vous félicite également, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, de faire en sorte que vos administrations, dans le respect de leurs compétences, puissent travailler ensemble. Je pense notamment aux accords existant entre l’administration pénitentiaire, l’état-major de sécurité et les services qui dépendent du ministère de l’intérieur en matière de renseignement. Il est vrai que, aujourd'hui, la prison fait souvent figure d’école de la radicalité.

Tant mieux donc pour nous si les deux administrations œuvrent en commun. De la même façon, tant mieux pour nous si les magistrats peuvent rencontrer le directeur de la DCRI.

Quant à nous, parlementaires, notre rôle est simple : faire en sorte qu’il ne manque aucun outil législatif à toutes celles et à tous ceux qui sont chargés de la lutte antiterroriste.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui, bien qu’un peu différent, est très proche de celui que j’avais déposé il y a de cela quelques mois. Je le dis donc clairement : je le voterai sans état d’âme. Certes, j’espère que nous pourrons l’améliorer, trouver encore plus de convergences entre nos positions. Cependant, nous serions de bien tristes sires si, ayant déposé un texte qui ressemble beaucoup à celui que vous nous soumettez, nous refusions de voter ce dernier pour des raisons purement partisanes. J’espère donc que nous le voterons tous, car il est nécessaire à la défense de la démocratie et de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Je ne reviendrai pas sur tous les articles contenus dans le projet, car nous allons avoir l’occasion de le faire tout au long de la discussion. Je tiens seulement à vous dire que je trouve quelque peu regrettable que vous ayez renoncé un peu vite à transposer la directive sur le terrorisme dans le présent texte. Vous aurez l’occasion de nous expliquer pourquoi, lorsque nous examinerons les amendements identiques que M. Hyest et moi avons déposés sur le sujet.

On ne peut à la fois insister sur le fait que le terrorisme ne respecte pas les frontières et ne pas vouloir lutter contre lui au sein de l’espace européen, à l’aide du droit communautaire. Je crois très honnêtement que, sur ce point, le texte que vous nous soumettez peut être amélioré.

Le même objectif nous poussera à faire du délit d’apologie d’actes de terrorisme l’objet d’une autre discussion. Pour ma part, je pense qu’il mérite d’être extrait du cadre de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour être traité à part, et intégré dans le droit commun.

La commission a préféré modifier la loi sur la liberté de la presse. Je pense qu’il ne faut toucher à ce texte qu’avec d’infinies précautions.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un autre système, consistant à transférer cette infraction vers le droit commun, en l’aménageant de telle façon que les dispositions visant à la réprimer puissent garder toute leur efficacité. Ainsi, seul le parquet antiterroriste de Paris pourra lancer les poursuites sur cette base.

Un autre point a été évoqué en commission, portant sur la possibilité de poursuivre des Français qui commettent certains actes de terrorisme hors de France. Je souhaite véritablement que cette mesure puisse être étendue aux personnes résidant habituellement sur le territoire français. La commission a réalisé un bon travail et elle est parvenue à trouver, à l’unanimité de ses membres, une expression permettant à la fois de rester fidèle à mes vœux et de ne pas s’éloigner outre mesure du texte qui lui avait été présenté. Nous verrons la position du Gouvernement sur ce point.

Notre volonté est simple, monsieur le ministre. Elle est de vous donner toutes les armes dont vous avez besoin pour lutter contre le terrorisme. Il est tout à fait exact de dire que la législation actuelle est bonne. Elle a été construite au fil des années. Tous les gouvernements y ont participé peu ou prou. Ceux qui ont voté contre à un moment donné y furent favorables quand ils sont venus aux responsabilités.

Murmures sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Mes chers collègues, pour moi, ce n’est pas un sujet de ricanement. Il s’agit simplement de prendre conscience de la nécessité de faire face à la réalité, une fois que l’on est aux affaires. Nous pouvons le faire, tous ensemble, aujourd’hui, et cela me paraît très bien.

Sur les points que je viens de mentionner, nous vous proposerons de vraies avancées. Si vous les refusez, monsieur le ministre, vous serez obligé de revenir devant le Parlement. N’attendons pas les événements tragiques qui ne manqueront pas, malheureusement, de se produire. Certains vous reprocheraient alors d’agir sous le coup de l’émotion, ce qui ne sera pas mon cas.

Finalement, très peu de temps se sera écoulé entre le moment où j’ai déposé un projet de loi sur le sujet, à la fin du mois d’avril dernier, et l’examen du présent texte, en octobre. Considérons que, si mon texte avait dû être examiné sans la procédure accélérée, nous en serions au même temps du travail parlementaire.

Toujours est-il que, dans quelques jours, nous disposerons d’un texte qui permettra à nos forces de police et à nos magistrats d’être les bras armés de la République et de pouvoir lutter encore plus efficacement contre le terrorisme. C’est ce que nous souhaitons tous ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contexte dans lequel nous sommes aujourd’hui amenés à examiner le projet de loi justifie, malheureusement, sa discussion en procédure accélérée.

Les événements dramatiques qui ont frappé Montauban et Toulouse en mars dernier étaient déjà venus rappeler à la nation tout entière qu’elle n’était pas à l’abri, sur son propre sol, d’actes aveugles et lâches de terrorisme. L’actualité de ces dernières semaines l’a encore prouvé. Je tiens d’ailleurs à saluer, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, l’action non seulement des services de renseignement et de sécurité, mais également des services judiciaires, qui ont travaillé, sous votre responsabilité, pour démanteler simultanément à Strasbourg, en région parisienne et sur la Côte d’Azur, un réseau islamiste qui, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure, monsieur le ministre, était déjà passé à l’acte et s’apprêtait à récidiver.

Notre pays n’a que trop payé le prix du sang. Il a su se doter, c’est vrai, notamment dès 1986, d’une législation antiterroriste spécifique que les professionnels du sujet, qu’ils soient magistrats ou enquêteurs, qualifient eux-mêmes de bien construite et d’efficace, comme cela a été souligné par M. le rapporteur. Cet arsenal juridique repose, cela a été dit, sur l’infraction cardinale d’« association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme », qui offre aux enquêteurs la possibilité de travailler très en amont des actes de terrorisme eux-mêmes, grâce à l’incrimination des actes dits « préparatoires ».

Je ne m’attarderai pas sur les autres dispositifs dérogatoires au droit commun, comme le régime de la garde à vue, celui des perquisitions de nuit ou encore les captations de données informatiques, qui représentent un ensemble d’instruments d’investigations efficaces au bénéfice des enquêteurs.

En toute hypothèse, notre législation antiterroriste est non pas un droit d’exception mais un droit spécifique, absolument nécessaire à la lutte contre cette criminalité parfois très organisée, et en tout cas particulière.

Cette législation demeure également, comme toutes les autres, soumise à d’exigeantes garanties procédurales. Le juge reste toujours, en dernier lieu, le garant du respect des règles de droit et des libertés. Aussi s’inscrit-elle bien dans le cadre qui nous est cher, celui d’un État de droit soucieux de garantir un équilibre parfait entre, d’une part, la poursuite et la répression des infractions terroristes, la protection de la population et la prise en charge des victimes, et, d’autre part, le respect des droits des personnes mises en cause. Notre groupe sera d’ailleurs toujours mobilisé pour maintenir cet équilibre essentiel dans un État démocratique.

Pour nous également, les clivages politiques s’effacent nécessairement devant l’horreur. La nation tout entière doit être rassemblée pour exprimer sa compassion aux victimes et sa détermination face au terrorisme. Toute récupération politique ne peut que susciter notre réprobation.

Monsieur le ministre, vous avez parlé, il y a un instant, de la défense de l’intérêt supérieur de notre pays. Je me félicite de la concorde qui semble régner à ce sujet, manifestée par la quasi-unanimité prévalant dans cet hémicycle. Je tiens également à saluer votre méthode de travail, fondée sur l’analyse raisonnée plutôt que sur la seule émotion subie.

Le présent projet de loi résulte en grande partie des conclusions d’un groupe de travail qui associait des magistrats spécialisés, des policiers de la sous-direction antiterroriste, des membres de la DCRI, ainsi que deux conseillers près la Cour de cassation. Cette méthode équilibrée a permis de prendre toute la mesure des enjeux qui s’imposaient et d’apporter des réponses pragmatiques et pertinentes.

Certes, je n’oublie pas, cela vient d’être rappelé, que le projet de loi n° 520, déposé sur le bureau du Sénat le 4 mai dernier par l’ancien garde des sceaux Michel Mercier, comportait une importante disposition, que reprend en partie le présent texte : la possibilité de réprimer le délit d’association de malfaiteurs terroristes commis par un Français à l’étranger.

Toutefois, d’autres dispositions contenues dans ce projet de loi préparé dans l’urgence, cela a été rappelé, semblaient poser problème. Je pense en particulier au délit de consultation habituelle de site terroriste. Un tel délit aurait nécessairement posé des problèmes de constitutionnalité. Mais il aurait surtout alourdi la charge de travail des services de renseignement, voire aurait été contre-productif, dans la mesure où de nombreuses identifications de terroristes ont précisément été rendues possibles, ces dernières années, par le suivi de leurs connexions sur internet.

Notre groupe soutiendra naturellement le présent projet de loi, car nous estimons qu’il est urgent d’adapter notre droit aux évolutions, très rapides, des menaces objectives qui pèsent sur notre pays.

Dans sa version issue des travaux de la commission des lois – permettez-moi, d’ailleurs, de saluer l’excellent travail réalisé par le rapporteur Jacques Mézard –, le présent texte se caractérise par encore plus d’équilibre entre la protection de l’ordre public et le respect des droits fondamentaux. La commission a en effet particulièrement veillé au respect de ces principes. C’est la raison pour laquelle nous souscrivons pleinement aux modifications qui ont été apportées, notamment sur la procédure de consultation de la commission départementale d’expulsion.

J’en viens aux autres articles du texte.

La prorogation de certaines dispositions de la loi du 23 janvier 2006 jusqu’en 2015 nous apparaît nécessaire, compte tenu du contexte actuel. En tout état de cause, ces mesures d’exception sont aujourd’hui indispensables aux services d’enquête et ont été encadrées et validées par le Conseil constitutionnel. Les quelques dérives qui ont pu avoir lieu sont liées non au cadre législatif lui-même, mais à des comportements individuels isolés qu’il appartient à la justice, et à elle seule, au cas par cas, d’apprécier et, le cas échant, de sanctionner.

La menace terroriste évolue rapidement, je le disais, et se caractérise par sa nature protéiforme. Il est donc légitime que nous nous interrogions sur la capacité d’action de nos services de renseignement et sur leurs résultats.

L’affaire Merah a malheureusement révélé de possibles défaillances sur lesquelles toute la lumière devra être faite. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, Mohammed Merah était déjà connu de ces services. Ces dernières années, il avait été identifié à la suite de ses déplacements en Afghanistan, où il s’était rendu hors des filières classiques de recrutement de militants occidentaux.

Je sais que vous vous employez à dresser ce bilan et à en tirer les enseignements, puisque vous déclariez le 12 juillet dernier devant la commission des lois de l’Assemblée nationale que « chacun est conscient du fait qu’il y a eu échec […], puisque Mohamed Merah a pu agir et tuer ».

Des pistes de réflexion sont d’ores et déjà à l’étude. Le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois consacré aux dispositifs législatifs de lutte contre le terrorisme en avance quelques-unes.

De la même façon, vous avez souhaité repenser l’articulation entre la DCRI et les services départementaux de l’information générale, ou SDIG, sans toutefois toucher au socle d’action de la première. En tout état de cause, une telle réflexion ne peut s’inscrire que dans le cadre plus global de l’analyse des causes de l’adhésion de certains individus au radicalisme, radicalisme qui conduit alors au terrorisme.

L’un des éléments les plus marquants concernant la récente vague d’interpellations est que les individus appréhendés sont tous des citoyens français qui ont grandi dans notre pays, certains d’entre eux ne s’étant convertis que récemment à l’islam. Or, comme vous l’avez déclaré, monsieur le ministre, « il y a un terreau qui est celui de la pauvreté, de l’absence de repères, qui peut conduire à la délinquance, mais qui conduit aussi à l’engagement qui est celui de l’islamisme radical. On le trouve dans certains quartiers. En prison aussi. »

Ce qui est en cause, c’est bien l’échec d’une certaine politique pénale, qui a mis l’accent sur le tout-sécuritaire plutôt que sur la prise en charge, aussi, des causes sociales de la délinquance. La loi du 5 mars 2007 en est l’illustration. Bien plus, en favorisant l’incarcération, notamment de primo-délinquants, cette politique a mis de nombreux jeunes fragiles au contact direct du prosélytisme islamiste, qui sévit dans nos prisons.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Mazars

Certes, aucune étude n’a pu mesurer jusqu’à présent avec précision le nombre de conversions à l’islam en prison, ni appréhender l’étendue de l’islamisme, mais il est désormais pratiquement acquis que nos lieux de détention constituent un lieu de radicalisation et de recrutement de djihadistes.

Les meneurs sont souvent des jeunes en rupture avec leur milieu, qui expriment leur haine par un fait dit « religieux » poussé jusqu’à son paroxysme.

Ces dérives ont bien été prises en compte par l’administration pénitentiaire. Je pense, par exemple, à l’observation des changements de comportement et aux transferts des prisonniers à risque.

Tout le monde s’accorde à dire que la lutte contre cette radicalisation passe aussi par l’implication d’imams en milieu carcéral, afin de tenter d’empêcher les modérés de se radicaliser ou tout simplement pour garantir des espaces d’accès à la religion. Il est toutefois notoire que le nombre d’imams est trop faible. On en compte 151, contre, par exemple, 655 aumôniers catholiques.

Madame la garde des sceaux, vous avez annoncé l’intégration de 30 imams supplémentaires d’ici à 2014. Mais le chiffre demeure insuffisant ; selon les estimations, il en faudrait quatre fois plus. D’ailleurs, c’est également ce que dit le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Dans un avis du 24 mars 2011, celui-ci notait qu’il appartient, « dans le respect du principe de laïcité » – c’est un principe auquel nous sommes très attachés –, à l’administration responsable des lieux de privation de liberté de « pouvoir satisfaire aux exigences de la vie religieuse, morale ou spirituelle des personnes dont elle a la charge. »

En tout état de cause, la lutte contre le terrorisme est une implication de chaque instant.

Monsieur le ministre, je connais la détermination qui est la vôtre et celle des fonctionnaires de votre administration pour faire triompher nos valeurs communes, celles que nous partageons sur toutes les travées de la Haute Assemblée, face à l’obscurantisme et au fanatisme, qui conduisent aux crimes les plus odieux.

Quand les valeurs républicaines, et, parmi elles, la laïcité – vous l’avez mentionnée tout à l’heure –, sont menacées, vous savez pouvoir compter sur le soutien du groupe du RDSE, héritier au Sénat d’une tradition politique qui participe à la construction et à la défense de notre République depuis 120 ans ! Dans ces conditions, la totalité des membres de notre groupe approuveront le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.

Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’actualité récente, nationale et internationale, nous montre malheureusement que la lutte contre le terrorisme impose aux pouvoirs publics une vigilance de tous les instants.

Les menaces sont réelles. Elles sont en perpétuelle évolution. Il revient au législateur d’adapter notre arsenal législatif pour doter nos forces de police et la justice de moyens leur permettant de lutter efficacement contre les réseaux.

C’est un sujet sur lequel je me suis beaucoup engagé au cours de la législature précédente, en tant que rapporteur de la commission des lois. Aujourd’hui, si la majorité gouvernementale a changé, la menace terroriste, elle, est malheureusement restée la même. C’est pourquoi, monsieur le ministre, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai pris connaissance de votre projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, un texte qui appelle deux remarques de ma part.

Tout d’abord, je constate avec satisfaction que vous rappelez dans l’exposé des motifs que les dispositions de la loi du 1er décembre 2008 ont fait « la preuve de leur pertinence opérationnelle et de leur efficacité ». Ainsi, confronté aux réalités de l’action, vous reconnaissez la pertinence des politiques menées en la matière par Nicolas Sarkozy et par le gouvernement de François Fillon, que vous aviez pourtant tant décriées à l’époque avec certains de vos amis, tout comme vous reconnaissez le bien-fondé du texte présenté par le garde des sceaux d’alors, mon ami Michel Mercier.

Ensuite, je me réjouis que vous ayez également évolué sur l’idée de revoir périodiquement la pertinence de certains outils juridiques. Souvenons-nous des remontrances habituelles de certains de vos amis lorsque nous expliquions qu’il était nécessaire d’adapter régulièrement notre arsenal législatif dans la mesure où la menace terroriste était très évolutive. Tous semblent aujourd’hui se rallier à notre thèse...

Prenons l’exemple de l’article 1er de votre projet de loi. Il s’agit de proroger jusqu’au 31 décembre 2015 les dispositions des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006, dont j’étais alors rapporteur. Cette prorogation, sur laquelle nous pouvons nous interroger, non pas sur l’intérêt de fond des mesures elles-mêmes, mais sur son fait – mon collègue Jean-Jacques Hyest l’a brillamment exprimé tout à l’heure –, me rappelle les débats que nous avions eus à l’époque.

Il faut se remémorer ce que certains de nos plus éminents collègues socialistes déclaraient ici même au cours des dernières années lorsque nous présentions des textes. Fraternellement et par respect envers l’esprit de sagesse qui règne dans cette maison, je ne citerai pas les noms des intéressés, mais je reprendrai mot à mot leurs propos.

En 2006, un collègue déclarait : « Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas voter un texte […] qui pérennise des mesures exceptionnelles et qui supprime un certain nombre de garanties liées à l’action de la justice. »

En 2008, un autre affirmait : « Nous ne pouvons pas accepter que la prorogation de l’article tendant à permettre la fouille des trains se justifie par la lutte contre l’immigration. Nous n’accepterons jamais l’amalgame trop souvent fait entre terrorisme et immigration. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L’orateur continuait ainsi : « J’ajoute que c’est parfaitement contraire au principe même de Schengen, ce dont ont conscience un certain nombre de membres de la commission des lois, quelle que soit leur couleur politique. »

En 2011, un troisième expliquait : « Pour notre part, nous préférons une autre méthode, qui consiste, avant toute impulsion législative, à examiner si l’arsenal juridique existant suffit. »

Il est donc tout à fait clair, et nous pouvons tous en convenir, que votre arrivée aux affaires a conduit à un changement radical de votre position.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Nous sommes passés d’une situation où le dispositif législatif existant était considéré comme suffisant par notre collègue David Assouline à un discours sur la nécessité de réadapter notre arsenal législatif relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.

La réalité des faits comme celle du pouvoir vous imposent donc de prendre des mesures qui paraissaient hier sans fondement, ni justification, sinon celle de correspondre à un effet médiatique de l’ancien Président de la République.

Les choses ont visiblement bien changé, et je ne peux que m’en réjouir. Vous n’aurez donc pas besoin de me convaincre. En effet, pour moi, la méthode est limpide depuis de nombreuses années : un problème se pose, une situation perdure, nous avons le devoir d’y répondre de manière pragmatique et opérationnelle, car c’est bien au législateur de donner aux forces opérationnelles les outils de leur action au service des citoyens de notre pays.

Sur ces sujets, notre vigilance à tous doit être constante. Dans nos missions de législateur, il nous appartient d’organiser, d’adapter notre droit positif, afin de répondre au plus près aux menaces réelles qui frappent notre pays, tout en garantissant les droits et libertés fondamentales que notre République reconnaît à tous les citoyens.

Mes chers collègues, nous sommes constants dans notre approche de la lutte antiterroriste. Il nous est donc aisé d’accepter la voie que vous nous proposez, car elle correspond à ce que nous avons toujours défendu.

Monsieur le ministre, je vous confirme ainsi que notre groupe, en responsabilité, votera sans complexe le texte présenté par le gouvernement auquel vous appartenez, en espérant toujours, à ce stade de la discussion, que nos amendements très constructifs puissent être adoptés pour améliorer encore le dispositif global proposé.

Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Mme Virginie Klès . Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne me risquerai certainement pas au difficile exercice de la synthèse. Mon collègue Michel Delebarre, qui va me succéder, s’y prêtera avec beaucoup plus de brio que moi.

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Néanmoins, nous avons entendu aujourd'hui beaucoup de citations, de comparaisons et de rappels historiques plus ou moins sortis de leur contexte.

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, la démocratie se doit d’apaiser et de raisonner lucidement. Elle doit surtout se garder de toute émotion, car l’émotion est toujours mauvaise conseillère lorsqu’il s’agit de légiférer.

Il y a évidemment urgence, et le calendrier qui nous est proposé est le bon. Si nous ne faisons rien, les dispositions particulières dont nous discutons seront menacées d’extinction et de péremption, et nous allons de fait établir un vide juridique. Or, Mme la garde des sceaux le sait, nous avons déjà vu ce que pouvaient donner les vides juridiques qui apparaissent brutalement sans avoir été anticipés…

Je le répète, il y a urgence et le calendrier est le bon, à plus forte raison dans le contexte international que nous connaissons. L’ensemble du système juridique français, dont l’efficacité est reconnue – cela a été souligné sur toutes les travées du Sénat aujourd'hui –, est fondé sur des dispositions menacées de disparaître demain, ce qui créerait non seulement un vide juridique, mais également un gigantesque déséquilibre. Nous avons beaucoup parlé d’« équilibre » aujourd'hui… En l’occurrence, un tel déséquilibre mettrait en danger à la fois nos concitoyens et l’ensemble des forces de l’ordre ; je pense à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui luttent aujourd'hui contre le terrorisme.

Certes, un travail de fond reste à entreprendre, mais il sera entrepris, comme c’est désormais le cas, dans le respect du Parlement. Élue sénatrice en 2008 seulement, je constate aujourd'hui que même un projet de loi présenté dans l’urgence peut être accompagné d’une étude d’impact.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

C’était déjà le cas auparavant, Constitution oblige !

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

C’est quand même nettement plus facile pour travailler et se faire une idée précise sur ce qu’il nous est demandé de voter !

Le Gouvernement et la commission ont bien ciblé les mesures qu’il était urgent d’adopter, sans émailler le texte de cavaliers législatifs. Car j’ai beau être cavalière dans le civil, j’ai bien compris que la présence de cavaliers dans un projet de loi n’était pas forcément une bonne chose !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Il reste un travail de fond à entreprendre, mais il faut le faire dans l’équilibre, comme pour ce projet de loi.

Équilibre d’abord, parce qu’il y a eu concertation en amont, même si elle a été rapide.

Équilibre ensuite, parce qu’il y a eu participation des professionnels de la lutte contre le terrorisme.

Équilibre encore, parce que le renseignement a été pris en compte.

Équilibre toujours, parce que deux membres du Gouvernement ont travaillé sur le texte, se sont concertés et sont aujourd'hui présents pour le défendre devant le Sénat.

Équilibre enfin, parce que, même sur un certain nombre de dispositions discutées au cours de l’après-midi, notamment en matière de connexion, il y a bien encadrement et prise en compte de la jurisprudence ; les mesures concernées font l’objet d’une nouvelle prorogation, non d’une pérennisation.

Il a également été tenu compte des observations des autorités de contrôle.

La confiance est donc rétablie, malgré certaines retenues et certains silences, au demeurant bien compréhensibles, de la part du Gouvernement et de parlementaires de droite comme de gauche. Après tout, il s’agit de sécurité nationale, et certaines questions relèvent du secret-défense ; on peut donc comprendre qu’il puisse y avoir des silences…

Monsieur le ministre, madame la garde des sceaux, nous voterons le projet de loi, mais nous ne le ferons pas les yeux fermés. Des divergences demeurent sur certains détails, mais nous savons que ces points seront débattus, amendés, et que nous serons écoutés. Le travail qu’il reste à accomplir sera mené dans la concertation, conformément au climat de confiance qui règne désormais avec le Gouvernement.

Je suis d'accord avec ma collègue Éliane Assassi quand elle insiste sur la nécessité de continuer à mener un vrai travail en profondeur. Mais je ne suis pas d’accord avec elle quand elle conclut à l’inefficacité et à l’inutilité du texte qui nous est présenté aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Mme Virginie Klès. Oui, nous voterons le texte, et nous sommes prêts à continuer à travailler avec vous !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Delebarre

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reprendrai pas les arguments du Gouvernement, de la commission ou de notre collègue Alain Anziani, qui ont parfaitement exposé les raisons ayant conduit au dépôt du projet de loi devant la Haute Assemblée.

Je ne détaillerai pas non plus le contenu du texte, préférant me limiter à vous faire part de quelques réflexions d’ordre général. J’ai bien entendu les recommandations de ma collègue Virginie Klès. Je veillerai donc à ne pas prononcer le mot de trop qui pourrait écarter nos collègues Jean-Jacques Hyest ou Michel Mercier de l’excellente voie qu’ils ont décidé de suivre. En les écoutant, j’en suis resté assis, …

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Delebarre

… bercé par la douce musique d’une forme de consensus sur un sujet d’une importance capitale. Ce n’est pas toujours le cas !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Vous voulez dire que cela n’a pas toujours été le cas !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Delebarre

Je me félicite de cet état d’esprit, et je vais essayer de veiller à ne pas troubler une telle harmonie.

La menace terroriste en France demeure à un niveau élevé. Le territoire métropolitain a été frappé – cela n’était plus arrivé depuis bon nombre d’années – au mois de mars dernier à Toulouse. Je ne reviens pas sur les opérations qui ont été menées au mois d’octobre dernier par les forces de police et de gendarmerie en région parisienne, dans le Bas-Rhin et dans les Alpes-Maritimes. Cette enquête fait suite au jet d’un engin explosif le 19 septembre dernier à Sarcelles. Le Président de la République et le Gouvernement ont eu raison de condamner fermement ce type d’action. Je suis sûr que nous nous associons sur toutes les travées de notre Haute Assemblée à la condamnation de cet acte odieux.

Depuis le milieu des années quatre-vingt, la pratique administrative, la loi et la jurisprudence ont forgé des instruments de lutte contre le terrorisme performants, et reconnus comme tels par les spécialistes français et étrangers.

Aujourd’hui, il est nécessaire de donner aux institutions de la République – police, gendarmerie et justice – les moyens juridiques d’agir, aussi bien administratifs que judiciaires. C’est l’objet du projet de loi préparé cet été grâce à une réflexion commune entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, même si, je le reconnais, il s’appuie sur certaines bases antérieures.

Ce projet se veut équilibré et s’inscrit dans la ligne de l’action antiterroriste française dont le fondement reste l’incrimination de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, née dans les années quatre-vingt. Je veux d’ailleurs saluer ici le travail de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, que nous a rappelé son président David Assouline.

L’action du législateur a toujours été marquée par un souci constant d’équilibre entre, d’un côté, l’attribution à la puissance publique de prérogatives renforcées nécessaires à la sécurité collective et, de l’autre, la préservation des libertés publiques, comme c’est le cas encore aujourd’hui avec ce projet de loi.

Les précédents orateurs ont très bien rappelé les principales dispositions du projet de loi, notamment le prolongement des procédures de surveillance administrative, avec les contrôles dans les trains internationaux, ou encore l’accès aux données techniques recueillies dans les communications électroniques ou lors de l’accès à internet.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit de modifier le code pénal afin de permettre à la loi française de s’appliquer inconditionnellement aux actes de terrorisme commis à l’étranger par des ressortissants français. Cette modification permettra de poursuivre plus efficacement les personnes ayant participé à des camps d’entraînement terroriste à l’étranger alors même qu’elles n’auront pas commis d’actes répréhensibles sur le territoire français.

L’internationalisation de la menace terroriste constitue aujourd’hui l’une des principales menaces auxquelles notre pays doit faire face. Malheureusement, la coopération internationale entre les pays, notamment les pays hôtes de ces camps d’entraînement, pour lutter contre le terrorisme n’est pas aussi développée.

Alors député, j’avais présenté en 2004 devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale un rapport d’information sur la coopération internationale pour lutter contre le terrorisme. J’avais ainsi eu l’occasion de rappeler que le concept de « guerre contre le terrorisme » n’était pas adapté et qu’il pouvait même être contre-productif. L’outil militaire peut s’avérer parfois nécessaire pour surveiller des routes maritimes internationales et pour détruire des bases utilisées par les réseaux terroristes dans des zones de non-droit. Pour autant, les réseaux terroristes prennent de moins en moins la forme d’organisations structurées et centralisées, ce qui rend primordial le développement de moyens non militaires antiterroristes que sont les services de renseignement, de police et de justice.

Le cas de la tuerie de Toulouse et de l’affaire Merah est à cet égard édifiant. Bien qu’il y ait eu initialement des doutes concernant certains détails de cette affaire, il est avéré aujourd’hui que ce tueur présentait bien les caractéristiques d’un « djihadiste de synthèse » pour son passage dans les camps d’entraînement de la zone tribale afghano-pakistanaise, notamment, mais aussi les traits plus caractéristiques du « loup solitaire » : planification en autonomie, conduite et exécution des actions terroristes de façon indépendante de toute organisation, c’est-à-dire sans commandement et sans appui humain ni logistique.

Le travail antiterroriste, centré sur l’anticipation et la prévention, nécessite de disposer d’un recul et d’une réflexion axée sur la neutralité, l’expertise et la pluralité des approches. Dans ce domaine, comme d’ailleurs dans toute forme de criminalité, la prospective devrait être renforcée, notamment en associant le travail des policiers avec celui de chercheurs et de spécialistes extérieurs aux services. La police de proximité permettrait sans doute également une meilleure connaissance du terrain afin d’alimenter les services de renseignement.

Monsieur le ministre, vous avez lancé une réflexion sur l’ensemble de ces sujets. Je fais confiance au Gouvernement pour qu’il prenne les bonnes décisions afin de renforcer nos outils de renseignement.

Pour autant, la tâche des services de renseignement n’est pas simple. Les règles fondamentales du renseignement, comme celles de la protection de la source ou du « tiers exclu », rendent concrètement très difficile la mutualisation du renseignement dans un cadre multilatéral au niveau européen. L’essentiel est de s’assurer que les services nationaux coopèrent au quotidien, que les juges échangent des informations. Il faut donc veiller à ce que policiers et magistrats de chaque pays ne se heurtent pas aux frontières intérieures de l’Union européenne.

Si cela ne passe pas par la communautarisation de domaines comme la police, la justice ou le renseignement, cela légitime l’existence d’aiguillons, comme Europol et Eurojust, où les représentants des services nationaux apprennent à se parler et à se connaître.

La coopération bilatérale est également essentielle en matière de lutte contre le terrorisme. Il semble que la voie à privilégier réside non pas tant dans le développement de structures internationales de coordination que dans l’évolution ou la réforme des appareils antiterroristes des pays qui souhaitent coopérer.

En tout état de cause, en ce qui concerne la coopération antiterroriste dans le cadre européen, l’Union européenne ne doit pas se substituer à l’action prioritaire des États membres, comme le prouve ce projet de loi présenté par le Gouvernement. La politique européenne en matière de lutte antiterroriste ne doit pas concurrencer les politiques nationales, voire se substituer à celles-ci, mais elle doit leur apporter un appui quand des synergies sont possibles.

Par ailleurs, le principal rôle que l’Union européenne doit jouer en matière de lutte contre le terrorisme est de tout mettre en œuvre pour faire disparaître les freins qui empêchent la coopération directe entre États membres, tout particulièrement dans le domaine judiciaire. Enfin, la protection civile est également un domaine où la légitimité de l’intervention de l’Union européenne semble réelle et où elle peut apporter une possible plus-value.

En conclusion, la lutte contre le terrorisme suppose de privilégier une approche pragmatique et évolutive. Il est primordial de savoir s’adapter aux circonstances. C’est là tout le sens du projet de loi présenté par le Gouvernement, projet que, bien entendu, nous soutiendrons totalement. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues : « […] nul d’entre nous ne peut oublier les images du terrorisme, ces images horribles. Nul ne peut méconnaître, ne peut oublier les milliers de victimes du terrorisme, tous ceux qui sont morts ou qui continuent de souffrir dans leur chair.

« On dit et on écrit souvent : “les victimes innocentes”. Innocentes, elles le sont bien sûr, toutes ces victimes. Mais quand bien même seraient-elles coupables, auraient-elles quelque chose à se reprocher, qu’elles relèveraient de la justice des peuples libres et de rien d’autre. En aucun cas de cette barbarie.

« On dit que le terrorisme est aveugle. Aveugle, il l’est à coup sûr, puisqu’il suffit d’être là, sur le trottoir, dans la rue, sur le quai du métro, d’être là simplement pour être en danger de mort, pour être la cible, pour être tué. Le terrorisme est aveugle en ce qu’il est le contraire de la civilisation et la négation de toute civilisation possible. »

Mes chers collègues, j’ai prononcé ces mots à cette même tribune le 14 décembre 2005. Je ne retire rien à mes paroles ni à tout ce que nous avons dit à cette époque, lorsque nous avons examiné le texte qui nous fut alors proposé.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Depuis cette date, cinq choses ont changé, qu’il faut regarder avec lucidité et clarté.

Premièrement, le Conseil constitutionnel a été saisi sur la loi de janvier 2006. Il a en partie donné raison à ceux qui l’avaient saisi, c'est-à-dire à nous-mêmes : « Considérant que les données techniques que l’article 6 de la loi déférée autorise les services de police et de gendarmerie à requérir peuvent déjà être obtenues, en application des dispositions du code de procédure pénale, dans le cadre d’opérations de police judiciaire destinées à constater les infractions à la loi pénale, à en rassembler les preuves ou à en rechercher les auteurs ; que, pour leur part, les réquisitions de données permises par les nouvelles dispositions constituent des mesures de police purement administrative ; qu’elles ne sont pas placées sous la direction ou la surveillance de l’autorité judiciaire, mais relèvent de la seule responsabilité du pouvoir exécutif ; qu’elles ne peuvent donc avoir d’autre finalité que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions ; que, dès lors, en indiquant qu’elles visent non seulement à prévenir les actes de terrorisme, mais encore à les réprimer, le législateur a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs ; ».

Cela étant, le Conseil constitutionnel a aussi approuvé les autres mesures. Comme nous sommes des démocrates et des républicains, et que nous respectons, ce qui est normal, les autorités de ce pays, à commencer par cette haute juridiction, nous tirons les leçons et les conséquences de cette décision en ce qu’elle nous a donné raison sur un point essentiel et qu’elle a donné acte des autres aspects que nous contestions.

Deuxièmement, la Cour européenne des droits de l’homme a établi une jurisprudence importante avec l’arrêt Melki. Celui-ci a profondément changé les choses. Il serait sage d’en tenir compte. Quiconque, ici, déclarerait le contraire aurait beaucoup de mal à fonder son raisonnement.

Troisièmement, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a rendu public un avis extrêmement critique sur la loi de 2006, que nous avions contestée. Elle n’a rien fait de tel pour le texte que vous nous présentez aujourd’hui, monsieur le ministre, madame la garde des sceaux.

Quatrièmement, le champ des lois précédentes, tout particulièrement de celle de 2006, puisque plusieurs orateurs ont bien voulu rappeler ici ce que les uns et les autres avaient dit à l’époque de ce texte, n’est pas le même que le texte d’aujourd’hui. La loi de 2006 avait un objet inacceptable, qui apparaissait dans son intitulé même : loi relative à la lutte contre le terrorisme – jusque-là, c’est très bien – et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers…

Ce texte était un fourre-tout. Il était certes question de lutte contre le terrorisme, mais également beaucoup d’immigration, d’immigration irrégulière, de fichiers, de nationalité, de gel des avoirs, de police des stades, de grands rassemblements et d’événements particuliers. Je ne retirerai donc rien à ce que nous avons dit à l’époque de ce texte mal défini, faisant constamment l’amalgame, après quelques faits divers épouvantables, entre immigration et insécurité, immigration et terrorisme, islam et terrorisme. Nous n’avions pas accepté cela, et nous avions eu raison. Nous ne l’acceptons pas plus aujourd’hui.

Mes chers collègues, Mme la ministre et M. le ministre l’ont souligné, tout comme le Président de la République et le Premier ministre, ne confondons pas ceux qui s’adonnent à la folie terroriste, ceux qui pratiquent l’islamisme radical, l’intégrisme absolu, avec le très grand nombre de nos concitoyens, qui pratiquent une religion que nous respectons.

Ce texte s’oppose au précédent, à tous les précédents.

À cet égard, je rappellerai les propos que tenait Robert Badinter à cette tribune le 14 décembre 2005 : « Ainsi, depuis dix ans, c'est la huitième fois que le Parlement est saisi d'un texte portant sur la lutte contre le terrorisme. » C'était devenu répétitif et il y avait réitération dans les amalgames. Eh bien, monsieur le ministre, ce projet de loi que vous nous proposez est exclusivement consacré au terrorisme, ce qui constitue un grand changement.

Si Jacques Mézard et moi-même tenons tellement à ce que l'article 3 soit réécrit, c’est pour deux raisons. D’une part, il nous paraîtrait sage qu’il portât exclusivement sur le terrorisme ; ainsi, les articles 1er, 2 et 3 seraient consacrés à ce seul sujet. D’autre part, cela a été souligné par plusieurs de nos collègues, en particulier par Alain Anziani, une nouvelle rédaction de cet article permettrait de prendre en compte le droit des étrangers. Ces derniers doivent en effet pouvoir, dans des conditions très claires, faire valoir les motifs légitimes qui justifient une instruction complémentaire d’un mois devant la commission départementale d'expulsion.

Enfin, la cinquième différence porte sur les conditions dans lesquelles a été préparé ce texte. Ainsi, monsieur le ministre, vous avez annoncé publiquement la mise en place d’une commission commune entre les services de la Chancellerie et ceux du ministère de l'intérieur. Je vous félicite de cette initiative grâce à laquelle on rompt enfin avec cette sempiternelle opposition entre les deux ministères et qui nous permet d’affirmer que l'on peut et que l'on doit être attaché à la fois à nos libertés fondamentales et à la lutte antiterroriste.

Je terminerai en citant de nouveau Robert Badinter : « Cela veut dire, en clair, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, que, depuis les poursuites exercées, jusqu'aux condamnations prononcées, les procédures appliquées doivent toujours être irréprochables au regard du respect des libertés fondamentales. C'est à la lumière de cette exigence, nécessaire et première, que le Parlement français doit apprécier les projets dont il est du devoir du Gouvernement – de tous les gouvernements – de le saisir. À cet égard, nous devons toujours faire preuve de fermeté dans la lutte contre le terrorisme et toujours témoigner de la même fermeté quand il s'agit de la sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux dans cette lutte contre le terrorisme. »

Tout à l'heure, il a été fait allusion à Mohammed Merah. Pour ma part, je ne crois pas qu’il fut un « loup solitaire ». Le sujet est sensible et je tiens à remercier ceux de mes collègues qui ont déclaré refuser de s'engager dans des polémiques contreproductives. Pour autant, il est bon de rappeler que certains hauts responsables de l'ancien gouvernement ont donné de Mohammed Merah une image qui n'était pas conforme à la réalité. Un personnage solitaire ? On a appris depuis qu’il était au contraire très encadré, très organisé, très informé et sans doute eût-il été bénéfique qu'il fût déféré devant la justice de notre pays. Voilà de vraies questions qu’il ne faut pas hésiter à poser, ainsi que je le fais maintenant à cette tribune.

Mes chers collègues, il est vrai que l'on peut évoluer, cela arrive à chacune et chacun d'entre nous. Il est vrai que les circonstances peuvent différer selon que l'on se trouve dans l'opposition ou dans la majorité. C’est pourquoi j’ai tenu à montrer que, sur cinq points, la situation était différente de ce qu’elle avait été, ce qui justifie notre attitude aujourd'hui.

Le terrorisme est une folie. Hélas ! beaucoup d'intelligence et beaucoup d'ingéniosité sont à son service dans le monde. À cela, notre réponse doit être la protection et la répression, indissociablement liées ; elle doit être le droit. Face à cette folie moderne, organisée, planifiée, cynique, inhumaine, terrifiante, il nous faut avancer en restant nous-mêmes fermes, déterminés, avec cette arme la plus forte qui est celle du droit et de la raison. §

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à souligner la très grande qualité de ce débat. Monsieur le rapporteur, l'aboutissement de ce texte dans des délais contraints est en grande partie dû à votre patience et à votre indéniable connaissance de ces sujets. Je vous en remercie et salue votre volonté de dégager, avec d’autres, le consensus le plus large possible.

Il est normal de débattre lorsqu’il est question des libertés fondamentales. Cependant, la continuité doit prévaloir et la qualité du débat en commission constitue à l’évidence un élément essentiel pour parvenir à cette liaison entre droit et raison, prévention et répression, lutte contre le terrorisme et nécessité de préserver les libertés fondamentales ; le président Jean-Pierre Sueur vient de le rappeler.

Monsieur le rapporteur, vous avez conclu votre intervention en citant Georges Clemenceau, lui qui savait allier l'autorité, élément fondamental dans une société en perte de repères, le pragmatisme des solutions pour combattre le crime et enfin la recherche du progrès social. Ceux qui gouvernent sont confrontés à la réalité et, pour combattre le terrorisme, doivent utiliser les armes de la démocratie.

Le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, David Assouline, a insisté sur la nécessité de l’évaluation ; c’est capital. L'étude d'impact approfondie qui a été menée constitue une étape importante. Je m'engage à revenir devant la Haute Assemblée avec une évaluation approfondie de l'opportunité de fusionner le régime des interceptions de sécurité et celui de l'accès aux données de connexion.

David Assouline a également souligné la place nouvelle de l'internet comme le rôle central du juge dans la répression antiterroriste. Je ne peux qu’être d'accord avec lui ; d’ailleurs, la présence de Mme la garde des sceaux à mes côtés aujourd'hui et le fait que nous ayons préparé ensemble ce texte témoignent de notre volonté de préserver cet élément tout à fait central de notre droit.

Madame Benbassa, je sais votre rejet absolu du terrorisme. Nous partageons tous ici ce sentiment : il est à l'origine de notre volonté, faisant suite à celle du président de la République, de doter la France d'un dispositif efficace.

La gauche réformiste, social-démocrate a toujours eu ce souci ; cela fait partie de ses engagements.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Chaque fois qu’elle a eu à exercer des responsabilités, en France ou en Europe, et qu’elle a été confrontée à cette réalité, elle ne s'est jamais réfugiée derrière des chimères. Au contraire, elle a été amenée à adapter les outils juridiques à sa disposition pour lutter contre le terrorisme.

Je me rappelle d'ailleurs combien, alors jeune citoyen engagé d’origine espagnole, j'avais apprécié le choix stratégique du président Mitterrand et de son ministre de l'intérieur Pierre Joxe d'apporter une collaboration très puissante au gouvernement espagnol de Felipe González dans la lutte contre le terrorisme. Or certains, à gauche, s’y opposaient, au motif que la police espagnole était encore marquée par le franquisme.

Quand des gouvernements démocratiques peuvent coopérer ensemble dans la lutte contre le terrorisme et pour la préservation des valeurs de la démocratie, il ne faut pas hésiter. À l'époque, cette prise de position avait constitué un tournant décisif et les politiques aujourd'hui à l’œuvre s’inscrivent dans cette continuité.

Il s’agit de doter la France d'un dispositif efficace, évalué de manière méthodique, comme vous le souhaitez, madame Benbassa, qui réponde à une analyse réelle de la menace terroriste dans nos quartiers, sur internet, à l'échelon mondial.

Vous avez raison de souligner qu’il faut faire attention à toute dérive qui viserait à stigmatiser l'immense majorité de nos concitoyens de culture et de confession musulmane. L'immense majorité, le mot est faible, la totalité d'entre eux rejettent le terrorisme et le combattent. Je veux d’ailleurs rappeler – sans doute est-ce difficile à établir – qu’aujourd'hui, dans le monde, les premières victimes du terrorisme le plus terrible sont les musulmans. §

Il n’est qu’à voir l’Irak, où la population subit des actes terroristes plus effrayants les uns que les autres.

Nous devons appréhender de façon très lucide cette menace. C’est pourquoi il nous faut un texte efficace qui conserve au centre de notre législation le juge, garant des libertés individuelles.

Nous aurons l'occasion de le réaffirmer vendredi prochain, lors du congrès d'un syndicat de magistrats à Colmar : nous sommes déterminés à mener la lutte contre l'insécurité, la délinquance et, pour ce qui concerne ce débat, contre le terrorisme, tout en préservant dans le même temps les libertés individuelles et en faisant en sorte que notre société soit davantage apaisée. C’est tout le sens et de mon action comme ministre de l'intérieur, et du travail que nous accomplissons ensemble, Mme la garde des sceaux et moi-même.

Madame Benbassa, madame Assassi, on a toujours une vision déformée du ministère de l'intérieur. Pourtant, je voudrais que chacun prenne bien conscience du fait que, si ce ministère est celui de l'ordre, de la police et de la gendarmerie, il est aussi le garant des libertés.

Toutes les actions qui visent à lutter contre toutes les formes de délinquance ou de déviance sont sous-tendues par cette volonté de respecter scrupuleusement le droit des personnes. Ce faisant, je ne fais qu'appliquer la politique du Président de la République et du Premier ministre, dans le cadre d'un gouvernement et avec le soutien d'une majorité.

Je voudrais que chacun s’en rende bien compte : chaque action visant à lutter contre toutes les formes de délinquance ou de déviance est marquée par cette volonté très affirmée – la mienne mais aussi celle du Président de la République et du Premier ministre, dont je ne fais qu’appliquer la politique – de respecter le droit des personnes.

Cela ne nous empêche pas d’être fermes, car les premières victimes de la violence, de la délinquance et du terrorisme sont les catégories les plus modestes, les plus pauvres, les plus exposées de notre société. Fondamentalement, j’estime qu’être de gauche – puisque vous avez fait allusion à ce que signifie une majorité de gauche – c’est aussi lutter contre l’insécurité, qui constitue une inégalité supplémentaire que beaucoup de nos concitoyens subissent.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

M. Manuel Valls, ministre. Il y a des changements à réaliser dans les discours et les pratiques. C’est normal, et c’est mon rôle de les mettre en œuvre.

Applaudissements

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Pour toutes ces raisons, rien ne s’oppose à une prorogation de trois ans du dispositif instauré en 2006. La démocratie n’y perdra rien ; au contraire, elle en sortira même renforcée. J’ai bien compris qu’il existait encore des débats : les amendements déposés en témoignent. Nous examinerons sereinement ces amendements tout à l'heure.

J’ai écouté avec beaucoup d’attention M. Hyest, que je connais bien pour l’avoir rencontré en 1988, lorsque j’étais jeune attaché parlementaire de Michel Rocard. Le Gouvernement ne disposant alors que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, nous discutions beaucoup avec le groupe auquel appartenait M. Hyest. Il faut toujours être ouvert à la discussion.

Au-delà de ce clin d’œil amical, je tiens à vous dire que le recours à la procédure accélérée ne signifie pas que nous élaborons la législation dans la précipitation. Soyons honnêtes sur le plan intellectuel : le projet de loi que nous vous présentons était prêt depuis un certain temps déjà. En effet, non seulement nous savions que les mesures temporaires instituées par la loi de 2006 arrivaient à expiration le 31 décembre 2012, mais en outre les événements récents, qu’il s’agisse de la manifestation devant l’ambassade des États-Unis – ou plus exactement devant le ministère de l’intérieur, puisque les manifestants n’ont pu aller plus loin – ou du démantèlement d’un réseau terroriste, ont conforté le travail que nous avions réalisé, en l’inscrivant dans ce contexte particulier.

Nous avons pris le temps d’un travail approfondi, partagé, expertisé et commun aux ministères de la justice et de l’intérieur. Nous devrons continuer à nous adapter en permanence aux évolutions que chacun d’entre nous a décrites.

Sans sectarisme, dans un esprit d’unité nationale, nous avons utilisé comme base le projet préparé par le précédent garde des sceaux, M. Mercier. Cela n’a pas beaucoup de sens de revenir sur le passé et Jean-Pierre Sueur vient de décrire le contexte avec justesse. Je veux toutefois vous dire mon sentiment sur les réactions aux meurtres commis par Mohamed Merah. Au-delà des phrases et des polémiques, les responsables politiques, et notamment les candidats à la présidence de la République, ont présenté aux Français une image d’unité et de rassemblement. Je pense à cet égard à la présence des principaux responsables politiques autour du chef de l’État à la synagogue Nazareth de Paris, le lundi 19 mars, ou à Montauban, deux jours plus tard, pour les obsèques des soldats assassinés par Mohamed Merah. C’est cette image qu’il faut retenir, car c’est ainsi que nous devons agir chaque fois que se produisent des actes aussi graves.

Nous savons, vous qui avez gouverné et nous qui gouvernons aujourd'hui, que la force des démocraties réside dans la capacité de leurs responsables politiques à se montrer unis quand nos valeurs essentielles sont attaquées. Très sagement, François Fillon avait fait adopter par le conseil des ministres le projet de loi préparé par le garde des sceaux, mais n’avait pas essayé d’en précipiter le vote au Parlement ; du reste, cela n’était guère envisageable. D’une certaine manière, le texte avait été laissé à l’attention de la majorité suivante. Peut-être le Gouvernement pensait-il continuer son action, mais c’est à nous qu’incombe désormais cette responsabilité. Essayons donc de travailler ensemble à l’adoption du texte le plus efficace possible !

Monsieur Hyest, soyez rassuré : je partage votre souci de la cohérence de notre législation. J’y veillerai notamment en ce qui concerne l’article 6 de la loi de 2006. §

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Monsieur Anziani, je vous remercie de votre soutien. Je fais mienne votre volonté de ne pas entretenir de confusion entre terrorisme et immigration. Comme cela a été souligné, nous devons demeurer vigilants, sans pour autant être naïfs.

Nous voyons bien que les évolutions actuelles sont complexes. Le groupe terroriste que nous venons de démanteler était composé de Français, de Français qui n’étaient pas des enfants de l’immigration : il s’agissait de Français convertis à l’islam. Nous avons besoin d’outils nous permettant de nous attaquer aux étrangers qui viendraient sur notre sol pour s’en prendre à nos valeurs essentielles en tenant un discours de haine, mais nous devons aussi nous adapter aux évolutions en cours.

Je vous remercie également d’avoir rappelé une évidence, à laquelle Michel Delebarre a lui aussi fait allusion : il n’y a pas de lutte contre le terrorisme sans un renseignement de qualité ; pour ma part, j’ajouterais : sans un renseignement maîtrisé et évalué, ce qui suppose une coordination tant au sein du ministère de l’intérieur qu’avec les magistrats spécialisés dans l’anti-terrorisme. C’est la force de ce projet de loi que de prévoir une continuité pénale afin de répondre à la menace terroriste actuelle. C’est aussi, plus généralement, la force de la lutte anti-terroriste à la française, que beaucoup nous envient, même si nous devons confronter nos expériences avec celles qui existent au niveau européen ou mondial.

Madame Assassi, nous partageons le même objectif ; c’est l’essentiel. Nous voulons protéger les principes et les valeurs proclamés à l’issue de nombreux combats. J’ai une certitude : protéger ces valeurs exige de protéger nos démocraties, sans excès, certes, mais aussi sans naïveté. Il ne sert à rien de proclamer notre attachement à des valeurs si celles-ci sont attaquées par des actions violentes de terrorisme qui visent à briser l’essentiel de notre pacte républicain.

Oui, je souhaite voir reconduites des mesures attentatoires aux libertés individuelles car elles sont nécessaires à l’efficacité de la lutte contre le terrorisme. C’est d'ailleurs là que réside l’équilibre complexe de la lutte contre ce mal dont – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur – les objectifs ne sont pas nouveaux, même si les formes ont pu changer. Je le répète, chacune des « atteintes » – je mets ce mot entre guillemets – aux libertés que prévoit ce projet de loi est encadrée par la loi ou le juge.

Par ailleurs – je tiens à le répéter également –, aucune disposition ne vise une population, un pays ou une religion en particulier. Ce projet de loi est le fruit d’un consensus entre deux ministres, dont les logiques différentes ne sont pas contradictoires, mais représentent au contraire une force car elles nous invitent à faire preuve de plus d’efficacité.

La force de la France – je le disais tout à l'heure à François Rebsamen –, c’est que, même dans les moments les plus difficiles, elle n’a pas dévié, elle n’a pas fait le même choix que les États-Unis, où, après les attentats du 11 septembre 2001, des atteintes ont été portées à certaines libertés qui pouvaient être considérées comme fondamentales. Au-delà de tous les débats, cette force réside dans l’équilibre entre la droite et la gauche, qui se matérialise par l’alternance. Il s’agit de préserver un chemin sur lequel, je l’espère, nous pourrons nous retrouver.

Monsieur Mercier, je vous remercie de l’élégance de votre geste : vous avez en effet annoncé que vous voterez ce projet de loi. Je répète d'ailleurs que notre travail s’est appuyé en partie sur le texte que vous aviez commencé à bâtir, même si, de notre côté, nous avions également préparé certains éléments. Ces derniers mois, nous avons continué à travailler sur votre texte, afin de l’améliorer. Nous avons ainsi écarté certaines dispositions présentant un risque d’inconstitutionnalité. Nous avons choisi de légiférer avec méthode, puisque nous avions un peu plus de temps. Nous avons soupesé la nécessité de chaque atteinte à ce que l’on pourrait appeler des libertés individuelles. Tout à l'heure, nous débattrons sans doute de vos propositions, et nous le ferons avec le même esprit de méthode.

Monsieur Mercier, lorsque vous avez conçu votre projet de loi, le calendrier politique était chargé et vous avez dû travailler dans l’urgence, sous la pression de l’émotion légitime suscitée par les meurtres de Toulouse et de Montauban. Ces événements ont agi comme des révélateurs. Le même phénomène s’est produit récemment avec le démantèlement du réseau lié à l’attentat de Sarcelles. À ce sujet, j’ai lu il y a quelques jours le portrait qu’a fait de moi Edwy Plenel dans Marianne. Il accusait en outre le Président de la République d’avoir cédé à l’émotion suscitée par un pseudo-groupe terroriste. Non, il ne s’agissait pas d’un pseudo-groupe terroriste, c’était un véritable groupe terroriste, qui a essayé de tuer à Sarcelles et qui – la garde des sceaux le sait mieux que quiconque – s’apprêtait sans doute à commettre des actes irréparables.

Après les meurtres de Toulouse et de Montauban, l’émotion était palpable, mais vous vous êtes efforcé de répondre à une vraie question. Je suis donc heureux que vous soyez ici aujourd'hui pour débattre avec nous. Je souhaite que nous réussissions ensemble à trouver une voie, car un gouvernement est toujours plus fort, a fortiori sur un sujet aussi essentiel que la lutte contre le terrorisme, lorsqu’un consensus se dégage. J’invite chacun à participer à notre réflexion. En effet, il nous faut mobiliser toute la société si nous voulons être efficaces.

Monsieur Mazars, vous avez raison de souligner l’intérêt et l’efficacité de la méthode que nous avons adoptée. Sachez que je suis attaché à cette méthode, en matière de terrorisme mais également sur les autres sujets, comme la délinquance ou l’insécurité, qui relèvent de la loi pénale. Il y va de la sécurité de notre pays, qui n’est pas l’affaire exclusive du ministère de l’intérieur, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est peut-être sur ce point qu’il y a eu des changements : le ministère de l’intérieur est bien conscient que, sans la justice, sans la loi pénale, rien n’est possible. C’est une question de méthode : vous ne me verrez pas critiquer la justice ni commenter des actions menées par la police sous l’autorité du procureur avant que celui-ci ne se soit exprimé. C’est très important pour redonner confiance dans nos institutions et affermir l’État de droit.

Vous avez raison également de rappeler que l’efficacité de notre action dépendra de notre capacité à regarder en face nos échecs et dysfonctionnements, aussi bien dans les services de renseignement que dans l’administration pénitentiaire, et à en tirer les conséquences.

Je dirai maintenant un mot de ce qui s’est passé au mois de mars. Jamais, depuis que je suis ministre – mais je pense m’être exprimé de la même manière au printemps dernier –, je n’ai mis en cause le travail des services qui travaillent à l’intérieur ou à l’extérieur de nos frontières pour défendre nos intérêts. Jamais je ne les mettrai en cause, car leur rôle est essentiel. Cependant, si je me garderai bien de porter des accusations sur les hommes, en revanche, chaque fois qu’il y a un échec – et quand un attentat est commis, c’est un échec collectif –, nous devons en tirer les leçons afin d’améliorer le fonctionnement de nos services de renseignement.

Je n’oublie pas qu’une action en justice a été engagée par les familles de certaines victimes de ces terribles assassinats ; elles exigent de connaître la vérité. Une enquête est en cours, qui concerne notamment le frère de Mohamed Merah ; mais j’en dis déjà trop à cette tribune.

Le rapport que j’ai demandé à deux inspecteurs me sera remis dans quelques jours. Il nous permettra moins de tirer des enseignements du passé que de réorganiser le travail de nos services afin d’étudier les conséquences de la fusion des renseignements généraux et de la DST, dont a résulté la création de la direction centrale du renseignement intérieur. L’idée qui me préoccupe est de garder un lien très important avec la réalité du terrain dont n’est pas coupé le terrorisme. C’est peut-être sur ce point que des dysfonctionnements ont pu apparaître voilà quelques mois.

Bien entendu, la direction centrale du renseignement intérieur a besoin de moyens pour analyser les évolutions du terrorisme.

Monsieur Courtois, je n’ai pas changé de position depuis que j’ai été nommé à mes actuelles fonctions. Permettez-moi d’émettre une appréciation un peu personnelle : ces responsabilités m’ont peut-être été confiées par le Président de la République et par le Premier ministre en raison de mes prises de position anciennes, constantes et connues. Mes positions sont empreintes de pragmatisme, comme je l’indiquais tout à l’heure. Elles sont celles d’une majorité qui se garde bien d’opposer laxisme et répression, justice et intérieur et, sur ces sujets aussi essentiels, gauche et droite. En tout cas, je serai attentif aux propositions que vous formulerez, les uns et les autres, au cours de l’examen des articles.

Nous pourrions nous renvoyer les déclarations émises par les uns et les autres depuis vingt ou trente ans. Ce serait un vrai florilège, certes de grande qualité…

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

Je n’en doute pas un seul instant, monsieur le sénateur. C’est d’ailleurs l’une de vos caractéristiques.

Cela étant, en relisant les interventions qui ont eu lieu au moment de la discussion de la loi Rocard relative au renseignement en 1990, texte très important, on trouvera probablement un certain nombre de critiques… qui n’émanaient certainement pas de vous, monsieur Hyest. §

Madame Klès, après avoir fait part de votre analyse et formulé des critiques constructives sur le texte, même s’il n’était pas facile d’intervenir avant Michel Delebarre, ce qui n’est aisé pour personne d’ailleurs §vous avez indiqué que vous le voteriez, ce dont je vous remercie. Nous allons prendre le temps nécessaire afin de débattre en faisant preuve de mesure, comme vous le souhaitez.

Monsieur Delebarre, j’ai bien sûr le souci de ne pas adopter une posture de provocation face au terrorisme. L’État ne peut pas se mettre sur un plan d’égalité avec les criminels et utiliser la terreur contre la terreur.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

C’est la force et la faiblesse de nos démocraties que de devoir agir ainsi. Tout langage guerrier doit être banni de nos interventions, même si je dis – et j’emploie à dessein cette terminologie puisqu’il faut bien qualifier la menace face à laquelle nous nous trouvons – que nous avons à lutter contre un ennemi de l’intérieur...

Si nous devons opposer une quelconque autorité, elle doit être adossée à la loi, laquelle représente la force de la démocratie. Vous l’avez souligné vous-même, la présence conjointe au banc du Gouvernement de Mme la garde des sceaux et de moi-même est un signe de démocratie, un gage de la qualité du débat et constitue une réponse au terrorisme, qu’il provienne de l’intérieur de notre pays ou de l’étranger, où nous agissons en coopération avec un grand nombre de pays. Ces faits donnent puissance à la loi et à la réponse que nous construisons face au terrorisme.

Monsieur Sueur, vous avez rappelé les évolutions intervenues depuis la loi de 2006. La force d’une démocratie, à travers l’alternance et les débats, si toutefois nous nous accordons sur les points essentiels, est d’apporter une réponse précise, intelligente, adaptée à la lutte contre le terrorisme, lequel est de nouveau une réalité. Nous devons y faire face à l’aide de la démocratie, de la force de la loi, de la laïcité, comme cela a été rappelé voilà un instant, et avec nos valeurs. Grâce à ce travail, notre réponse gagnera en force. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Mes chers collègues, j’ai été saisi d’une demande de suspension de séance de dix minutes à l’issue de la discussion générale. La discussion des articles devrait durer deux heures. Par conséquent, je vous propose de suspendre la séance maintenant et de la reprendre à vingt et une heures trente.

Il n’y a pas d’opposition ?...

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.